N°7 - Juin 2022 (Contrats et obligations conventionnelles)

Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

Une sélection commentée des arrêts rendus par la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation (Banque / Cautionnement / Concurrence déloyale ou illicite / Contrats et obligations conventionnelles / Distribution / Entreprises en difficulté (loi du 26 juillet 2005) / Propriété industrielle / Sociétés civiles et commerciales / Transports maritimes).

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Lettre de la chambre commerciale, financière et économique

N°7 - Juin 2022 (Contrats et obligations conventionnelles)

Contrat d'adhésion - Clause abusive - Déséquilibre significatif - Domaine d'application - Contrat de location financière

Com. 26 janv. 2022, n°20-16.782

Les contrats de location financière conclus par un commerçant sont-il soumis à l'article 1171 du code civil prohibant les clauses abusives ?

Dans cet arrêt, la chambre commerciale se prononce pour la première fois sur l'articulation entre l'article 1171 du code civil, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats d'adhésion, et l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce (devenu l'article L. 442-1, I, 2° du même code), dans sa rédaction alors applicable, qui prévoit la responsabilité du commerçant soumettant ou tentant de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Issu de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, l'article 1171 du code civil, dont la rédaction a été précisée par la loi de ratification du 20 avril 2018, répute non écrites, dans les contrats d'adhésion, les clauses qui créent un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Le pourvoi reprochait en l'espèce à la cour d'appel d'avoir appliqué ce texte à un contrat conclu entre commerçants, un tel contrat étant, selon le pourvoi, soumis au seul texte spécial de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

Le litige portait toutefois sur un contrat de location financière. Or la Cour de cassation juge que les établissements de crédit et sociétés de financement, pour leurs opérations de banque et leurs opérations connexes définies à l'article L. 311-2 du code monétaire au financier, ne sont pas soumis aux textes du code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, l'article L. 511-4 du code monétaire et financier prévoyant seulement l'application des textes du code de commerce relatifs aux pratiques anticoncurrentielles (Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512).

La Cour relève d’abord que, selon l'intention exprimée par le législateur lors des travaux parlementaires sur la ratification de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1171 du code civil a vocation à s'appliquer aux contrats qui ne sont pas soumis à des dispositions spéciales sanctionnant le déséquilibre significatif, qu'il s'agisse de l'article L. 442-6 du code de commerce ou de l'article L. 212-1 du code de la consommation, qui prohibe les clauses abusives dans les contrats de consommation. Se fondant expressément sur ces travaux parlementaires, elle retient que l'article 1171 du code civil doit donc être interprété comme s'appliquant aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou artisans, lorsqu’ils ne relèvent pas de l'article L. 442-6, I, 2° du code de commerce.

Elle rappelle ensuite que les contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement avec un commerçant ne relèvent pas du texte spécial du code de commerce sur le déséquilibre significatif, conformément à la jurisprudence précitée.

Il s’en déduit que ces contrats relèvent donc bien de l’article 1171 du code civil, ce qui entraîne le rejet du moyen du pourvoi qui soutenait l’inverse.

Deux enseignements sont donc apportés par cet arrêt :

  • l'articulation entre le texte général de l'article 1171 du code civil et les textes spéciaux du code de commerce et du code de la consommation sanctionnant les clauses créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties est clarifiée ;
  • de telles clauses insérées dans des contrats de location financière sont contrôlées et pourront être sanctionnées sur le fondement du code civil.

Contrat de travail, formation - Définition - Lien de subordination - Applications diverses - Création d'un lien de subordination juridique permanent - Effets - Fourniture de prestations à un donneur d'ordre – Cas

Com., 12 janvier 2022, pourvoi n° 20-11.139

La relation contractuelle entre un conducteur de voiture de transport avec chauffeur (chauffeur VTC), qui est un prestataire en principe indépendant, et une société gérant une plate-forme de réservation pour le mettre en relation avec les passagers, peut-elle caractériser un lien de subordination, de sorte que cet intermédiaire, en échappant ainsi à certaines contraintes du droit du travail, pourrait exercer une concurrence déloyale à l’égard d’une société exploitant personnellement une centrale de réservation de taxis et une activité de VTC ?

Le litige opposait une société exploitant une centrale de réservation de taxis et exerçant l’activité de transport VTC à une société se définissant comme un prestataire de service, partenaire des exploitants individuels de VTC, qui, via son application pour smartphone, mettait ceux-ci en relation avec des clients potentiels.

Estimant que cette société intermédiaire, en ne respectant pas diverses lois et réglementations en matière de droit des transports et de droit du travail, commettait des actes constitutifs de concurrence déloyale à son égard, la société de taxis et VTC l’a assignée aux fins de cessation de ces pratiques et d’indemnisation de son préjudice.

La question essentielle posée par le pourvoi tenait à la nature du lien contractuel entre la plateforme de réservation et les chauffeurs VTC.

Cette question, soumise à la chambre commerciale, financière et économique en matière de concurrence déloyale, est d’actualité devant la chambre sociale, sous l’angle « droit du travail et relations entre les chauffeurs et les sociétés de mise en relation », et, à l’égard essentiellement de la même plateforme de réservation, a donné lieu à de nombreuses décisions en Europe, notamment en Espagne, au Royaume Uni ou aux Pays-Bas.

La chambre commerciale était invitée à étudier un « modèle économique moderne », vu, non par le client passager transporté, ni par le chauffeur VTC prestataire réalisant la course, mais par un tiers à cette relation triangulaire existant entre la plate-forme, le chauffeur et le passager, ce tiers exploitant lui-même les deux activités de VTC et de taxis et se plaignant d’avoir vu son activité souffrir d’une concurrence déloyale pratiquée par cet intermédiaire.

Par cet arrêt du 12 janvier 2022, la chambre commerciale, s’inspirant tant des décisions européennes que des critères mis en œuvre par la chambre sociale, vient, elle aussi, dire que l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.

L’arrêt attaqué, qui a rejeté la demande, est cassé pour défaut de base légale, la cour d’appel n’ayant pas analysé concrètement les conditions effectives dans lesquelles les chauffeurs VTC exerçaient leur activité, alors que la société demanderesse faisait notamment valoir qu’il était interdit à ceux-ci d’entrer en relation avec les clients obtenus par l’intermédiaire de l’application en dehors du temps de la course, que la procédure à suivre correspondait à un véritable « ordre de course », que les chauffeurs, dans la majorité des cas, ignoraient la destination des clients avant que ceux-ci ne soient montés à bord du véhicule et qu’ils étaient soumis à un système de sanctions rigoureux excédant ce qui est classique en matière de contrat de prestation de service.

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