Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JUGE DES LIBERTES ET DE LA DETENTION

Crim., 12 avril 2023, n° 23-80.668, (B), FRH

Rejet

Détention provisoire – Débat contradictoire – Défaut de délivrance du permis de communiquer – Permis non régulièrement sollicité – Obligation de renvoi du débat contradictoire (non) – Cas – Demande de permis de communiquer adressée à un mauvais numéro et ambigüe

Le juge des libertés et de la détention n'est pas tenu d'ordonner le renvoi du débat contradictoire pour permettre la délivrance par le juge d'instruction d'un permis de communiquer à l'avocat de la personne mise en examen si celui-ci n'a pas été régulièrement sollicité.

N'encourt pas la censure la chambre de l'instruction qui rejette la demande de nullité du débat contradictoire, prise du refus du juge des libertés et de la détention d'ordonner son renvoi en l'absence de délivrance du permis de communiquer aux avocats de la personne mise en examen, dès lors que ces derniers ont adressé leur demande à un numéro de télécopie différent de celui du cabinet du juge d'instruction et, que l'une de ces demandes était de surcroît ambigüe, en ce qu'elle était formulée dans un courrier dont l'objet était une demande de copie des pièces de la procédure.

M. [J] [X] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Montpellier, en date du 19 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs, notamment, de meurtre en bande organisée, association de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [J] [X] a été mis en examen le 6 janvier 2023 des chefs précités, et a désigné MM. Anthony Truchy, Quentin Truchy et Louis Legentil, avocats, pour assurer sa défense.

3. Le juge d'instruction a saisi le juge des libertés et de la détention et M. [X], assisté de M. Quentin Truchy, a sollicité un renvoi pour préparer sa défense.

Le débat différé a été fixé au 10 janvier 2023 à 14 heures 15 et M. [X] a été incarcéré.

4. Par télécopie du 10 janvier 2023, à 12 heures 07, M. Anthony Truchy a sollicité le renvoi du débat, indiquant ne pas avoir obtenu de permis de communiquer.

Par courriel puis messages sur la plateforme d'échanges externes (PLEX) du même jour (12 heures 12 puis 13 heures 02) le juge des libertés et de la détention a d'abord répondu que le report du débat n'était pas possible en raison des délais restreints, puis que, contact pris avec les services de l'instruction, il n'apparaissait pas qu'une demande de permis de communiquer ait été reçue.

Le second message du juge des libertés et de la détention demandait en conséquence à l'avocat de revenir vers lui pour lui indiquer par quel moyen la demande avait été transmise.

5. Le débat s'est tenu le 10 janvier 2023, hors la présence de tout avocat, et M. [X] a été placé en détention provisoire.

6. M. [X] a interjeté appel de cette ordonnance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen de nullité du débat contradictoire et de l'ordonnance de placement en détention provisoire de M. [X], et a confirmé cette ordonnance, alors :

« 1°/ que le principe de la libre communication entre la personne mise en examen et son avocat, indispensable à l'exercice des droits de la défense, suppose qu'un permis de communiquer entre la personne détenue et son avocat ait été délivré de plein droit à ce dernier dans des conditions lui permettant de s'entretenir librement avec son client et de préparer sa défense, sauf circonstances insurmontables ; que la délivrance d'un tel permis n'est pas même subordonnée à une demande de l'avocat et doit intervenir d'office, d'autant plus rapidement que les délais prévus pour comparaître devant le juge des libertés et de la détention sont brefs en vertu de la loi ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que maître Quentin Truchy, avocat de M. [X] a sollicité le 6 janvier 2023, lors de l'interrogatoire de première comparution, que le débat contradictoire soit différé pour préparer la défense du mis en examen ; qu'aucun permis de communiquer n'ayant été délivré aux avocats de M. [X] en prévision du débat contradictoire fixé au 10 janvier à 14h15, maître Anthony Truchy, avocat choisi par M. [X], a envoyé une demande de copie de pièces et une demande de permis de communiquer par fax adressées au juge d'instruction le 9 janvier 2023 à 8h33, et maître Quentin Truchy, deuxième avocat choisi, a également sollicité un permis de communiquer par télécopie avec accusé de réception du 9 janvier 2023 à 12h32, les deux demandes ayant été adressées à un numéro qui ne serait pas le numéro direct du juge d'instruction saisi de la procédure, n'en ayant pas moins été adressés au greffe, cette circonstance est inopérante pour justifier l'absence de délivrance d'un permis de communiquer, compte tenu de l'obligation pesant sur le juge d'instruction de délivrer fût-ce d'office un tel permis de communiquer aux avocats régulièrement désignés ; qu'en ne délivrant pas de permis de communiquer aux avocats choisis par le mis en examen avant le débat contradictoire qui s'est tenu le 10 janvier 2023, sans justifier de circonstances insurmontables, alors que les avocats de M. [X] n'ont pas été mis en mesure de rencontrer leur client pour préparer sa défense et en excluant néanmoins qu'il ait été porté atteinte au principe de la libre communication du mis en examen avec ses avocats, la chambre de l'instruction a méconnu les droits de la défense, violé l'article 145 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que l'arrêt constate expressément que par télécopie en date du 8 janvier 2023, réceptionnée à 11h28, maître Anthony Truchy a sollicité le renvoi du débat contradictoire en l'absence de délivrance d'un permis de communiquer avec son client, et que par fax du même jour à 12h07, le juge des libertés et de la détention lui a fait connaître, par réponse rapide, son refus de renvoi en raison des « délais restreints » (arrêt p. 10), lui demandant en outre par quel moyen la demande de permis de communiquer avait été transmise ; qu'en considérant (p. 13) que maître Quentin Truchy n'ayant pas demandé le renvoi du débat fixé au 10 janvier 2023, il n'a pas été porté atteinte au principe de la libre communication, sans tenir aucun compte de la demande de renvoi expressément formulée par maître Anthony Truchy, avocat choisi, alors même que le renvoi était encore possible, la chambre de l'instruction a radicalement méconnu les textes et principes susvisés ;

3°/ que la délivrance d'un permis de communiquer étant indispensable à l'exercice des droits de la défense, peu important même que l'avocat concerné ne soit pas celui désigné par la personne mise en examen pour recevoir les convocations, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer par l'examen des pièces de la procédure que les fax adressés au juge d'instruction saisi, le 9 janvier à 8h33 et à 12h32 par les avocats de M. [X] pour demander la délivrance d'un permis de communiquer, ont été reçus par le greffe de la juridiction d'instruction et qu'une demande de renvoi du débat contradictoire, en l'absence de délivrance d'un permis de communiquer avant le délai fixé pour ce débat, a été adressée au juge des libertés et de la détention par maître Anthony Truchy le 10 janvier 2023 à 11h20, laquelle demande a été refusée, alors même que le débat contradictoire pouvait encore se tenir le lendemain 11 janvier, qu'ainsi la chambre de l'instruction qui n'a relevé aucune circonstance insurmontable empêchant la délivrance de cette autorisation avant la tenue du débat contradictoire, ni le report dudit débat au lendemain, a méconnu les textes et principe susvisés ;

4°/ que la chambre de l'instruction ne saurait dans ces conditions considérer qu'il n'y a pas eu d'atteinte portée au principe de la libre communication du mis en examen avec son avocat, et reprocher aux conseils de M. [X] qui, n'ayant pu communiquer avec ce dernier avant qu'intervienne le débat contradictoire ni obtenir le report dudit débat au lendemain, n'ont pu exercer la défense de leur client dans des conditions leur permettant de disposer du temps et des facilités nécessaires à l'exercice de ce droit, en l'absence de toute raison impérieuse de s'abstenir de délivrer les permis de communiquer avant tout débat contradictoire, de ne pas s'être présenté lors dudit débat aux jour et heure dits ; la nullité qui résulte de cette grave et irrémédiable atteinte portée aux droits de la défense, fait nécessairement grief à l'intéressé qui n'a pas été assisté d'un avocat lors de ce débat en violation du principe et des textes susvisés ; que la cassation interviendra sans renvoi. »

Réponse de la Cour

8. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel le juge des libertés et de la détention avait porté atteinte aux droits de la défense, l'arrêt attaqué énonce notamment que les demandes de permis de communiquer ont été adressées séparément par MM. Quentin et Anthony Truchy le 9 janvier 2022 à un numéro de télécopie qui n'était pas celui du cabinet d'instruction concerné, celle émanant de M. Anthony Truchy portant d'ailleurs en en-tête la mention « demande de copie », de sorte qu'il n'est pas établi que lesdites demandes aient été reçues.

9. Les juges ajoutent qu'il est étonnant que l'avocat concerné ne se soit pas inquiété des suites données à sa demande, en l'absence de réponse.

10. Ils en déduisent qu'aucune atteinte aux droits de la défense ne peut être retenue.

11. En l'état de ces seuls motifs, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, si le juge d'instruction peut délivrer d'office le permis de communiquer à l'avocat de la personne mise en examen, le code de procédure pénale ne lui fait cependant obligation d'une telle délivrance que lorsque le permis a été régulièrement sollicité.

13. En second lieu, c'est à juste titre que la chambre de l'instruction a retenu que tel n'était pas le cas en l'espèce dès lors que les demandes de permis de communiquer de MM. Anthony et Quentin Truchy ont été adressées à un numéro de télécopie différent de celui du cabinet du juge d'instruction et, pour la première, était de surcroît ambigüe, en ce qu'elle était formulée dans un courrier dont l'objet était une demande de copie des pièces de la procédure.

14. Il s'ensuit que, dans ces circonstances, le juge des libertés et de la détention n'était pas tenu d'ordonner le renvoi du débat contradictoire pour permettre la délivrance des permis de communiquer.

15. Ainsi, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Michon - Avocat général : M. Courtial - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Crim., 4 avril 2023, n° 23-80.436, (B), FRH

Rejet

Détention provisoire – Prolongation – Prolongation exceptionnelle – Ordonnance de saisine de la chambre de l'instruction – Motivation – Critères

Lorsque le juge des libertés et de la détention saisit la chambre de l'instruction par une ordonnance motivée en vue de la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, par application du troisième alinéa de l'article 145-2 du code de procédure pénale, ce dernier ne lui impose pas une motivation spéciale sur le fondement des critères imposés à la chambre de l'instruction, seule compétente pour ordonner une telle prolongation.

Dès lors, un moyen qui, pour critiquer le refus d'annulation par la chambre de l'instruction de l'ordonnance par laquelle elle a été saisie, soutient que cette dernière n'était pas spécialement motivée sur le fondement de ces critères, est sans portée sur la validité de l'acte et la régularité de la procédure, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction a été saisie par ordonnance motivée selon les modalités de l'article 137-1 du code de procédure pénale, comme le prévoit l'article 145-2 précité.

M. [F] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 14 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de recel en bande organisée de vol en bande organisée et association de malfaiteurs, en récidive, a ordonné la prolongation de sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [F] [G] a été mis en examen des chefs précités et le juge des libertés et de la détention a ordonné son placement en détention provisoire, sous mandat de dépôt criminel.

3. Le juge des libertés et de la détention a saisi par ordonnance la chambre de l'instruction d'une demande de prolongation de la détention provisoire de M. [G] sur le fondement du troisième alinéa de l'article 145-2 du code de procédure pénale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, et a ordonné à titre exceptionnel pour une durée de quatre mois à compter du 8 janvier 2023 la prolongation de sa détention provisoire, alors :

« 1°/ que le juge des libertés et de la détention est seul compétent pour saisir la chambre de l'instruction, par une ordonnance spécialement motivée, d'une demande de prolongation exceptionnelle de la détention audelà de deux ans ; que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de saisine de la chambre de l'instruction aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, qui n'est pas motivée au regard des investigations devant être poursuivies et du risque d'une particulière gravité pour la sécurité des personnes et des biens que causerait la mise en liberté du mis en examen, est nulle et ne saisit la chambre de l'instruction d'aucune demande ; qu'en jugeant au contraire que le défaut de motivation n'emportait pas nullité de l'ordonnance, au motif qu'elle se réfère à la motivation du juge d'instruction et que la chambre de l'instruction serait tenue, en vertu d'un prétendu effet dévolutif de l'appel, de statuer par motifs propres sur la nécessité d'une prolongation exceptionnelle, la chambre de l'instruction a violé l'article 145-2 du code de procédure pénale ;

2°/ que la chambre de l'instruction est saisie par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, motivée au regard des investigations du juge d'instruction devant être poursuivies ; qu'en rejetant la demande d'annulation de l'ordonnance de saisine, quand elle constatait que celle-ci se bornait à faire référence à la motivation contenue dans l'ordonnance du juge d'instruction du 28 octobre 2022, et à indiquer que tous les mis en examen devaient être interrogés, la chambre de l'instruction a encore violé l'article 145-2 du code de procédure pénale ;

3°/ que la chambre de l'instruction est saisie par une ordonnance du juge des libertés et de la détention, motivée au regard du risque d'une particulière gravité pour la sécurité des personnes et des biens que causerait la mise en liberté du mis en examen ; qu'en rejetant la demande d'annulation de l'ordonnance de saisine, quand cette ordonnance ne se prononçait pas sur l'existence d'un tel risque, la chambre de l'instruction, qui ne pouvait au surplus déduire l'existence de ce risque de la gravité des faits reprochés, a encore violé l'article 145-2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

5. Pour écarter le moyen de nullité tiré de l'insuffisance de motivation de l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a saisi la chambre de l'instruction, l'arrêt attaqué énonce que le défaut de motivation de cette décision n'entraîne pas sa nullité, dès lors qu'en raison de la saisine directe, la chambre de l'instruction est tenue de statuer sur la nécessité de la prolongation à titre exceptionnel de la mesure de détention provisoire.

6. En l'état de ces seules énonciations, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

7. En effet, lorsque le juge des libertés et de la détention saisit la chambre de l'instruction par une ordonnance motivée en vue de la prolongation exceptionnelle de la détention provisoire, par application du troisième alinéa de l'article 145-2 du code de procédure pénale, ces dispositions n'imposent pas que ladite saisine soit spécialement motivée sur le fondement des mêmes critères que ceux imposés à la chambre de l'instruction, seule compétente pour ordonner une telle prolongation.

8. Dès lors, le moyen, qui critique l'ordonnance de saisine de la chambre de l'instruction pour l'absence de motifs qui ne constituent pas une condition de son existence légale, est sans portée sur la validité de l'acte et la régularité de la procédure, la Cour de cassation étant en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction a été saisie par ordonnance motivée selon les modalités de l'article 137-1 du code de procédure pénale, comme le prévoit l'article 145-2 précité.

9. Ainsi, le moyen doit être écarté.

10. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des articles 143-1 et suivants et 145-2 du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : M. Tarabeux - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 137-1 et 145-2 du code de procédure pénale.

Crim., 19 avril 2023, n° 23-80.873, (B), FS

Cassation

Mesures de sûreté – Notification du droit de se taire – Caractère tardif – Effets – Cas – Notification postérieure à une prise de parole sur une demande de renvoi

Le droit de se taire doit être notifié à la personne mise en examen, qui comparait devant le juge des libertés et de la détention saisi du contentieux d'une mesure de sûreté, avant toute prise de parole de celle-ci y compris sur une demande de renvoi.

N'encourt cependant pas la censure l'arrêt qui retient comme régulière une notification de ce droit postérieure à la prise de parole de la personne mise en examen sur une demande de renvoi, dès lors que l'absence de notification antérieure est sans incidence sur la régularité de la décision rendue, puisqu'à défaut d'une telle information, les déclarations de l'intéressé ne peuvent être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

M. [Y] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 27 janvier 2023, qui, dans l'information suivie notamment contre lui des chefs d'associations de malfaiteurs et infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [Y] [V] a été mis en examen le 20 janvier 2022 des chefs susvisés commis en récidive légale et placé en détention provisoire.

3. Sa détention provisoire a été prolongée à deux reprises, par ordonnances du juge des libertés et de la détention en date des 12 mai et 31 août 2022.

4. Par ordonnance du 12 janvier 2023, le juge des libertés et de la détention a, de nouveau, prolongé sa détention provisoire pour une durée de quatre mois.

5. M. [V] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité formées par la défense et confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « qu'à peine de nullité du débat contradictoire relatif à la prolongation de la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention doit notifier à la personne mise en examen son droit de se taire avant l'ouverture des débats, et donc avant toute discussion relative à une éventuelle demande de report de ce débat ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la lecture du procès-verbal de débat contradictoire du 12 janvier 2023 qu'après avoir informé l'exposant de l'absence de son avocat et de la demande de report du débat formée par ce dernier, le juge des libertés et de la détention a entendu Monsieur [V] sur cette demande sans l'informer de son droit au silence ; que le juge n'a en effet « avisé la personne mise en examen que durant l'audience, elle est libre de répondre aux questions, de faire des déclarations spontanées ou de garder le silence » qu'à l'issue du débat relatif à ce report, après avoir implicitement mais nécessairement rejeté cette demande ; qu'en retenant toutefois, pour écarter la nullité du débat contradictoire, que « l'obligation de notifier au mis en examen le droit de se taire a pour finalité d'éviter que celui-ci puisse s'auto-incriminer d'une quelconque façon concernant les faits pour lesquels il est mis en examen » et que « la discussion concernant une demande de renvoi est nécessairement antérieure à l'évocation des faits de la procédure qui pourrait être faite par le mis en examen et cette discussion ne porte que sur les modalités de la tenue du débat contradictoire et de son renvoi éventuel, et cela a bien été le cas en l'espèce », quand le droit de se taire s'applique non seulement au débat sur les faits stricto sensu mais également à tous les débats incidents qui peuvent naître à l'occasion de la présentation de la personne mise en cause devant une autorité ou une juridiction, y compris à l'occasion des discussions concernant le report du débat contradictoire relatif à la détention, la chambre de l'instruction a violé les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 145, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour rejeter le grief de nullité de l'ordonnance contestée, pris du défaut de notification du droit de se taire avant le débat sur la demande de renvoi, l'arrêt attaqué énonce que l'obligation de notifier à la personne mise en examen le droit de se taire a pour finalité d'éviter que celle-ci puisse s'auto-incriminer d'une quelconque façon concernant les faits pour lesquels elle est mise en examen et que la discussion sur la demande de renvoi, antérieure à l'éventuelle évocation des faits par celle-ci, ne porte que sur les modalités de la tenue du débat contradictoire et de son renvoi éventuel.

8. Les juges en déduisent que la notification du droit de se taire est dès lors régulière.

9. C'est à tort que la cour d'appel a retenu que la notification du droit de se taire n'était pas tardive, alors que la personne mise en examen n'en a été informée qu'au cours des débats, après avoir pris la parole sur la demande de renvoi.

10. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que l'absence de notification est sans incidence sur la régularité de la décision rendue, puisqu'à défaut d'une telle information, les déclarations de l'intéressé ne peuvent être utilisées à son encontre par les juridictions appelées à prononcer un renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

11. Le moyen, inopérant, doit dès lors être écarté.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité formées par la défense et confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « que le respect dû aux droits de la défense, et en particulier au droit pour la personne mise en examen d'être assistée par l'avocat de son choix, impose que le juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de report du débat contradictoire fondée, même partiellement, sur l'absence au débat de l'avocat choisi, motive sa décision de rejet par des éléments établissant l'impossibilité de la tenue d'un nouveau débat à une date ultérieure que lorsque le mandat de dépôt de la personne détenue n'expire pas immédiatement après la date initialement prévue pour le débat, seule l'existence de circonstances insurmontables permet de motiver le rejet d'une telle demande ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la lecture du procès-verbal de débat contradictoire du 12 janvier 2023 qu'informé de l'absence de son avocat et de la demande de report formulée par ce dernier, l'exposant a indiqué se joindre à la demande, précisant expressément qu'il « souhaiterait que son avocate soit présente » que le mandat de dépôt de l'exposant n'expirait que le 19 janvier suivant, soit sept jours, dont cinq jours ouvrables, plus tard, de sorte que la tenue d'un nouveau débat contradictoire n'était pas matériellement impossible ; qu'en retenant toutefois, pour justifier la décision de rejet de cette demande par le juge des libertés et de la détention que ce dernier « pouvait, alors même que le renvoi sollicité était possible, estimer souverainement qu'il pouvait statuer sur la prolongation de la détention en l'état de la procédure », quand il lui incombait de constater qu'en l'absence d'impossibilité matérielle d'organiser un nouveau débat, le juge des libertés et de la détention ne pouvait justifier sa décision qu'au regard de circonstances insurmontables, lesquelles faisaient défaut en l'espèce, la chambre de l'instruction a violé l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter la demande d'annulation de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. [V], prise du refus de renvoi du débat contradictoire demandé par son avocat, l'arrêt énonce que le juge des libertés et de la détention pouvait, alors même que le renvoi sollicité était possible, estimer souverainement qu'il était en mesure de statuer en l'état des éléments mis à sa disposition.

14. Les juges précisent que le juge des libertés et de la détention a répondu aux arguments avancés par la défense de la personne mise en examen à l'appui de la demande de report, à savoir l'absence du dépôt du complément d'enquête de faisabilité et le fait que l'avocate de la personne mise en examen n'ait pas pu s'entretenir avec son client les deux jours précédents le 12 janvier 2023, date du débat contradictoire, car ce dernier était en garde à vue.

15. Ils relèvent que depuis la convocation initiale du 22 décembre 2022 pour un débat contradictoire fixé le 4 janvier 2023, reporté au 12 janvier 2023 à la demande de l'avocate de la personne mise en examen, celle-ci a bénéficié du temps nécessaire à la préparation de sa défense, malgré sa garde à vue.

16. Ils en déduisent que le juge des libertés et de la détention a répondu de façon complète à la demande de report du débat contradictoire présentée devant lui.

17. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui s'est assurée que le juge des libertés et de la détention, qui apprécie souverainement les contraintes de son audiencement sans devoir exciper de circonstances insurmontables, avait motivé sa décision de ne pas accéder au renvoi demandé, a justifié sa décision.

18. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de M. [V], alors « qu'en matière correctionnelle, les décisions prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois doivent comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés ; que l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile peut être mise en oeuvre si la personne est mise en examen pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ; qu'il résulte de la procédure que Monsieur [V] est mis en examen notamment du chef d'acquisition et détention d'armes de catégories A et B en réunion, infraction réprimée par les articles 222-52, alinéa 3, et 222-65 du Code pénal de la peine principale de dix années d'emprisonnement et la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire ; qu'il est en outre détenu depuis le 20 janvier 2022, soit plus de huit mois ; qu'en se bornant, pour confirmer l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire de Monsieur [V], à énoncer que « les obligations du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique sont en effet insuffisantes au regard des objectifs de l'article 137 du code de procédure pénale, ces obligations ne permettant que des contrôles discontinus dont la méconnaissance ne pourrait être sanctionnée qu'a posteriori », sans rechercher si la mise en oeuvre mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, qui permet un suivi en temps réel, et non seulement a posteriori, de la position géographique de la personne munie du dispositif, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137-3, 142-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 137-3, dans sa rédaction issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, et 593 du code de procédure pénale :

20. Selon le premier de ces textes, en matière correctionnelle, les décisions du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois ou rejetant une demande de mise en liberté concernant une détention de plus de huit mois doivent comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, prévue au troisième alinéa de l'article 142-5 du code de procédure pénale.

21. L'assignation à résidence sous surveillance électronique peut être exécutée avec un dispositif mobile si la personne est mise en examen pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru.

22. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

23. Pour confirmer l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de M. [V], l'arrêt attaqué précise que le juge des libertés et de la détention peut souverainement statuer en l'état des seuls éléments mis à sa disposition.

24. Les juges rappellent les lourds antécédents de la personne mise en examen, la violation d'un précédent contrôle judiciaire, l'insuffisance de ses garanties de représentation, pour en déduire que seule la détention provisoire permet d'empêcher une concertation frauduleuse de l'intéressé avec ses coauteurs, de prévenir le renouvellement de l'infraction et de garantir sa représentation en justice, ces objectifs ne pouvant être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique, qui ne comportent que des mesures de contrôle discontinues et exercées a posteriori.

25. En se déterminant ainsi, sans s'expliquer sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile à laquelle M. [V] était éligible, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

26. En effet, quoi qu'elle ait confirmé la décision du juge des libertés et de la détention, à défaut de toute mention dans l'arrêt du caractère insuffisant de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, il ne peut être considéré que la motivation spéciale figurant dans cette ordonnance sur ce point ait été implicitement adoptée.

27. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 27 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Piazza - Avocat général : Mme Chauvelot - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 137-3, 142-5, alinéa 3, du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la notification du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire lors du débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention : Crim., 11 mai 2021, pourvoi n° 21-81.277, Bull. crim. (rejet). Sur les conséquences du défaut de notification de ce droit par la chambre de l'instruction saisie du contentieux des mesures de sûreté : Crim., 24 février 2021, pourvoi n° 20-86.537, Bull. crim. (rejet). Sur le constat de l'insuffisance des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile pour prononcer une prolongation de la détention provisoire, à rapprocher : Crim., 15 octobre 2019, pourvoi n° 19-84.799, Bull. crim. (rejet).

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