Recueil annuel des études 2022 (INTRODUCTION)

Étude

  • Contentieux des clauses abusives : illustration d'un dialogue des juges
  • Les enjeux juridiques des locations de courte durée
  • Retour sur un bris de jurisprudence : la réforme de l'article 1843-4 du code civil
  • Restructuration des sociétés : quelle responsabilité pénale pour les personnes morales

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Étude

Recueil annuel des études 2022 (INTRODUCTION)

INTRODUCTION

La notion de clause abusive tire son origine de la loi nº 78-23 du 10 janvier 1978 sur la protection et l’information des consommateurs de produits et de services.

L’article 35 de cette loi a confié au pouvoir réglementaire le soin d’interdire, limiter ou réglementer, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs ou non-professionnels, « les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque de telles clauses apparaissent imposées aux non-professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un avantage excessif ».

C’est ainsi qu’un décret no 78-464 du 24 mars 1978 portant application du chapitre IV de la loi no 78-23 du 10 janvier 1978 a interdit un certain nombre de clauses, avant que la Cour de cassation [2] ne donne explicitement au juge le pouvoir de déclarer abusive, au sens de l’article 35 de la loi précitée, une clause qui n’était pourtant pas visée par ce décret, érigeant ainsi en norme générale l’avantage excessif imposé par une puissance économique.

La notion a ensuite connu une importante évolution sous l’effet du droit communautaire et plus précisément de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, dont l’exposé des motifs précise qu’« en vue de faciliter l’établissement du marché intérieur et de protéger le citoyen dans son rôle de consommateur lorsqu’il acquiert des biens et des services par des contrats régis par la législation d’États membres autres que le sien, il est essentiel d’en supprimer les clauses abusives ».

Cette directive d’harmonisation minimale a été transposée par la loi no 95-96 du 1er février 1995 concernant les clauses abusives et la présentation des contrats et régissant diverses activités d’ordre économique et commercial.

Issu de cette loi, l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation dispose, en son premier alinéa, que, « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

La notion de déséquilibre significatif et, plus largement, les conditions de mise en œuvre du régime des clauses abusives donnent lieu à un abondant contentieux, dont le traitement constitue une parfaite illustration du dialogue des juges.

Dans son acception la plus large, le dialogue des juges s’entend des échanges qui interviennent entre magistrats du même ordre, d’ordres différents, voire de nationalités différentes, aux fins d’améliorer l’œuvre de justice.

Au sein de la présente étude, le dialogue des juges est plus spécifiquement conçu dans sa dimension formelle, laquelle repose sur des mécanismes de consultation institués par des textes de droit interne ou international.

En matière de clauses abusives, de tels mécanismes sont prévus entre les juges nationaux eux-mêmes, comme nous le verrons plus loin. Mais c’est surtout le dialogue entre le juge européen et les juges nationaux, plus exactement entre la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et les juridictions nationales des États membres, qui façonne le régime des clauses abusives.

Ce dialogue transnational s’appuie sur le mécanisme de la question préjudicielle, prévu à l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Selon ce texte, lorsqu’une juridiction d’un État membre rencontre une difficulté d’interprétation des traités ou des actes de droit dérivé, elle peut ou doit, selon que ses décisions sont susceptibles ou non d’un recours juridictionnel de droit interne, saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle.

Ce dispositif de « coopération directe » [3], dicté par la primauté du droit de l’Union [4] et la nécessité de son interprétation uniforme par les États membres [5], est couramment mis en œuvre pour interpréter la directive 93/13 précitée.

Si l’interprétation faite par la Cour de justice lie le juge national [6], il revient toutefois à celui-ci de l’appliquer dans le litige particulier qui lui est soumis, tandis qu’une telle interprétation, qui intervient après de possibles observations et d’éventuels éclaircissements demandés à la juridiction de renvoi, peut être précisée à la faveur d’une nouvelle question préjudicielle, de sorte que le mécanisme du renvoi préjudiciel, véritable « dialogue de juge à juge » [7] et « instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales » [8], ne doit pas être conçu uniquement sous le prisme de la hiérarchie des normes, mais comme un outil de partage et d’affinement.

Ainsi conçu, le dialogue des juges a permis de préciser l’office du juge national en matière de clauses abusives (I) et le régime applicable à celles-ci (II).

 


 [2]. 1re Civ., 14 mai 1991, pourvoi n° 89-20.999, Bull. 1991, I, n°153.

 [3]. Jacques Pertek, Le renvoi préjudiciel, Bruylant, 2e éd., 2021, no 150.

  [4]. CJCE, arrêt du 15 juillet 1964, Costa / E.N.E.L., C-6/64.

 [5]. CJCE, arrêt du 6 octobre 1982, CILFIT / Ministero della Sanità, C-283/81.

 [6]. CJCE, arrêt du 3 février 1977, Benedetti / Munari, C-52/76.

 [7]. CJCE, arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, point 91.

 [8]. CJUE, arrêt du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing, C-137/08, point 37.

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