Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

PRESCRIPTION CIVILE

2e Civ., 21 décembre 2023, n° 22-15.768, (B), FRH

Cassation partielle

Prescription biennale – Assurance – Action dérivant du contrat d'assurance – Exclusion – Cas – Action en nullité pour dol

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 8 mars 2022), et les productions, M. [G] a souscrit, le 15 septembre 2010, un contrat d'assurance sur la vie multi-supports proposé par la société Swisslife assurance et patrimoine (l'assureur) dénommé « Sélection R Oxygène », au titre duquel il a versé, par l'entremise de la société Axyalis patrimoine (le courtier), une certaine somme. Cette somme, ainsi qu'un versement complémentaire effectué le 1er octobre 2010, ont été investis sur différents supports.

2. Après deux rachats partiels, M. [G] a, le 18 juin 2014, réinvesti une certaine somme sur un autre support.

3. Les 9, 22 septembre et 30 décembre 2015, M. [G] a assigné le courtier, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles, toutes deux venant aux droits et obligations de la société Covea Risks et l'assureur devant un tribunal de grande instance aux fins d'annulation, à titre principal, de deux arbitrages des 4 février 2011 et 18 juin 2014 et de remboursement des sommes versées sur les supports choisis.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches et le deuxième moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. M. [G] fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il avait déclaré recevables ses demandes à l'encontre du courtier et des sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et notamment sa demande en nullité de l'avenant du 3 janvier 2011 [en réalité du 4 février 2011] et des actes subséquents et de déclarer irrecevables comme prescrites ses demandes de nullité des avenants des 20 octobre 2010, 15 décembre 2010, 4 février 2011, 28 juillet 2011 et 9 mars 2012 et de dommages-intérêts les concernant, alors « que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ; que l'action en nullité d'un contrat d'assurance fondée sur le dol dont s'est rendu coupable l'assureur ou son représentant ne dérive pas du contrat d'assurance en ce qu'elle sanctionne un manquement à la bonne foi et à la loyauté antérieur à sa conclusion ; qu'en soumettant néanmoins à la prescription biennale l'action en nullité pour dol intentée par M. [G], la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article L. 114-1 du code des assurances.»

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. L'assureur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que ce moyen est nouveau.

7. Cependant, le moyen de M. [G], qui n'invoque aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, est de pur droit.

8. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1116 et 1304 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et l'article L. 114-1 du code des assurances :

9. Aux termes du premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

10. Selon le deuxième, dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.

11. Selon le dernier, toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance.

12. L'action en nullité du contrat d'assurance ou de ses avenants, fondée sur le dol de l'assureur ou de son mandataire, qui repose sur l'existence de manoeuvres pratiquées avant la conclusion du contrat, ne dérive pas du contrat d'assurance, au sens de ce dernier texte.

13. Pour déclarer irrecevables comme prescrites les demandes de nullité des avenants au contrat d'assurance sur la vie souscrits entre le 20 octobre 2010 et le 9 mars 2012 par M. [G], fondées sur le dol du courtier, l'arrêt retient que celui-ci a assigné l'assureur les 9, 22 septembre et 30 décembre 2015, soit après l'expiration du délai de prescription biennale.

14. En statuant ainsi, alors que la prescription prévue à l'article L. 114-1 du code des assurances ne s'applique pas aux demandes d'annulation pour dol du contrat d'assurance et de ses avenants, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

15. M. [G] fait grief à l'arrêt de confirmer la disposition du jugement rejetant au fond sa demande d'annulation du contrat d'assurance, alors « que le juge qui déclare irrecevable la demande dont il est saisi excède ses pouvoirs en statuant néanmoins au fond ; qu'en confirmant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il avait déclaré recevable la demande en nullité du contrat, la cour d'appel a maintenu le chef du jugement ayant rejeté au fond cette même demande nonobstant l'irrecevabilité qu'elle a prononcée, ce en quoi elle a excédé ses pouvoirs, en violation de l'article 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 122 du code de procédure civile :

16. Le juge qui décide que la demande dont il est saisi est irrecevable, excède ses pouvoirs en statuant sur le fond.

17. La cour d'appel a confirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté la demande de nullité du contrat d'assurance dont il avait été saisi, après l'avoir infirmé en ce qu'il avait préalablement déclaré cette même demande recevable.

18. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de nullité des avenants des 13 et 18 juin 2014 et de dommages et intérêts les concernant, déboute M. [G] de ses demandes d'annulation des avenants des 13 et 18 juin 2014, déclare recevable la demande de M. [G] au titre des clauses abusives et le déboute de cette demande, l'arrêt rendu le 8 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SCP Boutet et Hourdeaux ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 114-1 du code des assurances.

1re Civ., 13 décembre 2023, n° 18-25.557, (B), FS

Cassation partielle

Suspension – Majeurs en tutelle – Action en nullité de l'article 489 ancien du code civil – Durée de la tutelle

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 septembre 2018), [A] [O] est décédé le 13 août 2008, en laissant pour lui succéder ses deux fils, issus de deux premières unions, M. [C] [O], qui a renoncé à la succession, et M. [T] [O].

2. Un jugement du 3 février 2004 avait placé [A] [O] sous tutelle et désigné M. [T] [O] en qualité d'administrateur légal sous contrôle judiciaire.

3. Par actes des 19 décembre 2012, 3, 31 janvier et 12 juillet 2013, celui-ci a assigné M. [E], Mme [U], fille d'une précédente union de la troisième épouse séparée de biens de [A] [O], [R] [X], prédécédée, la société Les Mimosas, prise en la personne de son représentant légal (la société) et la société Combe, Carrier, Cottarelk, Jurion, Giannini, Caramagnol, devenue la société Not@zur (la société notariale) aux fins d'annulation de divers actes notariés conclus par son père, soit une vente immobilière du 22 novembre 2001 au profit de M. [E], un partage du 6 septembre 2002 de divers biens indivis avec [R] [X] et une vente immobilière du 18 octobre 2002 au profit de la société, ainsi que d'une donation consentie le 21 octobre 2002 par [R] [X] à Mme [U], portant sur des biens immobiliers servant au logement de la famille qui lui avaient été attribués lors du partage, et à laquelle [A] [O] était intervenu.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. M. [T] [O] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables les demandes en nullité des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002, 18 et 21 octobre 2002, alors « que le délai de prescription de l'action exercée par les héritiers d'un majeur sous tutelle, en nullité des actes passés par celui-ci avant son placement sous tutelle, ne court contre les héritiers de l'incapable que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant ; que la prescription ne court pas contre les majeurs en tutelle ; qu'en affirmant néanmoins que le délai de prescription des actions en nullité exercées par M. [T] [O], en sa qualité d'héritier de M. [A] [O], avait commencé à courir lorsque la mesure de tutelle avait été ouverte par le jugement du 3 février 2004, et que ces actions, engagées plus de cinq ans après la mise sous tutelle de M. [A] [O] étaient donc atteintes par la prescription, quand aucune prescription n'avait pu courir à compter du jugement décidant la mise sous tutelle de M. [A] [O], cette mesure s'étant au demeurant poursuivie jusqu'à son décès, la cour d'appel a violé les articles 489 et 489-1 du code civil, ensemble les articles 1304 et 2252 du même code, dans leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 489, 489-1 et 1304, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, et l'article 2252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

5. L'action en nullité d'un acte à titre onéreux pour insanité d'esprit intentée par un héritier sur le fondement du deuxième de ces textes est celle qui existait dans le patrimoine du défunt sur le fondement du premier et doit être soumise à la même prescription.

6. Selon le dernier de ces textes, la prescription extinctive ne court pas contre les majeurs en tutelle.

7. Pour déclarer irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre et 18 octobre 2002, l'arrêt retient que la prescription a commencé à courir avant le décès de [A] [O], lorsque la mesure de tutelle a été ouverte par jugement du 3 février 2004, dès lors qu'à compter de cette date, M. [T] [O], qui n'ignorait ni l'état de démence sénile dont son père était atteint, ni les actes faits par celui-ci, pouvait, en sa qualité d'administrateur légal du majeur protégé, agir en annulation des actes précités.

8. En statuant ainsi, alors que la prescription n'avait pu courir à l'encontre de [A] [O], majeur en tutelle, de sorte que M. [T] [O], qui agissait en annulation des actes litigieux en sa qualité d'ayant droit de [A] [O], ne pouvait se voir opposer l'écoulement du délai de prescription à compter du jugement de tutelle jusqu'au décès, peu important l'action qu'il aurait pu exercer durant la mesure de protection en sa qualité de représentant légal, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. M. [T] [O] fait le même grief à l'arrêt, alors « que tout jugement doit être motivé ; que M. [T] [O] sollicitait notamment la nullité des actes litigieux sur le fondement de l'article 503 du code civil, aux termes duquel les actes antérieurs au jugement d'ouverture de la tutelle à l'égard de leur auteur peuvent être annulés si la cause qui a déterminé l'ouverture de la tutelle existait notoirement à l'époque où ils ont été faits ; qu'en déclarant irrecevables les actions en nullité formées par M. [T] [O], sans répondre à ses conclusions fondées sur ces dispositions spécifiques, applicables aux faits de la cause, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

11. Pour déclarer irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre et 18 octobre 2002, l'arrêt, après avoir rappelé les dispositions des articles 489, 489-1 et 1109 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause, retient que l'action engagée par M. [T] [O], fondée tant sur l'insanité d'esprit de [A] [O] que sur le dol dont celui-ci aurait été victime, est prescrite.

12. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [T] [O] qui fondait sa demande, non seulement sur les dispositions des articles 489, 489-1 et 1109 anciens du code civil, mais également sur celles de l'article 503 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. M. [T] [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages et intérêts contre la société notariale, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que, dans ses conclusions, M. [T] [O] exposait que les notaires ne pouvaient que se convaincre de l'état de vulnérabilité et de l'insanité d'esprit de M. [A] [O], au moment de la signature des actes litigieux en 2001 et 2002, en se fondant sur de nombreux éléments du dossier médical de M. [A] [O], ainsi que sur des comptes-rendus d'audition de l'enquête pénale et des attestations et sur le jugement rendu le 20 octobre 2011 par le tribunal correctionnel de Draguignan ; qu'en se bornant, pour débouter M. [T] [O] de sa demande contre les notaires, à analyser le seul rapport du docteur [P], expert désigné dans le cadre de l'instruction pénale, qui avait, au demeurant, conclu que [A] [O] présentait, dès décembre 2001, une détérioration de ses capacités physiques et intellectuelles, pour affirmer qu'il ne pouvait être reproché au notaire de n'avoir pas, lors de l'établissement de l'acte de partage du 6 septembre 2002, décelé la faiblesse psychique dont il se trouvait atteint, sans examiner, même succinctement, tous les autres éléments de preuve concordants susvisés, invoqués par M. [T] [O], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Il résulte de ce texte que le juge doit procéder à l'examen, même sommaire, des pièces produites par les parties.

15. Pour rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. [T] [O] contre la société notariale, l'arrêt retient que si le médecin-expert désigné pendant l'information judiciaire a conclu que [A] [O] présentait, dès le mois de décembre 2001, une détérioration de ses capacités physiques et intellectuelles, il ne peut être reproché au notaire de ne pas avoir décelé la faiblesse psychique dont celui-ci se trouvait atteint, lors de l'établissement de l'acte de partage du 6 septembre 2002.

16. En statuant ainsi, par simple affirmation, sans examiner, même sommairement, les autres pièces médicales, les pièces pénales et les attestations produites par M. [T] [O], la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes en annulation des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002 et 18 octobre 2002 entraîne la cassation du chef de dispositif déclarant irrecevable la demande en nullité de l'acte du 21 octobre 2002 qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société notariale, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes en nullité des actes des 22 novembre 2001, 6 septembre 2002, 18 octobre 2002 et 21 octobre 2002, en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages-intérêts formée par M. [T] [O] contre la société Giannini, Caramagnol, Combe, Ghio et Peron, devenue la société Not@zur et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 20 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Not@zur.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : M. Duval - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Laurent Goldman ; SCP Le Bret-Desaché -

Textes visés :

Articles 489, 489-1 et 1304, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 ; article 2252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

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