Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DOUANES

Crim., 13 septembre 2023, n° 22-83.669, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Agent des douanes – Agent de la douane judiciaire – Compétence – Compétence matérielle – Infractions visées par l'article 28-1 du code de procédure pénale – Enquête portant sur des infractions de droit commun – Régularité – Condition

Il résulte de l'article 28-1 du code de procédure pénale que les agents des douanes habilités ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction visant les infractions mentionnées par le I, 1° à 7°, et le cas échéant, en application du I, 8°, les infractions qui leur sont connexes.

Encourt la cassation, la cour d'appel, qui, pour refuser de faire droit à la demande du prévenu en nullité de la procédure diligentée par le service national de la douane judiciaire tirée de ce que celui-ci n'était pas compétent pour enquêter sur les éventuels faits d'abus de biens sociaux, qui n'étaient pas visés par les réquisitions du procureur de la République saisissant la douane judiciaire, se prononce par des motifs inopérants desquels il résulte qu'il existait un lien de connexité entre les faits visés par le soit-transmis du procureur de la République et les faits objet de la poursuite, qui ne l'était pas.

M. [V] [H] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 5 avril 2022, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 30 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite de deux notes du traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (TRACFIN) des 31 août et 15 octobre 2012, portant sur l'acquisition d'un terrain à bâtir situé à [Localité 1] par la société SMA Environnement (société SMAE) dont M. [V] [H] était le président, le procureur de la République a saisi le service national des douanes judiciaires (SNDJ), par soit-transmis du 6 novembre 2012, pour enquêter sur des faits susceptibles de caractériser les délits d'abus de biens sociaux et de blanchiment d'abus de biens sociaux.

3. Dans un rapport de synthèse du 20 février 2015, le SNDJ a conclu que l'existence d'un abus de biens sociaux au préjudice de la société SMAE, à l'occasion de l'achat de ce terrain, n'était pas établie. Il a été cependant fait état de ce que des investigations complémentaires avaient fait apparaître que la société SMAE avait acquis d'autres biens immobiliers dont une maison d'habitation appartenant à M. [H] et son épouse, que M. [H] continuait d'occuper seul en vertu d'un bail d'habitation qui lui avait été concédé par la société SMAE pour un loyer paraissant anormalement faible, et non réglé à la date des investigations. Afin d'établir ces faits, les enquêteurs du SNDJ avaient procédé à des réquisitions à la brigade de contrôle et de recherche de la direction générale des finances publiques, réalisé un transport sur les lieux et entendu M. [H] et son épouse sous le régime de la garde à vue.

4. Le procureur de la République a saisi le SNDJ afin de poursuivre l'enquête sur ces faits. A l'issue, M. [H] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'abus de biens sociaux pour avoir acheté pour le compte de la société SMAE un bien immobilier, dont il était propriétaire avec son épouse, à un prix supérieur à celui du marché et bénéficié après cette vente d'un contrat de bail à des conditions contraires à l'intérêt social.

5. Par jugement en date du 23 septembre 2021, le tribunal correctionnel a prononcé l'annulation de l'ensemble de la procédure.

6. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement et rejeté l'exception de nullité de la procédure, alors :

« 1°/ que si les agents des douanes habilités peuvent effectuer des enquêtes judiciaires sur des infractions connexes à celles énumérées à l'article 28-I du code de procédure pénale, ce ne peut être que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction ; qu'il résulte des constatations des juges du fond que, par le soit-transmis du 6 novembre 2012, le service national des douanes judiciaire, investi d'une enquête portant sur des faits de blanchiment d'abus de biens sociaux susceptibles d'avoir été commis par M. [E] à l'occasion de l'acquisition d'un immeuble en mai 2012 par la société SMA Environnement, a fait porter ses investigations sur des faits d'abus de biens sociaux qu'aurait pu commettre M. [H] en faisant acquérir en janvier 2013 par la société SMA Environnement un bien immobilier lui appartenant et en lui faisant conclure un bail à son profit en août 2013, ensuite de quoi seulement 2015 le parquet avait requis le SNDJ de poursuivre l'enquête sur ces faits ; que pour infirmer le jugement ayant prononcé la nullité des actes d'enquête menés sur les faits d'abus de biens sociaux commis par M. [H] en l'absence de toute réquisition du parquet et écarté cette nullité, la cour d'appel a retenu que ces faits étaient connexes à ceux mentionnés dans le soit-transmis du 6 novembre 2012 ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, alors que l'éventuelle connexité des faits ne permettait pas aux services des douanes d'enquêter sur des faits non visés dans le soit-transmis initial et en l'absence de toute nouvelle réquisition du parquet, la cour d'appel a violé l'article 28-1 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour

Vu l'article 28-1 du code de procédure pénale :

8. Il résulte de ce texte que les agents des douanes habilités ne peuvent effectuer des enquêtes judiciaires que sur réquisition du procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d'instruction visant les infractions mentionnées par le I, 1° à 7°, et le cas échéant, en application du I, 8°, les infractions qui leur sont connexes.

9. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel l'enquête du SNDJ n'avait pas été régulièrement menée, les faits en cause n'étant pas visés dans le soit-transmis du procureur de la République l'ayant saisi, l'arrêt attaqué énonce que, compte tenu du lien de connexité existant entre les faits visés par le soit-transmis initial du procureur de la République et les faits objet de la poursuite, les enquêteurs du SNDJ étaient compétents pour conduire les investigations sur ces derniers.

10. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il résultait de ses constatations que les réquisitions initiales du procureur de la République ne visaient pas les infractions d'abus de biens sociaux pour lesquelles M. [H] a été poursuivi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

11. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS,

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 5 avril 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que du fait de la présente décision le jugement ayant prononcé l'annulation de la procédure recouvre sa force exécutoire ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Courtial - Avocat(s) : SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Article 28-1 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 28 juin 2017, pourvoi n° 16-83.372, Bull. crim. 2017, n° 181 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 27 septembre 2023, n° 23-80.314, (B), FS

Rejet

Agent des douanes – Pouvoirs – Droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes – Article 60 du code des douanes – Mesures autorisées – Limites – Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Présence de l'occupant du véhicule – Nécessité

Il résulte des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 60 du code des douanes que, si les agents des douanes sont compétents pour procéder à la visite d'un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, ils sont tenus de procéder à cette visite en présence de son occupant à défaut de garantie posée par la loi visant à s'assurer de l'authentification des recherches et découvertes effectuées. La méconnaissance de cette exigence, susceptible d'avoir entraîné une atteinte à la protection de l'authentification des recherches et découvertes effectuées lors d'une fouille, n'est pas exclue du champ d'application de l'article 802 du code de procédure pénale.

M. [L] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 25 octobre 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 23 février 2022, pourvoi n° 21-85.050), dans l'information suivie contre lui des chefs d'association de malfaiteurs, blanchiment et complicité d'infraction à la législation sur les armes, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 20 mars 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une mission de contrôle, des douaniers ont découvert sur une aire d'autoroute un véhicule Renault Clio vide de tout occupant dans lequel étaient visibles des billets de banque enveloppés dans du papier cellophane, ainsi qu'une housse noire de forme allongée, fermée. Leurs chiens dressés à la recherche de stupéfiants ayant de plus marqué ce véhicule, ils ont procédé à sa fouille, après le bris de l'une de ses vitres, et découvert 3 000 euros en espèces, trois grammes de résine de cannabis et un sac contenant de nombreuses armes.

3. Les investigations ont conduit à la mise en examen de M. [L] [G], propriétaire du véhicule fouillé, des chefs susmentionnés. Il a été placé en détention provisoire.

4. Par requête reçue au greffe le 31 octobre 2022, il a sollicité l'annulation de la fouille du véhicule et de l'ensemble des actes subséquents, outre sa remise en liberté.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 171 et 802 du code de procédure pénale et 60 du code des douanes.

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la requête de M. [G] tendant à voir prononcer la nullité de la fouille du véhicule Renault Clio, à dire et juger que ladite fouille constitue le support de l'intégralité de la procédure, à prononcer subséquemment l'annulation de l'intégralité de la procédure et à ordonner sa remise en liberté, alors que l'irrégularité de cette fouille, qui résulte de ce que les agents des douanes ne peuvent, sur le fondement de l'article 60 du code des douanes, fouiller un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant, et de ce que cette fouille a été réalisée en l'absence de tout témoin, constitue une nullité d'ordre public ne nécessitant pas qu'il soit fait la démonstration d'un grief.

Réponse de la Cour

7. Pour rejeter la demande d'annulation de la fouille du véhicule et, subséquemment, de l'ensemble de la procédure, l'arrêt attaqué énonce que, cette fouille ayant été réalisée par les agents des douanes, alors que le véhicule était stationné et libre de tout occupant, hors la présence de toute personne susceptible d'authentifier les recherches et découvertes effectuées, elle est entachée d'irrégularité.

8. Les juges ajoutent que, toutefois, les agents des douanes ayant compétence pour procéder à une fouille et l'irrégularité relative aux conditions dans lesquelles ils y ont procédé n'étant pas d'ordre public, il n'y a lieu de prononcer la nullité de la procédure que s'il est résulté de cette irrégularité une atteinte aux intérêts de M. [G].

9. Or, ils relèvent que M. [G] n'a pas contesté la présence dans son véhicule des objets découverts et qu'il ne démontre pas que l'irrégularité de la visite lui a causé un grief particulier.

10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

11. D'une part, il résulte des articles 171 et 802 du code de procédure pénale que, hors les cas de nullité d'ordre public, l'inobservation des formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité doit entraîner la nullité de la procédure lorsqu'il en est résulté une atteinte aux intérêts de la partie concernée.

12. D'autre part, il résulte des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 60 du code des douanes que, si les agents des douanes sont compétents pour procéder à la visite d'un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public, ils sont tenus de procéder à cette visite en présence de son occupant à défaut de garantie posée par la loi visant à s'assurer de l'authentification des recherches et découvertes effectuées.

La méconnaissance de cette exigence, susceptible d'avoir entraîné une atteinte à la protection de l'authentification des recherches et découvertes effectuées lors d'une fouille, n'est pas exclue du champ d'application de l'article 802 du code de procédure pénale.

13. Dès lors, le moyen doit être écarté.

14. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Gillis - Avocat général : Mme Mathieu -

Textes visés :

Articles 171 et 802 du code de procédure pénale ; article 60 du code des douanes.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 février 2022, pourvoi n° 21-85.050, Bull. crim. (cassation).

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