Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DROITS DE LA DEFENSE

Crim., 22 novembre 2023, n° 23-80.575, (B), FRH

Rejet

Garde à vue – Droits de la personne gardée à vue – Notification du droit de se taire – Défaut – Cas – Retranscription de propos tenus par une personne placée en garde à vue avant notification du droit au silence

Les propos tenus par une personne placée en garde à vue avant que son droit de garder le silence lui ait été notifié ne peuvent être retranscrits.

MM. [B] [K] et [S] [O] et le procureur général près la cour d'appel de Nancy ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour d'appel, en date du 5 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre le premier des chefs de tentative de meurtre et refus d'obtempérer, aggravés, et contre le deuxième du chef de complicité de refus d'obtempérer aggravé, a prononcé sur des demandes d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 11 avril 2023, le président de la chambre criminelle a joint les pourvois et prescrit leur examen immédiat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 5 octobre 2021, des fonctionnaires de police sont intervenus pour interpeller MM. [B] [K] et [S] [O], alors respectivement conducteur et passager d'un véhicule. A leur approche, le véhicule a démarré, a percuté et roulé sur un fonctionnaire de police qui tentait de l'interpeller, avant d'être intercepté.

3. Les deux occupants ont été placés en garde à vue, notamment pour tentative de meurtre sur personne dépositaire de l'autorité publique. S'étonnant de la qualification juridique ainsi envisagée, M. [O] a indiqué, lors de la notification de ses droits en garde à vue, avoir craint une agression et avoir demandé, à plusieurs reprises, au conducteur d'accélérer pour fuir.

L'enquêteur a retranscrit cette déclaration dans un procès-verbal de renseignements, distinct du procès-verbal de notification des droits.

4. Le lendemain, le véhicule a été visité, hors la présence des deux personnes en garde à vue, ce qui a permis la découverte de plus de 500 grammes d'héroïne.

5. Le 7 octobre 2021, une information judiciaire a été ouverte. M. [K] a été mis en examen des chefs de tentative de meurtre sur personne dépositaire de l'autorité publique et refus, par le conducteur d'un véhicule, d'obtempérer à une sommation de s'arrêter, dans des circonstances exposant directement autrui à un risque de mort ou d'infirmité, et M. [O] pour complicité de ce dernier délit.

6. Les 6 et 7 avril 2022, MM. [K] et [O] ont sollicité l'annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur les troisième et quatrième moyens proposés pour MM. [K] et [O]

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen proposé par le procureur général

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire et 63-1 du code de procédure pénale.

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé le procès-verbal de renseignement dans lequel l'officier de police judiciaire a recueilli les déclarations spontanées de M. [O] au moment de son placement en garde à vue, au motif qu'il n'avait pas reçu notification de son droit de se taire, alors que ce droit ne constitue pas une interdiction pour l'intéressé de s'exprimer, ni pour l'officier de police judiciaire de consigner des déclarations faites avant la notification de ce droit.

Réponse de la Cour

10. Pour prononcer l'annulation du procès-verbal de renseignement relatant les déclarations spontanées de M. [O], l'arrêt attaqué énonce que son droit au silence et à l'assistance de son avocat ont été méconnus, ces déclarations ayant été faites hors procès-verbal d'audition, alors que l'intéressé se trouvait seul avec les enquêteurs et qu'il n'avait pas renoncé de manière non équivoque à être assisté d'un avocat.

11. Les juges ajoutent qu'aucune raison impérieuse tenant aux circonstances de l'espèce n'autorisait les enquêteurs à recueillir les déclarations spontanées faites par la personne gardée à vue sur les faits, sans procéder à une audition dans le respect des règles légales l'autorisant à garder le silence et à être assistée par un avocat.

12. Ils en concluent qu'il ne pouvait être dressé procès-verbal des déclarations spontanées de la personne gardée à vue, sous peine de méconnaître ses droits au silence et à l'assistance d'un avocat, qui étaient en cours de notification.

13. En prononçant ainsi, et dès lors que les propos tenus par une personne placée en garde à vue avant que son droit de garder le silence lui ait été notifié ne peuvent être retranscrits, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, lequel doit être écarté.

Sur le second moyen proposé par le procureur général

Enoncé du moyen

14. Le moyen est pris de la violation de l'article 57 du code de procédure pénale.

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a annulé la fouille du véhicule effectuée le 6 octobre 2021, en l'absence de MM. [K] et [O], et sans qu'il leur ait été proposé de désigner un représentant pour assister à ces opérations, alors :

1°/ que l'article 57 du code de procédure pénale, qui impose ces obligations, ne s'applique qu'aux perquisitions et non aux fouilles de véhicule ;

2°/ que la chambre de l'instruction a prononcé par des motifs contradictoires, en énonçant que ce texte n'était pas applicable aux fouilles de véhicule, avant de statuer sur ce fondement.

Réponse de la Cour

16. Le demandeur ne saurait critiquer une décision d'annulation d'un acte d'enquête portant sur des faits distincts de ceux objet de l'information ouverte du chef de tentative de meurtre et de refus d'obtempérer aggravé.

17. Il résulte en effet des pièces de la procédure que la fouille du véhicule, le 6 octobre 2021, avait pour seul objet la recherche de produits stupéfiants, faits qui ont été disjoints et ont donné lieu à la condamnation de MM. [K] et [O] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, par jugement non définitif du tribunal correctionnel d'Epinal du 6 mai 2022.

18. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le premier moyen proposé pour MM. [K] et [O]

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande tendant à l'annulation de l'expertise psychiatrique de M. [K], alors « que la personne mise en examen, interrogée par un expert, a le droit de se taire sur les faits qui lui sont reprochés ; qu'en retenant que l'insistance de l'expert face au refus du mis en examen de répondre à ses questions n'est pas de nature à permettre de soutenir que l'expert aurait manqué au droit au silence du mis en examen, à la présomption d'innocence et à son devoir d'impartialité dans la mesure où « les droits de la défense - celui d'être assisté d'un avocat et celui de garder le silence et du droit de ne pas s'auto-incriminer -, ne s'applique pas à d'autres situations que des auditions par des enquêteurs, ou des injonctions de remettre des pièces, ou à des interrogatoires devant des juridictions », la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

20. Pour écarter le moyen de nullité de l'expertise psychiatrique de M. [K], l'arrêt attaqué énonce, que, en application des dispositions de l'article 164, alinéa 3, du code de procédure pénale, l'expert psychiatre avait le droit de poser à la personne mise en examen les questions nécessaires à l'accomplissement de sa mission, hors la présence du juge d'instruction et des avocats.

21. Les juges rappellent que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, ces dispositions ne sont pas incompatibles avec celles de l'article 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme, et ajoutent que les droits de la défense, celui d'être assisté d'un avocat et celui de garder le silence, ne s'appliquent pas à d'autres situations que des auditions par des enquêteurs, ou des injonctions de remettre des pièces, ou à des interrogatoires devant des juridictions.

22. Ils en déduisent que l'insistance face au refus de répondre, par l'expert, qui a par ailleurs averti clairement M. [K] de sa liberté de pouvoir quitter le lieu de l'examen et des conséquences de ce refus d'examen, ne permet pas de soutenir qu'il aurait manqué au devoir d'impartialité ou au respect de la présomption d'innocence.

23. En prononçant ainsi, dès lors que, d'une part, elle a constaté que l'expert n'a pas manqué à son devoir d'impartialité ni au nécessaire respect de la présomption d'innocence et que, d'autre part, la tenue de propos incriminants par une personne mise en examen lors d'une expertise n'est pas de nature à entraîner l'annulation de celle-ci, mais uniquement à empêcher de fonder une condamnation sur lesdits propos, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

24. Dès lors, celui-ci doit être écarté.

Sur le deuxième moyen proposé pour MM. [K] et [O]

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de MM. [K] et [O] tendant à l'annulation de l'examen médico-légal de M. [T], alors « que les dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, qui permet à l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, à l'agent de police judiciaire, de confier des constatations ou des examens techniques et scientifiques à des personnes qualifiées, sont édictées en vue de garantir la fiabilité de la recherche et de l'administration de la preuve ; que l'absence de réquisitions de l'officier de police judiciaire ou, sous le contrôle de ce dernier, de l'agent de police judiciaire, peut être invoquée par toute partie y ayant intérêt ; qu'en retenant que messieurs [K] et [O] seraient irrecevables à invoquer l'inexistence d'une réquisition en lien avec l'examen médico-légal de monsieur [T] lorsqu'elle constatait qu'ils avaient intérêt à en demander la nullité, la chambre de l'instruction a violé l'article 60 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

26. Pour écarter le moyen de nullité de l'expertise médicale de M. [Y] [T], partie civile, l'arrêt attaqué énonce que l'absence de réquisition en vue d'examen médico-légal ne peut être invoquée que par la partie qui y a intérêt dans la mesure où cette absence ne vise pas une règle de compétence ou relative à l'organisation judiciaire et l'administration de la justice, mais constitue davantage un élément faisant corps avec l'examen médico-légal.

27. Les juges ajoutent que l'absence de réquisitions contrevient au seul droit protégé de M. [T], et en concluent que MM. [K] et [O] n'ont pas qualité à agir au regard de l'objet de la formalité dont l'irrégularité est invoquée.

28. C'est à tort que les juges ont retenu que MM. [K] et [O] n'ont pas qualité à agir, dès lors que la méconnaissance des dispositions de l'article 60 du code de procédure pénale, qui garantissent la fiabilité de la recherche de l'administration de la preuve, peut être invoquée par toute partie qui y a intérêt.

29. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que l'examen médical contesté mentionne en en-tête que le médecin a été requis par l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête, en date du 6 octobre 2021 dans le cadre de l'article 60 du code de procédure pénale, lequel n'impose aucune condition de forme, afin d'examiner M. [T], victime principale des faits objets des poursuites.

30. Ainsi, le moyen doit être écarté.

31. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Zribi et Texier -

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