Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 4 avril 2023, n° 22-82.585, (B), FRH

Cassation

Associations – Recevabilité – Circonstance aggravante répondant à l'objet social – Nécessité (non) – Cas – Article 2-1 du code de procédure pénale

L'application de l'article 2-1 du code de procédure pénale n'est pas subordonnée à la caractérisation d'une circonstance aggravante déterminée.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer une association irrecevable en sa constitution de partie civile pour des faits de dégradations aggravées, retient, sans mieux rechercher si les faits ont été commis à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une race ou une religion déterminée, qu'aucune circonstance aggravante tenant à un tel mobile n'a été relevée.

L'association [1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Colmar, chambre spéciale des mineurs, en date du 6 juillet 2021, qui, dans la procédure suivie contre [M] [G], [W] [I], [O] [L], [W] [B] et [K] [H] des chefs de dégradations et violation de sépultures, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 12 février 2015, deux-cent-cinquante tombes du cimetière juif de la commune de [Localité 3] et un mémorial dédié aux martyrs de la Seconde Guerre mondiale ont fait l'objet de dégradations.

3. Par jugement du tribunal pour enfants devenu définitif sur l'action publique, [M] [G], [W] [I], [O] [L], [W] [B] et [K] [H], poursuivis pour ces faits, ont été déclarés coupables des chefs de violation de sépultures en raison de la race, l'ethnie, la nation ou la religion et de dégradations en réunion de biens destinés à l'utilité publique.

4. Le tribunal pour enfants, statuant après renvoi sur les intérêts civils, a notamment déclaré cinq associations, dont l'association [1] et l'association [2], irrecevables en leurs constitutions de partie civile.

5. Les deux associations précitées ont relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de l'association [1], alors :

« 1°/ que l'article 2-1 du code de procédure pénale n'impose pas que soit retenue une circonstance aggravante au titre des infractions qu'il vise, lesquelles doivent seulement avoir été commises au préjudice d'une personne à raison de son origine nationale, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une race ou une religion déterminée, c'est-à-dire être motivées par un mobile raciste de leurs auteurs, pour permettre la constitution de partie civile des associations de lutte contre le racisme ou d'assistance aux victimes de discrimination ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déclaré la constitution de partie civile de l'association [1] irrecevable au motif que les mineurs ont été déclarés coupables de dégradation volontaire de tombes, portail et monument dédié en mémoire des martyrs juifs de la seconde guerre mondiale avec la seule circonstance aggravante de réunion et sur des biens destinés à l'utilité publique, infraction non visée par l'article 2-1 du code de procédure pénale en l'absence de circonstance aggravante liée à l'appartenance à une religion déterminée ; qu'il ressort cependant de l'enquête préliminaire et des propos des prévenus lors de l'audience des 14 et 15 septembre 2017 que les faits ont été commis à raison de l'appartenance des victimes à la religion juive, ce qu'a confirmé le réquisitoire du ministère public énonçant qu'il est indéniable que les dégradations, autant que les profanations, ont été commises en raison de la religion des victimes ; qu'ainsi, en déclarant la constitution de partie civile irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 2-1 du code de procédure pénale ;

2°/ que le principe d'interprétation stricte de la loi pénale ne se réduit pas à une interprétation littérale des textes en la matière ; que l'infraction de violation de sépultures, tombeau, urne cinéraire et monument édifié à la mémoire des morts est une atteinte à l'intégrité de la personne, au titre de laquelle toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination, peut exercer les droits reconnus à la partie civile, lorsque l'infraction a été commise au préjudice d'une personne à raison de son origine nationale, de son appartenance ou de sa non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une race ou une religion déterminée ; qu'en jugeant que l'infraction de profanation de tombes et sépultures avec cette circonstance que les faits ont été commis à raison de l'appartenance des personnes décédées à une religion déterminée, pour laquelle ont été condamnés les cinq mineurs, n'était pas visée par l'article 2-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, desquelles il ressortait que les auteurs des infractions avaient porté atteinte à l'intégrité des personnes décédées et à leurs ayants droit à raison de leur appartenance à la religion juive ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 2-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

7. Pour déclarer l'association [1] irrecevable en sa constitution de partie civile pour les faits de violation de sépultures en raison de la race, l'ethnie, la nation ou la religion, l'arrêt attaqué énonce que ce délit n'est pas inclus parmi les infractions pour lesquelles l'article 2-1 du code de procédure pénale permet aux associations ayant pour objet la lutte contre le racisme ou l'assistance aux victimes de discrimination d'exercer les droits reconnus à la partie civile.

8. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que le délit de violation de sépultures, qui appartient à la catégorie des atteintes à la dignité de la personne, ne relève ni de la catégorie des atteintes à la vie ou à l'intégrité de la personne, ni d'aucune des autres infractions limitativement énumérées par le texte précité.

9. Ainsi, le grief doit être écarté.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Vu les articles 2-1 et 593 du code de procédure pénale :

10. Selon le premier de ces textes, toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant par ses statuts de combattre le racisme ou d'assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse, peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les atteintes volontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne, les menaces, les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations qui ont été commis au préjudice d'une personne à raison de son origine nationale, de son appartenance ou sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une race ou une religion déterminée.

11. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour déclarer l'association [1] irrecevable en sa constitution de partie civile pour les faits de dégradations aggravées dont les prévenus ont été déclarés coupables, l'arrêt attaqué énonce que ces faits, pour lesquels la circonstance aggravante de commission à raison de l'appartenance de la victime à une ethnie, race ou religion déterminée n'a pas été relevée, n'entrent pas dans le champ de l'article 2-1 du code de procédure pénale.

13. En se déterminant ainsi, sans mieux rechercher si les faits de dégradations ont été commis à raison de l'origine nationale, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes à une ethnie, une race ou une religion déterminée, alors que l'application du premier texte susvisé n'est pas subordonnée à la caractérisation d'une circonstance aggravante déterminée, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

14. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 6 juillet 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 2-1 du code de procédure pénale.

Crim., 4 avril 2023, n° 22-83.613, (B), FRH

Cassation

Recevabilité – Collectivités territoriales – Commune – Action exercée par le maire (article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales) – Conditions – Délibération du conseil municipal – Contenu

Il résulte de l'article L. 2122-22, 16°, du code général des collectivités territoriales que le conseil municipal peut légalement déléguer au maire, pendant la durée de son mandat, le droit d'ester en justice pour l'ensemble du contentieux de la commune.

Encourt donc la cassation l'arrêt qui déclare irrecevable la constitution de partie civile d'une commune présentée par son maire au motif que la délégation ne spécifie pas les affaires pour lesquelles le maire a une délégation pour agir en justice, alors que cette dernière autorisait le maire à intenter au nom de la commune, par voie d'action ou d'intervention, toute action en justice quelle que soit sa nature ou à défendre la commune dans toutes les actions intentées contre elle, ceci devant l'ensemble des juridictions administratives, civiles et pénales, ainsi que devant toutes les juridictions sans exception, en charge de contentieux spécialisés, aussi bien en première instance qu'en appel ou en cassation.

La commune de [Localité 1], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Bourges, chambre spéciale des mineurs, en date du 11 mai 2022, qui, dans la procédure suivie contre [O] [E], [K] [Y] et [M] [S], du chef de dégradations aggravées, a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal pour enfants a déclaré [O] [E], [K] [Y] et [M] [S] coupables du chef susvisé et a déclaré la constitution de partie civile de la commune de [Localité 1] (la commune) irrecevable.

3. La commune a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a jugé irrecevable la constitution de partie civile de la commune de [Localité 1], alors « que la délibération du conseil municipal prise en application des articles L. 2132-1 et L. 2122-22, 16°, du code général des collectivités territoriales, lorsqu'elle charge le maire d'intenter au nom de la commune des actions en justice, doit soit préciser les cas de délégation, soit préciser que la délégation concerne l'ensemble du contentieux de la commune ; que le conseil municipal n'est donc pas tenu de lister de manière exhaustive les différents litiges faisant l'objet d'une délégation au maire et peut indiquer expressément que la délégation concerne l'ensemble du contentieux de la commune ; que les délibérations votées par le conseil municipal de la commune de [Localité 1] les 4 mai 2017 et 23 mai 2020 et donnant délégation au maire pour « 16. Intenter au nom de la commune, par voie d'action ou d'intervention, toute action en justice quelle que soit sa nature ou de défendre la commune dans toutes les actions intentées contre elle, ceci devant l'ensemble des juridictions administratives, civiles et pénales, ainsi que devant toutes les juridictions sans exception, en charge de contentieux spécialisés, aussi bien en première instance qu'en appel ou en cassation » sont ainsi régulières en ce qu'elles concernent l'ensemble du contentieux de la commune ; qu'en jugeant pourtant que les délibérations produites, en se bornant à reproduire le texte de l'article 2122-22 du code général des collectivités territoriales de manière générale sans spécifier les affaires pour lesquelles le maire a une délégation pour agir en justice, ne répondent pas à l'impératif de précision exigé par la loi et la jurisprudence de la Cour de cassation et ne constituent pas une délégation valable pour se constituer partie civile, la cour d'appel a violé les articles L. 2132-1 et L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2122-22, 16°, du code général des collectivités territoriales :

5. Il résulte de ce texte que le conseil municipal peut légalement déléguer au maire, pendant la durée de son mandat, le droit d'ester en justice pour l'ensemble du contentieux de la commune.

6. Pour confirmer le jugement ayant déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la commune, l'arrêt attaqué énonce que les délibérations produites se bornent à reproduire les dispositions légales de manière générale sans spécifier les affaires pour lesquelles le maire a une délégation pour agir en justice.

7. En se déterminant ainsi, alors que les délégations produites autorisaient le maire à intenter au nom de la commune, par voie d'action ou d'intervention, toute action en justice quelle que soit sa nature ou à défendre la commune dans toutes les actions intentées contre elle, ceci devant l'ensemble des juridictions administratives, civiles et pénales, ainsi que devant toutes les juridictions sans exception, en charge de contentieux spécialisés, aussi bien en première instance qu'en appel ou en cassation, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

8. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bourges, en date du 11 mai 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Orléans à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bourges et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP L. Poulet-Odent -

Textes visés :

Article L. 2122-22, 16°, du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Sur la même question : Crim., 28 janvier 2004, pourvoi n° 02-88.471, Bull. crim. 2004, n° 19 (rejet).

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