N° 13 – Janvier 2024 (Régimes matrimoniaux)

Lettre de la première chambre civile

Une sélection des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (Arbitrage / Avocat et conseil juridique / Droit international privé - économique / Droit international privé - famille / Enrichissement sans cause / Incapacités / Protection des consommateurs / Régimes matrimoniaux / Santé publique).

 

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Lettre de la première chambre civile

N° 13 – Janvier 2024 (Régimes matrimoniaux)

Méthode liquidative d’une indivision existante entre époux séparés de bien

1re Civ., 22 novembre 2023, pourvoi n° 21-25.251, publié

Mener à bien la liquidation d'un régime matrimonial requiert tout à la fois rigueur et méthode. Après avoir analysé les différentes opérations patrimoniales que les époux ont réalisées en cours d'union afin de répartir leurs biens et dettes entre les différentes masses en présence au regard du régime applicable, d'identifier les mouvements de valeur intervenus entre ces masses appelant un rétablissement selon les modalités propres à chaque situation (récompenses, créances entre époux, créances de ou contre l'indivision, etc.), il convient d'en dresser le bilan sous forme comptable, appelé en pratique aperçu ou schéma liquidatif, comprenant l'identification chiffrée de l'ensemble des éléments composant la masse à partager et la détermination des droits des parties dans cette masse. Si les erreurs commises lors de cette seconde étape peuvent être lourdes de conséquences, rares sont les pourvois qui donnent l'occasion à la Cour de cassation de rappeler la méthode liquidative devant être suivie.

C'est tout l'intérêt de l'espèce commentée qui permet à la première chambre civile d'exposer le canevas liquidatif de l'indivision existant entre époux séparés de biens.

En 2003, un jugement prononce le divorce d'époux mariés sous ce régime et attribue préférentiellement à l'épouse l'immeuble indivis qui constituait le logement familial et, en 2012, une autre décision arrête le principe de l'indemnité d'occupation due par l'épouse à l'indivision.

Au cours des opérations de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux, des difficultés persistent, notamment, au sujet de l'évaluation de l'immeuble et de l'indemnité d'occupation ainsi que de diverses créances réclamées par chacun des époux, sur le fondement de l'article 815-13 du code civil, au titre du règlement par eux de dépenses de conservation ou d'amélioration de l'indivision.

Le juge aux affaires familiales, saisi de ces points de désaccord, fixe la date de la jouissance divise et les droits des parties dans l'indivision. Pour ce faire, il porte tout d'abord, à l'actif indivis, la valeur de l'immeuble et de l'indemnité d'occupation et, au passif de l'indivision, les créances dues à chacun des époux par l'indivision, pour en déduire les droits des parties ainsi qu'il suit :

- pour l'épouse : la moitié de l'actif brut indivis augmentée de ses créances contre l'indivision et diminuée de l'indemnité d'occupation qu'elle lui doit ;

- pour l'époux : la moitié de l'actif brut indivis augmentée de ses créances contre l'indivision.

Le jugement étant confirmé en appel, l'épouse se pourvoit en cassation, arguant de ce que les créances des époux contre l'indivision devaient d'abord être déduites de l'actif brut pour déterminer l'actif net à partager.

L'arrêt est cassé par la première chambre civile qui, par un chapeau à visée pédagogique, énonce qu'il résulte des articles 815-17, alinéa 1er, 825, 870 et 1542 du code civil qu'il appartient à la juridiction saisie d'une demande de liquidation et partage de l'indivision existant entre époux séparés de biens de déterminer les éléments actifs et passifs de la masse à partager, lesquels intègrent, respectivement, les dettes des copartageants envers l'indivision et les créances qu'ils détiennent sur celle-ci, d'en déduire un actif net, puis de déterminer les droits de chaque copartageant dans la masse à partager en appliquant sa quote-part indivise à cet actif net, puis en majorant la somme en résultant des créances qu'il détient sur l'indivision et en la minorant des sommes dont il est débiteur envers elle.

Dès lors, pour déterminer l'actif net de la masse à partager, les indemnités accordées aux époux en application de l'article 815-13 du code civil, qui constituent des créances sur l'indivision, devaient être inscrites, pour leur totalité, au passif de celle-ci et venir en déduction de son actif brut, ce que n'a pas fait la cour d'appel.

Outre cet énoncé de principe, l'intérêt de la décision réside en ce que, statuant sans renvoi, la Cour de cassation applique elle-même à l'espèce la méthode qu'elle rappelle, substituant à l'état liquidatif du premier juge, adopté par la cour d'appel, le suivant :

Actif net indivis = actif brut indivis (immeuble indivis + indemnité d'occupation) - passif indivis (créances détenues par les époux contre l'indivision sur le fondement de l'article 815-13 du code civil)

Droits de l'épouse dans la masse à partager = ½ de l'actif net indivis + créances de l'épouse contre l'indivision - indemnité d'occupation due à l'indivision

Droits de l'époux dans la masse à partager = ½ de l'actif net indivis + créances de l'époux contre l'indivision

On s'aperçoit ainsi que la seule erreur commise par les juges du fond consiste à avoir déterminé les droits des parties à partir de l'actif brut indivis au lieu de l'actif net indivis, en omettant de retrancher de l'actif brut les créances sur l'indivision pour déterminer le montant de l'actif net indivis à partager, ce qui était très précisément ce que leur reprochait le pourvoi.

Réintégration de leurs biens professionnels à la liquidation de la créance de participation et prise en compte de la plus-value générée par l’industrie personnelle d’un époux pour le calcul de la créance de participation

1re Civ., 13 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.554, publié

Deux époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts stipulent dans leur contrat de mariage qu'en cas de dissolution du régime pour une autre cause que le décès des époux, « les biens affectés à l'exercice effectif de la profession des futurs époux lors de la dissolution, ainsi que les dettes relatives à ces biens, seront exclus de la liquidation ». Leur divorce est prononcé et lors des opérations de liquidation de leur régime matrimonial, l'époux, dont les affaires avaient moins prospéré que celles de son épouse, qui exploitait une officine de pharmacie, demande la constatation de la révocation de plein droit de cette clause et la réintégration de leurs biens professionnels à la liquidation de la créance de participation.

Les juges d'appel ayant décidé que la clause d'exclusion des biens professionnels insérée dans le contrat de mariage ne constituait pas un avantage matrimonial et ordonné, en conséquence, l'exclusion des biens professionnels des époux du calcul de leurs patrimoines originaires et finaux, l'époux forme un pourvoi soutenant que la clause s'analyse en un avantage matrimonial prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et, partant, révoqué de plein droit par le divorce en application de l'article 265 du code civil.

Accueillant le pourvoi, la première chambre civile casse l'arrêt, considérant, au visa de l'article 265 du code civil, que les profits que l'un ou l'autre des époux mariés sous le régime de la participation aux acquêts peut retirer des clauses aménageant le dispositif légal de liquidation de la créance de participation constituent des avantages matrimoniaux prenant effet à la dissolution du régime matrimonial et, partant, révoqués de plein droit par le divorce des époux, sauf volonté contraire de celui qui les a consentis exprimée au moment du divorce (1re Civ., 18 décembre 2019, pourvoi n° 18-26.337, publié).

Devant la cour de renvoi, l'époux soutient, en conséquence, que la liquidation de la créance de participation doit être opérée en intégrant les biens professionnels des époux dans le calcul de leurs patrimoines originaires et finaux et, partant, que les acquêts nets de l'épouse doivent être calculés en faisant figurer l'officine de pharmacie qu'elle détenait au jour du mariage :

- dans son patrimoine originaire pour sa valeur au jour de la liquidation du régime matrimonial déterminée au regard de son état au jour du mariage, abstraction faite des plus-values résultant de l'amélioration de ce bien due à l'activité qu'elle y a déployée,

- dans son patrimoine final pour sa valeur au jour de la liquidation du régime matrimonial déterminée au regard de son état au jour de sa dissolution, en tenant compte du développement du fonds lié à son activité durant le mariage.

Les juges d'appel ne suivent pas ces demandes et retiennent une valeur de l'officine de pharmacie identique dans le patrimoine originaire et dans le patrimoine final de l'épouse, ce qui revient à neutraliser sa prise en compte pour le calcul de la créance de participation.

Pour ce faire, après avoir constaté que la plus-value de l'officine de pharmacie résulte de l'activité déployée par l'épouse au cours du mariage et non de circonstances économiques fortuites ou d'investissements de fonds, ils énoncent que si, dans le régime de participation aux acquêts, les plus-values volontaires consécutives à des investissements financiers effectués pendant le mariage sont considérées comme des acquêts, les plus-values résultant de l'industrie personnelle d'un époux ne doivent pas être prises en compte dans le calcul de la créance de participation, comme dans le régime de communauté où celles-ci ne donnent pas lieu à récompenses, pour en conclure qu'il ne doit pas être tenu compte de la plus-value de l'officine de pharmacie de l'épouse dans le calcul de la créance de participation.

L'époux se pourvoit de nouveau en cassation, reprochant en substance à la cour d'appel de s'être fondée sur une comparaison inopérante avec le régime de communauté.

Le moyen soulevé conduit la Cour de cassation à se prononcer sur une difficulté d'interprétation des textes régissant la liquidation de la créance de participation s'agissant des plus-values dites « industrielles », c'est-à-dire résultant de l'activité de l'époux et non de la seule la seule évolution de la conjoncture économique : doivent-elles être prises en compte dans le calcul de la créance de participation ou profiter au seul époux propriétaire ?

Pour accueillir le pourvoi, la première chambre civile rappelle, en premier lieu, que, selon l'article 1569 du code civil, à la dissolution du régime de participation aux acquêts, chacun des époux a le droit de participer pour moitié en valeur aux acquêts nets constatés dans le patrimoine de l'autre, et mesurés par la double estimation du patrimoine originaire et du patrimoine final.

Elle relève, en second lieu, que, selon les articles 1571 et 1574 du même code, les biens compris dans le patrimoine originaire comme dans le patrimoine final sont estimés à la date de la liquidation du régime matrimonial, d'après leur état au jour du mariage ou de l'acquisition pour les biens originaires et d'après leur état à la date de la dissolution du régime pour les biens existants à cette date.

Elle déduit de ces dispositions que lorsque l'état d'un bien a été amélioré, fût-ce par l'industrie personnelle d'un époux, il doit être estimé, dans le patrimoine originaire, dans son état initial et, dans le patrimoine final, selon son état à la date de dissolution du régime, en tenant compte des améliorations apportées, la plus-value ainsi mesurée venant accroître les acquêts nets de l'époux propriétaire.

Appliquant les principes ainsi dégagés à la situation d'espèce, elle retient que, dès lors qu'il ressortait de leurs constatations souveraines que, par son industrie personnelle, l'épouse avait amélioré l'état du bien entre le jour du mariage et le jour de la dissolution du régime matrimonial, ce dont il résultait nécessairement que l'état du bien avait été modifié entre ces deux dates, les juges d'appel ne pouvaient, sans violer les textes précités, évaluer l'officine de pharmacie de façon identique dans le patrimoine originaire et dans le patrimoine final de l'épouse.

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