Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

ENQUETE

Crim., 21 novembre 2023, n° 23-81.591, (B), FRH

Rejet

Pouvoirs – Recueil des enregistrements d'un plan de vidéo-protection – Réquisition – Nécessité – Exclusion

Le recueil, par des officiers ou agents de police judiciaire habilités, des enregistrements provenant d'un plan de vidéo-protection auxquels ils ont eu régulièrement accès, sans recours à un moyen coercitif, n'implique pas la délivrance d'une réquisition au sens de l'article 60-1 du code de procédure pénale.

M. [Y] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 2 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de violences aggravées et tentative de meurtre, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 15 mai 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 14 janvier 2022, M. [Y] [J] a été mis en examen du chef de tentative de meurtre.

3. Le 13 juillet suivant, il a formé une requête en annulation de pièces portant notamment sur des opérations d'exploitation des enregistrements des caméras du plan de vidéo-protection de la ville de [Localité 1].

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen relatif à l'exploitation des caméras de vidéo-protection du plan de vidéoprotection de la ville de [Localité 1] et a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce ou d'un acte de la procédure, alors :

« 1°/ d'une part résulte de l'article 60-1 du Code de procédure pénale, auquel les articles L. 251-2, L. 252-2 et L. 252-3 du Code de la sécurité intérieure ne dérogent pas, que les enquêteurs agissant dans le cadre d'une procédure pénale, pour la poursuite d'infractions autres que celles « aux règles de la circulation » ou « relatives à l'abandon d'ordures, de déchets, de matériaux ou d'autres objets », ne peuvent se faire communiquer les images captées par les caméras de vidéoprotection du PVPP que sur réquisition adressée par le Procureur de la République, un officier de police judiciaire ou, sous le contrôle d'un officier, un agent de police judiciaire ; qu'en jugeant régulière l'exploitation des caméras de vidéoprotection du plan de vidéoprotection de la ville de [Localité 1] tout en constatant « que de telles réquisitions ne figurent pas au dossier », motif pris de ce que les agents ayant procédé à l'exploitation et à la conservation des images de la vidéoprotection étaient bien habilités à cette fin, quand cette habilitation n'excluait pas la nécessité de réquisitions émanant d'autorités limitativement énumérées, la chambre de l'instruction a violé les articles 60-1 du code de procédure pénale, 251-2, L. 252-2 et L. 252-3 du code de la sécurité intérieure, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part et en tout état de cause que seuls les enquêteurs dument habilités et individuellement désignés à cet effet peuvent accéder aux images issues des caméras de vidéoprotection du PVPP ; qu'en affirmant, pour écarter toute nullité des actes d'exploitation des images effectués par des policiers non habilités, que ces actes « ne sont que des actes de comparaison effectués à l'aide de pièces figurant désormais régulièrement en procédure, sans qu'il n'y ait plus besoin de faire usage de réquisitions. Ces actes sont ainsi parfaitement valides », quand le seul versement régulier d'images à la procédure ne permet pas, ensuite, leur exploitation par n'importe quel agent, la chambre de l'instruction a violé les articles L. 251-2, L. 252-2 et L. 252-3 du code de la sécurité intérieure, 7, 8 et 9 de l'arrêté 2019-00079 du 24 janvier 2019 autorisant l'installation du système de vidéoprotection de la préfecture de police (PVPP), 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter la nullité des procès-verbaux d'exploitation des enregistrements des caméras du plan de vidéo-protection de la ville de [Localité 1], l'arrêt attaqué relève que, d'une part, ne figure au dossier aucune réquisition, prévue à l'article 60-1 du code de procédure pénale pour l'enquête de flagrance, aux fins d'exploitation desdits enregistrements mais que le code de la sécurité intérieure édicte, en la matière, des règles particulières prévoyant l'habilitation d'agents à cette fin, d'autre part, les agents ayant procédé à cette exploitation étaient bien habilités.

7. Les juges ajoutent qu'il en va de même pour les officiers de police judiciaire ayant agi sur commission rogatoire.

8. Ils énoncent, également, que les actes visés aux cotes D 107 et D 160, qui ne mentionnent pas l'habilitation des officiers de police judiciaire y ayant procédé, sont des actes de comparaison effectués à l'aide de pièces figurant régulièrement en procédure, ne nécessitant pas de réquisitions.

9. Enfin, ils précisent que le code de la sécurité intérieure ne prévoit pas le contrôle d'un officier de police judiciaire lorsque l'acte est accompli par un agent de police judiciaire habilité, ce qui est le cas en l'espèce.

10. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

11. En effet, le recueil, par des officiers ou agents de police judiciaire habilités, des enregistrements provenant du plan de vidéo-protection de la ville de [Localité 1] auxquels ils ont eu régulièrement accès, sans recours à un moyen coercitif, n'implique pas la délivrance d'une réquisition au sens de l'article 60-1 du code de procédure pénale.

12. Le moyen ne saurait donc être accueilli.

13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Tarabeux - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 60-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le fait que les dispositions du code de la sécurité intérieure et des arrêtés pris pour son application relatives aux conditions de désignation des agents habilités à recevoir les enregistrements effectués par les systèmes de vidéoprotection ne sauraient priver un officier de police judiciaire des pouvoirs qu'il tient de l'article 60-1 du code de procédure pénale : Crim., 9 janvier 2018, pourvoi n° 17-82.946, Bull. crim. 2018, n° 4 (cassation partielle).

Crim., 8 novembre 2023, n° 23-81.636, (B), FRH

Rejet

Preuve – Pouvoir de réquisition – Applications diverses – Installation d'un dispositif de vidéosurveillance dans les parties communes d'un immeuble par le propriétaire – Réquisitions aux fins d'obtention des images non enregistrées issues de ce dispositif – Possibilité

M. [P] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 15 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment, association de malfaiteurs et refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 30 mai 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les fonctionnaires de la police judiciaire de [Localité 2], informés de ce que des transactions de produits stupéfiants avaient lieu dans le parking d'un immeuble géré par un bailleur social, ont requis ce dernier, le 9 mars 2020, sur autorisation du procureur de la République, afin d'accéder aux parties communes.

3. Le même jour, le bailleur les a autorisés, pour une durée d'un an, à accéder aux images enregistrées dans son installation de vidéosurveillance.

4. Ce droit d'accès a été renouvelé, dans les mêmes formes et pour la même durée, le 4 janvier 2021.

5. L'exploitation de ces images a confirmé la mise en cause de quatre personnes, dont M. [P] [I], qui, après ouverture d'une information judiciaire le 21 octobre 2021, ont été mises en examen des chefs susvisés.

6. Par requête déposée le 12 avril 2022, M. [I] a sollicité l'annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus, alors :

« 1°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler cette mesure, que « la communication des enregistrements des caméras de surveillance installées par le propriétaire ou le gestionnaire d'un ensemble d'habitations dans les parties communes de l'immeuble concerné n'est pas assimilable à un procédé de captation d'images relevant de l'article 706-96 du code de procédure pénale », quand le pouvoir de réquisition des officiers de police judiciaire les autorise à obtenir communication des enregistrements des caméras de surveillance, sans pour autant leur permettre d'exploiter des images postérieures aux réquisitions ainsi formulées, ni de traiter en direct le flux vidéo des caméras ainsi exploitées sur une large période de temps, laquelle mesure s'assimile davantage à une captation d'images pour l'avenir qui suppose alors l'autorisation et le contrôle d'un juge, gardien des libertés fondamentales, la chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-96, 706-95-12, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler cette mesure, que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était nécessaire et proportionnée, sans rechercher avant tout si cette atteinte était légale, ce qu'elle n'était pas, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure, à retenir que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était abstraitement nécessaire « eu égard à la nature et à la gravité des faits poursuivis et eu égard au profil des protagonistes du dossier », quand il résulte de ses propres constatations que les surveillances opérées par les enquêteurs et l'exploitation ponctuelle d'images préenregistrées suffisaient à rechercher la preuve des faits reprochés aux mis en cause, de sorte que la nécessité de requérir, ab initio et pour l'avenir, un accès sans limite à toutes les images futures qui seraient captées par les caméras litigieuses pendant 16 mois, n'était pas établie, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure, à retenir que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était proportionnée en ce que « pour la période de 9 mois de l'année 2020, seulement 7 jours ont donc été exploités » et que « pour les 7 mois de l'année 2021 concernés par la réquisition, 27 jours ont été exploités, lors desquels [P] [I] apparaît 17 jours » quand il importe que les autres images n'aient pas été effectivement exploitées - ou, plus exactement, qu'elles n'aient pas fait l'objet d'un procès-verbal d'exploitation... -, l'accès à ces plus de 10.000 heures d'images constituant à lui seul une atteinte à la vie privée de l'exposant dès lors que celui-ci est apparu, même ponctuellement, sur celles-ci, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à justifier la proportionnalité de la mesure critiquée, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que la communication aux enquêteurs, et l'exploitation par ces derniers, des enregistrements des caméras de surveillance installées par le propriétaire ou le gestionnaire d'un ensemble d'habitations, dans les parties communes de l'immeuble concerné, n'est pas assimilable à un procédé de captation d'images relevant de l'article 706-96 du code de procédure pénale.

10. Les juges ajoutent que le système de vidéosurveillance était en place et fonctionnait préalablement aux réquisitions délivrées par les enquêteurs au propriétaire, en vertu de l'autorisation générale qui leur avait été délivrée à cette fin par le procureur de la République.

11. Ils estiment que le fait que les enquêteurs aient inscrit dans le temps et pour les mois à venir leur demande de mise à disposition des enregistrements de vidéosurveillance n'est pas plus critiquable puisque, d'une part, cette installation technique était permanente, antérieure aux réquisitions des enquêteurs et était faite pour fonctionner au-delà de ces réquisitions et sans lien avec celles-ci, d'autre part, les enregistrements étaient de toute façon conservés par le propriétaire et à sa seule initiative.

12. Ils précisent que, eu égard à la gravité des infractions poursuivies, caractérisée par l'ampleur et la durée du trafic, la nature des produits concernés, et l'existence d'une organisation structurée avec de nombreux protagonistes dont certains déjà condamnés à de multiples reprises, l'exploitation des vidéosurveillances critiquées, qui ne portent que sur sept jours en 2020 et vingt-sept jours en 2021, dont seulement dix-sept concernent M. [I], constitue une atteinte à sa vie privée non seulement justifiée pour permettre la manifestation de la vérité, mais aussi proportionnée à un trafic de stupéfiants de cette ampleur.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, la technique d'enquête prévue à l'article 706-96 du code de procédure pénale suppose la mise en place, par les enquêteurs, d'un dispositif technique installé à l'insu des personnes surveillées, de sorte que le dispositif de vidéosurveillance installé par le propriétaire dans les parties communes de son immeuble échappe aux prévisions de ce texte.

15. En deuxième lieu, l'article 77-1-1 du même code n'interdit pas à l'officier de police judiciaire de requérir un propriétaire en vue d'obtenir des images, issues de ce dispositif, qui n'ont pas encore été enregistrées.

16. En troisième lieu, il résulte des motifs de la chambre de l'instruction que l'atteinte ainsi portée à la vie privée des personnes concernées était prévue par l'article 77-1-1 précité, justifiée par la recherche des infractions pénales, et proportionnée à la gravité de celles-ci.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Courtial - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 77-1-1 et 706-96 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de nécessité d'obtenir, pour des policiers consultant sur place des images issues du système de vidéosurveillance d'une société d'autoroute avec l'accord de celle-ci, l'autorisation préalable du procureur de la République : Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.068 (cassation partielle), Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.069 (rejet) et Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.070, Bull. crim. 2016, n° 32 (cassation partielle).

Crim., 7 novembre 2023, n° 22-86.509, (B), FRH

Cassation partielle

Techniques d'enquête – Logiciels de rapprochement judiciaire – Utilisation – Conditions

L'article 230-27 du code de procédure pénale n'oblige pas les enquêteurs à identifier en procédure les logiciels de rapprochement judiciaire qu'ils ont mis en oeuvre.

Les prescriptions de l'article R. 40-40, dernier alinéa, du code de procédure pénale relatives à l'établissement d'un rapport joint à la procédure rendant compte des diligences effectuées à l'aide d'un logiciel de rapprochement judiciaire sont satisfaites par le versement à la procédure des divers procès-verbaux d'exploitation établis.

Selon les articles 230-25 et 15-5 du code de procédure pénale, d'une part, seuls peuvent utiliser des logiciels de rapprochement judiciaire les agents des services désignés par la loi individuellement désignés et spécialement habilités, d'autre part, la réalité de cette habilitation peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, l'absence de mention en procédure d'une telle habilitation n'emportant pas, par elle-même, nullité de cette procédure. Il en résulte qu'il appartient à la juridiction saisie en ce sens de vérifier la réalité de cette habilitation en ordonnant, au besoin, un supplément d'information.

Encourt donc la censure l'arrêt qui énonce que les enquêteurs avaient été autorisés par le procureur de la République, puis par le juge d'instruction, à utiliser des logiciels de rapprochement judiciaire et que, au regard de la saisine de leur service ainsi que des autorisations ainsi délivrées, ces enquêteurs disposaient de la faculté d'utiliser de tels logiciels sans nécessité d'une habilitation individuelle, dès lors que leurs noms apparaissaient en procédure.

MM. [Z] [H] et [B] [E] ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 2 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 4 novembre 2022, qui, dans l'information suivie contre eux des chefs, notamment, de recels, escroquerie et blanchiment, en bande organisée, association de malfaiteurs, faux et usage, détention et acquisition illicites d'un bien culturel archéologique en provenance d'un pays en zone de conflit armé, a prononcé sur leurs demandes d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 30 janvier 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen le 26 juin 2020 d'une partie des chefs susvisés, M. [Z] [H] a déposé une requête en annulation d'actes et de pièces de la procédure le 23 décembre suivant.

3. Mis en examen le 23 mars 2022 des chefs susvisés, M. [B] [E] a présenté des moyens d'annulation selon mémoire enregistré au greffe de la chambre de l'instruction le 18 mai suivant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [H]

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces de M. [H] et a constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D 936 incluse, alors « que le respect des droits de la défense comme l'exigence d'équité de la procédure pénale imposent aux officiers de police judiciaire qui se saisissent d'office d'une enquête préliminaire sur le fondement de l'article 75 du code de procédure pénale, de consigner de manière exhaustive la teneur de leurs investigations et des actes d'enquête qu'ils effectuent ; que cette consignation ne peut, sans priver les parties mises en cause et les juridictions chargées de contrôler la procédure de la possibilité de s'assurer de sa régularité, consister en une simple synthèse des résultats et de l'analyse des investigations conduites ; que, de même, ne peut suffire à justifier de la régularité de l'enquête préliminaire, la simple mention générale, dans un procès-verbal de synthèse, des différents fondements juridiques autorisant les enquêteurs à mener leurs investigations ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a constaté qu'il se déduisait d'un procès-verbal du 25 juillet 2018 qu'une enquête préliminaire avait été menée d'office par les enquêteurs de l'OCBC, avant que les résultats de cette enquête soient portés à la connaissance du procureur de la République, le 24 juillet 2018, mais sans que la teneur, les modalités et les dates des nombreux actes d'enquête effectués ne soient décrits (arrêt, pp. 9-10) ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen de nullité dont elle était saisie de ce chef, que le contenu du procès-verbal de synthèse du 25 juillet 2018 était suffisamment transparent et détaillé quant aux renseignements recueillis, à la méthode employée et aux bases juridiques susceptibles de justifier ces investigations et leur analyse, pour s'assurer de la régularité de l'enquête menée, et que les officiers de police judiciaire n'avaient pas à détailler leurs investigations (arrêt, p. 9, §§ 5-6 et p. 10, § 3), la chambre de l'instruction a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles préliminaire et 75 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité du procès-verbal de saisine du 25 juillet 2018, l'arrêt attaqué rappelle les prérogatives attribuées à l'office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC), parmi lesquelles le contrôle des registres spéciaux des œuvres d'art et la consultation des « listes rouges d'urgence des biens culturels en péril » du Conseil international des musées, et constate que ce contrôle a amené l'OCBC à repérer les activités illicites d'un ressortissant libanais.

6. Les juges relèvent que le procès-verbal, qui compte six pages, retrace les recherches préliminaires effectuées sur les ventes d'objets en France, notamment la vente d'une pièce provenant d'un pillage, ce qui a amené l'OCBC à soupçonner l'existence d'une filière internationale de commerce « d'œuvres de sang », qu'il conclut que trois infractions, dont deux crimes, pourraient correspondre aux agissements en cause et qu'il mentionne que, la veille, ces informations ont été portées à la connaissance du procureur de la République qui a confirmé la saisine du service pour enquête.

7. Les juges estiment que ce procès-verbal est détaillé et transparent, qu'il s'inscrit dans le cadre d'une enquête préliminaire engagée d'office par un service de police judiciaire, et que l'article 75 du code de procédure pénale n'impose pas aux enquêteurs de détailler, par des procès-verbaux séparés ou d'une quelconque autre manière, leurs investigations ayant consisté à exploiter et compiler les renseignements reçus dans l'exercice de leur mission spécialisée.

8. Ils relèvent encore que les limites légales et conventionnelles tenant aux règles encadrant les techniques d'enquête intrusives et à celles du procès équitable, qui doivent permettre la libre discussion des indices et éléments de preuve, y compris sur leur origine et les modalités de leur obtention, ont été respectées.

9. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

10. En effet, le procès-verbal en cause, qui n'était destiné qu'à permettre de déterminer l'opportunité d'ouvrir une enquête et d'orienter les investigations à poursuivre sous le contrôle du procureur de la République, n'avait pas à rapporter le détail des diligences accomplies, les renseignements recueillis, dépourvus de valeur probante, ne pouvant en eux-mêmes porter atteinte aux droits de la défense et aux règles du procès équitable.

11. Le moyen doit dès lors être écarté.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, proposé pour M. [H]

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces de M. [H] et a constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D 936 incluse, alors :

« 2°/ que de l'interdiction faite aux agents des services de police, par l'article 230-27 du code de procédure pénale, d'utiliser des logiciels de rapprochement judiciaire non autorisés par décret en Conseil d'Etat, résulte l'obligation de mentionner et d'identifier en procédure les logiciels utilisés ; qu'en écartant le moyen de nullité tiré de l'absence d'identification des logiciels de rapprochement judiciaire mis en œuvre par les enquêteurs de l'OCBC, aux motifs qu'aucune disposition « n'impose que les logiciels utilisés soient précisément spécifiés et référencés dans la procédure judiciaire pour laquelle ils sont mis en œuvre » (arrêt, p. 12, § 2), la chambre de l'instruction a violé le texte susvisé et l'article 230-20 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'un rapport doit être rédigé à la clôture de l'enquête, synthétisant les investigations menées au moyen de logiciels de rapprochement judiciaire ; qu'en retenant qu'il avait été satisfait à cette exigence par la seule présence en procédure de certains procès-verbaux, identifiables par le visa des articles 230-20 et suivants du code de procédure pénale, faisant état de l'usage de logiciels de rapprochement judiciaire (arrêt, p. 11, dernier §), la chambre de l'instruction a violé l'article R. 40-40 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter le moyen de nullité pris du recours, lors des investigations, à des logiciels de rapprochement judiciaire, l'arrêt attaqué énonce qu'aucun texte n'exige que les logiciels de rapprochement judiciaire qui sont mis en œuvre soient précisément spécifiés et référencés dans la procédure.

14. Les juges ajoutent que les enquêteurs ont dûment établi des rapports d'exploitation des investigations réalisées à l'aide de tels logiciels, lesquels figurent aux cotes D 155, 159, 160, 163, 170 et 171.

15. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

16. D'une part, le premier grief procède d'une lecture erronée de l'article 230-27 du code de procédure pénale, dont l'objet n'est pas de prévoir que chaque logiciel de rapprochement judiciaire utilisé fasse l'objet d'une autorisation spécifique par décret en Conseil d'Etat.

17. D'autre part, il a été satisfait à l'obligation de rendre compte des diligences effectuées à l'aide d'un logiciel de rapprochement judiciaire par l'établissement des différents procès-verbaux d'exploitation figurant à la procédure.

18. Les griefs doivent dès lors être écartés.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. [E]

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces déposée dans l'intérêt de M. [E], visant notamment la saisie informatique effectuée le 18 décembre 2018, alors :

« 1°/ que tous objets et documents saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés, sauf si l'inventaire sur place présente des difficultés, auquel cas ils font l'objet de scellés fermés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs et ce, en présence des personnes qui ont assisté à la perquisition ; que ni l'importance des opérations de perquisition à l'occasion desquelles les saisies sont effectuées ni la complexité des faits de la poursuite ne justifient qu'il soit reporté à l'inventaire et au placement sous scellé immédiat des objets et documents saisis ; qu'en se fondant sur de telles circonstances pour justifier l'inventaire et la mise sous scellés de données informatiques plusieurs semaines après les opérations de perquisition, la chambre de l'instruction a statué par motifs impropres en méconnaissance des articles 56, alinéa 4 et 5, et 802 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'obligation d'inventaire et de mise sous scellés s'applique aux saisies de données informatiques, qui doivent, après avoir été placées sous main de justice, être immédiatement inventoriées et placées sous scellés ; qu'en retenant le contraire, pour valider le placement sous scellé de données informatiques effectuées plus d'un mois après les opérations de saisie, et l'inventaire réalisé au même moment en l'absence de M. [E], la chambre de l'instruction a méconnu les alinéas 4 et 5 de l'article 56 du code de procédure pénale et l'article 802 du même code ;

3°/ qu'en écartant tout grief éprouvé par M. [E] à raison de ces irrégularités, au motif inopérant qu'il aurait été présent lors des opérations de copies effectuées durant la perquisition et qu'il aurait gardé la possession entière de ses ordinateurs et supports de stockage, sans autrement s'expliquer, comme elle y était invitée par les articulations essentielles du mémoire de M. [E], sur le fait que certains documents figuraient dans les données informatiques placées sous scellé qui ne figuraient pourtant pas sur son ordinateur, et qu'il était impossible de vérifier la traçabilité des données entre la saisie du 18 décembre 2018 et l'inventaire et le placement sous scellés du 23 janvier 2019 dès lors que ces données avaient été transférées au sein de plusieurs services durant cette période, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 593 et 802 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

20. Pour rejeter le moyen de nullité pris de la saisie de données informatiques, l'arrêt attaqué rappelle que la saisie a eu lieu sous la forme d'une copie des données contenues dans trois ordinateurs professionnels et un espace de stockage, qui a été réalisée en présence du requérant le 18 décembre 2018.

21. Les juges énoncent que, conformément aux dispositions de l'article 56, alinéa 5, du code de procédure pénale, qui ne prescrit pas le placement sous scellés ou l'inventaire sur place des données informatiques, les officiers de police judiciaire ont procédé à la saisie de ces données en plaçant sous main de justice une copie de celles-ci et qu'il n'y a pas lieu de rechercher un placement sous scellés définitifs.

22. Ils ajoutent que le requérant est mal fondé à soutenir qu'il ne peut savoir ce qui a été saisi alors que, d'une part, il a assisté à la perquisition, d'autre part, il est resté en possession de tous les supports physiques qui les contenaient et a toujours accès à ces données.

23. C'est à tort que la chambre de l'instruction a jugé que la saisie de données informatiques déroge aux prescriptions de l'article 56, alinéa 4, du code de procédure pénale, selon lesquelles les éléments saisis sont immédiatement inventoriés et placés sous scellés, ou, en cas de difficultés, placés sous scellés provisoires jusqu'au moment de leur inventaire et de leur mise sous scellés définitifs.

24. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure sur ce point.

25. En effet, la chambre de l'instruction, qui n'était pas tenue de suivre le requérant dans le détail de son argumentation, s'est déterminée sur le fait qu'il était loisible à l'intéressé, demeuré en possession des supports physiques contenant les données saisies, de faire vérifier, au besoin en sollicitant une expertise, l'intégrité de la copie placée sous scellés cinq semaines plus tard, de sorte que, en présence d'allégations non étayées de discordance entre le contenu des supports et celui des scellés, elle a souverainement écarté tout grief pris de la tardiveté du placement sous scellés.

26. Le moyen doit dès lors être écarté.

Sur le quatrième moyen proposé pour M. [E]

Enoncé du moyen

27. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces déposée dans l'intérêt de M. [E], visant notamment l'ensemble des réquisitions faites le 12 février 2020 et le 1er juillet 2020 par les officiers de police judiciaire à une « chargée de recherches », ainsi que tous les actes subséquents, alors :

« 1°/ que l'introduction de tiers dans l'information en dehors de tout texte et de toute habilitation légale est interdite et constitue une violation du secret de l'instruction ; en validant les réquisitions d'un officier de police judiciaire tendant à ce qu'un agent de l'office où il œuvre qui n'a ni la qualité d'OPJ, ni la qualité d'assistant spécialisé, ni aucun titre légal à participer à une commission rogatoire, l'assiste systématiquement dans l'exécution de la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction, la chambre de l'instruction a violé l'article 11 du code de procédure pénale ;

2°/ que si l'officier de police judiciaire dispose de pouvoirs de réquisition lors de l'enquête, il ne dispose pas des mêmes pouvoirs lorsqu'il agit sur commission rogatoire du juge d'instruction, le mandat lui étant donné à titre personnel mais n'étant pas susceptible de subdélégation ; la chambre de l'instruction a violé l'article 151 du code de procédure pénale ;

3°/ que la « réquisition » au sens des articles 60 ou 77-1 du code de procédure pénale suppose seulement que l'officier de police judiciaire s'adresse à un tiers pour lui demander un renseignement ou un élément utile à la manifestation de la vérité, le tiers ainsi requis restant totalement en dehors de la procédure à laquelle il n'a pas accès ; la réquisition tendant à une assistance constante de l'officier de police judiciaire dans les actes qu'il effectue ne rentre pas dans le cadre de ces textes qui ont été violés par fausse application ;

4°/ que la réquisition étant irrégulière et résultant d'un dépassement de ses pouvoirs par l'officier de police judiciaire, ni son opportunité, ni son intérêt et encore moins l'existence d'un grief ne sont de nature à en exclure l'annulation ; la chambre de l'instruction a encore violé les textes susvisés, outre l'article 802 du code de procédure pénale par fausse application. »

Réponse de la Cour

28. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité des réquisitions de l'officier de police judiciaire s'adjoignant l'assistance d'une personne chargée de recherche au sein de l'OCBC pour l'exécution d'une commission rogatoire, l'arrêt attaqué énonce que cet officier de police judiciaire disposait, par délégation du juge d'instruction et en application des dispositions combinées des articles 81 et 152 du code de procédure pénale, du pouvoir de requérir toute personne susceptible d'apporter son concours à la manifestation de la vérité, et notamment tout agent public.

29. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen.

30. En effet, la personne requise appartenait au service saisi pour l'exécution de la commission rogatoire, de sorte qu'elle n'était pas une personne tierce, étrangère à la procédure, et que sa participation à l'exécution de la mission ne procédait pas d'une subdélégation de celle-ci.

31. Le moyen doit dès lors être écarté.

Mais sur le premier moyen proposé pour M. [E]

Enoncé du moyen

32. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces déposée dans l'intérêt de M. [E], notamment des trois réquisitions des 29 janvier 2019, 8 juillet 2021 et 12 juillet 2021, des expertises subséquentes et des auditions de ces experts, alors « qu'il n'entre pas dans les pouvoirs d'un officier de police judiciaire, agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction, d'ordonner une mesure d'expertise et de désigner des experts ; que les réquisitions de l'officier de police judiciaire demandant à un archéologue affecté au CNRS, une directrice de recherche au CNRS et à un professeur d'archéologie orientale d'examiner des œuvres d'art afin de donner leur avis sur celles pouvant avoir une origine illicite et d'établir des rapports sur les éléments scientifiques, géographiques et historiques permettant de matérialiser ce caractère illicite, sont des réquisitions aux fins d'examens techniques et scientifiques constitutifs d'expertises, et non de simples réquisitions aux fins de constatations techniques ; qu'en retenant le contraire, pour refuser d'annuler ces réquisitions prises par l'officier de police judiciaire sur commission rogatoire du juge d'instruction, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 156, 60 et 77-1 du code de procédure pénale ; la cassation interviendra sans renvoi, la chambre criminelle étant en mesure d'annuler les actes critiqués et les rapports qui en découlent. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 156 du code de procédure pénale :

33. Selon ce texte, toute juridiction d'instruction ou de jugement, dans le cas où se pose une question d'ordre technique, peut ordonner une expertise. Ces juridictions ne tenant d'aucun texte la faculté de déléguer leurs pouvoirs en matière de désignation d'expert, il ne saurait entrer dans les pouvoirs de l'officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire du juge d'instruction d'ordonner une mesure d'expertise et de désigner les experts.

34. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité de réquisitions à personnes qualifiées par l'officier de police judiciaire, l'arrêt attaqué énonce que, s'agissant de celle du 29 janvier 2019, elle a été établie lors de l'enquête préliminaire.

35. S'agissant des autres, établies par l'officier de police judiciaire agissant sur commission rogatoire, les juges estiment qu'elles ont eu pour objet des demandes d'ordre technique, non assimilables à des expertises, devant être comprises comme destinées à obtenir des pistes d'orientation par un spécialiste.

36. Ils ajoutent que, compte tenu de la nature de l'affaire, qui porte sur des centaines d'objets remontant à l'Antiquité et susceptibles d'avoir été prélevés dans des zones de guerre ou de conflit de plusieurs régions du monde, il ne saurait être reproché aux enquêteurs de s'être entourés d'avis techniques à un niveau élevé de précision et de détail.

37. En se déterminant ainsi, si c'est à juste titre qu'elle a refusé d'annuler la réquisition du 29 janvier 2019, prise conformément à l'article 77-1 du code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a, en revanche, s'agissant des réquisitions établies les 8 et 12 juillet 2021, méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

38. En effet, ces réquisitions, dont l'objet était de recueillir un avis sur le fond de l'affaire, en l'occurrence sur l'origine licite ou non des objets archéologiques, impliquant une interprétation, ne tendaient pas à des constatations techniques, mais à des examens techniques et scientifiques qui, comme tels, ressortissaient du domaine de l'expertise.

39. L'officier de police judiciaire n'avait en conséquence pas compétence pour procéder aux réquisitions en cause lors de l'exécution de la commission rogatoire.

40. En revanche, d'une part, il avait compétence pour procéder aux auditions en qualité de témoin des personnes spécialisées qu'il avait requises et qui ont été effectuées dans les formes légales, d'autre part, ces auditions ne trouvent pas leur support nécessaire dans les réquisitions irrégulières.

41. La cassation est dès lors encourue concernant les deux dernières réquisitions et les rapports déposés en exécution de celles-ci.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [H] et le troisième moyen proposé pour M. [E]

Enoncé des moyens

42. Le second moyen, proposé pour M. [H], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa requête en annulation de pièces et a constaté la régularité de la procédure jusqu'à la cote D 936 incluse, alors :

« 1°/ qu'aux termes de l'article 230-25 1° du code de procédure pénale, les logiciels de rapprochement judiciaire ne peuvent être utilisés que par des agents individuellement désignés et spécialement habilités à cette fin, dans les conditions définies par l'article R. 40-39 du même code ; que cette habilitation spéciale et individuelle ne se confond pas, mais se cumule, avec la nécessité édictée à l'article R. 40-40 du même code, que le recours auxdits logiciels soit par ailleurs autorisé par le magistrat saisi de l'enquête ou chargé de l'instruction ; qu'en écartant le moyen de nullité tiré de l'absence de justification en procédure de la désignation individuelle et de l'habilitation spéciale des agents de l'OCBC ayant eu recours à des logiciels de rapprochement judiciaire, aux motifs que dès lors qu'ils avaient reçu du procureur de la République puis du juge d'instruction, l'autorisation spéciale d'utiliser les logiciels de rapprochement judiciaire, les agents de l'OCBC « disposaient subséquemment de la faculté d'utiliser ce type de logiciel, sans besoin de disposer d'une habilitation individuelle et autre que celle donnée par ces magistrat (arrêt, p. 11, § 6), la chambre de l'instruction a violé les textes susvisés. »

43. Le troisième moyen, proposé pour M. [E], critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de pièces déposée dans son intérêt, visant notamment l'ensemble des actes effectués en ayant recours à des logiciels de rapprochement judiciaire, alors « que les agents visés à l'article 230-25, 1° du code de procédure pénale ne peuvent utiliser des logiciels de rapprochement judiciaire qu'à la condition d'être individuellement désignés et spécialement habilités, pour les seuls besoins des enquêtes dont ils sont saisis, par le magistrat du parquet ou le magistrat instructeur ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler les actes de procédure collectés en ayant eu recours à des logiciels de rapprochement de données par des agents non individuellement désignés, qu'il suffisait que les magistrats ayant autorisé ces opérations désignent le service de police judiciaire pour mener ces investigations, la chambre de l'instruction a méconnu les articles R. 40-40 et 230-25 du code de procédure pénale.

La cassation pourra intervenir sans renvoi. »

Réponse de la Cour

44. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 230-25 et 15-5 du code de procédure pénale :

45. Selon le premier de ces textes, peuvent seuls utiliser les logiciels de rapprochement judiciaire les agents des services désignés par la loi qui sont individuellement désignés et spécialement habilités.

46. Selon le second, la réalité de cette habilitation peut être contrôlée à tout moment par un magistrat, à son initiative ou à la demande d'une personne intéressée, et l'absence de mention en procédure d'une telle habilitation n'emporte pas, par elle-même, nullité de cette procédure.

En conséquence, il appartient à la juridiction saisie en ce sens de vérifier la réalité de cette habilitation en ordonnant, le cas échéant, un supplément d'information.

47. Pour rejeter le moyen de nullité pris du recours, lors des investigations, à des logiciels de rapprochement judiciaire, l'arrêt attaqué énonce qu'il ressort du procès-verbal de saisine du 25 juillet 2018 que les enquêteurs ont été autorisés par le procureur de la République à utiliser de tels logiciels pour les besoins de leur enquête, qu'il ressort encore du procès-verbal établi le 13 février 2020 qu'après l'ouverture de l'information, le juge d'instruction a également donné son accord en ce sens et qu'il n'est pas besoin que figure en procédure une autorisation écrite du magistrat compétent.

48. Les juges estiment qu'en vertu de la saisine de leur service et des autorisations ainsi délivrées, les officiers de police judiciaire de l'OCBC disposaient de la faculté d'utiliser ce type de logiciels sans nécessité d'une habilitation individuelle dès lors que leurs noms apparaissaient en procédure.

49. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

50. En effet, il lui appartenait de procéder au contrôle de l'habilitation spéciale et individuelle des agents pour mettre en oeuvre des logiciels de rapprochement judiciaire, au besoin en ordonnant un complément d'information.

51. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

52. A la suite de la cassation prononcée au paragraphe 41, il appartiendra à la chambre de l'instruction de renvoi de procéder, le cas échéant, aux cancellations par voie de conséquence des procès-verbaux d'audition en qualité de témoin des personnes spécialisées qui pourraient résulter de l'annulation des réquisitions des 8 et 21 juillet 2021 et des rapports déposés en exécution de celles-ci.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 4 novembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives, d'une part, aux réquisitions des 8 et 12 juillet 2021 et aux rapports déposés en exécution de ces réquisitions, d'autre part, au contrôle de l'habilitation spéciale et individuelle des agents ayant mis en œuvre des logiciels de rapprochement judiciaire, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 230-27, 230-25 et 15-5 du code de procédure pénale ; article R. 40-40 du code de procédure pénale.

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