Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

SOCIETE CIVILE

1re Civ., 6 décembre 2023, n° 22-19.372, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Dissolution – Bâtonnier – Compétence – Détermination – Portée

L'article 1844-7, 5°, du code civil n'exclut la compétence du bâtonnier pour prononcer la dissolution d'une société civile ni sur le fondement de l'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ni sur le fondement d'une clause compromissoire répondant aux conditions de l'article 2061 du code civil et ne comportant aucune renonciation ou restriction au droit de demander la dissolution de la société.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 31 mai 2022), M. [T] et M. [O], avocats associés de la société civile professionnelle [O]-[T], ont constitué la société civile immobilière 2ADI (la SCI), ayant pour objet l'acquisition et l'entretien d'un immeuble dont le siège est situé à [Localité 3], afin de disposer d'un local professionnel pour exercer leur activité d'avocats.

2. Les deux associés se sont séparés et, le 18 janvier 2016, ils ont signé, sous l'égide du bâtonnier, un accord réglant les difficultés de la séparation des deux avocats et celles ayant trait à la vie sociale de la SCI et à l'immeuble dont elle est propriétaire. Ce protocole prévoyait notamment que « Tous différends relatifs à l'interprétation et/ou à l'exécution des présentes seront soumis au bâtonnier du barreau de Bordeaux conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991. »

3. Par requête du 20 octobre 2021, après l'échec d'une tentative de conciliation, M. [T] a demandé au bâtonnier la dissolution de la SCI sur le fondement de l'article 1844-7, 5°, du code civil.

4. Le 6 décembre 2021, le bâtonnier s'est déclaré compétent pour statuer sur la requête. Un recours a été formé par M. [O]

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [T] fait grief à l'arrêt de juger que le bâtonnier est incompétent pour statuer sur sa demande de dissolution de la SCI et de le renvoyer à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, alors « que si l'article 1844-7, 5°, du code civil décide que la société prend fin « par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour juste motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société », ce texte se borne à subordonner la dissolution anticipée à l'intervention d'une décision émanant d'une instance juridictionnelle et revêtue de l'autorité de chose jugée ; qu'il n'édicte aucune règle de compétence destinée à identifier celle des différentes autorités qui, dotées de pouvoirs juridictionnels, serait apte à se prononcer sur la dissolution anticipée de la société ; qu'en se fondant néanmoins sur ce texte pour juger que le bâtonnier ne pouvait connaître d'une demande de dissolution, ni sur le fondement des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ni même sur celui de la clause compromissoire insérée au protocole d'accord du 18 janvier 2016, la cour d'appel a violé l'article 1844-7, 5°, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1844-7, 5°, et 2061, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, du code civil et l'article 21, alinéas 3 et 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011 :

6. Selon le premier de ces textes, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

7. Selon le deuxième de ces textes, tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier, qui exerce alors un pouvoir juridictionnel en rendant une décision qui peut être déférée à la cour d'appel par l'une des parties.

8. Aux termes du troisième, sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle.

9. Il s'en déduit que l'article 1844-7, 5°, du code civil n'exclut la compétence du bâtonnier pour prononcer la dissolution d'une société civile ni sur le fondement de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 ni sur le fondement d'une clause compromissoire répondant aux conditions de l'article 2061 du code civil et ne comportant aucune renonciation ou restriction au droit de demander la dissolution de la société.

10. Pour juger que le bâtonnier est incompétent pour statuer sur la demande de dissolution de la SCI et renvoyer M. [T] à se pourvoir devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, l'arrêt retient que l'article 1844-7, 5°, du code civil attribue compétence exclusive au juge pour statuer sur une demande de dissolution de société civile qui ne peut ainsi être soumise à l'arbitrage du bâtonnier, que ce soit dans le cadre d'un différend entre avocats, en application des dispositions des articles 179-1 et suivants du décret du 27 novembre 1991, ou par l'effet d'une clause compromissoire que l'article 2061 du code civil, dans sa version applicable au litige, antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, ne valide dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle, que sous réserves des dispositions législatives particulières.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La SCI ayant été créée par M. [T] et M. [O] pour acquérir et entretenir un immeuble afin de disposer d'un local professionnel pour exercer leur activité d'avocat, le désaccord qui les oppose au sujet de cette société constitue un différend survenu à l'occasion de leur exercice professionnel au sens de l'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dont le protocole conclu entre les parties ne fait que reprendre les termes.

Par conséquent, le bâtonnier est compétent pour statuer sur la demande de dissolution de la SCI formée par M. [T].

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que le bâtonnier de Bordeaux est compétent et renvoie l'affaire devant lui.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1844-7, 5°, et 2061, dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, du code civil ; article 21, alinéas 3 et 4, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011.

3e Civ., 21 décembre 2023, n° 20-23.658, (B), FS

Cassation partielle

Personnalité morale – Perte – Cas – Société civile ancienne non immatriculée au 1er novembre 2002 – Immatriculation postérieure – Effets – Création d'une personne morale nouvelle – Transfert des biens composant l'actif social par les associés à la société

La perte de la personnalité morale d'une société civile, faute d'avoir procédé à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, entraîne le transfert aux associés de la propriété des biens qui composaient l'actif social. L'immatriculation de la société postérieure à cette date donne naissance à une nouvelle personne morale, à laquelle il appartient aux associés de transférer ces biens.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 29 octobre 2020), la société civile immobilière Club du [Adresse 5] (la SCI), créée en 1964, a pour objet social l'acquisition, l'entretien et l'embellissement de six lots privatifs constitués d'espaces verts et de loisirs, au sein du lotissement du [Adresse 5].

2. Elle a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 31 janvier 2003.

3. Par actes du 25 juillet 2006, elle a assigné deux de ses associés, MM. [L] et [S], pour obtenir paiement de la part des charges leur incombant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. MM. [L] et [S] font grief à l'arrêt de déclarer recevable l'action de la SCI et de les condamner au paiement de certaines sommes, alors « que l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 dispose que le quatrième alinéa de l'article 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 modifiant le titre IX du livre III du code civil est abrogé le premier jour du dix-huitième mois suivant la publication de la présente loi ; que les sociétés procèdent avant cette date, à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés ; que selon l'article 1842, alinéa 1, du code civil, les sociétés autres que les sociétés en participation visées au chapitre III jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation ; qu'il en résulte qu'une société civile qui n'a pas procédé à son immatriculation au registre du commerce et des sociétés avant le 1er novembre 2002, ainsi que l'imposait la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, a perdu la personnalité juridique à cette date ; que la perte de la personnalité morale a entraîné le transfert de propriété des biens immobiliers jusqu'alors inscrits à l'actif de la société au profit des associés ; qu'il s'évince des énonciations de l'arrêt que la SCI Club du [Adresse 5], créée en avril 1964, a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 31 janvier 2003, soit postérieurement au délai fixé par le législateur au 1er novembre 2002 ; qu'en s'abstenant de rechercher si, à la suite de la perte de la personnalité morale entre le 1er novembre 2002 et le 31 janvier 2003 ayant entraîné le transfert de propriété aux associés des biens immobiliers composant jusqu'alors les actifs de la SCI Club du [Adresse 5], il était justifié par la SCI Club du [Adresse 5] de ce que les associés auraient décidé du transfert de propriété des biens vers la société nouvellement immatriculée, à défaut de quoi celle-ci ne détenait aucun droit sur les lots desquels cette société prétendait tirer son intérêt à agir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 31 et 122 du code de procédure civile, ensemble l'article 1842 du code civil, l'article 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 et l'article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1842 du code civil, 32 du code de procédure civile, 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 et 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 :

5. Selon le premier de ces textes, les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation.

6. Aux termes du deuxième, est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

7. Il résulte de la combinaison des deux derniers de ces textes que les sociétés civiles devaient procéder, avant le 1er novembre 2002, à leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

8. Les sociétés civiles n'ayant pas procédé à cette immatriculation avant le 1er novembre 2002 ont, à cette date, perdu la personnalité juridique (Com., 26 février 2008, n° 06-16.406, Bull. 2008, IV, n° 46) et sont soumises aux règles applicables aux sociétés en participation (3e Civ., 4 mai 2016, pourvoi n° 14-28.243, Bull. 2016, III, n° 59).

9. La perte de la personnalité morale entraîne le transfert des biens qui composaient l'actif social aux associés et l'immatriculation de la société postérieure au 1er novembre 2002, qui ne fait pas disparaître rétroactivement la période pendant laquelle la société a été dépourvue de la personnalité morale, implique un nouveau transfert des biens sociaux des associés vers la société, laquelle constitue une nouvelle personne morale.

10. Pour déclarer recevable l'action de la SCI immatriculée en 2003 en paiement de sommes dues par MM. [L] et [S] en leur qualité d'associés, l'arrêt retient que les conséquences du défaut d'immatriculation de la SCI entre le 1er novembre 2002 et le 31 janvier 2003 n'a pas pour effet d'entraîner la dissolution de la société ni de lui faire perdre son patrimoine, lequel reste régi entre associés par le pacte social, les règles de l'indivision n'étant applicables que dans les relations avec les tiers.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. MM. [L] et [S] font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la SCI, respectivement, les sommes de 3 500 euros et de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, alors « que la cassation qui interviendra sur le premier moyen en ce qu'il est reproché à l'arrêt d'avoir déclaré recevable l'action de la SCI Club du [Adresse 5] puis prononcé différentes condamnations à l'encontre de MM. [U] [L] et de M. [U] [S], entraînera par voie de conséquence, par application des dispositions de l'article 625 du code de procédure civile, l'annulation de l'arrêt en ce que la cour d'appel a condamné M. [U] [S] et M. [U] [L] au paiement, respectivement, de la somme de 3 500 euros et de la somme 1 500 euros, à titre de dommages et intérêts. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.

14. La cassation des chefs de dispositif déclarant recevable l'action de la SCI et condamnant MM. [L] et [S] au paiement de charges dues en leur qualité d'associés, s'étend aux chefs de dispositif les condamnant au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du jugement, l'arrêt rendu le 29 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Article 1842 du code civil ; article 32 du code de procédure civile ; article 4 de la loi n° 78-9 du 4 janvier 1978 ; article 44 de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.

Rapprochement(s) :

Com., 7 janvier 2014, pourvoi n° 11-25.635, Bull. 2014, IV, n° 4 (rejet), et l'arrêt cité.

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