N°7 - Juin 2022 (Propriété industrielle)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Banque / Cautionnement / Concurrence déloyale ou illicite / Contrats et obligations conventionnelles / Distribution / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Propriété industrielle / Sociétés civiles et commerciales / Transports maritimes).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°7 - Juin 2022 (Propriété industrielle)

Marques - Nullité pour atteinte à un droit antérieur - Nom de domaine – Transfert

Com, 6 avril 2022, pourvoi n° 17-28.116

L’arrêt apporte des précisions sur plusieurs points en droit des marques et précise le régime juridique des droits qu’un titulaire détient sur un nom de domaine.

 

Peut-il y avoir tolérance d’une marque dont il n’est pas fait usage ?

Celui qui considère qu’une marque porte atteinte à ses droits antérieurs ne peut plus agir en nullité s’il en a toléré l’usage pendant plus de cinq ans (article L. 714-3, alinéa 4, du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2019-1169 du 13 novembre 2019).

Encore faut-il qu’il y ait eu un usage.

Comme l’a précisé la Cour de justice de l’Union européenne dans une affaire où le droit antérieur invoqué était une marque, la notion de « tolérance » implique l’inaction du titulaire de la marque première en présence d’une situation à laquelle il aurait la possibilité de s’opposer, ce qui suppose un usage honnête, bien établi et de longue durée de la marque postérieure (CJUE, 29 mars 2011, Budejovický Budvar, C-96/09, points 44 et 45).

L’arrêt commenté s’inscrit dans cette jurisprudence dont la Cour de cassation fait une application régulière : dans la mesure où la seule publication de l'enregistrement de la marque seconde ne suffit pas à établir la tolérance du titulaire de la marque première (Com., 15 juin 2010, pourvoi n° 08-18.279), il est nécessaire d’en démontrer l’usage après son enregistrement (Com., 28 mars 2006, pourvoi n° 05-11.686, Bull. 2006, IV, n° 82).

La charge de la preuve incombe au titulaire de la marque attaquée et non à celui qui agit en nullité.

 

Un Etat peut-il interdire l’usage du nom du pays dans une marque déposée ?

Dans ce litige, qui met en cause les marques semi-figuratives françaises

Deux logos "France.com" représentant l'hexagone

le droit antérieur invoqué était le nom « France ».

La cour d’appel a retenu que ces marques portaient atteinte aux droits de l’Etat français sur le nom France, qui constitue l’un de ses éléments d’identité, au motif qu’il existait un risque de confusion entre les produits ou services pour lesquels ces marques étaient enregistrées et ceux émanant de l'État français ou à tout le moins d'un service officiel bénéficiant de sa caution. Selon l’arrêt, ce risque de confusion était renforcé par la représentation stylisée des frontières géographiques de la France au sein de la marque semi-figurative tandis que le suffixe «.com », simple extension évoquant une accessibilité sur internet, n’était pas de nature à modifier la perception du signe par le public.

Le pourvoi attaque cet arrêt en soutenant que le nom France ne confère pas à l’Etat un droit antérieur lui permettant de s’opposer à l’enregistrement d’une marque contenant ce mot.

La Cour de cassation rappelle au contraire que l'énumération des droits antérieurs, visés par l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, n’est pas exhaustive. En effet, la directive 2008/95 /CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dont il assure la transposition, prévoit qu’un Etat membre peut interdire l’enregistrement ou l'usage d’une marque en vertu d'un droit antérieur, notamment d'un droit au nom, d'un droit à l'image, d'un droit d'auteur, d'un droit de propriété industrielle. Il peut donc être porté atteinte à un autre droit, non prévu dans cette liste, de nature à justifier l’annulation de la marque attaquée.

C’est ainsi, par exemple que la Cour de cassation a admis que le nom de domaine faisait partie des droits antérieurs pouvant être opposés (Com., 25 janv. 2017, n° 15-20.151), ainsi que le nom d’un lieu-dit (Com., 6 mai 2008, n° 06-22.144).

Cette interprétation ne faisant aucun doute au regard de la clarté des dispositions de la directive précitée, la chambre commerciale décide de ne pas transmettre à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle proposée par les parties.

Compte tenu de cette atteinte au droit antérieur de l’Etat français sur le nom France, la Cour de cassation approuve l’arrêt de prononcer la nullité des marques semi-figuratives « France.com ».

Si le caractère descriptif ou trompeur de la marque n’étaient pas dans le débat devant la Cour de cassation, l’actualité de la question des marques constituées du nom d’un pays est illustrée par une décision récente du Tribunal de l’Union européenne du 23 février 2022 Govern d'Andorra / EUIPO (Andorra), T-806/19.

 

Le transfert d’un nom de domaine ordonné par décision de justice porte-t-il atteinte au droit de propriété ?

Outre les marques récemment acquises, la société France.com était titulaire du nom de domaine « france.com », enregistré aux Etats-Unis, qu’elle avait exploité pendant plusieurs années en proposant un site internet dédié au tourisme en France. Ayant cessé toute exploitation de ce site en raison de sa baisse d’activité, elle a décidé de vendre le nom de domaine, après le refus de l’Etat français et du groupement d’intérêt économique Atout France de le racheter. Dans le cadre du litige relatif aux marques françaises « France.com », l’Etat français a demandé le transfert à son profit du nom de domaine, désormais inexploité et offert à la vente.

La cour d’appel a fait droit à cette demande de transfert, en relevant que la société France.com avait cessé d’exploiter son site internet accessible à l’adresse « www.france.com », avant de mettre en vente le seul nom de domaine « france.com ». Elle a encore retenu que la possibilité de créer des adresses mails associées à ce nom de domaine conférait à son titulaire un accès privilégié et monopolistique au détriment des autres opérateurs, ce qui était d’ailleurs utilisé comme argument commercial par le mandataire chargé de la vente du site litigieux, qui vantait l’apparente confiance et crédibilité de cette adresse pouvant être attribuée à un service de l’Etat français ou à un tiers autorisé.

La société France.com invoquait une atteinte au droit au respect de ses biens et à son droit de propriété.

La Cour de cassation énonce que si l’usage d’un nom de domaine peut être cédé ou faire l’objet d’une protection en droit interne, c’est à la condition qu’il ne porte pas atteinte aux droits des tiers. En l’espèce, en raison de l’atteinte aux droits de l’Etat français, les conditions de mise en vente du nom de domaine « france.com », dont l’exploitation avait cessé et dont le but était de créer une apparence officielle à ce nom de domaine, étaient illicites. La société France.com ne pouvait donc se prévaloir d’un bien protégé au sens de l’article 1 du Protocole n° 1 précité.

La Cour de cassation énonce en outre que le titulaire d’un nom de domaine ne bénéficie pas d’un droit de propriété au sens des articles 544 et 545 du code civil.

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