Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

LOIS ET REGLEMENTS

2e Civ., 21 décembre 2023, n° 21-22.239, n° 21-23.817, (B), FS

Cassation

Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – Domaine d'application – Portée

Il résulte des articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'intimé forme un appel incident et ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que déclarer irrecevables ces conclusions, l'appel incident n'étant pas valablement formé. Cette règle de procédure n'est applicable qu'aux appels incidents formés dans des instances d'appel engagées par des déclarations d'appel postérieures au 17 septembre 2020. En conséquence, doit être annulé l'arrêt qui fait application de cette règle de procédure à l'appel incident formé dans une instance d'appel engagée par une déclaration antérieure à cette date.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 21-22.239 et 21-23.817 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 7 juillet 2021), le 11 novembre 2011, Mme [F] a fait une chute alors qu'elle marchait dans un parc de stationnement souterrain exploité par la société Q'Park France (la société).

3. Elle a assigné en responsabilité et indemnisation de son préjudice la société et son assureur, la société Zurich Insurance PLC (l'assureur), en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse, et de la Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (la Carpimko).

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi n° 21-23.817 formé par Mme [F], pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [F] fait grief à l'arrêt de la débouter de toutes ses demandes, alors « qu'il n'y a de contrat qu'entre le conducteur du véhicule qui le gare dans un parc de stationnement, pour autant qu'il prenne un ticket ou extériorise son consentement par tout autre procédé, et l'exploitant de ce parc de stationnement, non entre ce dernier et le passager du véhicule ; qu'en jugeant qu'il importait peu que Mme [F] fût la conductrice ou la passagère du véhicule parce qu'elle était liée par un contrat avec la société en tant que piétonne utilisatrice du parc de stationnement, de sorte que s'appliquait la responsabilité contractuelle et non pas la responsabilité du fait des choses que l'on a sous sa garde, la cour d'appel a violé l'ancien article 1108 devenu 1128 du code civil, ensemble l'ancien article 1147 devenu 1231-1 du code civil par fausse application, et l'ancien article 1384 devenu 1242 du code civil par refus d'application. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147, devenu 1231-1, et les articles 1382, 1383 et 1384, devenus 1240, 1241 et 1242, du code civil :

5. Il résulte de ces textes que la responsabilité de l'exploitant d'un parking peut être engagée, à l'égard de la victime d'une chute survenue dans ce parking, sur le fondement de la responsabilité contractuelle si la victime a contracté avec cet exploitant et sur celui de la responsabilité extracontractuelle si la victime est tiers au contrat de stationnement.

6. Pour débouter Mme [F] de sa demande d'indemnisation, l'arrêt retient que la société qui met à disposition un espace de stationnement, et par conséquent organise et réserve des voies de circulation pour les piétons qui sortent des véhicules ou qui viennent les reprendre, qu'ils soient conducteurs ou non, conclut avec eux un contrat qui la rend débitrice d'une obligation de sécurité excluant l'application du régime de responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un contrat liant Mme [F] à la société exploitant le parc de stationnement, a violé les textes susvisés.

Et sur le premier moyen du pourvoi n° 21-22.239 formé par la Carpimko, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. La Carpimko, qui était appelante incidente, fait grief à l'arrêt de juger que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande de sa part, alors « que le droit à un procès équitable exclut de faire application d'une règle de procédure nouvelle en cours d'instance lorsque cette règle serait de nature à priver les parties au litige de leur droit d'accès au juge ; qu'à cet égard, s'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile qu'une cour d'appel doit confirmer le jugement dont elle est saisie lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation ni l'annulation de ce jugement, cette règle procédurale nouvelle n'est pas applicable aux appels formés antérieurement à l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 (n° 18-23.626) l'ayant énoncée pour la première fois ; qu'en faisant application de cette solution aux conclusions de la Carpimko, quand il résultait de ses propres constatations que l'appel avait été interjeté par acte du 18 décembre 2019, la cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

9. Il résulte du premier et du troisième de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié au Bulletin).

10. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure qui a été affirmée pour la première fois dans cet arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants, principal et incident, du droit à un procès équitable.

11. Il en résulte que si l'appel incident est soumis à cette règle de procédure, celle-ci ne s'applique qu'aux appels incidents formés dans des instances introduites par une déclaration d'appel postérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, quelle que soit la date de l'appel incident (2e Civ., 1er juillet 2021, pourvoi n° 20-10.694, publié au Bulletin).

12. Pour juger que la cour d'appel n'était saisie d'aucune demande de la Carpimko, qui était l'appelante incidente, l'arrêt retient que les conclusions de cette dernière ne contiennent aucune demande d'infirmation ou de confirmation du jugement.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 18 décembre 2019, et a privé la Carpimko d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

14. Il y a lieu, dès lors, d'annuler l'arrêt de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 juillet 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 1231-1, 1240, 1241 et 1242 du code civil ; articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-22.316, Bull. (annulation).

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