N°7 - Juin 2022 (Distribution)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Banque / Cautionnement / Concurrence déloyale ou illicite / Contrats et obligations conventionnelles / Distribution / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Propriété industrielle / Sociétés civiles et commerciales / Transports maritimes).

  • Economie
  • banque
  • cautionnement
  • concurrence déloyale ou illicite
  • contrats et obligations conventionnelles
  • contrats de distribution
  • entreprise en difficulté (loi du 26 juillet 2005)
  • propriété industrielle
  • droit des sociétés
  • transports maritimes

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°7 - Juin 2022 (Distribution)

Réseaux de distribution commerciale - Clause restreignant la liberté d'exercice de l'activité commerciale - Loi nouvelle - Application dans le temps

Com. 16 fév. 2022, n°20-20.429

L'article L. 341-2 du code de commerce issu de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques est-il applicable aux clauses de contrats de distribution conclus avant l'entrée en vigueur de cette loi ?

L'application dans le temps de ce nouveau texte, qui répute non écrites les clauses ayant pour effet, après l'échéance ou la résiliation d'un contrat de distribution, de restreindre la liberté d'exercice de l'activité commerciale de l'exploitant, a donné lieu à des solutions divergentes de la part des juges du fond.

Dans l'affaire commentée, deux ex-franchisés d'un réseau de lavage de véhicules automobiles contestaient, sur le fondement de ce texte, la validité de la clause leur interdisant d'utiliser certaines couleurs emblématiques du réseau après la fin du contrat, survenue en juin 2008. La cour d'appel avait réputé ladite clause non écrite en faisant application de l'article L. 341-2 du code de commerce issu de la loi précitée.

Le pourvoi soutenait que cette loi ne pouvait remettre en cause la validité d'une clause d'un contrat qui avait été valablement conclu avant son entrée en vigueur, sauf disposition législative expresse en sens contraire.

Retenant cette analyse, la Cour de cassation censure l’arrêt.

Le législateur peut certes, en dehors de la matière pénale, prévoir la rétroactivité de la loi. Toutefois, une mention expresse est requise (Cass. 2e civ., 5 mai 1955 : Gaz. Pal. Rec. 1955, 1, p. 400 ; Cass. 2e civ. 24 nov. 1955, D. 1956. 522), le législateur devant « manifester nettement sa volonté en ce sens » (Cass. civ. 7 juin 1901, DP 1902. 1.105, S. 1902. 1. 513, note A. Wahl), sans que le caractère d'ordre public de la loi soit un élément suffisant (Cass. com., 17 nov. 1954 : Bull. civ. III, n° 353).

Or, la Cour de cassation constate que tel n'était pas le cas en l'espèce. La mention, dans la loi, selon laquelle la disposition nouvelle « s'applique à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi », a seulement pour effet de déterminer à quelle date la loi entre dans l'ordonnancement juridique, par dérogation à la règle de l'entrée en vigueur de la loi au lendemain de sa publication figurant à l'article 1er du code civil, pour laisser le temps aux opérateurs économiques d'adapter leurs modèles pour les contrats futurs. Elle est insuffisante à établir la volonté du législateur de faire rétroagir la loi nouvelle.

Dans ces conditions, le juge ne peut déroger au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle énoncé à l'article 2 du code civil.

La Cour de cassation fait ici application de la jurisprudence constante selon laquelle la loi nouvelle ne peut s'appliquer aux conditions de validité d'un contrat, ou d'une clause d'un contrat, conclu avant son entrée en vigueur, lesquelles restent régies par la loi en vigueur au jour de sa conclusion (par exemple : 3e Civ., 7 oct. 1980, n° 79-12.267 ; 3e Civ., 10 fév. 1999, n° 97-11.744, Bull. n°34 ; et pour une clause : 3e Civ., 17 fév. 1993, n° 91-10.942, Bull. civ. III, n° 19 ; 2e Civ., 5 juill. 2006, n° 04-10.273, Bull. n°180 ; 1re Civ., 12 juin 2013, n° 12-15.688, Bull. n°125 ; Com., 5 juill. 2017, n° 16-12.836). Un acte juridique valablement passé selon la loi en vigueur au jour de sa conclusion ne peut être remis en cause par une loi nouvelle imposant des conditions plus rigoureuses.

Il est certes admis que le juge puisse appliquer immédiatement la loi nouvelle aux effets à venir des contrats en cours, par dérogation au principe de survie de la loi ancienne en principe applicable en matière contractuelle, soit pour des considérations d'ordre public particulièrement impérieuses (par exemple : Com., 3 mars 2009, n° 07-16.527, Bull. n° 31 ; Soc., 12 juill. 2000, n° 98-43.541, Bull. n°278), soit s'agissant de régir les « effets légaux » des contrats (par exemple en matière de baux : 3e Civ., 3 juill. 2013, n° 12-21.541, Bull. n°89 ; Avis de la Cour de cassation, 16 fév. 2015, Bull. n°2 ; 3e Civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.552, Bull. n°156 ; 3e Civ., 23 nov. 2017, n° 16-20.475, Bull. n° 125).

En revanche, il ne peut, sans méconnaître l'article 2 du code civil et le principe de la sécurité juridique, appliquer rétroactivement une loi nouvelle, en revenant sur la constitution achevée d'une situation juridique avant son entrée en vigueur.

Ainsi, seuls les contrats de distribution conclus ou renouvelés à compter du 7 août 2016 sont soumis à la prohibition de l'article L. 341-2 du code de commerce. Les contrats conclus antérieurement restent soumis à la jurisprudence relative aux clauses de non-concurrence et aux clauses de non-réaffiliation post-contractuelles, exigeant qu'elles soient limitées dans le temps et dans l'espace et proportionnées au regard des intérêts légitimes à protéger (par exemple : Com., 3 avr. 2012, n° 11-16.301, Bull. n° 72 ; Com., 18 déc. 2012, n° 11-27.068).

ENERGIE- Electricité - Fournisseurs et distributeurs d'énergie - Pratiques discriminatoires - Interdiction - LOIS ET REGLEMENTS - Loi - Loi de validation - Conventionalité - Exclusion - Cas - Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017

Com., 16 mars 2022, pourvoi n° 20-16.257

La Cour de cassation peut-elle exercer un contrôle de conventionalité sur une loi qui a déjà été validée par le Conseil constitutionnel à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité ?

Se fondant sur le principe de primauté du droit de l'Union européenne, la chambre commerciale de la Cour de cassation a répondu par l'affirmative, en jugeant que doit être laissée inappliquée une disposition du code de l'énergie, reconnue conforme aux normes constitutionnelles mais qui est contraire au droit européen.

La chambre rappelle, d'abord, que dans le contexte du marché de l'énergie, régulé par la directive 2009/72/CE du parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009, le droit européen interdit aux Etats membres d'organiser l'accès au réseau de distribution d'électricité de manière discriminatoire. Elle en déduit que le droit européen s'oppose à une pratique qui crée, sans justification objective, une discrimination pour l'accès au réseau de distribution relativement au coût à supporter pour son utilisation, en permettant la rémunération de certains fournisseurs d'électricité assurant des services au bénéfice du gestionnaire de réseau de distribution et en la refusant à d'autres qui assurent ces services.

Ayant relevé que l'article L.452-3-1 du code de l'énergie, créé par la loi n°2017-1839 du 30 décembre 2017, aux termes duquel "sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l'accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux [...] et les fournisseurs d'électricité, en tant qu'elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu'elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi. Cette validation n'est pas susceptible de donner lieu à réparation", interdit toute action en indemnisation au titre d’une pratique discriminatoire prohibée, dont il maintient les effets, la chambre en déduit que ce texte n'est pas conforme au droit européen et, partant, qu'il doit être laissé inappliqué par le juge national.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.