N°31 - Juin 2023 (Editorial)

Lettre de la chambre criminelle

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Appel / Audience correctionnelle / Circulation routière / Comparution immédiate / Mineurs / Nullités / Peines / Prescription / QPC).

  • Pénal
  • appel correctionnel ou de police
  • juridictions correctionnelles
  • circulation routière
  • comparution immédiate
  • mineur
  • peines
  • prescription

EDITORIAL

Jean-Christophe SAINT-PAU

Professeur à l’Université de Bordeaux,

Directeur du collège Droit, science politique, économie, et gestion,

Président de l’association française de droit pénal,

Président de la conférence des doyens.           

 

Le 25 mai 2023 se sont déroulées les deuxièmes rencontres de la chambre criminelle où se sont associés des magistrats, des avocats aux conseils et des universitaires, autour de deux tables rondes consacrées à des analyses et à des réflexions prospectives sur deux arrêts sélectionnés. Cet espace de dialogue interprofessionnel a été initié par le président Christophe Soulard, le 12 mai 2022, à la suite d’une suggestion formulée au sein de l’Association française de droit pénal. Il revient au président Nicolas Bonnal d’avoir pérennisé ces échanges, en améliorant le cadre de dialogue, notamment en identifiant des questions à soumettre aux universitaires.

De l’avis unanime des participants, ces rencontres sont un succès. Elles témoignent d’abord d’un rapprochement entre l’école et le palais, entre les professeurs et les juges. La lettre de la chambre criminelle a d’ailleurs déjà souligné, sous un autre angle, ce mouvement réciproque des « professeurs-juges » (B. de Lamy, Lettre n° 19 - Avr. 2022) et des « juges-professeurs » (L. Ascensi, Lettre n° 23 - Oct. 2022) qui est une richesse pour nos deux institutions, avec cependant une différence : un professeur est détaché dans la magistrature et n’exerce plus son activité d’enseignement et de recherche ; un magistrat est associé à une université et conserve son activité juridictionnelle. De là, il pourrait être proposé à nos deux ministères de réfléchir à un statut du professeur-magistrat qui, à l’instar du professeur d’université-praticien hospitalier (PU-PH), serait chargé d’une mission académique et juridictionnelle et participerait ainsi à la professionnalisation des études de droit et à la conceptualisation de la jurisprudence.

Les rencontres de la chambre criminelle incarnent ensuite une doctrine pénale qui se construit sur des questions de société, en usant des compétences complémentaires des juges qui décident, des avocats qui défendent et des universitaires qui critiquent (au sens de ceux qui n’acceptent aucune assertion sans s’interroger sur sa valeur).

La contribution des universitaires à la doctrine pénale est classique en amont de la décision de justice ; il suffit de lire certains rapports de conseillers et avis d’avocats généraux, nourris d’opinions doctrinales, pour s’en convaincre. Mais la nouvelle motivation enrichie des arrêts de la Cour de cassation déplace cette influence au cœur des décisions qui s’approprient la doctrine universitaire. Un bel exemple récent se trouve dans l’arrêt d’assemblée plénière du 20 janvier 2023 (Arrêt n° 664 B+R), qui apporte une définition de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par loi ou le règlement au sens de l’article 223-1 du code pénal. Cet arrêt indique que cette obligation doit être « immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d'appréciation personnelle du sujet ». Or cette définition prétorienne correspond trait pour trait à la définition doctrinale du professeur Yves Mayaud que le premier avocat général Desportes qualifie « d’inspirateur » dans son avis (note n° 39).

De l’inspiration à la proclamation, il n’y a qu’un pas à franchir. A l’instar des décisions de justice allemande, la Cour de cassation pourrait enrichir sa motivation de références doctrinales qui participent à la construction de sa jurisprudence. Cette pratique augmenterait la légitimité et la prévisibilité de la décision qui sont d’abord formelles en ce qu’elles s’appuient sur des sources textuelles, et désormais sur la jurisprudence interne et européenne qui est référencée au sein de l’arrêt. La légitimité et la prévisibilité deviennent substantielles si la décision se fonde sur la rationalité et l’authenticité des analyses doctrinales accessibles, qui expriment différents points de vue. En les exprimant, puis en tranchant pour une position qui transforme l’opinion en vérité judiciaire, la décision augmenterait sa normativité.

           

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