Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PRESSE

Crim., 5 septembre 2023, n° 22-83.959, (B), FS

Cassation

Contestation de l'existence de crimes contre l'humanité – Eléments constitutifs – Propos retenus dans la prévention – Eléments extrinsèques – Prise en considération par les juges

Il appartient aux juges du fond, saisis de l'infraction de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité, prévue à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d'apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties.

Encourt dès lors la cassation, l'arrêt qui, pour relaxer le prévenu de ce chef et débouter les parties civiles de leurs demandes, énonce notamment que les propos poursuivis faisaient référence à une opinion défendue par celui-ci, tant dans un livre qu'à l'occasion d'émissions télévisées antérieurs, selon laquelle, si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs étrangers résidant en France, c'était le fait d'une action de Philippe Pétain en leur faveur et en déduit que ces propos n'ont, en conséquence, pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d'extermination dans les camps de concentration.

En effet, faute d'avoir procédé à l'analyse exhaustive des propos poursuivis, dont il résultait que le prévenu avait repris à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels Philippe Pétain avait « sauvé les juifs français », les juges ne pouvaient retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, sans mieux s'en expliquer, que cette affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que le prévenu aurait exprimés antérieurement.

Les associations Union des étudiants juifs de France, J'accuse...! action internationale pour la justice, SOS racisme - touche pas à mon pote, Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme, parties civiles, et le procureur général près la cour d'appel de Paris ont formé des pourvois contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre 2-7, en date du 12 mai 2022, qui a relaxé M. [N] [B] du chef de contestation de l'existence de crime contre l'humanité et a débouté les parties civiles de leurs demandes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Les associations Union des étudiants juifs de France (UEJF) et J'accuse...! action internationale pour la justice (AIPJ) ont fait citer M. [N] [B], devant le tribunal correctionnel de Paris, du chef susvisé, en qualité d'auteur, en raison des propos suivants tenus à l'antenne de la chaîne de télévision CNews lors de l'émission « Face à l'info » diffusée en direct, le 21 octobre 2019, à 19 heures, rediffusée le même jour à 23 heures 25 et mise en ligne sur le site internet de la chaîne :

« [J][I] : vous avez dit un jour une chose terrible, dans une autre émission, vous avez osé dire que [Z] avait sauvé les juifs ;

[N][B] : français, précisez, précisez français ;

[J][I] : ou avait sauvé les juifs français, c'est une monstruosité, c'est du révisionnisme ;

[N][B] : c'est encore une fois le réel ;

[J][I] : non, le réel ;

[N][B] : je suis désolé... ».

3. Par jugement du 4 février 2021, le tribunal correctionnel, devant lequel sont intervenues les associations SOS racisme - touche pas à mon pote (SOS racisme), Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) et Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA), en qualité de parties civiles, a relaxé le prévenu et prononcé sur les intérêts civils.

4. Les parties civiles et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le moyen proposé par le procureur général

Sur le moyen proposé pour SOS racisme, l'UEJF et l'AIJP

Sur les premier et second moyens proposés pour le MRAP

Sur le moyen proposé pour la LICRA

Enoncé des moyens

5. Le moyen proposé par le procureur général critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B], par des motifs insuffisants ou erronés, manque de base légale, en violation de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, alors :

« 1°/ que la contestation de crimes contre l'humanité est punissable même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d'insinuation ou lorsque les propos poursuivis reflètent une minoration outrancière du nombre des victimes de la déportation et de la politique d'extermination des populations d'origine et de confession juive conduite au cours de la seconde guerre mondiale ou, y compris sous couvert de la recherche d'une supposée vérité historique, une banalisation ou relativisation de crimes commis à ce titre et des causes de la mort des victimes ou encore une minoration des souffrances des rescapés de la Shoah ;

2°/ que les dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse n'exigent pas que les crimes contre l'humanité contestés aient été exclusivement et directement perpétrés soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international dit tribunal de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu'il suffit que les personnes désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou entièrement, le fait de tiers. »

6. Le moyen proposé pour SOS racisme, l'UEJF et l'AIJP critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crimes contre l'humanité par parole, écrit, image ou moyen de communication audiovisuel et a rejeté les demandes des parties civiles, alors :

« 1°/ que l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 réprime la contestation, par un des moyens énoncés à l'article 23, de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité entre dans les prévisions de ce texte même si elle est présentée sous forme déguisée ou dubitative ou encore par voie d'insinuation ; qu'en l'espèce, en affirmant, pour relaxer [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l'humanité, pour avoir confirmé, lors de l'émission Face à l'Info, diffusée par la chaîne CNews et mise en ligne sur le service Replay de la chaîne, que [Z] avait sauvé les juifs français, que ces propos, s'ils peuvent heurter les familles de déportés, n'ont pas pour objet de contester fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d'extermination dans les camps de concentration, bien qu'ils remettaient en cause les crimes contre l'humanité subis par les juifs français, dont 24.000 personnes ont été arrêtées, déportées et exterminées par les nazis, avec la complicité du gouvernement de Vichy, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 réprime la contestation, par un des moyens énoncés à l'article 23, de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité entre dans les prévisions de ce texte même s'ils n'ont pas fait eux-mêmes l'objet d'une condamnation ; qu'en l'espèce, en relaxant [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l'humanité, au motif que si par arrêt du 23 avril 1945, la Haute Cour de justice a reconnu le maréchal (sic) [Z] coupable d'attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat et d'avoir entretenu des intelligences avec l'ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes, celui-ci n'a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l'expression litigieuse fait référence à une thèse défendue par M. [B] - tant dans son livre « Le suicide français » qu'à l'occasion d'émission télévisées - selon laquelle si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère résidant en France, c'est le fait d'une action du maréchal (sic) [Z] en leur faveur, bien que l'expression "[Z] a sauvé les juifs français », signifie au contraire qu'aucun juif français, de nationalité française ou qui a été déchu de sa nationalité française par le gouvernement de Vichy, n'a été déporté ou exterminé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l'expression litigieuse faisait référence à une thèse défendue par M. [B] - tant dans son livre « Le suicide français » qu'à l'occasion d'émission télévisées - selon laquelle si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère résidant en France, c'est le fait d'une action du maréchal (sic) [Z] en leur faveur, mais sans rechercher si le téléspectateur moyen, qui n'a pas forcément lu tous les livres d'[N] [B] ou entendu toutes les émissions auxquelles il a participé, avait eu connaissance de cette thèse au moment de la diffusion de l'émission, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ».

7. Le premier moyen proposé pour le MRAP critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crime contre l'humanité, alors :

« 1°/ que les dispositions de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui incriminent la contestation de crimes contre l'humanité n'exigent pas que ces crimes aient été exclusivement et directement perpétués par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international ou par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que dès lors, a méconnu ses textes ainsi que les articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel qui a relaxé le prévenu pour des propos valorisant l'action de [Z] aux motifs, radicalement inopérants, qu'il « n'a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945 », quand il suffit que les personnes susmentionnées aient décidé ou organisé les crimes contre l'humanité, nonobstant le fait que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou totalement, le fait d'un tiers.

2°/ qu'en tout état de cause, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel qui relevait que [X] [Z] avait été condamné pour « intelligences avec l'ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes », ces entreprises renvoyant à la déportation et l'extermination des populations juives élaborées, planifiées par le régime nazi et ses dirigeants, caractérisant une organisation déclarée criminelle, certains ayant été précisément condamnés par le tribunal de Nuremberg en qualité d'instigateurs, de donneurs d'ordres ou d'exécutant pour crimes contre l'humanité ».

8. Le second moyen proposé pour le MRAP critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [B] du chef de contestation de crime contre l'humanité par voie de presse, alors :

« 1°/ que la contestation de crime contre l'humanité est réprimée même si elle est présentée sous forme déguisée, dubitative ou par voie d'insinuation ; qu'en relaxant M. [B] pour des propos relatifs à la Shoah commis par le régime nazi par l'entremise des services français en présentant [Z], chef d'État du gouvernement de Vichy ayant collaboré activement avec le IIIe Reich durant l'occupation allemande, comme le sauveur des juifs français, propos contestant par une voie déguisée, les crimes contre l'humanité, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violé les article 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ que la cour d'appel ne pouvait, sans priver sa décision de base légale au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale, relaxer M. [B], homme politique et chroniqueur aguerri, aux motifs que ses propos ont été tenus à la suite d'une « brusque interpellation », cette circonstance étant radicalement inopérante à l'exonérer de sa responsabilité, peu importe au demeurant que ses propos rejoignent l'opinion défendue dans d'autres médias selon laquelle « si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère situé en France, c'est le fait d'une action du maréchal [Z] en leur faveur » ;

3°/ que n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du Code de procédure pénale et a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure, la cour d'appel qui a relaxé le prévenu en considérant qu'il n'avait pas usé du déterminant « les » quand il résulte des pièces de la procédure et, en particulier, du livre écrit par le prévenu, « Le suicide français », des indications selon lesquelles [Z] avait fait face aux demandes allemandes : « sacrifier les juifs étrangers pour sauver les juifs français » ».

9. Le moyen proposé pour la LICRA critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déboutée de sa demande indemnitaire après avoir renvoyé M. [B] des fins de la poursuite, alors :

« 1°/ qu'il ressort de l'échange durant lequel ont été tenus les propos poursuivis que, répondant à son interlocuteur qui lui reprochait d'avoir précédemment dit que [Z] « avait sauvé les juifs français », M. [B] a affirmé « c'est encore une fois le réel », de sorte qu'en retenant, pour relaxer le prévenu, que ces propos n'avaient pas pour objet de contester ou minorer le nombre de victimes de la déportation ou la politique d'extermination dans les camps de concentration, la cour d'appel a méconnu l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ que l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 n'exige pas que les crimes contre l'humanité contestés aient été exclusivement commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu'il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers ; qu'en retenant, pour écarter la culpabilité de M. [B], que [X] [Z] n'avait pas été lui-même poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l'humanité, ce qui, sauf à constater qu'il n'avait pas été l'exécutant de ces crimes, était sans incidence sur la culpabilité du prévenu, la cour d'appel a méconnu le texte précité ».

Réponse de la Cour

10. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

11. Le premier de ces textes réprime la contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

12. Aux termes du second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

13. Il appartient aux juges du fond, saisis d'une infraction prévue à l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d'apprécier le sens et la portée des propos litigieux, au besoin, au vu des éléments extrinsèques à ceux-ci invoqués par les parties.

14. Il revient à la Cour de cassation de contrôler cette appréciation du sens et de la portée desdits propos et de vérifier que l'analyse des éléments extrinsèques, que les juges du fond apprécient souverainement, est exempte d'insuffisance comme de contradiction.

15. Pour confirmer le jugement, relaxer M. [B] et débouter les parties civiles de leurs demandes, l'arrêt attaqué énonce que les propos reprochés au prévenu ont été tenus à la suite d'une brusque interpellation, au cours de laquelle M. [I] lui a reproché d'avoir affirmé, dans une autre émission, que « [Z] avait sauvé les juifs », les juges relevant que, dans cet échange, seul M. [I] a fait usage du déterminant « les », le prévenu ayant uniquement précisé « français ».

16. Les juges ajoutent qu'il était fait référence à une opinion défendue par M. [B], tant dans son livre « Le suicide français » qu'à l'occasion d'émissions télévisées, selon laquelle, si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs étrangers résidant en France, c'était le fait d'une action de [X] [Z] en leur faveur.

17. Ils en déduisent que, si ces propos peuvent heurter les familles de déportés, ils n'ont pas pour objet de contester ou minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d'extermination dans les camps de concentration.

18. Ils retiennent encore que, si la Haute Cour de justice a reconnu [X] [Z] coupable « d'attentat contre la sûreté intérieure de l'Etat et d'avoir entretenu des intelligences avec l'ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrélation avec les siennes », l'intéressé n'a pas été poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis à l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945.

19. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

20. En premier lieu, il est indifférent que [X] [Z] n'ait pas été condamné pour un ou plusieurs crimes tels qu'ils sont définis à l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945.

21. En effet, la Cour de cassation juge que l'article 24 bis précité n'exige pas que les crimes contre l'humanité contestés aient été exclusivement commis soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu'il suffit que les personnes ainsi désignées les aient décidés ou organisés, peu important que leur exécution matérielle ait été, partiellement ou complètement, le fait de tiers (Crim., 24 mars 2020, pourvoi n° 19-80.783).

22. En deuxième lieu, les juges n'ont pas procédé à l'analyse exhaustive des propos poursuivis.

En effet, alors qu'à la fin de l'échange, son interlocuteur affirmait « ou avait sauvé les juifs français, c'est une monstruosité, c'est du révisionnisme », le prévenu a répliqué « c'est encore une fois le réel », reprenant ainsi à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés selon lesquels [X] [Z] avait « sauvé les juifs français ».

23. Enfin, procédant à l'analyse du contexte dans lequel les propos ont été tenus, ils ne pouvaient, sans mieux s'expliquer, retenir, au terme de leur examen des éléments extrinsèques invoqués en défense, en quoi cette affirmation devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que M. [B] aurait exprimés antérieurement.

24. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 12 mai 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Dary - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia ; SCP Spinosi ; Me Goldman ; SCP Le Griel -

Textes visés :

Article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Rapprochement(s) :

Crim., 8 octobre 1991, pourvoi n° 90-83.336, Bull. crim. 1991, n° 334 (2) (rejet).

Crim., 5 septembre 2023, n° 22-84.763, (B), FRH

Cassation

Diffamation – Exclusion – Cas – Propos s'inscrivant dans le cadre d'un débat d'intérêt général – Conditions – Base factuelle suffisante – Propos ne dépassant pas les limites admissibles de la liberté d'expression

M. [R] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-2, en date du 28 juin 2022, qui, pour diffamation publique, l'a condamné à 10 000 euros d'amende avec sursis, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 21 février 2020, M. [L] [J] a porté plainte et s'est constitué partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier à la suite d'un article publié le 20 décembre 2019 par son associé, M. [R] [V], sur sa page [2], intitulé « ma décennie à transformer [1], découverte de la fraude, faire face aux représailles et à la fin : l'espoir ». Cet article imputait à M. [J] plusieurs comportements délictueux et manquements aux réglementations applicables, dans le cadre de la gestion de la société de fabrication et de commercialisation de produits cosmétiques au sein de laquelle ils travaillaient ensemble.

3. Le tribunal correctionnel a notamment rejeté l'exception de nullité de l'acte initial de poursuites, déclaré M. [V] coupable du chef susvisé, l'a condamné à 10 000 euros d'amende avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Le prévenu et le ministère public, puis la partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le deuxième moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [V] coupable des faits de diffamation envers particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique qui lui étaient reprochés, alors :

« 2°/ en toute hypothèse, que sont justifiés les propos diffamatoires portant sur un sujet d'intérêt général et reposant sur une base factuelle suffisante ; que l'existence d'un sujet d'intérêt général et d'une base factuelle suffisante suffisent à justifier des propos diffamatoires indifféremment des critères traditionnels de la bonne foi ; qu'en se bornant à analyser la justification des propos poursuivis au regard des critères de la bonne foi sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (dernières écritures d'appel de l'exposant, p. 11, in fine) si les propos en question portaient sur un sujet d'intérêt général lié à la santé publique et reposaient sur une base factuelle suffisante, critères distincts des quatre critères de la bonne foi, traditionnellement retenus au bénéfice de l'auteur de propos diffamatoires, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 appliqué à la lumière dudit article ;

3°/ en toute hypothèse, que, en matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'exprimait dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, s'est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher d'abord, en application de ce même texte, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s'agissant de l'absence d'animosité personnelle et de la prudence dans l'expression ; qu'en se bornant à examiner si M. [V] s'exprimait dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle et s'était appuyé sur une enquête sérieuse sans rechercher si les propos qui lui étaient reprochés s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général et reposaient sur une base factuelle suffisante, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 appliqué à la lumière dudit article. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

7. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

8. Pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi et confirmer le jugement, l'arrêt attaqué, après avoir énoncé que les propos poursuivis portent atteinte à l'honneur ou à la considération de la partie civile, retient en substance que les pièces produites par M. [V], précisément énumérées et analysées, ne permettent pas de corroborer les faits dénoncés dans la publication litigieuse ni de considérer que ce dernier ait agi de bonne foi en tant que lanceur d'alerte.

9. Les juges ajoutent que le terme de « représailles », dans un contexte de mésentente entre M. [V] et M. [J], est exclusif de bonne foi en ce qu'il est excessif.

10. Ils concluent que le prévenu ne peut arguer de sa bonne foi dès lors que les faits dénoncés reposent sur une enquête partiale qui ne peut être qualifiée de sérieuse, qu'ils n'ont pas été divulgués dans un but légitime d'information et en l'absence d'animosité personnelle, puisque la société de M. [V] est directement concurrente de celle de M. [J], que les deux hommes ne s'entendent plus et que le premier a par ailleurs essayé de faire nommer un administrateur provisoire pour exclure le second de sa société, demande dont il a été définitivement débouté.

11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

12. En effet, lorsque l'auteur des propos soutient qu'il était de bonne foi, il appartient au juge de rechercher, en premier lieu, en application de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de légitimité du but de l'information et d'enquête sérieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement les critères de l'absence d'animosité personnelle et de la prudence et mesure dans l'expression.

13. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les troisième et quatrième moyens de cassation proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 28 juin 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Merloz - Avocat général : M. Tarabeux - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 28 juin 2017, pourvoi n° 16-80.064, Bull. crim. 2017, n° 178 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités ; Crim., 15 octobre 2019, pourvoi n° 18-83.255, Bull. crim. (cassation).

Crim., 5 septembre 2023, n° 22-85.540, (B), FS

Cassation sans renvoi

Exhibition en public d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité – Eléments constitutifs – Elément matériel – Production ostentatoire et reproduction des agissements – Exclusion – Cas – Fixation et diffusion de l'image des objets

La contravention d'exhibition en public d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité, prévue à l'article R. 645-1 du code pénal, suppose de produire de façon ostentatoire à la vue d'autrui l'un des objets énumérés par ce texte, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations précitées. Il s'ensuit que le fait de fixer et de diffuser l'image de ces seuls objets, par quelque moyen de communication que ce soit, ne caractérise pas la contravention susvisée.

La diffusion sur un moyen de communication au public par voie électronique des objets visés à l'article R. 645-1, fût-ce en vue de leur commercialisation, qui n'est pas en elle-même incriminée, est susceptible de caractériser, dans certains cas, l'infraction d'apologie de crimes contre l'humanité, prévue à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer le prévenu coupable de la contravention prévue à l'article R.645-1 du code pénal, énonce que celui-ci a proposé à la vente aux particuliers, sur son site internet, des objets ayant appartenu au IIIe Reich, tels une croix gammée ou un aigle surmontant une croix gammée, chaque objet mis en vente, photographié, étant accompagné d'une notice descriptive.

Apologie de crimes – Apologie de crimes contre l'humanité – Domaine d'application – Diffusion au public d'uniformes, insignes ou emblèmes d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité – Possibilité

M. [J] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Rouen, chambre correctionnelle, en date du 13 juillet 2022, qui, pour exhibition en public d'uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d'organisations ou de personnes responsables de crimes contre l'humanité, l'a condamné à 1 500 euros d'amende avec sursis, une confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Une enquête préliminaire, ouverte à la suite d'un signalement du [1], a établi que M. [J] [U] gérait un site internet consacré à la vente en ligne d'articles militaires historiques, proposant une centaine d'objets comportant un emblème nazi, seule une partie des images de ces objets ayant été floutée.

3. M. [U] a été relaxé du chef de la contravention susvisée par jugement du 14 septembre 2021.

4. Le ministère public, puis la partie civile, ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [U] coupable des faits reprochés, l'a condamné à la peine de 1 500 euros d'amende intégralement assortie du sursis, a ordonné la confiscation des scellés, et l'a condamné à payer au [1] la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, alors :

« 1°/ que la loi pénale est d'interprétation stricte ; que le seul fait de commercialiser des objets militaires comportant un insigne nazi sur un site internet en vue de leur vente en ligne en exposant une photographie desdits objets accompagnée d'une notice, est impropre, ou à tout le moins insuffisant, à caractériser une exhibition en public desdits insignes au sens de l'article R. 645-1 du code pénal ; qu'en retenant pour déclarer coupable M. [U] que la vente entre particuliers, sur un site accessible à tous, des objets militaires ayant appartenu au IIIe Reich, et clairement identifiés comme tels comme étant porteurs d'une insigne nazie, revient par définition à exhiber ces objets, que dès lors que le site internet de M. [U] propose librement à la vente ces objets, il en fait nécessairement la publicité par le moyen des photos et des notices descriptives cherchant à mettre en valeur les objets présentés, que la vente en ligne, qui a pour seul but de faciliter la transaction en multipliant les connexions d'internautes, constitue en réalité une exhibition de ces insignes nazis, que proposer la vente en ligne de ces objets nazis, à laquelle tout internaute peut accéder, constitue, de la même façon que ces objets seraient exposés dans la vitrine d'un magasin, ou lors d'une vente aux enchères, une exhibition, la cour d'appel a violé l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les articles 111-4 et R. 645-1 du code pénal et 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 111-4 et R. 645-1 du code pénal :

6. Selon le premier de ces textes, la loi pénale est d'interprétation stricte. Ce principe prohibe que le juge applique, par voie d'analogie ou par induction, la loi pénale à un comportement qu'elle ne vise pas mais qui présente des similitudes avec celui qu'elle décrit (Crim., 1er juin 1977, pourvoi n° 76-91.999, Bull. crim. 1977, n° 198).

En revanche, il ne fait pas interdiction, lorsqu'il existe une incertitude sur la portée d'un texte pénal, que le juge s'attache à la rechercher en considérant les raisons qui ont présidé à son adoption.

7. Selon le second, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait, sauf pour les besoins d'un film, d'un spectacle ou d'une exposition comportant une évocation historique, de porter ou d'exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés soit par les membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international annexé à l'Accord de Londres du 8 août 1945, soit par une personne reconnue coupable par une juridiction française ou internationale d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité prévus par les articles 211-1 à 212-3 du code pénal ou mentionnés par la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964.

8. Le moyen pose la question de l'interprétation des termes « exhiber en public » énoncés à l'article précité.

9. Selon une première interprétation, ces termes désignent exclusivement le fait de produire physiquement, à la vue d'autrui, de façon ostentatoire, un des objets précités.

10. Une seconde interprétation conduit à inclure aussi dans le champ de la répression la présentation ou la diffusion au public d'images ou de représentations desdits objets, sans distinguer selon le moyen utilisé.

11. En premier lieu, les objets visés par ce texte n'ont été envisagés que dans leur matérialité, la norme ne mentionnant pas l'exhibition d'une image en tant que telle, au contraire d'autres textes du code pénal, notamment les articles 222-33-3, 226-2-1 et 227-23, qui incriminent spécifiquement la fixation ou l'enregistrement d'images ainsi que leur diffusion.

12. En second lieu, s'agissant d'une norme d'incrimination édictée par le pouvoir réglementaire, il est possible de se référer à la circulaire prise pour son application par le ministre de la justice.

13. Il résulte de celle-ci que le pouvoir réglementaire a souhaité incriminer « non seulement celui qui porte en public un uniforme ou arbore un insigne nazi mais aussi celui qui, par exemple, accroche à la façade d'un bâtiment un emblème nazi » (CRIM 88-06 F1/25-03-88).

14. Il en résulte que l'exhibition en public, au sens de l'article R. 645-1 du code pénal, suppose de produire de façon ostentatoire à la vue d'autrui l'un des objets énumérés par ce texte, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations responsables de crimes contre l'humanité.

15. Dès lors, le fait de fixer et de diffuser l'image de ces seuls objets, par quelque moyen de communication que ce soit, ne caractérise pas la contravention susvisée.

16. Pour autant, la diffusion sur un moyen de communication au public par voie électronique des objets visés à l'article R. 645-1, fût-ce en vue de leur commercialisation, qui n'est pas en elle-même incriminée, est susceptible de caractériser, dans certains cas, l'infraction d'apologie de crimes contre l'humanité, prévue à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881.

17. En l'espèce, pour déclarer M. [U] coupable d'exhibition en public d'insignes nazis, l'arrêt attaqué énonce notamment que ce dernier a proposé à la vente aux particuliers, sur son site internet, des objets avant appartenu au IIIe Reich, lesquels faisaient partie d'une rubrique afférente à la seconde guerre mondiale et présentaient ces insignes, tels qu'une croix gammée ou un aigle surmontant une croix gammée, chaque objet mis en vente, photographié, étant accompagné d'une notice descriptive détaillée.

18. Les juges ajoutent que le prévenu, collectionneur aguerri, n'ignore pas que la vente en ligne, qui a pour seul but de faciliter la transaction en multipliant les connexions d'internautes, constitue en réalité une exhibition de ces insignes nazis, au sens étymologique du terme, autrement dit, une exposition à la vue de tous, préalable nécessaire à toute vente, fût-elle dématérialisée par le biais d'internet.

Le fait que ce dernier ait flouté les emblèmes litigieux, sur les photographies des objets présentés, démontrait qu'il avait pleinement conscience du caractère infractionnel de ses agissements.

19. Ils en déduisent que proposer à la vente en ligne de tels objets, ainsi accessibles à tout internaute, constitue, de la même façon que leur exposition dans la vitrine d'un magasin ou lors d'une vente aux enchères, une exhibition au sens des dispositions légales applicables, une telle diffusion s'analysant comme la publicité préalable nécessaire à la vente, peu important que l'internaute n'ait pas été démarché par le propriétaire du site.

20. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et les principes ci-dessus rappelés.

21. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 13 juillet 2022 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Merloz - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : Me Bardoul -

Textes visés :

Article 24 de la loi du 29 juillet 1881 ; article R. 645-1 du code pénal.

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