N° 10 - Janvier 2024 (Protection sociale )

Lettre de la deuxième chambre civile

Une sélection commentée des décisions rendues par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (Appel civil / Procédure civile / Procédures civiles d'exécution / Accident de la circulation / Responsabilité et réparation / Astreinte / Surendettement des particuliers et des familles / Sécurité sociale / QPC A venir / Colloques).

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Lettre de la deuxième chambre civile

N° 10 - Janvier 2024 (Protection sociale )

QUESTION NOUVELLE : La prime à la naissance et la gestation pour le compte d’autrui.

2e Civ. 30 novembre 2023, pourvoi n°22-10.559, publié au Bulletin

La prime à la naissance, qui trouve ses origines dans la prime à la natalité créée par le décret-loi du 29 juillet 1939, est l’une des composantes de la prestation d’accueil du jeune enfant issue de la loi n° 2003-1199 du 18 décembre 2003 fusionnant, dans un souci de simplification, cinq prestations en faveur de la petite enfance.

Prévue à l’article L. 531-2 du code de la sécurité sociale, cette prime, dont l’objet est de permettre au ménage ou à la personne de faire face aux dépenses liées à l'arrivée d'un enfant, poursuit également un objectif sanitaire de surveillance et de protection de la mère et de l’enfant à naître. En effet, l’article L. 533-1 du même code subordonne son versement à des examens médicaux de la mère et de l’enfant.

Saisie d’un pourvoi dirigé contre un jugement ayant refusé l’attribution de la prime à la naissance à un allocataire ayant avec son époux accueilli un enfant né d’une gestation pour le compte d’autrui, la Cour de cassation a décidé que pour prétendre à son bénéfice, la mère de l’enfant à naître doit appartenir au ménage auquel la prime est attribuée, ce qui exclut du champ d’application de cette prestation familiale les allocataires ayant eu recours à une convention de gestation pour le compte d’autrui, quels que soient leur sexe ou leur orientation sexuelle.

La Cour de cassation a, par suite, jugé que les dispositions précitées ne méconnaissent pas l’intérêt supérieur de l’enfant au sens de l’article 3, §1, de la Convention internationale des droits de l’enfant, ni n’engendrent aucune discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, au sens de l’article 14 de Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 1er du Protocole additionnel n°1 à ladite Convention. 

QUESTION NOUVELLE : La créance de restitution de prestations sociales indues naît au jour du versement de ces prestations

La créance de restitution de prestations sociales indues naît au jour du versement de ces prestations : des effets d’une ordonnance conférant force exécutoire à une recommandation de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire sur cette créance.

2e Civ., 16 novembre 2023, pourvoi n° 21-25. 567, publié au Bulletin

Selon l’article L. 332-5 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 applicable au litige, le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire recommandé par la commission de surendettement et rendu exécutoire par le juge du tribunal d'instance entraîne l'effacement de toutes les dettes non professionnelles du débiteur, sous réserve des exceptions prévues par ce texte. Si la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 prévoit que les dettes effacées sont « arrêtées à la date de l'ordonnance conférant force exécutoire à la recommandation », il n’était pas précisé, en l’état du droit antérieur applicable au cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, quelles dettes étaient concernés par cette mesure d’effacement.

Dans l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile, à l’instar de ce qu’elle avait décidé concernant les effets du jugement d’ouverture d'une procédure de rétablissement personnel (2e Civ., 6 juin 2013, pourvoi n° 12-19.155, Bull. 2013, II, n° 118), juge que les dettes nées après l’ordonnance conférant force exécutoire à la recommandation de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire ne sont pas effacées par cette procédure.

Se posait en l’espèce la question de savoir si la créance d’une caisse d’allocations familiales résultant d’un indu notifié à l’allocataire après cette ordonnance, mais afférent à des prestations sociales versées avant cette ordonnance, était ou non atteinte par l’effacement prévu par le code de la consommation. La Cour de cassation y répond par l’affirmative : la créance de restitution de prestations sociales indues naît à la date du paiement de ces prestations. La décision commentée est ainsi à rapprocher de la décision récente de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 17 mai 2023, pourvoi n° 20-20.559, publié au Bulletin) rendue en matière de prescription, selon laquelle « l'article 2232 du code civil (...) dispose que le délai de la prescription extinctive ne peut être porté au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, soit la date de paiement des prestations indues ».

QUESTION NOUVELLE : Procédure de détermination de la législation applicable à un travailleur exerçant une activité dans plusieurs Etats de l’Union européenne.

 2e Civ., 30 novembre 2023, pourvoi n° 21-18.251, publié au Bulletin

Un travailleur qui exerce des activités dans plusieurs Etats membres de l’Union européenne ne doit être affilié qu’à un seul régime de sécurité sociale. Le règlement européen portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale prévoit une procédure de dialogue administratif entre les institutions de sécurité sociale des Etats membres, afin que soit déterminée la législation applicable en cas de pluriactivité.

Dès que l’institution de sécurité sociale est informée qu’un travailleur exerce, simultanément ou en alternance, une activité professionnelle dans deux États membres ou plus, il lui appartient de mettre en œuvre cette procédure de dialogue. Le juge qui constate une situation de pluriactivité ne peut condamner un travailleur indépendant au paiement des cotisations dues auprès du régime de sécurité sociale français sans qu’ait été préalablement mise en œuvre cette procédure. Il lui appartient donc d’inviter la caisse de sécurité sociale à le faire, et de surseoir à statuer dans l’attente de la mise en œuvre de cette procédure.

QUESTION NOUVELLE : Une majoration de 10 % du montant du redressement est appliquée en l’absence de mise en conformité.

 2ème Civ, 16 novembre 2023, pourvoi n°22-14.638, publié au Bulletin

Aux termes de l’article L. 243-7-6 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012, applicable au litige, le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l’issue d’un contrôle réalisé en application de l’article L. 243-7 est majoré de 10% en cas de constat d’absence de mise en conformité. Un tel constat est dressé lorsque l’employeur n’a pas pris en compte les observations notifiées lors d’un précédent contrôle, que ces observations aient donné lieu à redressement ou non.

La deuxième chambre civile était saisie, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, d’un pourvoi  d’une URSSAF qui contestait l’annulation de la mise en demeure et de la contrainte qu’elle avait décernées à un cotisant qui, ayant fait l’objet d’un précédent contrôle, portant sur les années 2011 à 2013, s’était vu notifier par une lettre d’observations des redressements concernant la prise en compte des indemnités de congés payés versées par une caisse de congés payés en matière de retraite complémentaire et le dépassement des seuils d’exonération en matière de prévoyance complémentaire et qui, dans le cadre d’un nouveau contrôle portant sur les années 2015 à 2017, s’était vu notifier une nouvelle lettre d’observations visant les mêmes chefs de redressement et prévoyant l’application d’une majoration de 10 % en l’absence de mise en conformité de ces chefs.

Par l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait considéré, pour écarter l’application de la majoration litigieuse et annuler la mise en demeure et la contrainte, qu’il n’avait été demandé au cotisant aucune mise en conformité dans la lettre d’observations afférente au premier contrôle et que les chefs de redressement qu’elle visait avaient été contestés par le cotisant devant la juridiction de sécurité sociale qui avait accueilli son recours et retient qu’il  résulte de l’article L. 243-7-6 du code de la sécurité sociale  que la majoration de 10% est due sur le seul constat  que les observations notifiées lors d’un précédent contrôle n’ont pas été respectées par la personne contrôlée, alors même qu’il n’était pas mentionné dans la lettre d’observations établie à l’issue de ce contrôle la nécessité d’une mise en conformité et  qu’une contestation sur le bien-fondé du redressement avait été formée.

QUESTION NOUVELLE : Les conditions de communication du rapport médical en cas de contestation de nature médicale par l’employeur.

Civ. 2ème 11 janvier 2024, pourvoi n°22-15.939 publié au Bulletin

Afin de garantir un juste équilibre entre le principe du contradictoire à l’égard de l’employeur et le droit de  la victime au respect du secret médical, le code de la sécurité sociale organise, tant au stade du recours amiable (articles L. 142-6, R.142-8-2 et R. 142-8-3) qu’au stade du recours contentieux (articles L. 142-10 et R.142-16-3), les modalités de transmission du rapport médical établi par le praticien-conseil du service du contrôle médical auprès du régime de sécurité sociale concerné au médecin mandaté par l’employeur, lorsque celui-ci est à l’origine de la contestation de nature médicale d’une décision d’un organisme de sécurité sociale .

La deuxième chambre civile rappelle qu’il résulte de ces textes que cette transmission ne peut se faire que par l’autorité médicale chargée d’examiner le recours amiable ou par l’intermédiaire de l’expert ou du médecin consultant désigné par la juridiction saisie du recours contentieux et qu’aucune disposition n’autorise l’employeur à obtenir cette communication directement du praticien-conseil du contrôle médical.

Elle en déduit, dans la continuité de son précédent avis (Avis de la Cour de cassation, 17 juin 2021, n° 21-70.007, publié) qu’au stade du recours amiable, l'absence de transmission du rapport médical au médecin mandaté par l'employeur n'entraîne pas l'inopposabilité à l'égard de ce dernier de la décision de l’organisme de sécurité sociale contestée, dès lors que l'employeur dispose de la possibilité de porter son recours devant la juridiction de sécurité sociale à l'expiration du délai de rejet implicite et d'obtenir, à l'occasion de ce recours, la communication du rapport médical.

Elle réaffirme que, pour autant, l'organisation d'une mesure d'instruction reste pour les juges de cette juridiction une faculté, dont ils ne sont nullement tenus d'user dès lors qu'ils s'estiment suffisamment informés.

Tarification des soins palliatifs dispensés à domicile.

Civ. 2ème 30 novembre 2023 pourvoi n° 21-24.899 publié au Bulletin

Afin de mieux valoriser le rôle prépondérant de l'infirmière dans la prise en charge à domicile des patients en soins palliatifs, la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP), qui définit les actes des auxiliaires médicaux susceptibles de donner lieu à prise en charge par l'assurance maladie, prévoit une majoration de coordination infirmier.

Saisie d’un litige portant sur les conditions d’application de cette majoration, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation précise que ces soins peuvent être dispensés aux patients atteints d’une pathologie grave, évolutive, mettant en jeu le pronostic vital, mais qui ne sont pas nécessairement en fin de vie. L’infirmière pouvait justifier du caractère palliatif des soins qu’elle a dispensés par tout moyen, y compris une attestation du médecin traitant en ce sens, sans que soit exigé la production du dossier de soins infirmiers.

Faute inexcusable : l’employeur ne peut s’affranchir de son obligation de sécurité envers le travailleur en la confiant à un tiers par contrat.

2e Civ., 16 novembre 2023, pourvoi n° 21-20.655, publié au Bulletin

Un salarié avait trouvé la mort dans un accident d’aéronef ayant eu un fort retentissement médiatique, deux hélicoptères étant entrés en collision au cours du tournage d’une émission de télévision, entraînant le décès de tous leurs occupants.

Saisie d’une action en recherche de la faute inexcusable de l’employeur diligentée par les ayants droit de la victime, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation réaffirme la solution issue des arrêts de principe du 8 octobre 2020 : le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver (2e Civ., 8 octobre 2020, pourvoi n° 18-25.021 et pourvoi n° 18-26.677, publiés). Elle précise que l’employeur ne peut s'affranchir de son obligation de sécurité par la conclusion d’un contrat prévoyant qu'un tiers assurera cette sécurité.

Est donc approuvée la décision de la cour d’appel qui retient que l’employeur ayant choisi de réaliser le vol des deux hélicoptères en formation rapprochée, ce qui représentait un risque qu’il ne pouvait ignorer, aurait dû prendre des mesures pour préserver les passagers de l’accident et qu’à défaut d’avoir pris ces précautions, sa faute inexcusable était caractérisée, sans qu’il puisse s’en exonérer en raison des prestations de sécurité qu’il avait confiées à une société tierce.

La nouvelle lésion avant consolidation ou guérison n’est pas soumise à une instruction contradictoire.

Civ. 2ème 30 novembre 2023 pourvoi n° 21-23.551 diffusé

Il a pu être jugé que la caisse, qui a informé l'employeur de la mise en oeuvre d'une procédure d'instruction  ainsi que de la possibilité, à l’issue de cette instruction, de venir consulter les pièces constitutives du dossier préalablement à sa décision sur la prise en charge d’une nouvelle lésion du salarié, survenue avant consolidation ou guérison des séquelles de son accident du travail ou de sa maladie professionnelle, s'est engagée au respect des règles prévues par les articles R. 441-11 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale (2ème Civ., 6 nov. 2014, n°13-23.347).

Par l’arrêt commenté, la deuxième chambre civile rappelle toutefois le principe selon lequel ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur une nouvelle lésion survenue avant consolidation et déclarée au titre de l'accident du travail initial et que la caisse qui décide de la mise en oeuvre d'une procédure d'instruction au regard de la prise en charge de la nouvelle lésion ne s'oblige pas au respect des règles prescrites par ces textes et n'a notamment pas d'obligation d'information de l'employeur.

Le sursis à statuer dans le contentieux de la tarification.

 

Civ. 2ème 11 janvier 2024, pourvoi n° 21-24.487, 21-24.306, publié au Bulletin

La cour d’appel d’Amiens est la juridiction spécialement désignée par le code de l’organisation judiciaire pour connaître, en premier et dernier ressort, du contentieux de la tarification de l'assurance des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le contentieux de l’opposabilité de la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, d’une maladie, n’entre, en revanche, pas dans son champ de compétence mais dans celui des tribunaux judiciaires spécialement désignés à ce même code pour connaître du contentieux de la sécurité sociale.

Ainsi, lorsqu’elle est saisie d’une demande aux fins d’inscription au compte spécial des conséquences d’une maladie professionnelle et qu’elle est informée qu’une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale est saisie d’un recours aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, la cour d’appel d’Amiens doit, lorsque l’employeur en fait la demande, surseoir à statuer dans l’attente de la décision de cette juridiction.

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