Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

AIDE JURIDICTIONNELLE

Crim., 6 septembre 2023, n° 22-86.049, (B), FP

Non-admission

Procédure d'admission – Demande d'aide juridictionnelle – Présentation à l'occasion d'un pourvoi – Effets – Interruption du délai imparti pour la constitution d'avocat – Exclusion – Cas

Le demandeur en cassation, s'il souhaite bénéficier de l'aide juridictionnelle à l'occasion de son pourvoi, doit déposer une demande d'aide juridictionnelle dans le mois qui suit la date à laquelle il forme son pourvoi en cassation. Sa demande interrompt le délai pour constituer un avocat à la Cour de cassation et suspend ce délai jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur la demande d'aide juridictionnelle. Si la demande est déposée après le délai d'un mois suivant la date du pourvoi, même si l'aide juridictionnelle est accordée, le mémoire déposé par l'avocat est irrecevable. Cette solution ne s'applique pas lorsque, par l'effet de la loi, la Cour de cassation doit statuer dans un délai déterminé.

M. [J] [O] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises du Bas-Rhin, en date du 22 septembre 2022, qui, pour tentative d'assassinat en récidive, l'a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, dix ans d'inéligibilité, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, une confiscation, et a ordonné la révocation d'une mesure de surveillance judiciaire, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 17 décembre 2020, M. [J] [O] a été renvoyé devant la cour d'assises du Haut-Rhin sous l'accusation de tentative d'assassinat en récidive.

3. Par arrêt du 8 décembre 2021, cette juridiction l'a déclaré coupable des faits reprochés et l'a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, dix ans d'inéligibilité, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, une confiscation, et a ordonné la révocation d'une mesure de surveillance judiciaire.

Par arrêt distinct du même jour, la cour a prononcé sur les intérêts civils.

4. M. [O] a relevé appel de ces décisions et le ministère public a formé appel incident.

Examen de la recevabilité du mémoire personnel

5. Ce mémoire, qui n'offre à juger aucun moyen de droit, ne remplit pas les conditions exigées par l'article 590 du code de procédure pénale.

6. Il est, dès lors, irrecevable.

Examen de la recevabilité du mémoire ampliatif

7. L'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme garantit à chacun un droit d'accès à un tribunal.

8. Selon la Cour européenne des droits de l'homme, ce droit doit être effectif et concret (CEDH, arrêt du 9 octobre 2007, Saoud c. France, n° 9375/02). Cela implique, pour le demandeur en cassation, la possibilité d'être assisté, en matière pénale, d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

9. Ce droit n'est pas absolu et se prête aux limitations qui poursuivent un but légitime, notamment répondre aux exigences conventionnelles relatives aux délais de jugement des affaires ou garantir une bonne administration de la justice. Ces limitations ne doivent pas restreindre l'accès au juge au point qu'il s'en trouve atteint dans sa substance même.

10. En droit interne, le droit à bénéficier de l'assistance effective d'un avocat constitue une garantie légale du respect des droits de la défense. Devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, le code de procédure pénale prévoit que le demandeur au pourvoi peut faire le choix, soit de se défendre seul, soit d'être assisté par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

11. La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique organise les modalités de la prise en charge financière par l'Etat de l'intervention d'un avocat pour les justiciables qui remplissent les conditions qu'elle exige, sauf si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé.

12. Cette assistance est mise en oeuvre par le bureau d'aide juridictionnelle près la Cour de cassation auquel la loi n'impartit pas de délai pour traiter les demandes, pas plus qu'elle ne confère de caractère suspensif au dépôt de celles-ci.

13. Or, il résulte de l'article 585-1 du code de procédure pénale, qui répond à la nécessité de mettre en état les procédures dans un délai raisonnable et d'assurer une bonne administration de la justice, que la déclaration par laquelle l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation se constitue au nom du demandeur au pourvoi doit parvenir, à peine d'irrecevabilité, au greffe de la Cour de cassation un mois au plus tard après la date du pourvoi.

14. Il s'en déduit que, pour que le droit garanti par l'article 6, § 1, précité, ne soit pas atteint dans sa substance même, il doit être jugé que, lorsque la demande d'aide juridictionnelle est formée par le demandeur au pourvoi dans le délai d'un mois à compter de celui-ci, elle a pour effet d'interrompre le délai fixé pour la constitution d'avocat et de le suspendre jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur cette demande.

15. En revanche, lorsque la demande n'a pas été déposée dans le délai d'un mois du pourvoi, mais que l'aide juridictionnelle a été néanmoins accordée au demandeur au pourvoi, la constitution d'avocat faisant suite à l'octroi de l'aide juridictionnelle est tardive et le mémoire déposé par l'avocat désigné est irrecevable.

16. En effet, une interprétation contraire permettrait au demandeur au pourvoi qui souhaiterait obtenir l'aide juridictionnelle de la solliciter jusqu'au dépôt du rapport, ce qui, d'une part, méconnaîtrait la bonne administration de la justice, d'autre part, conduirait à une rupture d'égalité injustifiée avec celui qui n'en a pas sollicité le bénéfice.

17. Les exigences mentionnées au paragraphe 9 conduisent, de même, à écarter tout effet interruptif ou suspensif de la demande d'aide juridictionnelle lorsque la Cour de cassation doit statuer dans un délai fixé par la loi, ce qui impose que le dépôt du mémoire et, donc, la constitution d'avocat qui le précède, soient effectués dans un délai également fixé par la loi, notamment en matière de détention provisoire ou de mandat d'arrêt européen.

18. Dans un tel cas, il appartient à la Cour de cassation de s'assurer que les délais d'examen de la demande d'aide juridictionnelle n'ont pas eu pour conséquence de porter atteinte dans sa substance même au droit à être assisté d'un avocat.

19. En l'espèce, M. [O], qui s'était pourvu en cassation le 23 septembre 2022, a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 24 novembre suivant, soit après l'expiration du délai prévu par l'article 585-1 précité.

Le mémoire qui a été déposé par l'avocat qui lui a été désigné au titre de l'aide juridictionnelle ne serait dès lors pas recevable au regard des principes exposés aux paragraphes 14 et 15.

20. Toutefois, en l'absence de disposition législative relative aux effets du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle en matière pénale devant la Cour de cassation, ces principes ne résultaient pas de façon évidente du droit applicable, de sorte que le mémoire ampliatif déposé pour M. [O] sera déclaré recevable.

21. Il convient, en conséquence, de statuer sur le moyen qu'il contient.

Examen du moyen

22. Le moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

23. Par ailleurs, aucun moyen n'est produit contre l'arrêt civil, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE le pourvoi NON ADMIS.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Sudre - Avocat général : Mme Viriot-Barrial - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ; article 585-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 9 octobre 2007, Saoud c. France, n° 9375/02. A rapprocher : Soc., 3 mai 2016, pourvoi n° 14-16.533, Bull. 2016, V, n° 78 (irrecevabilité), et les arrêts cités.

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