Recueil annuel des études 2022 (B. Le rôle majeur des communes)

Étude

  • Contentieux des clauses abusives : illustration d'un dialogue des juges
  • Les enjeux juridiques des locations de courte durée
  • Retour sur un bris de jurisprudence : la réforme de l'article 1843-4 du code civil
  • Restructuration des sociétés : quelle responsabilité pénale pour les personnes morales

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Étude

Recueil annuel des études 2022 (B. Le rôle majeur des communes)

B. Le rôle majeur des communes

Sous réserve de l’impact – durable ou temporaire – de la crise sanitaire, toutes les grandes métropoles mondiales, Paris la première, ont été impactées par les locations immobilières de courte durée [44].

Nombre d’entre elles, parfois sous la pression de leurs habitants, ont mis en place une réglementation, plus ou moins contraignante, visant à réduire sensiblement les locations touristiques.

Le législateur français a donné aux autorités locales des pouvoirs pour établir un règlement, contrôler l’exploitation des meublés et engager des actions en justice contre les « fraudeurs », le produit des amendes étant versé aux communes.

 


 [44]. Voir l’étude de l’APUR (Atelier parisien d’urbanisme, association à but non lucratif, ayant notamment pour membre la ville de Paris) : Locations meublées touristiques à Paris – Situation 2020 et comparaison avec sept autres grandes villes (New York, Barcelone, Berlin, Lyon, Bordeaux, Amsterdam, Grand Londres), septembre 2020.

1. L’application des obligations administratives

La procédure de changement d’usage est obligatoire ou facultative.

Les autorités locales peuvent également imposer l’enregistrement de la déclaration préalable d’un meublé de tourisme. La loi ELAN du 23 novembre 2018 a prévu des sanctions en cas de non-respect de l’obligation d’enregistrement qui a été étendue à la mise en location des résidences principales.

La commune peut, jusqu’au 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle un meublé de tourisme a été mis en location, demander au loueur de lui transmettre le nombre de jours au cours desquels ce meublé a été loué. Le loueur transmet ces informations dans un délai d’un mois, en rappelant l’adresse du meublé et son numéro de déclaration (article L. 324-1-1 du code du tourisme). Les plateformes numériques sont soumises à la même exigence de transmission des informations (article L. 324-2-1 du même code).

2. L’élaboration des conditions de délivrance des autorisations et de détermination des compensations

Le régime du changement d’usage relève à la fois des règles nationales et locales.

Selon le dernier alinéa de l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation : « Pour l’application de l’article L. 631-7, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si la commune est membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, la délibération est prise par l’organe délibérant de cet établissement. »

Les communes concernées ont adopté des règlements municipaux fixant les conditions d’octroi, dans leur ressort, des autorisations de changement d’usage [45].

Le principe de la répartition des compétences entre le législateur et les autorités locales a été jugé conforme aux exigences des articles 9 [46] et 10 [47] de la directive européenne 2006/123 du 12 décembre 2006 par les arrêts précités de la Cour de cassation [48] après décision de la CJUE. La troisième chambre civile a, en effet, relevé que :

  • le législateur a veillé à imposer aux autorités locales la poursuite d’une raison impérieuse d’intérêt général tenant à la nécessité de lutter contre la pénurie de logements destinés à la location ;
  • les communes ont une connaissance privilégiée des besoins spécifiques de leur territoire ;
  • cette réglementation est suffisamment claire et précise pour éviter le risque d’arbitraire dans la détermination des conditions de délivrance des autorisations par les autorités locales dès lors que l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation, s’il ne fixe pas lui-même les conditions de délivrance des autorisations, mais donne compétence à cette fin aux autorités locales, encadre les modalités de détermination par ces autorités des conditions d’octroi des autorisations prévues en fixant les objectifs poursuivis et en imposant les critères en fonction desquels les conditions d’octroi doivent être déterminées ;
  • l’article L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation répond aux exigences de publicité préalable, de transparence et d’accessibilité des conditions d’octroi des autorisations, prévues à l’article 10 de la directive 2006/123 puisque, en application de l’article L. 2121-25 du code général des collectivités territoriales, les comptes rendus des séances du conseil municipal sont affichés en mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune concernée, ce qui permet à toute personne souhaitant solliciter une telle autorisation d’être informée des conditions de son obtention.

Jusqu’à présent, seule la conformité du règlement de la ville de Paris a été discutée devant la Cour de cassation [49].

La Cour de cassation a considéré que l’obligation de compensation imposée par ce règlement adopté en décembre 2008, modifié les 17, 18 et 19 novembre 2014, comme dans celui adopté en décembre 2018, était conforme à l’objectif de proportionnalité de l’article 10, § 2, sous c), de la directive précitée dès lors que :

  • la demande de logements destinés à l’habitation à des conditions économiques acceptables peine, dans l’ensemble de cette commune, à y être satisfaite et le développement de la location de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, au préjudice de l’offre de location de locaux à usage d’habitation, entraîne une raréfaction du marché locatif traditionnel et contraint les habitants à s’éloigner pour trouver un logement ;
  • du fait que, même dans les secteurs de compensation renforcée, elle ne fait pas obstacle à l’exercice de cette activité eu égard à la rentabilité accrue de ce type de location par rapport aux baux à usage d’habitation et à la possibilité de satisfaire à l’obligation de compensation, non seulement par la transformation en habitation d’autres locaux détenus par la personne concernée et ayant un autre usage, mais également par d’autres mécanismes, tel l’achat de droits dits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logement de longue durée.

 


 [45]. Ces règlements étant accessibles par internet. Voir par exemple : Paris, Marseille, Lille, Lyon

 [46]. L’article 9 de la directive 2006/123 soumet l’instauration d’un régime d’autorisation pour l’accès à une activité de services au respect de certaines conditions : l’instauration d’un régime d’autorisation doit, notamment, être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et l’objectif poursuivi ne doit pas pouvoir être réalisé par une mesure moins contraignante.

 [47]. Selon l’article 10 de la directive 2006/123, ces régimes d’autorisation doivent reposer sur des critères qui encadrent l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire, les critères sont : non discriminatoires, justifiés par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnels à cet objectif d’intérêt général, clairs et non ambigus, objectifs, rendus publics à l’avance, transparents et accessibles.

 [48]. 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 17-26.156, publié au Bulletin et au Rapport annuel ; 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-11.462, publié au Bulletin.

 [49]. Ce règlement subordonne l’autorisation de changement d’usage à une compensation dont le principe est le suivant : le bailleur doit transformer un local ayant un autre usage que l’habitation au 1er janvier 1970 en local d’habitation. Les locaux proposés en compensation doivent être de qualité et de surface équivalentes à celles faisant l’objet de la demande de changement d’usage, sauf dans le « secteur de compensation renforcée », où les locaux proposés en compensation doivent représenter une surface double de celle faisant l’objet de la demande du changement d’usage, sauf si ces locaux sont transformés en logements locatifs sociaux, auquel cas le coefficient est de un pour un. L’achat de droits de commercialité auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage, contribuant ainsi au maintien à un niveau stable du parc de logements de longue durée, est également possible.

3. La gestion des litiges

Le constat des manquements

Les agents assermentés du service municipal du logement, nommés par le maire, chargés de contrôler l’usage des locaux destinés à l’habitation, disposent de pouvoirs définis par les articles L. 651-6 et L. 651-7 du code de la construction et de l’habitation et L. 324-2-1, IV, du code du tourisme. Ils peuvent, notamment, s’agissant des loueurs, visiter les locaux de huit heures à dix-neuf heures, recevoir toute déclaration, se faire présenter toute pièce utile, et concernant les plateformes numériques, se faire présenter toute déclaration utile.

L’efficacité ne doit toutefois pas se faire au détriment de la légalité. En effet, il était également prévu, par l’article L. 651-6, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation, qu’en cas de carence de la part de l’occupant ou du gardien, l’agent assermenté pouvait, au besoin, se faire ouvrir les portes et visiter les lieux en présence du maire ou du commissaire de police, les portes devant être refermées dans les mêmes conditions. Après une question prioritaire de constitutionnalité renvoyée au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation [50], cette dernière disposition a été déclarée inconstitutionnelle [51]. Le Conseil a considéré qu’en prévoyant que les agents pouvaient procéder à une telle visite, sans l’accord de l’occupant du local ou de son gardien, et sans y avoir été préalablement autorisés par le juge, le législateur avait méconnu le principe d’inviolabilité du domicile. Cette disposition a donc été supprimée.

La saisine du juge

À l’origine, la loi ALUR donnait qualité au ministère public pour saisir le président du tribunal de grande instance du lieu de l’immeuble statuant en référé pour statuer sur les manquements constatés et appliquer les sanctions.

Ce texte [52] a été modifié par la loi no 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui a substitué à la procédure de référé la saisine « en la forme des référés » et prévu que la requête devait être établie par le « maire de la commune » ou par « l’Agence nationale de l’habitat » et non plus par le procureur de la République.

Il a de nouveau été modifié [53].

La Cour de cassation a jugé que ces modifications étaient d’application immédiate [54].

La preuve de la destination du bien

Ce point est essentiel en ce qu’il détermine l’application du dispositif d’autorisation [55].

L’article L. 631-7, alinéa 3, du code de la construction et de l’habitation indique que « pour l’application de la présente section, un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve ».

La date du 1er janvier 1970 est retenue car l’objectif est de préserver l’habitat existant et de faciliter la preuve de l’usage. La loi no 68-108 du 2 février 1968 et son décret d’application no 69-1076 du 28 novembre 1969 ont imposé aux redevables de la contribution foncière sur les propriétés bâties de déclarer l’usage de leur bien sur une formule administrative communément appelée déclaration « H2 ». Le fichier immobilier de 1970 et non plus celui de 1940 est donc la référence.

Cette déclaration « H2 » constitue donc un mode de preuve privilégié de l’usage du bien mais pas exclusif [56]. Les renseignements figurant sur ce document rempli des années après le 1er janvier 1970 ne peuvent être considérés, sauf précisions, comme décrivant l’usage du bien à cette date [57] étant observé que seul le montant du loyer indiqué correspond à celui en vigueur au 1er janvier 1970.

Dans certaines circonstances, l’évolution de la situation du local postérieurement au 1er janvier 1970 peut être prise en considération :

  • pour les locaux construits ou faisant l’objet de travaux ayant pour conséquence d’en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 (article L. 631-7, alinéa 3, du code de la construction et de l’habitation) ;
  • lorsqu’une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 (article L. 631-7, alinéa 4, du code de la construction et de l’habitation) ;
  • pour les locaux affectés à l’usage d’habitation en 2005 en vertu d’une « déclaration d’affectation temporaire » à usage d’habitation sans avoir retrouvé leur usage initial dans le délai (article 29, III, de l’ordonnance no 2005-655 du 8 juin 2005).

La Cour de cassation applique toutefois restrictivement ces exceptions. Ainsi, la preuve d’un usage d’habitation lors de l’acquisition du bien en 1980 est-elle inopérante [58]. Par un arrêt du 5 avril 2019 [59], le Conseil d’État a interprété ainsi qu’il suit l’article L. 671-7, III, du code de la construction et de l’habitation : « en l’absence d’autorisation de changement d’affectation ou de travaux postérieure, un local est réputé être à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970, sans qu’il y ait lieu de rechercher si cet usage était fondé en droit à cette date. En revanche, ces dispositions n’ont ni pour objet ni pour effet d’attacher pareilles conséquences au constat, au 1er janvier 1970, de l’affectation d’un local à un autre usage que l’habitation » [60].

 


 [50]. 3e Civ., 17 janvier 2019, QPC n° 18-40.040, publié au Bulletin.

 [51]. Cons. const., 5 avril 2019, décision n° 2019-772 QPC, M. Sing Kwon C. et autre [Visite des locaux à usage d'habitation par des agents municipaux].

 [52]. Article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation.

 [53]. - par la loi no 2018-1021 du 23 novembre 2018 qui a remplacé la formule « maire de la commune » par le terme « commune » ; - par la loi no 2019-222 du 23 mars 2019 qui supprimé la mention « sur conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure » ; - et enfin par l’ordonnance no 2019-738 du 17 juillet 2019 qui a donné compétence au président du « tribunal judiciaire » lequel statue selon la « procédure accélérée au fond, sur assignation ».

 [54]. 3e Civ., 5 juillet 2018, QPC n° 18-40.014 ; 3e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi n° 18-22.142, publié au Bulletin ; 3e Civ., 16 mai 2019, pourvoi n° 17-24.474, publié au Bulletin.

 [55]. Il sera précisé que le changement d’usage se distingue du changement de destination qui, visant à éviter le contournement de règles d’urbanisme, répond à une législation autonome excepté lorsque le changement d’usage fait l’objet de travaux entrant dans le champ d’application du permis de construire, la demande de permis ou la déclaration préalable vaut demande de changement d’usage (article L. 631-8 du code de la construction et de l’habitation).

 [56]. 3e Civ., 7 novembre 2019, pourvoi n° 18-17.800.

 [57]. 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-11.462, publié au Bulletin.

 [58]. 3e Civ., 28 mai 2020, pourvoi n° 18-26.366, publié au Bulletin.

 [59]. CE, 5 avril 2019, n° 410039, mentionné aux tables du Recueil Lebon.

 [60]. Voir le commentaire du professeur H. Périnet-Marquet, « Une interprétation atypique de l’article L. 631-7 menace la sécurité juridique des changements d’usage (à propos d’un arrêt du Conseil d’État du 5 avril 2019) », Construction – Urbanisme mai 2019, repère 5.

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