Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DETENTION PROVISOIRE

Crim., 19 septembre 2023, n° 23-84.109, (B), FRH

Rejet

Décision de mise en liberté – Cassation – Effets – Durée de la détention – Point de départ – Notification de l'arrêt de cassation

Lorsqu'un arrêt de remise en liberté est annulé par la Cour de cassation mais que l'intéressé est détenu pour une autre cause, celui-ci doit être considéré comme détenu, au sens des articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, dans la procédure dans laquelle il avait obtenu sa libération, dès la mise à exécution, par sa notification, de l'arrêt de cassation.

M. [J] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 13 avril 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'assassinats, destruction par un moyen dangereux, recel, en bande organisée, association de malfaiteurs et infraction à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [J] [M], mis en examen des chefs susvisés, a été incarcéré provisoirement le 6 septembre 2021 puis placé en détention provisoire le 9 septembre suivant, pour une durée d'un an. Cette ordonnance a été annulée par arrêt de la chambre de l'instruction du 23 septembre 2021, ordonnant sa remise en liberté.

3. Par arrêt du 15 décembre 2021, notifié à M. [M] le 30 décembre suivant, la Cour de cassation a cassé cette décision (Crim., 15 décembre 2021, pourvoi n° 21-85.670).

4. La chambre de l'instruction de renvoi a confirmé l'ordonnance de placement en détention par arrêt du 10 janvier 2022, devenu définitif suite au rejet, le 20 avril suivant, du pourvoi formé par la personne mise en examen (Crim., 20 avril 2022, pourvoi n° 22-80.810).

5. Par ordonnance du 26 juillet 2022, dont la personne mise en examen a interjeté appel, le juge des libertés et de la détention a rejeté une demande de mise en liberté.

6. Par arrêt du 19 août suivant, la chambre de l'instruction a ordonné la mise en liberté de M. [M]. Cet arrêt a été cassé sans renvoi le 22 novembre 2022 (Crim., 22 novembre 2022, pourvoi n° 22-85.127).

7. Le 15 mars 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention de la personne mise en examen pour une durée de six mois.

8. M. [M] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tenant à l'irrégularité de la prolongation de la détention provisoire de M. [M] et confirmé l'ordonnance du 15 mars 2023 par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de l'exposant pour une durée de six mois, alors « que la mise en liberté du mis en examen s'impose si celui-ci est détenu en vertu d'un titre inexistant ; que tel est le cas lorsque l'ordonnance de prolongation de détention provisoire est intervenue tardivement ; qu'en outre, lorsque le même titre de détention a, en raison de diverses décisions de remise en liberté annulées, été mis à exécution de manière discontinue, il convient de s'assurer que le total des périodes de détention provisoire n'excède pas la durée du mandat de dépôt ; qu'à cet égard, lorsqu'une juridiction annule ou infirme une décision de remise en liberté, elle rend au titre de détention initial son plein effet ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure que Monsieur [M] a été incarcéré provisoirement le 6 septembre 2021, avant d'être placé en détention provisoire par ordonnance du 9 septembre suivant ; qu'il a été remis en liberté par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 23 septembre suivant ; que, par arrêt du 15 décembre 2021, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt du 23 septembre 2021, rendant au titre de détention du 9 septembre 2021 son plein effet ; que par arrêt du 10 janvier 2022, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier a confirmé le placement en détention provisoire de l'exposant ; que Monsieur [M], qui était détenu pour une autre cause, a ainsi notamment été détenu dans la présente procédure du 15 décembre 2021 au 10 janvier 2022 ; qu'il a à nouveau été remis en liberté par arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 19 août 2022, cet arrêt ayant lui-aussi été cassé par la Cour de cassation le 22 novembre 2022 ; qu'il s'ensuit que, compte tenu des périodes de détention de l'exposant, le titre de détention délivré à son encontre, d'une durée d'un an, expirait le 28 février 2023 à 24 heures ; que la prolongation de sa détention n'a toutefois été ordonnée que le 15 mars 2023, de sorte que Monsieur [M] est détenu sans titre depuis le 1er mars 2023 ; qu'en retenant, pour refuser de constater cette situation et confirmer la prolongation de la détention provisoire, que Monsieur [M] « est resté en liberté dans l'attente de la décision de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier sur l'appel de l'ordonnance de placement en détention du juge des libertés et de la détention », de sorte que « la détention provisoire de [J] [M] a été prolongée dans des conditions régulières et avant l'expiration de la validité du titre de détention [le] 23 mars 2023 », la chambre de l'instruction a violé les articles 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, 145-2, 609, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Il résulte de l'article 145-2 du code de procédure pénale, qu'en matière criminelle, la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d'un an. Toutefois, le juge des libertés et de la détention peut, à l'expiration de ce délai, prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à six mois.

11. Pour écarter le moyen de nullité, selon lequel la décision de prolongation de la détention intervenue le 15 mars 2023 serait tardive, l'arrêt attaqué énonce qu'en cassant et annulant l'arrêt de la chambre de l'instruction du 23 septembre 2021, la Cour de cassation a, dans son arrêt du 15 décembre 2021, remis la cause et les parties au même état où elles étaient avant la décision annulée et qu'elle a également renvoyé la cause et les parties devant une nouvelle chambre de l'instruction pour que cette juridiction statue sur l'appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant M. [M] en détention provisoire.

12. Les juges ajoutent que, contrairement à ce que soutient M. [M], il est resté en liberté dans l'attente de la décision de la juridiction de renvoi.

13. Ils précisent que, par arrêt en date du 10 janvier 2022, cette juridiction a confirmé l'ordonnance de placement en détention du juge des libertés et de la détention, ce qui a eu pour conséquence le placement de ce dernier à nouveau sous mandat de dépôt.

14. Ils en déduisent qu'au vu de ces éléments, M. [M] a été détenu dans le cadre de cette procédure moins d'une année, et, qu'en conséquence, la prolongation de sa détention provisoire est régulière.

15. C'est à tort que les juges ont retenu que M. [M] est resté en liberté dans l'attente de la décision de la chambre de l'instruction de renvoi.

16. En effet, lorsqu'un arrêt de remise en liberté est annulé par la Cour de cassation mais que l'intéressé est détenu pour une autre cause, celui-ci doit être considéré comme détenu, au sens des articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, dans la procédure dans laquelle il avait obtenu sa libération, dès la mise à exécution, par sa notification, de l'arrêt de cassation.

17. Il en résulte qu'à la suite de la notification de l'arrêt de cassation du 15 décembre 2021, intervenue le 30 décembre suivant, M. [M] a été de nouveau détenu provisoirement par l'effet du mandat de dépôt du 9 septembre 2021.

18. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors qu'à la date de la décision de prolongation de la détention, le 15 mars 2023, la détention provisoire de M. [M], qui s'est effectuée de manière discontinue (du 6 au 23 septembre 2021, du 30 décembre 2021 au 19 août 2022, puis à compter du 2 décembre 2022, date de la notification de l'arrêt du 22 novembre 2022), n'avait pas excédé le délai d'un an fixé à l'article 145-2 du code de procédure pénale.

19. Ainsi, le moyen doit être écarté.

20. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Hill - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Crim., 27 septembre 2023, n° 23-84.273, (B), FRH

Rejet

Décision de prolongation – Délai de renouvellement – Point de départ – Ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le juge des libertés et de la détention – Ordonnance rendue après ouverture d'une information suite au renvoi du dossier au procureur de la République par le tribunal correctionnel – Prévenu détenu suite à révocation de son contrôle judiciaire

Le délai de l'article 145-2 du code de procédure pénale ne commence à courir que du jour de l'ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le juge des libertés et de la détention dans le cadre de l'information ouverte après renvoi du dossier par le tribunal correctionnel au procureur de la République en vertu de l'article 397-2, alinéa 2, du même code et non du jour de la révocation du contrôle judiciaire ayant précédé la comparution du prévenu devant cette dernière juridiction, saisie des mêmes faits sous une qualification correctionnelle.

M. [F] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, en date du 29 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de viols et tentative, agressions sexuelles, aggravés, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 3 mars 2022, M. [F] [X], convoqué par procès-verbal devant le tribunal correctionnel pour agression sexuelle incestueuse a été placé sous contrôle judiciaire par ordonnance du juge des libertés et de la détention.

3. Le 19 mai 2022, ce magistrat a révoqué la mesure de contrôle judiciaire et placé M. [X] en détention provisoire.

4. A l'audience du 28 juin 2022, à laquelle M. [X] a comparu détenu, le tribunal correctionnel, faisant application de l'article 397-2 du code de procédure pénale, a renvoyé le dossier au procureur de la République afin de saisir le juge d'instruction et a maintenu l'intéressé en détention provisoire.

5. Par réquisitoire introductif du même jour, une information a été ouverte des chefs de viol sur mineur par personne ayant autorité et agression sexuelle, incestueux, sur la personne de la même victime, mineure de 15 ans, faits commis à [Localité 1] du 24 juillet 2019 au 22 mars 2021.

6. Mis en examen de ces chefs, M. [X] a été placé sous mandat de dépôt criminel.

7. Par ordonnance du 14 juin 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé la mesure de détention provisoire pour une durée de six mois.

8. M. [X] a relevé appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de

prolongation de la détention provisoire de M. [X], alors :

« 1°/ que s'il apparaît au cours de l'information que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent en réalité un crime, et que le juge d'instruction substitue une qualification criminelle à la qualification initialement retenue, le mandat de dépôt initialement délivré est considéré comme un mandat de dépôt criminel et les délais prévus pour la prolongation de la mesure sont calculés à compter de la délivrance de ce premier mandat ; qu'il en est ainsi lorsqu'une personne, qui a initialement comparu détenue devant le tribunal correctionnel en raison de la révocation de son contrôle judiciaire, est ultérieurement mise en examen, pour les mêmes faits, pour un crime, le premier mandat de dépôt délivré en raison de la révocation du contrôle judiciaire devant alors être considéré comme un mandat de dépôt criminel et les délais prévus pour la prolongation de la mesure devant être calculés à compter de la délivrance de ce premier mandat ; que par ordonnance du 19 mai 2022, le juge des libertés et de la détention a révoqué le contrôle judiciaire de M. [X] et l'a placé sous mandat de dépôt, pour les mêmes faits que ceux pour lesquels un nouveau mandat de dépôt criminel a été décerné contre lui le 28 juin 2022 ; que le point de départ du délai à l'expiration duquel la détention provisoire aurait du être prolongée devait donc être fixé au jour de la délivrance du premier mandat, le 19 mai 2022 ; qu'en jugeant, pour confirmer l'ordonnance de prolongation de détention provisoire, que le délai prévu par l'article 145-2 du code de procédure pénale n'a commencé à courir que le 28 juin 2022, lorsque le premier mandat devait être considéré comme un mandat de dépôt criminel et que la prolongation de la détention devait être calculée à compter de sa délivrance, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 145-2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Pour confirmer l'ordonnance ayant prolongé la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que le 28 juin 2022, M. [X] a comparu détenu devant le tribunal correctionnel qui a recouru aux dispositions de l'article 397-2, alinéa 2, du code de procédure pénale.

12. Les juges considèrent que le maintien en détention prévu par cet article obéit à des règles propres, comme en atteste le fait qu'il ne peut avoir d'effet qu'une journée, et que le motif de la détention initiale de M. [X] obéit à d'autres règles que celles prévues par les articles 137 et suivants du code de procédure pénale en ce que cette détention n'est que la sanction du non-respect par le prévenu des interdictions assortissant son contrôle judiciaire et ne résulte pas d'un choix initial, opéré au visa de l'article 144 du même code, de le placer en détention provisoire plutôt que de recourir à une mesure alternative.

13. Ils en déduisent que le délai d'un an prévu par l'article 145-2 dudit code n'a commencé à courir que le 28 juin 2022, date de la comparution de M. [X] devant le juge des libertés et de la détention l'ayant placé sous mandat de dépôt dans le cadre de l'information criminelle, et n'était pas expiré lorsqu'est intervenue la prolongation de la détention provisoire.

14. En l'état de ces seules énonciations, dont il résulte que le mandat de dépôt criminel a été décerné à l'encontre de M. [X] dans le cadre de l'information ouverte contre lui, distincte de la procédure suivie devant le tribunal correctionnel, de sorte que le délai de l'article 145-2 du code de procédure pénale n'a commencé à courir que du jour de l'ordonnance de placement en détention provisoire rendue par le juge des libertés et de la détention, et non du jour de la révocation de son contrôle judiciaire, préalable à la comparution du prévenu devant le tribunal correctionnel saisi des mêmes faits sous une qualification correctionnelle, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Pauthe - Avocat général : M. Chauvelot - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux -

Textes visés :

Articles 145-2 et 397-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 août 2005, pourvoi n° 05-83.796, Bull. crim. 2005, n° 210 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 12 septembre 2023, n° 23-83.806, (B), FRH

Rejet

Décision de prolongation – Motifs – Nécessité au regard d'objectifs énumérés par l'article 144 du code de procédure pénale – Motifs non visés dans une précédente décision – Absence d'influence

Aucune disposition législative ou conventionnelle n'interdit aux juges de fonder la nécessité de la détention provisoire au regard d'objectifs énumérés par l'article 144 du code de procédure pénale qui n'auraient pas été visés par une précédente décision concernant la détention de la même personne, dans la même procédure, dès lors que leur décision est fondée sur des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure dont il ressort, au jour où ils statuent, que la détention provisoire est l'unique moyen de parvenir à certains des objectifs prévus par ce texte et que ceux-ci ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.

M. [E] [D] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 9 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 20 novembre 2021, M. [E] [D] a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire.

3. Une première prolongation de la détention provisoire est intervenue par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du 3 novembre 2022.

4. Par une ordonnance du 19 mai 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire pour une durée supplémentaire de six mois.

5. M. [D] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

6. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen d'annulation présenté par la défense, dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du 19 mai 2023 par laquelle le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la détention provisoire de M. [D] et son maintien sous mandat de dépôt, alors :

« 1°/ que les dispositions des articles 137-3 et 144 du code de procédure pénale, en ce qu'elles permettent au juge des libertés et de la détention et à la chambre de l'instruction de fonder une décision de prolongation ou de maintien en détention provisoire sur un critère pourtant écarté ou jamais mobilisé antérieurement, apparaissent contraires au droit à la sûreté garanti par les articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 66 de la Constitution de 1958 ; que sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par mémoire distinct, le Conseil constitutionnel abrogera les dispositions litigieuses, ce qui privera l'arrêt attaqué de fondement légal et entraînera sa cassation ;

3°/ qu'il en va d'autant plus ainsi qu'en retenant que « le placement en détention provisoire de [E] [D] constitue l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels qui sont nécessaires à la manifestation de la vérité ; d'empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; [...] de garantir son maintien à la disposition de la justice [et] de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement », quand elle ne pouvait elle-même fonder sa décision sur aucun de ces critères, écartés ou jamais mobilisés au cours de la procédure, la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs et violé les articles 5, § 1, c), de la Convention européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 137, 144, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

8. La Cour de cassation ayant, par arrêt de ce jour, dit n'y avoir lieu à renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité, le grief est devenu sans objet.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

9. Pour confirmer la prolongation de la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que M. [D], qui est mis en cause pour avoir joué un rôle actif dans une organisation criminelle de haut niveau et qui a mis en œuvre des techniques avancées pour échapper aux surveillances, ne semble pas souhaiter coopérer à la manifestation de la vérité, alors qu'un risque de concertation frauduleuse avec ses co-mis en examen est à craindre et que des interpellations et perquisitions demeurent à envisager.

10. Les juges relèvent que l'intéressé n'a aucun ancrage familial ou professionnel, est capable de mobilité géographique, avec le support logistique d'une organisation financièrement puissante, et qu'il présente, au regard des enjeux de la procédure, un risque de fuite avéré que la seule perspective d'un retour à l'hébergement antérieur à son interpellation ne saurait suffire à prévenir.

11. Ils soulignent que le risque de renouvellement de l'infraction est important au regard du caractère hautement lucratif du trafic concerné et de l'absence de toute justification d'une activité licite, la promesse de contrat de travail produite n'apparaissant pas sérieuse.

12. Ils retiennent que les faits reprochés, qui consistent en des importations de quantités très importantes de drogues dures, génèrent une puissante économie parallèle elle-même à l'origine de nombreuses infractions.

13. Les juges en déduisent que la détention provisoire est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels nécessaires à la manifestation de la vérité, d'empêcher une pression sur les témoins ou victimes et sur leurs familles et une concertation avec les co-auteurs ou complices, de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement et de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public occasionné par l'infraction, ces objectifs ne pouvant être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.

14. En l'état de ces énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

15. En premier lieu, aucune disposition législative ou conventionnelle n'interdit aux juges de fonder la nécessité de la détention provisoire au regard d'objectifs énumérés par l'article 144 du code de procédure pénale qui n'auraient pas été visés par une précédente décision concernant la détention de la même personne, dans la même procédure, dès lors que leur décision est fondée sur des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, au jour où ils statuent.

16. En second lieu, la chambre de l'instruction s'est déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale, dont il ressort que la détention provisoire de M. [D] est l'unique moyen de parvenir à certains des objectifs figurant à l'article 144 de ce code et que ceux-ci ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.

17. Ainsi, le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3, 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 5, § 1, c), de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 137, 144, 591 et 593 du code de procédure pénale.

Crim., 26 septembre 2023, n° 23-84.237, (B), FRH

Cassation

Prolongation de la détention – Prolongation exceptionnelle – Motivation – Critère – Risque d'une particulière gravité pour la sécurité des personnes et des biens

Il appartient à la chambre de l'instruction qui prolonge à titre exceptionnel la détention provisoire au-delà d'une durée de deux ans en application de l'article 145-1, alinéa 3, du code de procédure pénale de caractériser le risque d'une particulière gravité que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait à la sécurité des personnes et des biens.

Ne justifie pas sa décision la chambre de l'instruction qui se borne à relever une mise en danger inhérente à la violence des circonstances des faits reprochés sans rechercher si un risque d'une particulière gravité résulterait de la mise en liberté de la personne mise en examen.

M. [Y] [H] a formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, en date du 15 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, violences aggravées et association de malfaiteurs, en récidive, et infraction à la législation sur les armes, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Y] [H] a été mis en examen des chefs susvisés le 29 juin 2021 et placé en détention provisoire par décision du juge des libertés et de la détention du même jour.

3. Par ordonnance du 2 juin 2023, le juge des libertés et de la détention a saisi la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, sur le fondement de l'article 145-1, alinéa 3, du code de procédure pénale.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. [H] le 29 juin 2023

4. M. [H] ayant épuisé par l'exercice qu'en a fait son avocat, en son nom, le 21 juin 2023, son droit à se pourvoir contre l'arrêt attaqué, était irrecevable à se pourvoir à nouveau contre la même décision le 29 juin 2023.

5. Seul est recevable le pourvoi formé le 21 juin 2023.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen est pris de la violation de l'article 145-1 du code de procédure pénale.

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de M. [H], alors :

1°/ que la chambre de l'instruction, qui était saisie d'un moyen contestant l'absence de risque d'une particulière gravité pour la sécurité des personnes et des biens en cas de remise en liberté, n'a pas caractérisé de risque d'atteinte à la sécurité des biens et n'a pas justifié sa décision au regard du texte susvisé ;

2°/ qu'en omettant de démontrer un lien de causalité entre la remise en liberté de M. [H] et le risque d'une particulière gravité pour la sécurité des personnes, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard du texte susvisé.

Réponse de la Cour

Vu les articles 145-1, alinéa 3, et 593 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, la chambre de l'instruction peut, en matière correctionnelle, prolonger à titre exceptionnel la détention provisoire au-delà d'une durée de deux ans lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité.

9. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

10. Pour ordonner la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce notamment que la détention est l'unique moyen de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice et de prévenir le renouvellement de l'infraction, objectifs qui ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.

11. Les juges constatent que des investigations demeurent en cours à l'étranger afin de préciser la dimension internationale du trafic.

12. Ils retiennent que la mise en danger des personnes résulte directement de la fusillade à l'origine de la procédure, des violences commises sur les policiers dont le véhicule a été percuté par M. [H] et des menaces effectuées en détention, qui constituent un ensemble d'actes violents d'une particulière gravité à proportion des enjeux judiciaires et financiers pour les personnes mises en examen.

13. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la remise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

14. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé le 29 juin 2023 :

Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;

Sur le pourvoi formé le 21 juin 2023 :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry, en date du 15 juin 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Aldebert -

Textes visés :

Article 145-1 du code de procédure pénale.

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