Numéro 9 - Septembre 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

DROITS DE LA DEFENSE

Crim., 19 septembre 2023, n° 23-81.285, (B), FRH

Cassation partielle

Droits de la personne suspectée ou poursuivie – Séance d'identification de suspects – Auditon de témoins suite à la séance – Présence de l'avocat (non)

Il résulte de l'article 61-3 du code de procédure pénale que, si la personne à l'égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a participé, en tant qu'auteur ou complice, à la commission d'un crime ou d'un délit puni d'emprisonnement peut demander qu'un avocat soit présent lors d'une séance d'identification de suspects dont elle fait partie, ce droit ne s'étend pas, s'agissant d'un acte distinct, à l'audition des témoins qui fait suite à cette séance.

M. [J] [Z] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 6e section, en date du 23 février 2023, qui, dans l'information suivie contre lui, notamment, des chefs de vols et destruction par un moyen dangereux, en bande organisée, et association de malfaiteurs, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 12 juin 2023, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés le 3 décembre 2021, M. [J] [Z] a présenté, le 2 juin 2022, une requête en annulation d'actes et de pièces de la procédure.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen

3. Il n'y pas lieu d'examiner le moyen dont le demandeur, par un mémoire complémentaire, a déclaré se désister.

Sur le premier moyen

4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors « que toute personne placée en garde à vue doit pouvoir bénéficier de la présence d'un avocat lors d'une séance d'identification des suspects dont elle fait partie, cette présence s'étendant tout au long de la phase d'identification ; qu'il résulte de la procédure qu'ensuite de la présentation d'un groupe de personnes, dont faisait partie M. [Z], derrière une vitre sans tain, en la présence de l'avocate de ce dernier, les témoins ont chacun été auditionnés par les enquêteurs sur l'identification, hors la présence de l'avocate, de sorte qu'en écartant la nullité de des procès-verbaux d'identification, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 61-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 61-3 du code de procédure pénale que, si la personne à l'égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a participé à la commission d'un crime ou d'un délit puni d'emprisonnement peut demander qu'un avocat soit présent lors d'une séance d'identification de suspects dont elle fait partie, ce droit ne s'étend pas, s'agissant d'un acte distinct, à l'audition des témoins qui fait suite à cette séance.

7. Le moyen tiré de la violation de cet article est dès lors inopérant.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, alors :

« 1°/ que la mise en place d'un dispositif de géolocalisation doit faire l'objet d'une autorisation préalable ; qu'il résulte de la procédure qu'un dispositif de géolocalisation du véhicule Honda a été mis en place le 31 mars 2021 à 9 heures 55 (D105/3), tandis que l'autorisation n'a été réceptionnée par le service enquêteur qu'à 11 heures 04 (D104), de sorte qu'en écartant la nullité de cette géolocalisation, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 230-32 et 230-33 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la chambre de l'instruction de faire application des dispositions de l'article 230-35 du code de procédure pénale lorsque celles-ci n'ont pas été mises en œuvre par l'officier de police judiciaire ; qu'en se retranchant, pour écarter la nullité, derrière les dispositions de l'article 230-35 du code de procédure pénale, auquel ni les enquêteurs ni le procureur de la République n'avaient fait référence, la chambre de l'instruction a méconnu ce texte. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 230-33 et 230-35 du code de procédure pénale :

9. Il résulte du premier de ces textes que les opérations de géolocalisation en temps réel doivent être autorisées par le magistrat compétent par écrit et avant la mise en place du dispositif.

10. Il se déduit du second qu'il n'entre pas dans les pouvoirs de la chambre de l'instruction de faire application de ce texte lorsqu'il n'a pas été mis en œuvre par l'officier de police judiciaire.

11. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité de la mesure de géolocalisation du scooter, l'arrêt attaqué énonce que l'officier de police judiciaire a obtenu le 31 mars 2021 à 9 heures 35 l'autorisation orale du procureur de la République de procéder à la mesure, une autorisation écrite devant être transmise ultérieurement, que la pose du dispositif a eu lieu à 9 heures 55 et qu'un procès-verbal établi à 11 heures 04 fait état de la réception de l'autorisation écrite du magistrat.

12. Les juges considèrent qu'il ne peut être déduit de ce procès-verbal que l'autorisation écrite n'avait pas d'existence avant 11 heures 04 et qu'elle n'avait pas encore été prise au moment de la pose du moyen technique.

13. Ils précisent que, si les dispositions de l'article 230-33 du code de procédure pénale imposent que l'autorisation soit rédigée au moment de l'installation du dispositif, elles ne font pas obligation aux enquêteurs d'être en la possession de cet écrit à cet instant.

14. Ils ajoutent que, au demeurant, l'officier de police judiciaire avait le pouvoir, compte tenu de l'urgence et du risque de dépérissement des preuves décrit au magistrat du parquet, résultant de la mobilité du scooter et de la survenance d'un moment favorable pour l'installation du dispositif, de procéder sans autorisation, à charge pour lui de rendre compte ensuite à ce magistrat.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

16. En effet, d'une part, il résulte des pièces de la procédure, dont la Cour de cassation a le contrôle, que le magistrat a autorisé par téléphone la pose immédiate du dispositif sur le véhicule et annoncé l'envoi ultérieur de la décision écrite, que la pose a eu lieu vingt minutes plus tard, que la décision écrite est parvenue au service enquêteur une heure et quart après la pose et qu'en cet état, ces pièces n'établissent pas que l'acte faisait l'objet d'une autorisation écrite avant d'être exécuté.

17. D'autre part, l'officier de police judiciaire n'a pas mis en œuvre les dispositions de l'article 230-35 du code de procédure pénale l'autorisant, en cas d'urgence, à procéder d'initiative à la pose du dispositif technique, à charge pour lui d'en informer immédiatement le procureur de la République, d'où il suit que la chambre de l'instruction s'est prononcée par des motifs inopérants.

18. La cassation est dès lors encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 23 février 2023, mais en ses seules dispositions ayant rejeté le moyen de nullité de la géolocalisation du scooter, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Lagauche - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Article 61-3 du code de procédure pénale.

Crim., 6 septembre 2023, n° 23-80.608, (B), FRH

Cassation

Juridictions correctionnelles – Débats – Prévenu – Prévenu ou son conseil – Audition – Audition le dernier – Domaine d'application – Audience de cour d'appel – Reconnaissance et exécution d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d'un Etat membre de l'Union européenne

Il se déduit de la combinaison des articles 460, 513 et 728-51 du code de procédure pénale que lorsque la cour d'appel statue sur la contestation de la décision du procureur de la République relative à la reconnaissance et l'exécution d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d'un Etat membre de l'Union européenne, l'avocat de la personne condamnée doit avoir la parole en dernier, et qu'il en est de même si celle-ci est présente.

M. [B] [I] et Mme [F] [I] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, en date du 11 janvier 2023, qui a prononcé sur leurs contestations de reconnaissance et d'exécution de peines prononcées à l'étranger.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par décision du 19 septembre 2014, devenue définitive le 10 mai 2018, la cour de justice de la circonscription de Porto (Portugal) a condamné Mme [F] [I] à une peine de neuf ans et trois mois d'emprisonnement pour esclavage et détention d'arme prohibée, et M. [B] [I] à neuf ans d'emprisonnement pour esclavage.

3. Le 6 octobre 2020, la cour de justice de la circonscription de Porto a transmis aux autorités françaises une demande de reconnaissance et d'exécution de la condamnation sur le territoire français.

4. Par décision du 25 mai 2022, le procureur de la République a reconnu la décision du 19 septembre 2014 comme étant exécutoire sur le territoire français.

5. M. et Mme [I] ont saisi, sur le fondement de l'article 728-48 du code de procédure pénale, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Lyon d'une requête en contestation de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes principales et subsidiaires de M. et Mme [I], alors « qu'à l'audience devant la chambre des appels correctionnels saisie d'une requête contestant la décision par laquelle le procureur de la République a reconnu exécutoire sur le territoire français une décision de condamnation prononcée par un État membre de l'Union européenne, l'avocat de la personne condamnée doit avoir la parole en dernier ; que l'arrêt constate que l'avocate de M. et Mme [I] a été entendue avant les réquisitions du ministère public et ne relève pas que la parole lui aurait ensuite été redonnée, en dernier, de sorte que la cour d'appel a méconnu les articles 513 et 728-51 du code de procédure pénale, ensemble les droits de la défense. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 460, 513 et 728-51 du code de procédure pénale :

7. Selon le troisième de ces textes, la chambre des appels correctionnels, saisie d'une contestation de la décision du procureur de la République relative à la reconnaissance et l'exécution d'une décision de condamnation à une peine privative de liberté prononcée par une juridiction d'un Etat membre de l'Union européenne, statue en audience publique après avoir entendu le ministère public, l'avocat de la personne condamnée, et le cas échéant, cette dernière elle-même.

8. Il se déduit des dispositions combinées de cet article et des deux premiers, ainsi que des principes généraux du droit, que, lorsque la cour d'appel statue sur une telle requête, l'avocat de la personne condamnée doit avoir la parole en dernier, et qu'il en est de même de celle-ci si elle est présente.

9. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a statué sur la requête présentée par M. et Mme [I], sans que leur avocat ait eu la parole en dernier.

10. En l'état de ces mentions, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et du principe ci-dessus rappelé.

11. D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les demandes principales de M. et Mme [I] d'accueillir leur requête en contestation de la décision de reconnaissance et d'exécution en France de la condamnation prononcée par le Portugal, de constater l'impossibilité, en l'état du dossier, de reconnaître et d'exécuter en France la condamnation prononcée par les juridictions portugaises et leurs demandes subsidiaires tendant, d'une part, à ce que soit ordonnée la suspension de cette décision de reconnaissance et d'exécution dans l'attente de la transmission de l'ensemble de le procédure portugaise, en ce compris les décisions de condamnation et, d'autre part, à ce que soit ordonnée la suspension de la mise à exécution de la décision à intervenir sur la compatibilité de l'état de santé des époux [I] avec une détention, alors :

« 1°/ qu'en cas de saisine de la chambre des appels correctionnels, la décision du procureur de la République est non-avenue et la cour d'appel, qui exerce alors les attributions conférées au procureur par les articles 728-39 à 728-42 et 728-42 à 728-44 du code de procédure pénale, doit décider s'il y a eu de reconnaître la décision de condamnation à une peine privative de liberté comme étant exécutoire sur le territoire français ; qu'en se bornant à rejeter les demandes tant principales que subsidiaires des condamnés, sans se prononcer expressément sur le point de savoir s'il y avait lieu de reconnaître le jugement de condamnation comme étant exécutoire sur le territoire français, la cour d'appel a méconnu les articles 728-42, 728-43, 728-50 et 728-52 de ce code ;

2°/ qu'en cas de saisine de la chambre des appels correctionnels, la décision du procureur de la République est non-avenue et la cour d'appel, qui exerce alors les attributions conférées au procureur par l'article 728-44 du code de procédure pénale, doit apprécier s'il y a eu de procéder à l'adaptation de la peine ; qu'en se bornant à rejeter les demandes tant principales que subsidiaires des condamnés, sans examiner si les peines d'emprisonnement de neuf années et de neuf années et trois mois devaient faire l'objet d'une adaptation, en particulier au regard des critères fixés au deuxième alinéa de l'article 728-44 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les articles 593, 728-44, 728-50 et 728-52 de ce code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 728-48 et 728-50 du code de procédure pénale :

13. Selon ces textes, en cas de saisine de la chambre des appels correctionnels d'une requête en contestation de la décision du procureur de la République relative à l'exécution d'une décision de condamnation prononcée par une juridiction d'un Etat membre de l'Union européenne, la décision du procureur de la République est non avenue.

14. Dès lors, la chambre des appels correctionnels ainsi saisie, qui s'est bornée à rejeter les demandes des requérants, sans se prononcer sur la reconnaissance et l'exécution de la décision de condamnation, a méconnu les textes susvisés.

15. La cassation est de nouveau encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 11 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : M. Chauvelot - Avocat(s) : SCP Guérin-Gougeon -

Textes visés :

Articles 460, 513 et 728-51 du code de procédure pénale ; articles 728-48 et 728-80 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 23 février 2022, pourvoi n° 21-81.161, Bull. crim. (rejet), et les arrêts cités.

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