N°7 - Juin 2022 (Transports maritimes)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Banque / Cautionnement / Concurrence déloyale ou illicite / Contrats et obligations conventionnelles / Distribution / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Propriété industrielle / Sociétés civiles et commerciales / Transports maritimes).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°7 - Juin 2022 (Transports maritimes)

Marchandises - Responsabilité - Action en responsabilité - Action du chargeur contre le transporteur - Recevabilité - Conditions - Existence d'un préjudice (non)

Com., 23 mars 2022, pourvoi n° 19-16.466

Le chargeur est-il recevable à exercer une action en responsabilité contre le transporteur maritime ?

Dans l’affaire rapportée, une société mexicaine a vendu à une société néerlandaise des avocats dont elle a confié le transport maritime à une société qui a émis des lettres de transport maritime mentionnant le vendeur en qualité de chargeur et l’acheteur en qualité de destinataire. La marchandise ayant subi une avarie au cours du transport, le chargeur a exercé une action en responsabilité contre le transporteur maritime en se prévalant d’un préjudice résultant de la privation de la commission prévue par les contrats de vente conclus à la commission. Cette action a été déclarée irrecevable par la cour d’appel qui, après avoir énoncé que le chargeur peut agir en indemnisation contre le transporteur maritime à condition d’avoir subi un préjudice et d’en justifier, a estimé que les éléments de preuve ne permettaient pas d’établir que le chargeur avait supporté, même partiellement, les conséquences des avaries à la marchandise.

La recevabilité de l’action en responsabilité engagée par une partie contre son cocontractant s’apprécie, notamment, au regard des conditions posées par l’article 31 du code de procédure civile aux termes duquel : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt légitime. ».

Si, en application de ce texte, dans le cas des actions dites « banales », le plaideur doit justifier d’un intérêt à agir, lequel peut être défini comme « l’avantage pécuniaire ou moral [qu’il] souhaite retirer de son action »1, la Cour de cassation juge que « l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, et que l'existence du préjudice invoqué par le demandeur n'est pas une condition de recevabilité de son action mais de son succès » (2e Civ., 6 mai 2004, pourvoi n° 02-16.314, Bull., 2004, II, n° 205, 1re Civ., 2 novembre 2005, pourvoi n° 02-17.697, Bull. 2005, I, n° 394, 3e Civ., 23 juin 2016, pourvoi n° 15-12.158).

En se fondant sur le défaut de preuve de l’existence d’un préjudice pour déclarer irrecevable l’action en responsabilité engagée contre le transporteur maritime, l’arrêt de la cour d’appel, qui a subordonné l’intérêt à agir à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action, encourait inévitablement la cassation.

Au-delà du rappel de cette règle essentielle régissant le procès civil, c’est aussi en droit maritime que l’arrêt rapporté présente un intérêt majeur car il consacre l’analyse contractuelle de l’action en responsabilité du chargeur contre le transporteur maritime, en précisant, dans un obiter dictum, que « le chargeur tenant son droit d'action en responsabilité contractuelle du contrat de transport et non du document qui le constate, il n'y a pas lieu, pour apprécier l'ouverture de ce droit, de distinguer selon que le transport a donné lieu à l'émission d'un connaissement ou d'une lettre de transport maritime, ni selon que le chargeur est identifié ou non sur ces documents. »

Il convient de rappeler, qu’à la différence de la lettre de transport maritime, instrumentum choisi par les parties en l’espèce, le connaissement, autre titre de transport maritime que l’on rencontre fréquemment en pratique, a pour fonction de représenter la marchandise, ce dont il résulte qu’il peut être transmis par voie d’endossement et que son titulaire, qui dispose de la possession de la marchandise, est seul en droit d’en exiger la livraison. En raison de la valeur documentaire de ce titre, l’apparentant à un titre cambiaire, la chambre commerciale a, jusqu’à un arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 22 décembre 1989, réservé l’action en responsabilité contre le transporteur maritime au seul titulaire légitime du connaissement. L’Assemblée plénière a abandonné cette solution en jugeant que « si l'action en responsabilité, pour pertes ou avaries, contre le transporteur maritime, n'appartient qu'au dernier endossataire du connaissement à ordre, cette action est ouverte au chargeur lorsque celui-ci est seul à avoir supporté le préjudice résultant du transport ». La jurisprudence a continué à évoluer pour ouvrir l’action contre le transporteur au destinataire réel alors même qu’il n’apparaît pas au connaissement (Com., 7 juillet 1992, pourvoi n° 90-14.151, Bulletin 1992 IV n° 268Com., 7 juillet 1992, pourvoi n° 90-14.151, Bulletin 1992 IV N° 268), puis au chargeur réel (Com., 13 décembre 1994, pourvoi n° 92-21.976) mais à condition qu’ils justifient avoir exclusivement subi le dommage. Puis, par un arrêt du 19 décembre 2000, la Cour de cassation a abandonné l’exigence du caractère exclusif du préjudice subi par le chargeur (Com., 19 décembre 2000, pourvoi n° 98-12.726, Bulletin civil 2000, IV, n° 208). Désormais, la recevabilité de l’action en responsabilité du chargeur contre le transporteur maritime s’apprécie au regard des règles de droit commun.


1S. Amrani Mekki, Y. Strickler, Procédure civile, PUF, 1ère édition, 2014, n°61

Marchandises - Transport international - Convention de Bruxelles du 25 août 1924 - Limitation - Indemnité - Colis ou unité - Constatation nécessaire

Com., 23 mars 2022, pourvoi n° 19-19.103

Comment se détermine la limitation de responsabilité du transporteur maritime en cas de transport sous connaissement d’une marchandise conteneurisée ?

En vertu de l’article 4.5 de la Convention de Bruxelles originaire du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement, sauf déclaration de valeur, le transporteur maritime n’est pas tenu des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant pour une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou l'équivalent de cette somme en autre monnaie.

Cette référence au colis ou à l’unité ayant posé d’importantes difficultés avec le développement du transport de marchandises par conteneurs, la Convention de Bruxelles a été révisée par un Protocole de 1968 ajoutant un nouveau mode de calcul de la limitation de responsabilité du transporteur maritime par référence au kilogramme de poids brut de marchandise. Ainsi, depuis un Protocole de 1979, fixant les montants de limitation en Droit de tirage spécial (DTS), la limitation de responsabilité du transporteur maritime se chiffre à 666,67 DTS par colis ou unité ou 2 DTS par kilo, la limite la plus élevée étant applicable.

Cette règle, qui régit tant les transports maritimes relevant de la Convention de Bruxelles de 1924, telle qu’amendée par les Protocoles de 1968 et 1979, que les transports maritimes soumis au droit français, ne peut toutefois recevoir application lorsque la Convention de Bruxelles demeure applicable dans sa version d’origine. Tel était le cas en l’espèce. Cinquante-six mille épis de maïs, d’un poids total de 19 040 kilos ont été expédiés depuis un port du Sénégal, Etat n’ayant pas ratifié les Protocoles de 1968 et 1979. La marchandise, transportée en vrac dans un conteneur, ayant été endommagée, une action en responsabilité a été engagée contre le transporteur maritime. La cour d’appel a estimé que les épis de maïs étant empotés en vrac dans le conteneur, sans être conditionnés dans des cartons, des caisses ou des sacs pouvant être individualisés et manutentionnés séparément, ils constituaient un colis ou une unité unique au sens de la Convention de 1924 originaire.

Ce raisonnement a été censuré par l’arrêt rapporté qui, d’une part, exclut l’assimilation, par principe, d’un conteneur à un colis et, d’autre part, impose aux juges du fond de rechercher si les parties se sont référées à une unité de fret et, dans l’affirmative, d’appliquer cette unité.

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