Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

RESTITUTION

Crim., 5 avril 2023, n° 22-80.770, (B), FRH

Rejet

Objets saisis – Demande en restitution – Demande formée par un tiers – Communication des pièces de la procédure – Nécessité – Applications diverses

La chambre de l'instruction saisie de l'appel interjeté par un tiers à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge d'instruction en application de l'article 99 du code de procédure pénale est tenue de s'assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s'il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie et l'ordonnance de saisie, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.

Ne méconnaît pas ce principe, la chambre de l'instruction qui a communiqué à l'appelante les procès-verbaux de saisie des biens dont la restitution était sollicitée et ne s'est pas fondée, dans ses motifs décisoires, sur des pièces précisément identifiées de la procédure.

Mme [U] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 5 janvier 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [D] [E] des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance de refus de restitution rendue par le juge d'instruction.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Dans le cadre de l'information judiciaire diligentée contre M. [D] [E] des chefs de trafic de stupéfiants, blanchiment et association de malfaiteurs, l'avocat de Mme [U] [N], compagne de la personne mise en examen, a saisi le juge d'instruction d'une demande de restitution de la somme de 900 euros saisie à son domicile, et de celle de 10 000 euros saisie au domicile de sa mère.

2. La demande a été rejetée par ordonnance du 5 mars 2021.

3. L'avocat de Mme [N] a interjeté appel de la décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branches

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution des scellés Numéro as argent (espèces) et dalmas trois (espèces) de Mme [N], alors « qu'à la suite de la déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 99, alinéa 6, du code de procédure pénale qui, en ce qu'il prive le tiers qui sollicite la restitution d'un bien saisi de l'accès au dossier de la procédure, méconnaît le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire, garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789, l'arrêt attaqué se trouvera privé de base légale. »

Réponse de la Cour

5. Par décision n° 2022-1020 QPC du 28 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure » figurant au dernier alinéa de l'article 99 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019.

8. Par conséquent, le grief est devenu sans objet.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution des scellés Numéro as argent (espèces) et dalmas trois (espèces) de Mme [N], alors :

« 2°/ qu'en tout état de cause, le principe du contradictoire implique que soit mises à disposition du tiers qui sollicite la restitution d'un bien saisi entre ses mains les pièces de la procédure se rapportant à la saisie ; qu'il résulte de la procédure que si certaines pièces de la procédure ont été communiquées à Mme [N] dans le cadre de sa demande en restitution, toutes les pièces utiles ne l'ont pas été, notamment une expertise des scellés litigieux, de sorte qu'en refusant dans ces conditions la restitution de ces espèces, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier protocole additionnel à cette Convention ;

3°/ que la chambre de l'instruction qui statue sur la requête en restitution d'un objet placé sous main de justice présentée par un tiers est tenue de s'assurer que lui ont été communiqués en temps utile, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires ; que la chambre de l'instruction qui, pour rejeter la demande de restitution, s'est fondée sur des éléments de la procédure concernant M. [E], personne mise en examen, relatifs à son train de vie, qui serait très élevé et caractérisé par le brassage d'argent en espèces et d'objets de valeur tels des montres de grande marque, sans s'assurer de la communication de ces éléments à Mme [N], tiers requérante entre les mains de laquelle la saisie a été pratiquée, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte de l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que, si ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général, les intéressés doivent bénéficier d'une procédure équitable, qui comprend le droit au caractère contradictoire de l'instance.

8. Il s'en déduit que la chambre de l'instruction saisie de l'appel interjeté par un tiers à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge d'instruction en application de l'article 99 du code de procédure pénale est tenue de s'assurer, si la saisie a été opérée entre ses mains ou s'il justifie être titulaire de droits sur le bien dont la restitution est sollicitée, que lui ont été communiqués en temps utile, outre les procès-verbaux de saisie ou, en cas de saisie spéciale, les réquisitions aux fins de saisie et l'ordonnance de saisie, les pièces précisément identifiées de la procédure sur lesquelles elle se fonde dans ses motifs décisoires.

9. Pour confirmer l'ordonnance attaquée, l'arrêt relève préalablement que la requérante ayant fait valoir qu'en sa qualité de tiers intervenant, n'avait pas accès au dossier de la procédure, et ayant sollicité la délivrance d'une copie de certaines pièces notamment du procès-verbal de perquisition à son domicile, il a été fait droit à cette requête en lui fournissant la copie des procès-verbaux des perquisitions effectuées à son domicile, ainsi qu'à celui de sa mère, et de son audition.

10. Sur le fond, les juges retiennent que la caractéristique de l'argent conservé en espèces est qu'il est fongible et que, dès lors, les documents que Mme [N] verse aux débats pour justifier de son activité professionnelle et des pourboires qu'elle dégage, ou de dons qu'elle aurait reçus de personnes proches à l'occasion de son anniversaire ou de la naissance de son enfant, sont sans valeur et sans portée probante, rien ne démontrant que les billets saisis proviennent de ces pourboires ou de ces dons.

11. Ils ajoutent que ces documents et les explications que la requérante fournit pour les étayer ont d'autant moins de valeur probante quant à sa propriété sur ces sommes en espèces placées sous scellés, qu'il faut rappeler qu'elle est la compagne de M. [E], personne mis en examen pour être impliqué dans un important trafic de stupéfiants, contre lequel des qualifications d'importation de drogue et de blanchiment d'argent issu de ce trafic ont été retenues, à la suite de saisies de drogue, lors de son interpellation et celle d'autres protagonistes en novembre 2020, s'élevant à un total de 469 kilos de résine de cannabis.

12. Ils précisent encore que le train de vie de M. [E] est très élevé et que le brassage d'argent en espèces, comme d'autres objets de valeur, le caractérise.

13. Ils concluent que ces éléments concernant M. [E] doivent nécessairement être pris en compte dans le cadre de la demande de restitution de l'argent que Mme [N] réclame, alors qu'elle ne justifie en réalité d'aucune possession légitime ni tracée de telles sommes en espèces, que ce soit chez elle ou chez sa mère, en sorte que faute de justifier que ces objets contenus dans ces scellés lui appartiennent en tout ou partie, l'intéressée est mal fondée en sa demande de restitution.

14. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a communiqué à l'appelante les procès-verbaux de saisie des biens dont la restitution était sollicitée, et ne s'est pas fondée, dans ses motifs décisoires, sur des pièces précisément identifiées de la procédure, n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : Me Laurent Goldman -

Textes visés :

Article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 99 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 21 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.071, Bull. crim. (rejet), et les arrêts cités.

Crim., 19 avril 2023, n° 22-85.243, (B), FRH

Cassation

Objets saisis – Demande en restitution – Demande formée par un tiers – Tiers de bonne foi – Instrument ou produit direct ou indirect de l'infraction – Absence d'influence

Les dispositions de l'article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale, selon lesquelles il n'y a pas lieu à restitution par la juridiction d'instruction notamment lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction, doivent être interprétées à la lumière des dispositions de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, ce dont il résulte que les droits du tiers de bonne foi doivent être réservés, que le bien soit l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.

Encourt la censure l'arrêt qui, pour rejeter la demande de restitution formée par un tiers, énonce que le bien dont la restitution est sollicitée est l'instrument de l'infraction, sans constater que le demandeur ne faisait valoir sur celui-ci aucun titre de détention régulier, ni rechercher s'il était de bonne foi.

M. [F] [B] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 27 avril 2022, qui, dans l'information suivie, notamment, contre M. [U] [M] des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance de refus de restitution de bien saisi rendue par le juge d'instruction.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs susvisés, des paquets thermosoudés contenant de l'herbe de cannabis pour un poids de 101,64 kg ont été découverts le 25 avril 2021 dans un véhicule Audi RS3 immatriculé [Immatriculation 1].

3. Les investigations ont établi que ce véhicule, signalé volé, était en réalité immatriculé en Suisse sous le numéro [Immatriculation 2].

4. M. [F] [B], tiers à la procédure, a formé auprès du juge d'instruction une demande de restitution du véhicule.

5. Par ordonnance du 12 octobre 2021, le juge d'instruction a rejeté cette demande.

6. M. [B] a relevé appel de la décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de restitution à M. [B] du véhicule Audi RS3 immatriculé [Immatriculation 2], alors :

« 1°/ que toute personne a droit au respect de ses biens ; que le tiers de bonne foi a le droit à revendiquer auprès du juge le bien saisi dont il a la libre disposition même si ce bien a été l'instrument de l'infraction ; qu'en se fondant sur le seul fait que le véhicule saisi avait servi à la commission de l'infraction pour refuser de le restituer à M. [B], tiers de bonne foi, qui prévalait de son droit de locataire de longue durée sur le bien qui lui avait été volé, sans s'assurer que ce refus ne portait pas atteinte au droit de M. [B] au respect de ses biens et à son droit à l'accès à un juge, la chambre de l'instruction a violé l'article 131-21 du code pénal, les articles 706-153 et 99 du code de procédure pénale, ensemble les articles 6, § 1, et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention, les articles 17 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale :

8. Selon ce texte, il n'y a pas lieu à restitution par la juridiction d'instruction notamment lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.

9. Cependant, ce texte doit être interprété à la lumière des dispositions de l'article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014, ce dont il résulte que les droits du tiers de bonne foi doivent être réservés, que le bien soit l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction.

10. L'arrêt attaqué mentionne qu'aux termes de son mémoire régulièrement déposé, le tiers appelant expose qu'il est titulaire d'un contrat de leasing sur le véhicule saisi, qu'il a loué au garage GS Auto SA, que des sous-locations ont été organisées sans l'en informer, et qu'il produit la carte grise dudit véhicule, les contrats de location ainsi que la plainte déposée par lui à la suite du vol du véhicule.

11. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction rejetant la demande de restitution de l'appelant, les juges énoncent qu'il résulte des éléments de la procédure que le véhicule dont la restitution est sollicitée est l'instrument de l'infraction.

12. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui a refusé de restituer un bien constituant l'instrument de l'infraction sans constater que le demandeur ne faisait valoir sur celui-ci aucun titre de détention régulier, ni rechercher s'il était de bonne foi, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

13. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, en date du 27 avril 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Chafaï - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Article 6, § 2, de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 ; article 99, alinéa 4, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la restitution de l'objet produit de l'infraction au tiers de bonne foi, à rapprocher : Crim., 7 novembre 2018, pourvoi n° 17-87.424, Bull. crim. 2018, n° 188 (cassation), et l'arrêt cité ; Crim., 20 janvier 2021, pourvoi n° 20-81.118, Bull. crim. (rejet).

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