Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

CHAMBRE DE L'INSTRUCTION

Crim., 18 avril 2023, n° 22-85.450, (B), FRH

Annulation

Appel des ordonnances du juge d'instruction – Contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise – Compétence – Président de la chambre de l'instruction seul (non)

Il résulte des articles 167 et 186 du code de procédure pénale, dont le premier ne renvoie pas à l'article 161-1, alinéa 2, du même code, que toute contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise est portée devant la chambre de l'instruction et non devant son seul président.

La société [1] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 25 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de tromperie aggravée, a prononcé sur sa demande de modification d'une mission de complément d'expertise.

Par ordonnance du 5 décembre 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société [1] (la société) a été mise en examen du chef de tromperie aggravée et les magistrats instructeurs lui ont notifié les conclusions d'un rapport d'expertise.

3. La société a formé une demande de complément d'expertise dont le principe a été accepté par les magistrats instructeurs par ordonnance du 6 septembre 2021, lesquels ont, par ailleurs, dit qu'il sera prescrit par ordonnance distincte et rejeté les questions proposées par la société.

4. Par ordonnance du 12 novembre 2021, les juges d'instruction ont prescrit ce complément d'expertise et désigné les experts.

5. Par ordonnance du 29 novembre 2021, les magistrats instructeurs ont partiellement rejeté la demande de la société tendant à modifier ou à compléter les questions posées aux experts.

6. Par requête du 8 décembre 2021, la société a, « dans l'incertitude relative à la juridiction compétente pour examiner le recours formé contre cette décision », d'une part, formé un appel contre celle-ci, d'autre part, déposé une requête aux fins de saisine du président de la chambre de l'instruction, en application de l'article 161-1 du code de procédure pénale.

7. S'agissant de l'appel, le président de la chambre de l'instruction, par ordonnance du 22 mars 2022, a dit n'y avoir lieu à en saisir celle-ci.

8. S'agissant de la requête, par arrêt du 1er juillet 2022, la chambre de l'instruction s'est déclarée incompétente au motif qu'elle relevait de la compétence de son président et a fait retour de la procédure à celui-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la requête de la société [1] tendant à la réformation de l'ordonnance du 29 novembre 2021 par laquelle les juges d'instruction ont rejeté la demande de modification des questions posées aux experts et d'ajout de questions, alors :

« 1°/ d'une part que toute contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise doit être portée devant la chambre de l'instruction, exclusivement compétente pour en connaître, qu'en statuant sur la requête de la société [1] tendant à la réformation de l'ordonnance du 29 novembre 2021 par laquelle les juges d'instruction avaient rejeté sa demande de modification et de complément des questions posées aux experts dans le cadre d'un complément d'expertise, le Président de la Chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation des règles de compétence d'ordre public posées par les articles 186, 161, 161-1 et 167 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 167 et 186 du code de procédure pénale :

11. Il résulte de ces textes, dont le premier ne renvoie pas à l'article 161-1, alinéa 2, du même code, que toute contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise est portée devant la chambre de l'instruction et non devant son seul président.

12. Dès lors, en statuant seul, en méconnaissance des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé, sur une demande de modification de questions afférente à une mission de complément d'expertise, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.

13. L'annulation est, de ce fait, encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 25 juillet 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Coirre - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 161-1, 167 et 186 et du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Crim., 22 mars 2016, pourvoi n° 15-86.470, Bull. crim. 2016, n° 89 (rejet). Sur l'impossibilité pour le président de décider s'il y a ou non lieu de saisir la chambre de l'instruction de l'appel interjeté contre une ordonnance rejetant une demande de complément d'expertise : Crim., 20 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.319, (annulation).

Crim., 18 avril 2023, n° 23-80.661, (B), FRH

Cassation

Procédure – Audience – Audition des parties – Comparution personnelle – Personne mise en examen détenue – Appel d'une ordonnance de prolongation de la détention provisoire – Utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle – Détermination

L'article 706-71 du code de procédure pénale n'opérant aucune distinction selon que la comparution personnelle a été ordonnée par la chambre de l'instruction ou demandée par la personne détenue, appelante d'une ordonnance de prolongation de la détention provisoire, celle-ci peut toujours lors de la notification de l'avis d'audience refuser l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle lorsque celui-ci est envisagé, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion.

M. [I] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 25 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et de blanchiment, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés, M. [I] [M] a été placé en détention provisoire le 14 mai 2022.

3. Par ordonnance du 6 janvier 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de cette détention provisoire.

4. M. [M] a relevé appel de cette décision, par apposition d'une mention manuscrite sur l'ordonnance de prolongation, sans demande de comparution personnelle.

5. Lors de la notification de l'avis d'audience devant la chambre de l'instruction, M. [M] a mentionné refuser la visioconférence.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité formulées par la défense et a confirmé l'ordonnance du 6 janvier 2023 par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [M] pour une durée de quatre mois, alors « que lorsqu'il s'agit d'une audience au cours de laquelle il doit être statué sur la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé, refuser l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle ; que ce choix s'impose à la Chambre de l'instruction, sauf si le transport de l'intéressé paraît devoir être évité en raison de risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion qu'il appartient alors aux juges du fond de caractériser ; qu'au cas d'espèce, l'exposant a interjeté appel d'une ordonnance de prolongation de sa détention provisoire ; que le président de la Chambre de l'instruction, puis la Chambre de l'instruction elle-même, ont ordonné la comparution personnelle de Monsieur [M] ; que ce dernier s'est alors explicitement opposé à l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle pour sa comparution ; qu'en affirmant, pour passer outre ce refus et organiser la comparution de Monsieur [M] par visioconférence, puis, suite au refus réitéré de celui-ci, tenir l'audience en son absence, que « la chambre de l'instruction qui ordonne la comparution personnelle, lorsqu'elle n'est qu'une faculté laissée à son appréciation, peut recourir à la visioconférence qui n'est qu'une modalité de cette comparution », quand en matière de détention provisoire, le recours à la visioconférence n'est pas qu'une faculté laissée à l'appréciation de la Chambre de l'instruction, la personne détenue disposant, aux termes de l'article 706-71 du Code de procédure pénale, du pouvoir de s'y opposer, la Chambre de l'instruction, qui n'a pas établi l'existence d'un risque grave de trouble à l'ordre public ou d'évasion et a ainsi statué au terme d'une procédure irrégulière, a méconnu les dispositions des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-71, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 199 et 706-71 du code de procédure pénale :

8. Selon le premier de ces textes, en matière de détention provisoire, la comparution personnelle de la personne concernée, qui peut être ordonnée par la chambre de l'instruction, est de droit si elle-même ou son avocat en fait la demande selon les modalités qu'il définit.

9. En vertu du second, qui n'opère aucune distinction selon que la comparution personnelle a été ordonnée par la chambre de l'instruction ou demandée par la personne concernée, celle-ci peut, lorsqu'elle est informée de la date de l'audience devant la chambre de l'instruction et du fait que le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle est envisagé, en refuser l'utilisation sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion.

10. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant la chambre de l'instruction en raison de l'absence de comparution de M. [M] qui a refusé le recours à la visioconférence, l'arrêt attaqué énonce que, avant tout débat à l'audience, la comparution personnelle de ce dernier a été ordonnée mais qu'il a refusé de quitter sa cellule et fait parvenir au greffe un mot indiquant « je pensais comparaître personnellement devant la chambre de l'instruction ainsi que cela m'avait été notifié ».

11. Les juges ajoutent que, contrairement à ce qui est induit par cet écrit, M. [M], lors de son appel, n'a pas souhaité comparaître et que sa comparution personnelle a été ordonnée par la chambre de l'instruction.

12. Ils retiennent que la chambre de l'instruction qui ordonne la comparution personnelle, lorsqu'elle n'est qu'une faculté laissée à son appréciation, peut recourir à la visioconférence qui n'est qu'une modalité de cette comparution dont la personne mise en examen ne saurait tirer aucun grief.

13. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait passer outre, sans retenir des risques graves de trouble à l'ordre public ou d'évasion, au refus de comparaître par visioconférence exprimé par M. [M] lors de la notification de l'avis d'audience, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés.

14. La cassation est, par conséquent, encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nîmes, en date du 25 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Coirre - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 706-71 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le fait que la visioconférence ne constitue qu'une modalité de la comparution personnelle devant la chambre de l'instruction : Crim., 27 février 2018, pourvoi n° 17-87.133, Bull. crim. 2018, n° 34 (rejet). Sur l'obligation d'informer la personne détenue, lorsqu'elle est avisée de la date d'audience sur l'appel de son placement en détention provisoire ou sur sa prolongation, de son droit, quand le recours à ce moyen est envisagé, de s'opposer à l'utilisation d'un moyen de télécommunication audiovisuelle : Crim., 20 juin 2018, pourvoi n° 18-81.862, Bull. crim. 2018, n° 120 (rejet). Sur le caractère irrevocable de son choix : Crim., 29 novembre 2017, pourvoi n° 17-85.300, Bull. crim. 2017, n° 274 (rejet).

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