N° 13 – Janvier 2024 (Éditorial)

Lettre de la première chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (Arbitrage / Avocat et conseil juridique / Droit international privé - économique / Droit international privé - famille / Enrichissement sans cause / Incapacités / Protection des consommateurs / Régimes matrimoniaux / Santé publique).

 

  • Economie
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  • avocat et conseil juridique
  • incapacités
  • protection des consommateurs
  • état de santé (maladie, accident, maternité)

Lettre de la première chambre civile

N° 13 – Janvier 2024 (Éditorial)

par Carole Champalaune, présidente de la première chambre civile de la Cour de cassation

Cher lecteur,

A cheval entre les derniers arrêts de 2023 et les tout premiers de 2024, cette première édition de la nouvelle année de la lettre de la première chambre civile présente quelques-unes des plus récentes décisions de la chambre.

Les arrêts choisis recouvrent des questions extrêmement variées qui ont conduit la chambre à devoir interpréter, ce qui est le travail quotidien des trente-et-un juges qu’elle compte, les dispositions de droit international, européen ou interne les plus diverses.

A l’heure où s’opère le bilan quantitatif d’activité de l’année écoulée, au cours de laquelle la chambre a examiné près de 1600 pourvois, il doit être souligné que, comme à chaque édition, les arrêts publiés à la lettre ne reflètent qu’une infime partie de l’activité juridictionnelle de la chambre sur la période qu’ils concernent, comme ils ne traduisent ni la diversité des contentieux traités par la chambre ni leurs différents niveaux de complexité. Ces 1600 pourvois ne résument d’ailleurs pas non plus l’intégralité des missions exercées par ses membres, requis, par exemple pour siéger dans les formations d’assemblées plénières de la Cour ou de chambres mixtes, et qui participent aussi, conformément aux dispositions législatives le prévoyant, à d'autres activités juridictionnelles comme extra-juridictionnelles telles que différentes commissions administratives.

Les arrêts sélectionnés mettent néanmoins en évidence les finalités et les méthodes de cette fonction interprétative à l’occasion de litiges sur la solution desquels la chambre souhaite, par ces commentaires, appeler l’attention de nos lecteurs, en raison de leur fréquence ou de leur importance pour les droits des personnes.

Tel est le cas par exemple pour le droit de l’Union, dont la nature impose au juge de cassation de mettre en œuvre le principe d’autonomie des concepts régis par ce droit. L’illustre l’arrêt du 22 novembre 2023 qui interprète la notion de négligence prévue à l’article 16 du règlement dit Bruxelles II Bis. Retenant une conception objective de cette notion, à la lumière de l’analyse de la Cour de justice de l’Union, le juge français favorise une approche commune des Etats membres. Il favorise ainsi la sécurité juridique des justiciables européens, évitant la fragmentation du droit, selon leur lieu de résidence et la juridiction devant laquelle ils doivent porter leur litige, que le règlement a précisément pour ambition d’éviter.

Les arrêts choisis montrent également comment l’interprétation prend en considération la portée qu’elle peut avoir sur la protection des personnes. Ainsi en va-t-il de la solution apportée par l’arrêt du 13 décembre 2023 sur la prescription de l’action en annulation pour insanité d’esprit d’actes à titre onéreux intentée par un héritier, qui prend en compte le danger de captation spécifique en matière de libéralités, spécialement lorsque ce dernier se manifeste au détriment d’une personne vulnérable et juridiquement protégée.

Le même souci d’assurer une pleine efficacité aux dispositions que le législateur a adoptées pour protéger les consommateurs et l’intégrité de leur consentement inspire les solutions des arrêts commentés rendus le 20 décembre 2023 en ce domaine. C’est l’objet de la nullité du contrat dont la chambre décide qu’elle résulte d’un défaut d’information du consommateur sur une caractéristique essentielle du produit, laquelle consiste, par exemple, dans la connaissance au moment du contrat de la production d’électricité attendue d’une installation que le consommateur s’apprête à acquérir. Cet arrêt témoigne également de l’office du juge de cassation en matière de développement du droit dans ce domaine, qui concerne la vie quotidienne, et d’unification de la jurisprudence. Les nombreux arrêts en ce domaine nous conduiront à vous proposer prochainement une lettre thématique consacrée à cette jurisprudence évolutive.

Garantir la protection des intérêts supérieurs recherchée par le législateur conduit aussi la chambre à fournir au juge du fond une méthode de conciliation de ces derniers. Tel est le cas de l’arrêt relatif au secret professionnel de l’avocat : comme le précise un arrêt du 6 décembre 2023, la protection légale de ce secret dans l’intérêt du client ne constitue pas un obstacle au prononcé, en vue d’assurer le droit à la preuve, d’une mesure d’instruction probatoire assortie de garanties que la chambre invite le juge à mettre en place.

D’autres arrêts choisis pour figurer dans cette lettre manifestent le souci de la chambre non seulement de remplir son office d’interprète de la loi mais de donner à l’ensemble des praticiens concernés qui nous lisent, au-delà de l’énoncé de la règle de droit, la méthode concrète de mise en œuvre de celle-ci. Ainsi, pour l’un des arrêts commentés, la chambre applique elle-même la loi qu’elle vient d’interpréter, en statuant au fond comme le lui permettent les dispositions de l’article L. 411-3 alinéa 2 du code de l’organisation judiciaire. La lettre poursuit ainsi, par les commentaires des arrêts rendus en matière de liquidation de régimes matrimoniaux les 22 novembre et 13 décembre 2023, l’effort de clarification de la rédaction des décisions entrepris par la Cour qui ne pourrait pas toutefois conduire aux mêmes développements que ceux qui vous sont fournis ici pour suivre les calculs opérés par la chambre.

Le premier arrêt de l’année 2024 commenté dans cette édition est par ailleurs la manifestation que la chambre doit régulièrement s’interroger sur de possibles évolutions de sa jurisprudence sur des notions anciennes. La motivation enrichie que pratique la Cour en matière de revirements n’est pas mise en œuvre lorsqu’elle maintient sa jurisprudence, quoiqu’elle ait pu être invitée par les parties dans les moyens qui la saisissent à faire évoluer celle-ci. Néanmoins, la publication des riches travaux préparatoires rend compte des analyses notamment doctrinales à partir desquelles la chambre a pu débattre et se déterminer. J’invite d’ailleurs de façon générale nos lecteurs à compléter leur information en se reportant aux travaux préparatoires des arrêts publiés sur Judilibre.

Enfin, un arrêt du 29 novembre 2023 illustre aussi le contrôle par la chambre du respect par le juge de l’étendue de ses pouvoirs, question délicate et, par ailleurs, prégnante dans le droit de l’arbitrage, domaine dans lequel l’arrêt commenté a été rendu.

L’activité consultative mobilise aussi, comme vous le savez, le juge de cassation, et la première chambre civile est à elle seule destinataire de demandes d’avis en nombre conséquent (10 en 2023). (C’est le lieu de préciser, même si cette fonction de filtrage n’est pas consultative, qu’en 2023, elle a été saisie également de 24 questions prioritaires de constitutionnalité). Le dernier avis examiné en 2023 dont la présente édition rend compte propose, en l’absence de texte, au juge judiciaire de retenir que le délai dans lequel l'assureur peut contester devant lui un titre exécutoire émis par l'ONIAM, établissement public, est le délai de deux mois prévu par l'article R. 421-1 du code de justice administrative et non celui de cinq ans prévu par le code civil, pour uniformiser le délai d’action en cette matière quel que soit l’ordre de juridiction saisi, la créance objet de ce titre pouvant, selon les cas, relever de l’un ou l’autre des ordres. Simplicité et efficacité inspirent cette analyse sur une question sur laquelle le juge doit faire œuvre créatrice.

Quoiqu’il lui impose des délais serrés, l’extension de cette procédure d’avis est appelée de ses vœux, ainsi que la Cour en a fait la proposition dans plusieurs rapports annuels, par la première chambre civile. Il n’est pas douteux que la possibilité qui serait offerte aux juridictions tenues de statuer dans un délai déterminé ou en urgence, de néanmoins former une demande d'avis à la Cour de cassation concernerait des questions qui nourrissent les pourvois en matière de rétention des étrangers ou de soins sans consentement, matières dévolues à la première chambre civile. Ainsi permettrait-elle à la chambre de fournir aux juges du fond son interprétation des textes en cause plus rapidement, rapidité adaptée tant à la mission de gardien des libertés individuelles exercée par le juge judiciaire dans ces contentieux, qu’à leur nombre.

Ainsi, quoique traitant de litiges passés, la chambre tourne aussi son regard vers ceux à venir, en participant par exemple à l’effort d’anticipation que manifeste le lancement de la phase expérimentale de l’observatoire des litiges judiciaires. La lettre vous entretiendra prioritairement des réponses que la chambre aura apportées dans les pourvois qui auront fait l’objet de signalements par les juges du fond dans le cadre de cet observatoire.

Nul doute que l’année 2024 donnera l’opportunité à la chambre de contribuer, via la lettre notamment, à la diffusion de la jurisprudence qui se nourrit aussi des réflexions que cette diffusion produit et des contributions qui y sont recueillies. Les prochaines éditions de la lettre accueilleront ainsi des éditoriaux notamment du premier avocat général près la première chambre civile puis du président de l’ordre des avocats aux conseils.

Posée dans les termes du débat introduit par les moyens soumis à la chambre par les avocats aux conseils ou ceux que la chambre soulève éventuellement d’office, enrichie par les travaux du conseiller rapporteur révisés par les doyens, éclairée par les avis des avocats généraux, la réflexion collective qui conduit à la prise de décision se déploie en fonction de la complexité des sujets ou leur caractère inédit entre un nombre restreint de magistrats (au minimum trois) ou au contraire élevé (au maximum, pour la première chambre civile, trente-et-un), selon les différents types de formations prévus par le code de l’organisation judiciaire.

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