N° 13 – Janvier 2024 (Incapacités)

Lettre de la première chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (Arbitrage / Avocat et conseil juridique / Droit international privé - économique / Droit international privé - famille / Enrichissement sans cause / Incapacités / Protection des consommateurs / Régimes matrimoniaux / Santé publique).

 

  • Economie
  • International
  • Personnes et familles
  • Procédure civile
  • Santé
  • droit international privé
  • régimes matrimoniaux
  • arbitrage
  • avocat et conseil juridique
  • incapacités
  • protection des consommateurs
  • état de santé (maladie, accident, maternité)

Lettre de la première chambre civile

N° 13 – Janvier 2024 (Incapacités)

Prescription de l’action en annulation pour insanité d’esprit d’actes à titre onéreux intentée par un héritier

1re Civ., 13 décembre 2023, pourvoi n° 18-25.557, publié

Au cours des années 2001 et 2002, un homme, né en 1924, avait conclu plusieurs actes : deux ventes immobilières et un partage de biens immobiliers indivis avec sa troisième épouse avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation de biens. Il était également intervenu à un acte de donation par son épouse à la fille de celle-ci portant sur la nue-propriété d’un bien immobilier, issu du partage précité, qui assurait le logement de la famille.

A compter du 3 février 2004 et jusqu’à son décès survenu le 13 août 2008, cet homme avait été placé sous tutelle, l’un de ses deux fils étant désigné en qualité d’administrateur légal sous contrôle judiciaire.

En 2012, ce dernier a agi en annulation des actes précités en invoquant, entre autres fondements, l’insanité d’esprit de son père au moment de leur conclusion.

Compte tenu de la date des actes litigieux, l’action en nullité pour insanité d’esprit était régie par les articles 489 et 489-1 du code civil dans leur rédaction antérieure à la loi du 5 mars 2007 (1re Civ., 12 juin 2013, pourvoi n° 12-15.688, Bull. 2013, I, n° 125).

Après avoir posé, en son premier alinéa, le double principe selon lesquels, d’une part, pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit, et, d’autre part, que c’est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte, le second alinéa de l’article 489 enseignait que, du vivant de l'individu, l'action en nullité ne pouvait être exercée que par lui, ou par son tuteur ou curateur, s'il lui en avait été ensuite nommé un.

L’article 489-1 prévoyait qu’après sa mort, les actes faits par un individu, autres que la donation entre vifs ou le testament, ne pouvaient être attaqués pour la cause prévue à l'article 489 que dans trois cas limitativement énumérés :

1° Si l'acte portait en lui-même la preuve d'un trouble mental ;

2° S'il avait été fait dans un temps où l'individu était placé sous la sauvegarde de justice ;

3° Si une action avait été introduite avant le décès aux fins de faire ouvrir la tutelle ou la curatelle.

 

S’agissant de la prescription de l’action en nullité pour insanité d’esprit, le second alinéa de l’article 489 énonçait que l’action s’éteignait dans le délai de l’article 1304 du code civil, qui était de cinq ans. Bien que ne se référant qu’à l’action en nullité ouverte du vivant de l’auteur des actes, la Cour de cassation avait jugé que la prescription quinquennale de l’article 1304 s’appliquait également à l’action en annulation exercée par les héritiers (1re Civ., 11 janvier 2005, pourvoi n° 01-13.133, Bull., 2005, I, n° 23, à propos d’actes à titre gratuits ; 1re Civ., 13 juillet 2016, pourvoi n° 14-27.148, Bull. 2016, I, n° 160, concernant des contrats d’assurance-vie).

Par ailleurs, l’article 2252 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la modification issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, posait en principe que la prescription ne courait pas contre les majeurs en tutelle.

En l’espèce, par un arrêt confirmatif, la cour d’appel avait déclaré les demandes en annulation irrecevables, comme prescrites, en considérant que la prescription quinquennale avait commencé à courir avant le décès de l’auteur des actes, lorsque la mesure de tutelle avait été ouverte par jugement du 3 février 2004, dès lors qu’à compter de cette date, son fils, qui n’ignorait ni l’état de démence sénile dont son père était atteint, ni les actes faits par celui-ci, pouvait, en sa qualité d’administrateur légal du majeur protégé, agir en annulation des actes précités.

Par la décision commentée, la première chambre civile censure cet arrêt en ce qui concerne l’irrecevabilité de la demande d’annulation des actes à titre onéreux au visa des articles 489, 489-1 et 1304, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, et l’article 2252 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, par un raisonnement en trois temps.

La chambre a tout d’abord considéré que l’action en nullité pour insanité d’esprit d’un acte à titre onéreux intentée par un héritier sur le fondement de l’article 489-1 du code civil n’est autre que celle que pouvait exercer le défunt de son vivant, en application de l’article 489 du même code, et qui, existant dans son patrimoine au moment de son décès, a été transmise à l’héritier. Ainsi, l’action de l’héritier fondée sur l’article 489-1, même si elle ne peut être exercée par celui-ci qu’à des conditions plus restrictives que celle ouverte de son vivant à l’auteur de l’acte ou à son représentant légal, n’est pas une action autonome, indépendante de celle qui n’était ouverte qu’à l’auteur des actes de son vivant. Logiquement, la première chambre civile en déduit que l’action intentée par l’héritier est soumise à la même prescription que celle régissant l’action ouverte du vivant de l’auteur de l’acte. Saisi d’une fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée à la demande d’un héritier, le juge doit donc apprécier celle-ci au regard du temps qui a pu s’écouler du vivant de l’auteur de l’acte.

Ensuite, la chambre, tirant les conséquences du premier temps de son raisonnement, a estimé que dès lors qu’à compter du jugement plaçant l’auteur des actes sous tutelle, la prescription n’avait pas pu courir à son encontre, aucun écoulement du délai de prescription ne pouvait être opposé à son héritier entre le jugement ouvrant la tutelle et le décès, la mesure de protection n’ayant pas cessé entre les deux.

 

Enfin, et c’est le troisième et dernier temps du raisonnement, la chambre a considéré qu’était indifférente la circonstance que l’héritier demandeur à la nullité ait été l’administrateur légal sous contrôle judiciaire de l’auteur des actes, dans la mesure où, s’il avait qualité pour agir en annulation durant la mesure de protection, en vertu de l’article 489, ce n’était qu’en sa qualité de représentant légal du majeur protégé, contre lequel la prescription ne pouvait courir du fait de son placement sous tutelle.

La première chambre civile, dans le premier temps de son raisonnement, adopte ici, une solution différente de celle concernant la prescription de l’action en annulation pour insanité d’esprit d’actes à titre gratuit engagée par les héritiers pour laquelle elle a jugé qu’elle ne pouvait commencer à courir avant le décès du disposant (1re Civ., 20 mars 2013, pourvoi n° 11-28.318, Bull. 2013, I, n° 56 : pour un testament ; 1re Civ., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-35.341, Bull. 2014, I, n° 15 : pour une donation). Cette distinction s'explique, d’une manière générale, par le danger de captation accru en matière de libéralités et, en outre, pour le testament, par le fait que celui-ci ne devient irrévocable qu'au jour du décès.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.