Recueil annuel des études 2022 (2. Les obligations administratives du loueur)

Étude

  • Contentieux des clauses abusives : illustration d'un dialogue des juges
  • Les enjeux juridiques des locations de courte durée
  • Retour sur un bris de jurisprudence : la réforme de l'article 1843-4 du code civil
  • Restructuration des sociétés : quelle responsabilité pénale pour les personnes morales

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Étude

Recueil annuel des études 2022 (2. Les obligations administratives du loueur)

A. Les restrictions légales à la liberté de louer pour de courtes durées

2. Les obligations administratives du loueur

En dehors des cas décrits précédemment, le bailleur est soumis à des obligations administratives dont l’intensité varie essentiellement en fonction de la situation géographique du meublé.

Le code du tourisme impose principalement des obligations déclaratives (a) alors que le code de la construction et de l’habitation contraint, dans certaines zones, à l’obtention d’une autorisation de changement d’usage (b). Les développements ci-après mettront en exergue l’articulation de ces deux dispositifs.

a. Les obligations déclaratives

Quel logement ?

Le contrôle des pouvoirs publics, à travers l’obligation déclarative, s’exerce essentiellement sur le « meublé de tourisme » décrit, depuis la loi ELAN, par l’article L. 324-1-1 du code du tourisme, comme suit : « villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ». Ce sont donc essentiellement des critères tenant au mode d’occupation du logement qui sont retenus par le législateur. Si ce texte ne fixe pas de durée de location maximale, l’article 1-1 de la loi no 70-9 du 2 janvier 1970, dite loi « Hoguet », enferme dans un délai de quatre-vingt-dix jours, consécutifs et non renouvelables, le contrat de location lorsqu’il est conclu par l’entremise d’un intermédiaire professionnel.

Les gîtes, apparus dans les années 1960, afin de revitaliser, par l’intermédiaire du tourisme, les zones rurales touchées par l’exode de population, ne font pas l’objet d’une législation spécifique concernant les obligations déclaratives et sont, sur ce point, assimilés aux « meublés de tourisme ». Les gîtes sont labellisés (il s’agit des Gîtes de France) ou non (ils sont alors communément désignés sous l’appellation de gîtes ruraux).

En revanche, le meublé de tourisme doit être distingué de la chambre d’hôtes. Celles-ci sont la traduction, en France, de la formule du « Bed and Breakfast », pratiquée dans de nombreux pays.

Les chambres d’hôtes, qui se sont développées tant en milieu rural qu’en ville, sont situées chez l’habitant, en vue d’accueillir des touristes, à titre onéreux. Cette activité consiste en la fourniture groupée de la nuitée et du petit déjeuner. L’accueil est assuré par l’habitant, ce qui exclut l’intermédiation d’un professionnel du tourisme ou de l’immobilier. Des prestations minimales sont fournies : chaque chambre d’hôtes donne accès à une salle d’eau et à un WC.

Ces chambres sont soumises à une simple obligation de déclaration préalable en mairie du lieu de situation de l’immeuble (article L. 324-4 du code du tourisme). Mais, à la différence des meublés de tourisme, les chambres d’hôtes, situées dans les zones soumises aux dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, ne sont pas concernées par la procédure de changement d’usage. Le critère de distinction est l’usage du bien : le meublé de tourisme est exclusivement laissé à l’usage de l’occupant alors que celui qui loue une chambre d’hôtes vit « avec » l’habitant.

Certains bailleurs revendiquent la qualification de chambre d’hôtes pour échapper à la rigueur de la procédure de changement d’usage. Cependant, la Cour de cassation a récemment rappelé les stricts critères de qualification de la chambre d’hôtes [6]. Dans cette affaire, le requérant était locataire de deux logements parisiens, l’un situé au fond de la cour d’un immeuble qu’il habitait personnellement, l’autre au troisième étage qu’il prétendait sous-louer en tant que chambre d’hôtes. La troisième chambre civile a écarté une telle qualification au motif que la location de chambres d’hôtes ne saurait être assimilée à la location d’un logement autonome et indépendant de celui de l’habitant et n’en constituant pas une annexe. En effet, il aurait été contraire à l’esprit de la loi de permettre à une personne disposant de plusieurs appartements autonomes dans un même immeuble d’exploiter ceux qu’il n’occupe pas sous forme de « chambres d’hôtes » pour échapper au régime d’autorisation, dont on soulignera ci-après les contraintes, avec la seule réelle obligation supplémentaire d’inclure le petit déjeuner dans la prestation.

Quelles obligations ?

Les obligations déclaratives diffèrent selon la situation géographique du bien.

  • Dans les zones non soumises à une procédure de changement d’usage

Sauf si le local constitue sa résidence principale, toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme, que celui-ci soit classé ou non, doit en avoir préalablement fait la déclaration auprès du maire de la commune où est situé le meublé (article L. 324-1-1, II, du code du tourisme). La déclaration de location d’un meublé de tourisme est adressée au maire de la commune où est situé le meublé par tout moyen permettant d’en obtenir un accusé de réception. Cette déclaration précise l’identité et l’adresse du déclarant, l’adresse du meublé de tourisme, le nombre de pièces composant le meublé, le nombre de lits, la ou les périodes prévisionnelles de location et, le cas échéant, la date de la décision de classement et le niveau de classement des meublés de tourisme (article D. 324-1-1 du code du tourisme).

  • Dans les zones où le changement d’usage des locaux d’habitation est soumis à autorisation au sens des articles L. 631-7 à L. 631-9 du code de la construction et de l’habitation, le choix de la procédure d’enregistrement

Pour faire face à la pénurie de logements de l’après-guerre, l’ordonnance no 45-2394 du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement, a soumis à autorisation préalable, dans certaines communes (les plus denses en population), la transformation de locaux d’habitation en locaux à usage commercial, industriel ou administratif et prévu des sanctions en cas de non-respect de cette obligation. Les locaux à usage professionnel ou commercial ne pouvaient, quant à eux, changer d’affectation que pour être affectés à usage d’habitation.

Après plusieurs modifications, ce dispositif a été codifié par le décret no 78-621 du 31 mai 1978, à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, complété par des lois successives, puis réformé en profondeur par l’ordonnance no 2005-655 du 8 juin 2005 relative au logement et à la construction.

Jusqu’en 2010, l’application de ces dispositions aux locations à but touristique n’avait pas suscité un nombre significatif de litiges.

Mais à compter de cette date, l’essor, dans les grandes agglomérations, de la location meublée pour de courtes durées, favorisé par les plateformes numériques, a alimenté un nouveau contentieux, notamment devant les juridictions parisiennes.

Ainsi, dès 2011, le tribunal de grande instance et la cour d’appel de Paris ont condamné, sur ce fondement, des propriétaires ayant donné leur bien à bail pour de courtes durées sans avoir sollicité d’autorisation préalable, considérant qu’un tel usage d’un local meublé caractérisait un changement d’usage au sens de l’article L. 631-7 précité [7].

L’application de ces textes à la location meublée de courte durée a été contestée.

Pour encadrer plus précisément cette activité, la loi ALUR du 24 mars 2014 a donc, par son article 16, ajouté à l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation précité, un sixième et ultime alinéa, ainsi rédigé :

« Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage au sens du présent article. »

Ce texte, dont les dispositions ne correspondent pas exactement à la définition du meublé de tourisme, a un large champ d’application. Il tend, sans l’interdire, à limiter la pratique de la location de courte durée qui « aspire » les logements pouvant constituer la résidence principale des occupants.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2016-1321 du 7 octobre 2016, les communes concernées par la procédure d’autorisation préalable peuvent opter pour l’enregistrement de la déclaration préalable au moyen d’un téléservice (article L. 324-1-1, III, du code du tourisme).

L’enregistrement confère un numéro de déclaration que le loueur devra mentionner sur les documents concernant le bien (notamment sur le contrat de location et, le cas échéant, lors de la mise en ligne de la location du meublé par l’intermédiaire d’une plateforme numérique).

Toute personne qui offre à la location un meublé de tourisme qui est déclaré comme sa résidence principale ne peut le faire au-delà de cent vingt jours au cours d’une même année civile, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure.

En outre, la loi no 2019-1461 du 27 décembre 2019 a autorisé les communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement susvisée à soumettre à autorisation la location en tant que meublés de tourisme de locaux à usage commercial, afin de protéger l’environnement urbain et de préserver l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services sur leur territoire (article L. 324-1-1, IV bis, du code du tourisme). Un décret no 2021-757 du 11 juin 2021 précise les modalités selon lesquelles une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation une telle location.

La violation des dispositions de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme est sanctionnée par une amende (dont le montant ne peut excéder 5 000, 15 000 ou 25 000 euros en fonction de la nature du manquement).

 


 [6]. 3e Civ., 24 septembre 2020, pourvoi n° 18-22.142, publié au Bulletin.

 [7]. Voir par exemple : cour d’appel de Paris, 24 mai 2011, no 10/23802 ; tribunal de grande instance de Paris, 9 août 2012, no 12/54776 ; cour d’appel de Paris, 4 septembre 2012, no 11/58295.

b. Le régime complémentaire d’autorisation préalable de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation

Ce régime d’autorisation, qui complète le mécanisme déclaratif ci-dessus décrit, a suscité de vifs débats juridiques.

La procédure instaurée peut être ainsi résumée :

  • Dans certains secteurs géographiques [8], le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est obligatoirement soumis à autorisation ; les autres communes peuvent décider de soumettre leur territoire ou une partie de celui-ci au régime d’autorisation préalable (article L. 631-9 du code de la construction et de l’habitation) ;
  • Un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970 ;
  • Une délibération du conseil municipal peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage pour les particuliers ;
  • L’autorisation de changement d’usage peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage ;
  • Toute personne qui ne se soumet pas à la procédure d’autorisation de changement d’usage s’expose à une amende civile.

Ce nouveau dispositif légal, en ce qu’il restreint considérablement la liberté des bailleurs, a été vivement contesté. Il a nourri un passionnant dialogue des juges.

La conformité du dispositif légal à la Constitution et au droit de l’Union européenne

La constitutionnalité de l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation 

Le Conseil constitutionnel a été saisi a priori par des sénateurs qui soutenaient que l’application du régime d’autorisation préalable de changement d’usage à la location de meublés de courte durée faisait peser sur les propriétaires une contrainte excessive et disproportionnée au regard des motifs d’intérêt général poursuivis.

Ce grief a été écarté par le Conseil constitutionnel qui a considéré, d’une part, que le législateur avait entendu préciser le champ d’application d’un dispositif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location et définir certaines exceptions en faveur des bailleurs (notamment en autorisant la location du logement constituant la résidence principale du bailleur), d’autre part, que les atteintes à l’exercice du droit de propriété ne revêtaient pas un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi [9].

La compatibilité des dispositions des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 631-7-1 du code de la construction et de l’habitation avec le droit de l’Union européenne

Une réglementation jugée, pour l’essentiel, conforme à la directive Services par la Cour de justice de l’Union européenne

Quatre ans après l’entrée en vigueur de la loi ALUR, la CJUE a été interrogée sur l’interprétation de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur. En 2017, deux bailleurs, une société civile immobilière et un particulier, qui, après avoir mis en location leurs appartements situés à Paris dans les 7e et 15e arrondissements, sur le site internet de la société Airbnb, avaient été condamnés, pour violation de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, par la cour d’appel de Paris, respectivement au paiement d’une amende de 15 000 et de 25 000 euros ainsi qu’au retour, sous astreinte, des biens à l’habitation, ont, à l’occasion des pourvois formés contre les arrêts attaqués, soutenu que la réglementation française n’était pas conforme à la directive précitée 2006/123 (communément appelée directive Services) et invité la Cour de cassation à poser plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.

Ayant pour objectif de favoriser l’exercice des activités de services au sein de l’Union, cette directive restreint le recours, par les États membres, à un dispositif subordonnant cet exercice à une autorisation administrative préalable.

La CJUE n’avait, jusqu’alors, jamais statué sur la validité de la réglementation des locations de courte durée au regard de la directive précitée.

De plus, de nombreux États membres, qui, confrontés au succès des locations de courte durée, avaient mis en place une réglementation de régulation, étaient concernés par la réponse de la Cour luxembourgeoise, réponse qui ne s’imposait pas avec évidence.

C’est donc fort logiquement que la troisième chambre civile de la Cour de cassation, réunie en formation plénière, après avoir jugé que le moyen tiré de la violation du principe de primauté du droit de l’Union européenne en raison de la non-conformité des dispositions des articles L. 631-7, alinéa 6, et L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation à la directive 2006/123, lequel ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, était de pur droit et donc recevable, a saisi la CJUE de plusieurs questions préjudicielles et sursis à statuer dans l’attente de sa décision [10].

L’affaire, qui a suscité les observations des gouvernements allemand, irlandais, hellénique, espagnol, néerlandais, polonais, celles de la Commission européenne et a donné lieu à des conclusions très argumentées de l’avocat général, M. M. Bobek, a été audiencée en grande chambre, formation réservée aux affaires particulièrement complexes et importantes.

La CJUE a statué le 22 septembre 2020 [11]. Cette décision figure au Rapport annuel 2020 parmi les grands arrêts de la Cour européenne.

Interprétant la directive Services, la CJUE a jugé, en substance que :

  • La directive 2006/123 « s’applique à une réglementation d’un État membre relative à des activités de location contre rémunération de locaux meublés destinés à l’habitation à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile, effectuées de manière répétée et pour de courtes durées, à titre professionnel [ou] non professionnel » (point 45) ;
  • Une telle réglementation, soumettant à autorisation préalable l’exercice de certaines activités de location de locaux destinés à l’habitation, relève de la notion de « régime d’autorisation » au sens de la directive (article 4, point 6) ;
  • Cette réglementation qui, pour des motifs visant à garantir une offre suffisante de logements destinés à la location de longue durée à des prix abordables, soumet ces locaux à un régime d’autorisation préalable applicable dans certaines communes où la tension sur les loyers est particulièrement marquée, est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnée à l’objectif poursuivi, en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle (article 9 de la directive).

La clarté et l’objectivité des critères légaux de « répétition », « courte durée » et « clientèle de passage » étaient contestées par les bailleurs.

Sur ce point, la CJUE a donné certaines indications au juge français pour lui permettre de statuer. Elle a distingué la réglementation nationale et la réglementation locale :

  • s’agissant de la réglementation nationale, la CJUE a considéré que le fait que la notion de « location d’un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile » ne soit pas définie par des seuils chiffrés ne constituait pas, en soi, un élément de nature à démontrer une méconnaissance des exigences de clarté, de non-ambiguïté et d’objectivité de la directive Services ;
  • en revanche, il importait de vérifier si, à défaut d’indication suffisante dans la réglementation nationale, les autorités locales concernées avaient précisé les termes correspondant à la notion en cause d’une manière claire, non ambiguë et objective, afin que la compréhension de cette notion ne laisse pas de place au doute quant au champ d’application des conditions et des obligations ainsi arrêtées par ces autorités locales et que ces dernières ne puissent pas faire une application arbitraire de cette même notion.

La validation et la clarification du dispositif légal par la Cour de cassation

Après la décision de la CJUE du 22 septembre 2020, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, réunie dans sa formation plénière, s’est prononcée par cinq arrêts en date du 18 février 2021, dont trois ont été publiés [12] et largement commentés [13].

Se conformant à l’interprétation de la directive Services donnée par la CJUE, la troisième chambre civile a retenu que l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation était justifié par une raison impérieuse d’intérêt général « tenant à la lutte contre la pénurie de logements destinés à la location » et était « proportionné à l’objectif poursuivi en ce que celui-ci ne peut pas être réalisé par une mesure moins contraignante, notamment parce qu’un contrôle a posteriori interviendrait trop tardivement pour avoir une efficacité réelle » et qu’il satisfaisait, en conséquence, aux exigences de l’article 9, § 1, sous b) et c), de la directive 2006/123.

Sensiblement plus délicate était la question de savoir si, conformément aux exigences de l’article 10 de la directive 2006/123, les critères posés par l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation [14] étaient, à défaut notamment de seuil chiffré, clairs, non ambigus et suffisamment objectifs pour permettre aux bailleurs de déterminer les locations soumises à autorisation et pour éviter le risque d’arbitraire dans la mise en œuvre de la réglementation sur le changement d’usage [15].

La Cour de cassation a considéré que la législation nationale permettait de déterminer précisément les locations concernées par le régime d’autorisation préalable.

Se fondant sur une lecture combinée des articles L. 631-7 [16] et L. 632-1 [17] du code de la construction et de l’habitation et 25-7 [18] de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989, la troisième chambre civile en a déduit que constituait un changement d’usage la location, à plus d’une reprise au cours d’une même année, d’un local meublé pour une durée inférieure à un an à une clientèle de passage qui n’y fixe pas sa résidence principale [19].

En conséquence, dans un souci de clarification du dispositif, la troisième chambre civile a précisé que, même dans les zones concernées par le changement d’usage, tout propriétaire d’un local meublé qui ne constitue pas sa résidence principale peut, sans avoir à solliciter d’autorisation préalable :

  • consentir un bail d’habitation d’au moins douze mois (ou neuf mois si la location est consentie à un étudiant) ;
  • le donner à bail pour une durée inférieure à ces seuils, une fois par an, à une clientèle de passage n’y élisant pas domicile ;
  • depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN du 23 novembre 2018, conclure un bail mobilité. La référence à ce bail est particulièrement pédagogique puisqu’il a été créé par une loi postérieure aux faits en cause.

Le manquement aux dispositions de l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation

Selon l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation, « toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée au paiement d’une amende civile ». Le montant maximum de cette amende, initialement fixé à 25 000 euros, a été porté à 50 000 euros par local irrégulièrement transformé depuis l’entrée en vigueur de la loi ELAN. En outre, le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation peut être prononcé sous une astreinte d’un montant maximal de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé.

La rigueur des dispositions de l’article L. 651-2 susvisé a été contestée par certains bailleurs. Mais, par arrêt du 5 juillet 2018 [20], la Cour de cassation a dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquant la violation, par cet article, de la nécessité et de la proportionnalité des peines garanties par les articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de ladite Déclaration, du principe d’égalité garanti par les articles 1er et 6 de ladite Déclaration et de l’article 34 de la Constitution. La troisième chambre civile a jugé, en substance, que l’amende encourue constituait une sanction ayant le caractère d’une punition ne paraissant pas manifestement disproportionnée au regard de l’agissement fustigé et de l’objectif de lutte contre la pénurie de logements destinés à la location dans certaines zones du territoire national, lequel constitue un motif d’intérêt général, et que l’astreinte susceptible d’assortir l’injonction de retour à l’habitation du local transformé sans autorisation n’était pas constitutive d’une sanction ayant le caractère d’une punition et était justifiée par le motif d’intérêt général précité et appréciée par le juge. Enfin, elle a estimé que les dispositions critiquées n’opéraient aucune discrimination entre propriétaires.

La Cour de cassation a également été interrogée sur la qualité de la personne soumise à l’amende. Lorsque le propriétaire donne à bail un local à usage d’habitation à un tiers avec autorisation de le sous-louer de manière temporaire à une clientèle qui n’y élit pas domicile, sans avoir obtenu préalablement l’autorisation prévue par l’article L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation, on peut se demander qui, du propriétaire ou du locataire, peut être condamné à l’amende prévue par l’article L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation. La réponse de la troisième chambre civile est nette : le propriétaire, qui encourt l’amende prévue par ce texte [21], ne peut se décharger sur son locataire de l’obtention de l’autorisation au changement d’usage [22].

La Cour de cassation n’a, en revanche, pas exclu que le paiement de cette amende puisse constituer, pour le propriétaire, un préjudice réparable dont il pourrait solliciter l’indemnisation [23].

 


 [8]. Les communes de plus de 200 000 habitants et dans les communes des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.

 [9]. Cons. const., 20 mars 2014, décision n° 2014-691 DC, Loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.

 [10]. 3e Civ., 15 novembre 2018, pourvoi n° 17-26.156, publié au Bulletin et 3e Civ., 15 novembre 2018, pourvoi n° 17-26.158.

 [11]. CJUE, arrêt du 22 septembre 2020, Cali Apartments, C-724/18 et C-727/18.

 [12]. 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 17-26.156, publié au Bulletinet au Rapport annuel ; 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-11.462, publié au Bulletin ; 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-13.191, publié au Bulletin ; 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 17-26.158 ; 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-11.577. Voir récemment 3e Civ., 26 janvier 2022, pourvoi n° 18-22.142.

 [13]. A.-L. Collomp, « Chronique de jurisprudence de la Cour de cassation », D. 2021, p. 980 ; B. Vial-Pedroletti, « Réglementation des locations touristiques type Airbnb : fin de la saga judiciaire », Loyers et copr. avril 2021, comm. 54 ; C. Ivars, « Impacts des arrêts rendus par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 18 février 2021 sur le contentieux en copropriété », Loyers et copr. avril 2021, comm. 63 ; G. Daudré et P. Wallut, « Locations meublées de courtes durées : trois arrêts pour les sept ans de la loi Alur », JCP 2021, éd. N, 1130 ; X. Delpech, « À la une - Hébergement – Validation des règles imposées par la mairie de Paris en matière de meublés de tourisme », JT 2021, no 239, p. 11 ; P. Bouathong, « Dernier épisode pour “Airbnb” : la conventionnalité de l’encadrement des locations meublées de courtes durées », D. 2021, p. 732.

 [14]. Article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation : « Le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage ».

 [15]. Se posaient notamment les questions suivantes : quelle est la période de référence devant être prise en compte ? (une location répétée sur une période de trois, quatre ou six mois ou sur un an ?) Comment définir une courte durée ? (une nuit, une semaine, trois mois, un an ?).

 [16]. L’article L. 631-7, alinéa 2, du code de la construction et de l’habitation définit la notion de locaux destinés à l’habitation comme « toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l’article L. 632-1 ou dans le cadre d’un bail mobilité conclu dans les conditions prévues au titre Ierter de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 […] ».

 [17]. L’article L. 632-1 renvoie lui-même au titre Ierbis de la loi du 6 juillet 1989 relatif aux « rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale ».

 [18]. L’article 25-7 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que les locations de logements meublés qui constituent la résidence principale du locataire doivent être consenties pour une durée minimale d’un an ou neuf mois s’il s’agit d’un étudiant.

 [19]. 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 17-26.156, précité ; ainsi « constitue un changement d’usage d’un local destiné à l’habitation, au sens de l’article L. 631-7, alinéa 6, du code de la construction et de l’habitation, le fait, pour le propriétaire d’un local meublé à usage d’habitation, de le donner en location à deux reprises en moins d’un an, pour des durées respectives de quatre et six mois, inférieures à un an ou à neuf mois », 3e Civ., 18 février 2021, pourvoi n° 19-13.191, précité.

 [20]. 3e Civ., 5 juillet 2018, QPC n° 18-40.014.

 [21]. 3e Civ., 12 juillet 2018, pourvoi n° 17-20.654, Bull. 2018, III, n° 91 ; B. Vial-Pedroletti, « Locations et changement d’affectation des locaux : amende à l’encontre du propriétaire », Loyers et copr. septembre 2018, comm. 197 ; « Immeuble - immeuble à usage d'habitation - changement d'affectation des locaux – dérogation – autorisation administrative - demande d'autorisation », RJDA 2018, n° 782.

 [22]. 3e Civ., 10 juin 2015, pourvoi n° 14-15.961, Bull. 2015, III, n° 58.

 [23]. Voir 3e Civ., 15 avril 2021, pourvoi n° 19-22.334, point 12.

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