Numéro 11 - Novembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CRIMINALITE ORGANISEE

Crim., 21 novembre 2023, n° 23-82.891, (B), FRH

Rejet

Procédure – Interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications – Recours à la plate-forme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) – Dérogation – Autorisation – Procureur de la République

Lorsque le juge des libertés et de la détention autorise des interceptions judiciaires en application de l'article 706-95 du code de procédure pénale, il résulte de ce texte et de l'article 230-45 dudit code qu'il entre dans les fonctions du procureur de la République de donner à l'officier de police judiciaire, placé sous son autorité, l'autorisation de déroger, en cas d'impossibilité technique, au recours à la plate-forme nationale des interceptions judiciaires pour leur exécution.

M. [S] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 24 février 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les armes, association de malfaiteurs, en récidive, et recel en bande organisée, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 12 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [S] [B] a été mis en examen le 17 décembre 2021 et supplétivement le 8 mars 2022 des chefs précités.

3. Le 17 juin 2022, l'avocat de M. [B] a saisi la chambre de l'instruction d'une requête en annulation d'actes de la procédure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en annulation de M. [B] et plus précisément le moyen tiré de l'irrégularité de la pose du dispositif de captation, fixation, transmission et enregistrement de l'image des personnes dans le parking souterrain sis [Adresse 1] à [Localité 4] et en particulier à l'intérieur du box 88-89 en dehors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale, alors :

« 2°/ qu'il résulte de la combinaison des articles 706-95-12, 706-96-1 et 59 du code de procédure pénale que l'autorisation que peut donner le juge des libertés et de la détention pour l'introduction dans un lieu privé en dehors des heures prévues à l'article 59 pour la mise en place d'un dispositif de captation d'images doit être expresse notamment en ce qu'elle permet cette introduction et cette mise en place entre 21 heures et 6 heures ; qu'au cas d'espèce, il ressortait des éléments de la procédure que le dispositif contesté avait été posé entre 23 heures et 6 heures alors même que l'autorisation du juge des libertés ne donnait pas d'autorisation d'introduction et de pose à un tel horaire ; qu'en retenant, pour refuser de faire droit à la demande d'annulation, que « la loi prévoit que cette autorisation permet aux enquêteurs de s'introduire dans les lieux susvisés y compris hors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale », quand le contrôle effectif de l'atteinte au droit au respect de la vie privée susceptible d'être causé par une telle mesure suppose que le juge des libertés et de la détention autorise spécifiquement l'introduction de nuit dans un lieu privé aux fins de sa mise en œuvre, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-96, 706-95-12, 706-96-1, 59, 591 et 593 du code de procédure pénal. »

Réponse de la Cour

6. Pour rejeter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que la pose du dispositif technique de captation, fixation, transmission et enregistrement d'images effectuée par les enquêteurs s'étant transportés sur les lieux après 23 heures est régulière puisque le juge des libertés et de la détention a autorisé les officiers et agents de police judiciaire à s'introduire dans le box, à l'insu ou sans le consentement de l'occupant des lieux ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci et à la seule fin de mise en place du dispositif, et que la loi prévoit que cette autorisation permet aux enquêteurs de s'introduire dans les lieux concernés y compris hors des heures prévues à l'article 59 du code de procédure pénale.

7. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas méconnu les textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

8. D'une part, selon l'article 706-96-1 du code de procédure pénale, au cours de l'enquête préliminaire et en vue de mettre en place le dispositif technique mentionné à l'article 706-96 dudit code ou de le désinstaller, le juge des libertés et de la détention peut autoriser l'introduction dans un véhicule ou un lieu privé, y compris hors des heures prévues à l'article 59 de ce même code, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou du possesseur du véhicule ou de l'occupant des lieux ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci.

9. L'autorisation donnée par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, prise au visa de la requête du ministère public reprenant les termes de l'article 706-96-1 précité et sur son fondement, implique, par la seule application de ce texte, la possibilité de procéder à l'opération de mise en place ou de retrait du dispositif, y compris entre 21 heures et 6 heures, sans nécessiter une autorisation spécifique en ce sens.

10. D'autre part, par son ordonnance écrite, motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant la nécessité de l'opération critiquée conformément à l'article 706-95-13 du code de procédure pénale et comportant tous les éléments prévus à l'article 706-97 dudit code permettant d'identifier les lieux privés visés en l'espèce, l'infraction qui motive la mesure ainsi que la durée de celle-ci, le juge des libertés et de la détention a assuré le contrôle effectif de l'atteinte susceptible d'être causée par une telle mesure.

11. En conséquence, le grief doit être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de M. [B] et plus particulièrement le moyen tiré de l'irrégularité des opérations de « constatations visuelles » opérées au sein du box 88-89 situé dans le parking souterrain sis [Adresse 1] à [Localité 4], alors :

« 1°/ que les enquêteurs ne peuvent, sur la base d'une autorisation de pose d'un dispositif de captation d'images, effectuer d'autres actes d'enquêtes ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que sous couvert de l'autorisation de pose d'un dispositif de captation d'images dans le box de [Localité 4], les enquêteurs avaient « examiné l'intérieur du box » à l'aide des « moyens mis à leur disposition », ce qui excédait le champ de l'autorisation ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation soulevé de ce chef, que « les fonctionnaires de police n'ont effectué que de simples constations visuelles ou observations, leur permettant d'installer le dispositif technique autorisé par le juge des libertés et de la détention », la chambre de l'instruction, qui a dénaturé les éléments de la procédure en sa possession, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-96, 706-96-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que les enquêteurs ne peuvent, sur la base d'une autorisation de pose d'un dispositif de captation d'images, effectuer d'autres actes d'enquêtes ; qu'au cas d'espèce, la défense faisait valoir que sous couvert de l'autorisation de pose d'un dispositif de captation d'images dans le box de [Localité 4], les enquêteurs avaient « examiné l'intérieur du box » à l'aide des « moyens mis à leur disposition », ce qui excédait le champ de l'autorisation ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation soulevé de ce chef, que « les enquêteurs n'ont procédé à aucune perquisition ni fouille sommaire à l'intérieur de ce box », motif impropre à écarter l'atteinte à la vie privée résultant de ce détournement de procédure, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-96, 706-96-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter le moyen de nullité tiré des constatations visuelles, l'arrêt attaqué retient que M. [B] ne justifie d'aucun grief puisqu'il résulte du procès-verbal du 28 juin 2021 contesté que les simples constatations visuelles ou observations ont été réalisées afin de permettre d'installer le dispositif technique de captation d'images autorisé par ordonnance écrite et motivée du juge des libertés et de la détention, en date du 25 juin 2021, à l'intérieur du box 88-89 situé dans le parking souterrain du [Adresse 1] à [Localité 4].

14. Les juges ajoutent que les enquêteurs n'ont procédé à aucune perquisition ni fouille sommaire à l'intérieur de ce box.

15. En statuant ainsi, et dès lors que l'officier de police judiciaire s'est limité à transcrire ses constatations visuelles faites à l'ouverture du box, régulièrement autorisée par le juge des libertés et de la détention dans les conditions fixées par l'article 706-96-1 du code de procédure pénale, préalablement à la mise en place du dispositif technique et sans qu'aucun détournement de procédure ne soit établi, la chambre de l'instruction a légalement justifié sa décision sans dénaturer les pièces du dossier ni méconnaître les dispositions conventionnelles et légales invoquées.

16. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

17. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête en nullité de M. [B], en particulier le moyen relatif à l'irrégularité des interceptions téléphoniques mises en œuvre via les prestataires de service « [3] » et « [2] », alors :

« 1°/ que le recours à une plate-forme autre que la PNIJ pour la transmission des réquisitions et demandes adressées en application des articles 100 à 100-7 et 706-95 du code de procédure pénale est subordonné à une autorisation du juge des libertés et de la détention ; qu'en affirmant qu'une telle autorisation « entrait dans les attributions du procureur de la République », la chambre de l'instruction a violé les articles 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le recours à une plate-forme autre que la PNIJ pour la transmission des réquisitions et demandes adressées en application des articles 100 à 100-7 et 706-95 du code de procédure pénale est subordonné à une impossibilité de recourir à la PNIJ ; qu'en se bornant, pour dire régulier le recours à la plate-forme [3], que la demande des enquêteurs au procureur de la République faisait était motivée par la circonstance que « l'utilisation du système [3] permet une exploitation et une analyse des données data que ne permet pas la PNIJ », sans constater que le procureur de la République se serait approprié le constat d'une telle impossibilité technique, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 230-45, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

18. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que l'autorisation de recourir aux prestations de la société [3] a été expressément donnée par le procureur de la République aux enquêteurs le 4 juin 2021, dans le cadre de l'enquête préliminaire, en application des dispositions de l'article 77-1-1 du code de procédure pénale.

19. Les juges ajoutent que le procureur de la République a repris à son compte, dans son autorisation de recourir à la société [3], l'impossibilité technique résultant du fait que la plate-forme nationale des interceptions judiciaires ne pouvait pas réaliser l'exploitation et l'analyse des données en DATA nécessaires à l'enquête.

20. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

21. En premier lieu, l'autorisation d'interception, d'enregistrement et de transcription de correspondances par la voie de communications électroniques a été prise par le juge des libertés et de la détention en application de l'article 706-95 du code de procédure pénale, lequel prévoit que, pour l'application des dispositions des articles 100-3 à 100-5 et 100-8 du même code et l'exécution de la mesure, les attributions confiées au juge d'instruction ou à l'officier de police judiciaire commis par lui sont exercées par le procureur de la République.

22. En deuxième lieu, selon l'article 230-45 du code de procédure pénale, sauf impossibilité technique, les réquisitions et demandes adressées notamment en application des articles 100 à 100-7, et 706-95 dudit code, sont transmises par l'intermédiaire de la plate-forme nationale des interceptions judiciaires qui organise la centralisation de leur exécution.

23. Il résulte de ces textes qu'il entre dans les fonctions du procureur de la République de donner à l'officier de police judiciaire, placé sous son autorité, l'autorisation de déroger à l'article 230-45 précité.

24. Dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté.

25. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Chaline-Bellamy - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 77-1-1, 230-45, 591, 593 et 706-95 du code de procédure pénale.

Crim., 8 novembre 2023, n° 23-81.636, (B), FRH

Rejet

Procédure – Sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Installation d'un dispositif de vidéosurveillance dans les parties communes d'un immeuble par le propriétaire

La technique d'enquête prévue à l'article 706-96 du code de procédure pénale suppose la mise en place, par les enquêteurs, d'un dispositif technique installé à l'insu des personnes surveillées, de sorte que le dispositif de vidéosurveillance installé par le propriétaire dans les parties communes de son immeuble échappe aux prévisions de ce texte.

L'article 77-1-1 du même code n'interdit pas à l'officier de police judiciaire de requérir un propriétaire en vue d'obtenir des images, issues de ce dispositif, qui n'ont pas encore été enregistrées.

M. [P] [I] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 15 mars 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment, association de malfaiteurs et refus de remettre aux autorités judiciaires ou de mettre en œuvre la convention secrète de déchiffrement d'un moyen de cryptologie, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance en date du 30 mai 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les fonctionnaires de la police judiciaire de [Localité 2], informés de ce que des transactions de produits stupéfiants avaient lieu dans le parking d'un immeuble géré par un bailleur social, ont requis ce dernier, le 9 mars 2020, sur autorisation du procureur de la République, afin d'accéder aux parties communes.

3. Le même jour, le bailleur les a autorisés, pour une durée d'un an, à accéder aux images enregistrées dans son installation de vidéosurveillance.

4. Ce droit d'accès a été renouvelé, dans les mêmes formes et pour la même durée, le 4 janvier 2021.

5. L'exploitation de ces images a confirmé la mise en cause de quatre personnes, dont M. [P] [I], qui, après ouverture d'une information judiciaire le 21 octobre 2021, ont été mises en examen des chefs susvisés.

6. Par requête déposée le 12 avril 2022, M. [I] a sollicité l'annulation de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le second moyen

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure et constaté la régularité de la procédure pour le surplus, alors :

« 1°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler cette mesure, que « la communication des enregistrements des caméras de surveillance installées par le propriétaire ou le gestionnaire d'un ensemble d'habitations dans les parties communes de l'immeuble concerné n'est pas assimilable à un procédé de captation d'images relevant de l'article 706-96 du code de procédure pénale », quand le pouvoir de réquisition des officiers de police judiciaire les autorise à obtenir communication des enregistrements des caméras de surveillance, sans pour autant leur permettre d'exploiter des images postérieures aux réquisitions ainsi formulées, ni de traiter en direct le flux vidéo des caméras ainsi exploitées sur une large période de temps, laquelle mesure s'assimile davantage à une captation d'images pour l'avenir qui suppose alors l'autorisation et le contrôle d'un juge, gardien des libertés fondamentales, la chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 706-96, 706-95-12, 77-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en retenant, pour refuser d'annuler cette mesure, que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était nécessaire et proportionnée, sans rechercher avant tout si cette atteinte était légale, ce qu'elle n'était pas, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure, à retenir que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était abstraitement nécessaire « eu égard à la nature et à la gravité des faits poursuivis et eu égard au profil des protagonistes du dossier », quand il résulte de ses propres constatations que les surveillances opérées par les enquêteurs et l'exploitation ponctuelle d'images préenregistrées suffisaient à rechercher la preuve des faits reprochés aux mis en cause, de sorte que la nécessité de requérir, ab initio et pour l'avenir, un accès sans limite à toutes les images futures qui seraient captées par les caméras litigieuses pendant 16 mois, n'était pas établie, la chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que le fait pour les enquêteurs de solliciter le bailleur social d'un immeuble afin d'obtenir non seulement la communication des images que les caméras de cet immeuble ont pu enregistrer par le passé, mais encore un accès continu et pour l'avenir aux images de vidéosurveillance de cet immeuble, s'analyse en une mesure de captation, fixation, transmission ou enregistrement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé, laquelle doit nécessairement être autorisée par un juge ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que les enquêteurs ont, sur la base de simples réquisitions et sans autorisation judiciaire, accédé pour l'avenir et de manière continue aux images de vidéosurveillances de l'immeuble sis [Adresse 1] ; que la défense faisait valoir qu'une telle mesure était irrégulière et portait atteinte à la vie privée de l'exposant, dont l'image avait été captée par les caméras de vidéosurveillances auxquelles il avait ainsi été accédé ; qu'en se bornant, pour refuser d'annuler cette mesure, à retenir que l'atteinte à la vie privée dénoncée par l'exposant était proportionnée en ce que « pour la période de 9 mois de l'année 2020, seulement 7 jours ont donc été exploités » et que « pour les 7 mois de l'année 2021 concernés par la réquisition, 27 jours ont été exploités, lors desquels [P] [I] apparaît 17 jours » quand il importe que les autres images n'aient pas été effectivement exploitées - ou, plus exactement, qu'elles n'aient pas fait l'objet d'un procès-verbal d'exploitation... -, l'accès à ces plus de 10.000 heures d'images constituant à lui seul une atteinte à la vie privée de l'exposant dès lors que celui-ci est apparu, même ponctuellement, sur celles-ci, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à justifier la proportionnalité de la mesure critiquée, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

9. Pour écarter le moyen de nullité, l'arrêt attaqué énonce que la communication aux enquêteurs, et l'exploitation par ces derniers, des enregistrements des caméras de surveillance installées par le propriétaire ou le gestionnaire d'un ensemble d'habitations, dans les parties communes de l'immeuble concerné, n'est pas assimilable à un procédé de captation d'images relevant de l'article 706-96 du code de procédure pénale.

10. Les juges ajoutent que le système de vidéosurveillance était en place et fonctionnait préalablement aux réquisitions délivrées par les enquêteurs au propriétaire, en vertu de l'autorisation générale qui leur avait été délivrée à cette fin par le procureur de la République.

11. Ils estiment que le fait que les enquêteurs aient inscrit dans le temps et pour les mois à venir leur demande de mise à disposition des enregistrements de vidéosurveillance n'est pas plus critiquable puisque, d'une part, cette installation technique était permanente, antérieure aux réquisitions des enquêteurs et était faite pour fonctionner au-delà de ces réquisitions et sans lien avec celles-ci, d'autre part, les enregistrements étaient de toute façon conservés par le propriétaire et à sa seule initiative.

12. Ils précisent que, eu égard à la gravité des infractions poursuivies, caractérisée par l'ampleur et la durée du trafic, la nature des produits concernés, et l'existence d'une organisation structurée avec de nombreux protagonistes dont certains déjà condamnés à de multiples reprises, l'exploitation des vidéosurveillances critiquées, qui ne portent que sur sept jours en 2020 et vingt-sept jours en 2021, dont seulement dix-sept concernent M. [I], constitue une atteinte à sa vie privée non seulement justifiée pour permettre la manifestation de la vérité, mais aussi proportionnée à un trafic de stupéfiants de cette ampleur.

13. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, la technique d'enquête prévue à l'article 706-96 du code de procédure pénale suppose la mise en place, par les enquêteurs, d'un dispositif technique installé à l'insu des personnes surveillées, de sorte que le dispositif de vidéosurveillance installé par le propriétaire dans les parties communes de son immeuble échappe aux prévisions de ce texte.

15. En deuxième lieu, l'article 77-1-1 du même code n'interdit pas à l'officier de police judiciaire de requérir un propriétaire en vue d'obtenir des images, issues de ce dispositif, qui n'ont pas encore été enregistrées.

16. En troisième lieu, il résulte des motifs de la chambre de l'instruction que l'atteinte ainsi portée à la vie privée des personnes concernées était prévue par l'article 77-1-1 précité, justifiée par la recherche des infractions pénales, et proportionnée à la gravité de celles-ci.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : M. Courtial - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 77-1-1 et 706-96 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de nécessité d'obtenir, pour des policiers consultant sur place des images issues du système de vidéosurveillance d'une société d'autoroute avec l'accord de celle-ci, l'autorisation préalable du procureur de la République : Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.068 (cassation partielle), Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.069 (rejet) et Crim., 9 février 2016, pourvoi n° 15-85.070, Bull. crim. 2016, n° 32 (cassation partielle).

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