Numéro 12 - Décembre 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 12 - Décembre 2023

ENTREPRISE EN DIFFICULTE

Com., 13 décembre 2023, n° 22-16.752, (B) (R), FS

Rejet

Liquidation judiciaire – Clôture – Clôture pour insuffisance d'actif – Inopposabilité de l'insaisissabilité légale d'un immeuble – Portée

Lorsque l'insaisissabilité légale de l'immeuble fait l'objet de l'inscription d'une hypothèque et qu'elle est inopposable à un créancier, ce dernier peut exercer ses droits sur l'immeuble, peu important la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire du débiteur, lequel ne peut justifier la radiation de l'inscription soumise aux conditions de l'article 2438 du code civil.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 24 mars 2022), les 17 novembre 2015 et 17 mai 2016, Mme [R], épouse [K] (Mme [R]), infirmière, a été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la procédure ayant été clôturée le 27 juin 2017 pour insuffisance d'actif.

2. La Caisse autonome de retraite et de prévoyance des infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes et orthoptistes (la CARPIMKO), titulaire de contraintes émises entre 2004 et 2012, avait, le 10 juillet 2015, fait inscrire une hypothèque sur l'immeuble dépendant de la communauté de biens des époux [K].

3. Après avoir vainement demandé à la CARPIMKO la mainlevée de l'inscription de l'hypothèque en raison de la clôture de la liquidation, Mme [R] l'a assignée, le 25 février 2020, en radiation de celle-ci.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [R] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de radiation de l'hypothèque, alors « que la radiation doit être ordonnée par les tribunaux, lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu'elle l'a été en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé, ou lorsque les droits d'hypothèque sont effacés par les voies légales ; que le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, interdisant aux créanciers l'exercice de leurs actions contre le débiteur, rend sans objet l'hypothèque prise sur le bien du débiteur, qui doit dès lors faire l'objet d'une mainlevée faute de pouvoir donner lieu à une saisie ; qu'il n'est fait exception à ce principe que dans les cas limitativement énumérés à l'article L. 643-11 du code de commerce, à savoir la faillite personnelle ou la banqueroute du débiteur, l'existence d'une liquidation judiciaire antérieure clôturée pour insuffisance d'actif ayant visé le débiteur ou une personne morale dont il a été le dirigeant moins de cinq ans avant l'ouverture de la procédure à laquelle le débiteur est soumis, l'ouverture d'une procédure territoriale ou, sur autorisation du tribunal, la fraude du débiteur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que, par jugement du 27 juin 2017, le tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe a prononcé la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de Mme [R], épouse [K] ; qu'elle a également relevé que la CARPIMKO ne se prévalant d'aucun des cas autorisant la reprise des poursuites, elle n'avait pas recouvré l'exercice individuel de son droit d'action contre Mme [K] ; qu'en affirmant néanmoins, pour rejeter la demande de mainlevée de l'hypothèque prise par la CARPIMKO sur l'immeuble situé [Adresse 3], propriété de Mme [R] [K], que la clôture pour insuffisance d'actif ne justifie pas la radiation de l'hypothèque inscrite antérieurement à l'ouverture de la procédure collective du débiteur, la cour d'appel a violé les articles L. 643-11 du code de commerce et 2438 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L'article L. 526-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, qui prévoit l'insaisissabilité des droits de la personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de cette personne, ne s'applique pas aux créanciers professionnels dont la créance est née antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.

6. Selon l'article 2443, devenu 2438, du code civil la radiation de l'hypothèque doit être ordonnée par les tribunaux, lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsque elle a été faite en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé ou lorsque les droits d'hypothèque sont effacés par les voies légales.

7. L'insaisissabilité légale de l'immeuble, objet de l'inscription de l'hypothèque étant inopposable à la CARPIMKO, dont les créances sont nées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, et sans que leur prescription soit invoquée, la CARPIMKO peut exercer ses droits sur l'immeuble, peu important la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de Mme [R], laquelle ne peut justifier la radiation de l'inscription soumise aux conditions de l'article 2438 du code civil.

8. Par ces motifs de pur droit, substitués d'office à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision attaquée se trouve légalement justifiée.

9. Le moyen ne peut être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 2438 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la portée d'une déclaration d'insaisissabilité inopposable, à rapprocher : Com., 7 octobre 2020, pourvoi n° 19-13.560, Bull., (cassation partielle).

3e Civ., 14 décembre 2023, n° 22-15.598, (B), FS

Cassation partielle

Redressement et liquidation judiciaires – Créance née antérieurement – Compensation – Créances connexes – Cas

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la coopérative d'utilisation de matériel agricole de Lambon (la CUMA) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [H] [X].

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 16 novembre 2021), Mme [N], agricultrice, adhérente de la CUMA, a été placée en liquidation judiciaire et la société Actis a été désignée comme mandataire-liquidateur.

3. Par ordonnance du 24 juillet 2020, le juge-commissaire a retenu que la connexité n'était pas établie entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, et rejeté la demande de compensation formée à ce titre.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La CUMA fait grief à l'arrêt de rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès d'elle, alors « que la Coopérative d'utilisation de matériel agricole (CUMA) de Lambon se prévalait de la nature des créances réciproques des parties pour conclure à leur connexité, précisant à cet égard que les parts sociales détenues par Mme [X] correspondaient à des fractions d'équipements et de matériels agricoles et que la facture dont le paiement par compensation était poursuivi correspondait précisément à l'utilisation de ces équipements et matériels agricoles pour lesquels Mme [X] détenait des parts sociales ; que, pour écarter la connexité des créances invoquées, la cour d'appel a retenu que « s'il est exact que la coopérative aux termes de l'article 12, présente un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d'affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d'engagement, il n'en résulte pas, contrairement à ce qu'elle soutient, un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l'associé au titre des prestations réalisées, dès lors qu'elles ne sont pas défraies à titre d'avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats ; au contraire, l'obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n'est pas prévue au titre de l'apurement des comptes résultant de la cessation des droits d'associés, et d'autre part le remboursement des parts intervient au terme de l'adhésion à hauteur de leur valeur nominale, telle que définie ci-dessus, et réduit à due concurrence de la contribution de l'associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves. Il en résulte qu'il n'est défini aucune interdépendance entre ces deux contrats » ; qu'en se déterminant ainsi par des motifs inopérants, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la nature des créances réciproques des parties, ayant trait au remboursement de parts sociales afférentes à du matériel agricole et dans la dépendance de la facturation de l'utilisation de ce même matériel, ne révélait pas leur lien de connexité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-7 du code de commerce et L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime :

5. Aux termes du premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.

6. Selon le second, ne peuvent prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative que les coopératives dont les statuts prévoient l'obligation pour chaque coopérateur d'utiliser tout ou partie des services de la société pour une durée déterminée, et corrélativement, de souscrire une quote-part du capital en fonction de cet engagement d'activité.

7. Pour rejeter la demande tendant à ce que soient constatées la connexité et la compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative, l'arrêt retient, après avoir relevé que la coopérative présentait un capital social variable, réparti entre les associés coopérateurs comme égal à 52 % du montant du chiffre d'affaires estimé à la souscription sur la base du bulletin d'engagement, qu'il n'en résultait pas un lien direct entre le contrat de société et les obligations de l'associé au titre des prestations réalisées, dès lors que celles-ci n'étaient pas définies à titre d'avances de trésorerie ou encore de répartition du fonctionnement des achats.

8. Il énonce, ensuite, que l'obligation de paiement des prestations fournies par la coopérative n'est pas prévue au titre de l'apurement des comptes résultant de la cessation des droits d'associés, et, enfin, que le remboursement des parts intervient au terme de l'adhésion à hauteur de leur valeur nominale, et se trouve réduit à due concurrence de la contribution de l'associé aux pertes inscrites au bilan lorsque celles-ci sont supérieures aux réserves.

9. En statuant ainsi, alors que la contribution au capital social donne le droit d'utiliser un matériel déterminé et que la facturation rémunère son temps d'utilisation, de sorte que la dette de la coopérative liée au remboursement des parts sociales et la créance souscrite par le coopérateur auprès de la coopérative pour l'utilisation du matériel sont connexes, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de compensation de la Coopérative d'utilisation de matériel agricole de Lambon, l'arrêt rendu le 16 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Bosse-Platière - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; Me Bertrand -

Textes visés :

Article L. 622-7 du code de commerce ; article L. 521-3 du code rural et de la pêche maritime.

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