Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

PEINES

Crim., 19 avril 2023, n° 22-82.994, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Peines complémentaires – Confiscation – Produit de l'infraction – Confiscation en valeur – Motivation – Nécessité

La dérogation au principe de motivation prévue par les articles 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale pour la peine de confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction étant d'interprétation stricte, la confiscation du produit de l'infraction, lorsqu'elle est ordonnée en valeur, doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.

Peines complémentaires – Confiscation – Produit de l'infraction – Confiscation en valeur – Respect de la vie privée et familiale – Contrôle de proportionnalité – Nécessité

Il se déduit des articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention que le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur du produit de l'infraction doit contrôler le caractère proportionné de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits, lorsque cette garantie est invoquée.

M. [E] [K] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, chambre correctionnelle, en date du 28 octobre 2021, qui, pour abus de biens sociaux, l'a condamné à vingt-quatre mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, 50 000 euros d'amende, dix ans d'interdiction de gérer, dix ans d'interdiction d'exercer une fonction publique, cinq ans d'inéligibilité et a ordonné une mesure de confiscation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le tribunal correctionnel a condamné M. [E] [K] du chef d'abus de biens sociaux à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer, cinq ans d'interdiction d'exercer une fonction publique et cinq ans d'inéligibilité.

3. M. [K] a fait appel de la décision, le ministère public relevant appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation du bien immeuble de M. [K] sis sur la commune de [Localité 3] au [Adresse 1], alors :

« 3°/ que si la confiscation rejoint l'intérêt général prévu à l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales permettant de porter atteinte au droit de propriété, c'est à la condition que la sanction imposée ne soit pas disproportionnée au regard du manquement commis ; qu'en infirmant le jugement déféré et en prononçant la confiscation de l'immeuble appartenant à monsieur [K], déjà lourdement condamné, cependant qu'il a été établi que l'immeuble avait été acquis au moyen d'un prêt, à une date antérieure à la période de prévention, la cour d'appel a prononcé une peine disproportionnée et violé les articles 1er du Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 131-21 et 132-1 du code pénal ;

4°/ que le juge, qui ordonne une mesure de confiscation, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit à une vie privée et familiale de l'intéressé lorsqu'une telle atteinte est invoquée ; que monsieur [K] faisait valoir qu'il supportait des charges significatives qui étaient les mêmes depuis 2018 et que sa fille, âgée de 20 ans, vivait chez lui depuis la séparation de ses parents en 2014, qu'il avait toujours assumé seul son quotidien et l'intégralité des frais la concernant et qu'elle demeurait au domicile paternel lorsqu'elle n'était pas à l'université, ce dont il s'évinçait que la confiscation de son domicile familial porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété ainsi qu'à son droit à une vie privée et familiale (conclusions p. 10) ; qu'en se fondant, pour écarter le caractère disproportionné de la confiscation de l'immeuble, sur la circonstance que si la fille du couple était domiciliée chez son père, il n'y avait pas d'atteinte à la vie privée et familiale, car elle pouvait être hébergée par sa mère, séparé de son mari, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant et impropre à écarter l'atteinte à la vie privée et familiale, a privé sa décision de base légale au regard des articles 131-21, 132-1 du code pénal et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

6. Il ressort de l'article 131-21, alinéas 3 et 9, que la confiscation peut porter sur les biens qui sont le produit direct ou indirect de l'infraction, et qu'elle peut être ordonnée en valeur sur tous biens du condamné.

7. Il résulte des articles 132-1 du code pénal et 485-1 du code de procédure pénale qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, sauf s'il s'agit de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction.

8. Cette dérogation au principe de motivation des peines étant d'interprétation stricte, la confiscation du produit de l'infraction, lorsqu'elle est ordonnée en valeur, doit être motivée au regard des critères précités.

9. En l'espèce, pour prononcer la peine de confiscation du bien immobilier situé [Adresse 1] à [Localité 3], dont le prévenu est propriétaire, l'arrêt attaqué énonce, après avoir constaté que le bien immobilier saisi est confiscable au titre de l'article 131-21, alinéas 3, 5 et 9, du code pénal dès lors que le produit des infractions dont le prévenu a seul bénéficié est supérieur à la valeur de l'immeuble saisi, que les faits d'abus de bien sociaux ont été commis dans le cadre d'une activité financée par les deniers publics par deux dirigeants sociaux, l'un apportant son aide et son assistance à l'autre, et ce sur des sommes d'importance.

10. Les juges relèvent que ces comportements ont porté une atteinte particulièrement grave à l'ordre public économique, ayant en l'espèce conduit au placement en redressement judiciaire de la société [2], société de services d'aide à la personne qui employait 633 personnes au 31 décembre 2016, dont l'activité est financée à 90 % par des fonds publics provenant du conseil départemental, et dont le passif déclaré était essentiellement constitué de dettes fiscales et sociales.

11. Ils ajoutent que les actes commis par les prévenus relèvent d'un système organisé au détriment notamment de la société [2], et que ceux-ci ont largement profité, directement ou indirectement via des sociétés dans lesquelles ils étaient associés, du pillage de la trésorerie de l'entreprise, entretenant notamment un train de vie fastueux tandis que les dettes fiscales et sociales s'accumulaient, mettant en péril la pérennité de l'entreprise et l'emploi de salariés.

12. Ils font état, au titre des éléments de personnalité, de ce que M. [K] n'a jamais été condamné, qu'il perçoit un salaire mensuel de 6 000 euros ainsi qu'une prime variable de 1 à 2 % sur le chiffre d'affaires annuel, représentant 149 922 euros pour 2015 et 156 650 euros pour 2016, qu'il n'aurait cependant pas reçue, qu'il rembourserait un emprunt de 1 700 euros, qu'il a une fille majeure à charge, qu'il est séparé de son épouse, qu'au titre de l'année 2020, il a déclaré 78 833 euros de revenus salariés avec des réductions d'impôts pour des investissements outre-mer dans le logement, et qu'il a soutenu ne pas avoir d'autres biens immobiliers que l'immeuble saisi malgré les mentions figurant dans son avis d'imposition.

13. Observant qu'il justifie d'un travail régulier et d'une vie familiale, ils concluent qu'il convient de sanctionner le comportement d'un prévenu qui n'a pas pris conscience de la gravité de ses actes tout en tenant compte de sa situation de délinquant primaire en vue de le dissuader de réitérer des comportements délictueux par le risque d'un emprisonnement tout en favorisant son amendement et sa réinsertion.

14. En statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

15. En effet, il résulte des énonciations de l'arrêt que les juges se sont expliqués sur les éléments relatifs à la gravité des faits, à la personnalité de leur auteur et à sa situation personnelle pour fonder la condamnation du prévenu à la peine complémentaire de confiscation en valeur du produit de l'infraction.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

16. Il se déduit des articles 131-21, alinéas 3 et 9, du code pénal, 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 1er du premier Protocole additionnel à ladite Convention que le juge doit contrôler le caractère proportionné de l'atteinte portée par la confiscation au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, lorsque cette garantie est invoquée.

17. Dès lors que l'illicéité de l'origine du bien confisqué est indifférente à l'éventualité d'une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, qui dépend de l'usage qui en est fait, il ne saurait être dérogé à cette obligation lorsque le bien confisqué est le produit, en nature ou en valeur, de l'infraction poursuivie.

18. Il en résulte que le juge qui prononce une peine de confiscation en valeur à titre de produit de l'infraction doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale du propriétaire du bien confisqué, au regard de la situation personnelle de l'intéressé et de la gravité concrète des faits, lorsque cette garantie est invoquée.

19. En l'espèce, pour rejeter l'argument tiré de l'atteinte disproportionnée portée à la vie privée et familiale de M. [K] par la confiscation du bien constituant son domicile, l'arrêt attaqué énonce que la résidence de la fille majeure du prévenu à son domicile est inopérante en elle-même à démontrer l'atteinte à la vie privée et familiale, étant observé que celle-ci peut également être hébergée par sa mère.

20. Les juges ajoutent que le prévenu a déclaré un revenu salarié mensuel de 6 000 euros et un investissement outre-mer, ce qui lui permet largement de financer une location.

21. Ils concluent que la confiscation de l'immeuble visé ne peut donc constituer une ingérence disproportionnée aux faits pour lesquels le prévenu a été condamné, ni au montant du produit des infractions, ni au montant des amendes prononcées, ni encore à la valeur de l'immeuble confisqué.

22. En statuant ainsi, et abstraction faite du motif inopérant, relatif à la possibilité pour la fille de M. [K] d'être hébergée chez sa mère, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

23. En effet, les juges ont, en se fondant sur la situation personnelle du prévenu et sur la gravité concrète des faits, apprécié, par des motifs dépourvus d'insuffisance, la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée et familiale par la confiscation du bien constituant le domicile familial du condamné.

24. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

25. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [K] l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, alors :

« 1°/ que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; que l'article L. 249-1 du code de commerce limite l'interdiction de diriger ou gérer une personne morale aux entreprises commerciales, industrielles et aux sociétés commerciales ; qu'en prononçant à l'encontre de monsieur [K] l'interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler « une entreprise ou une société » pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé l'article 111-3 du code pénal, ensemble l'article L.241-9 du code de commerce ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal :

26. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

27. Après avoir déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué l'a condamné, notamment, à l'interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans.

28. En prononçant ainsi une interdiction de gérer toute entreprise ou toute société, alors que les articles L. 249-1 et L. 654-5 du code de commerce, applicables au délit reproché, limitent une telle interdiction aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

29. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

30. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé à l'encontre de M. [K] l'interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée de dix ans, alors :

« 1°/ que, lorsqu'elle est encourue à titre de peine complémentaire pour un crime ou un délit, l'interdiction d'exercer une fonction publique ou d'exercer une activité professionnelle ou sociale est soit définitive, soit temporaire ; dans ce dernier cas, elle ne peut excéder une durée de cinq ans ; qu'en prononçant à l'encontre de monsieur [K] l'interdiction de toute fonction ou emploi public pour une durée de dix ans, la cour d'appel a violé l'article L.131-27 du code pénal, ensemble l'article 111-3 du même code ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 111-3 du code pénal :

31. Selon ce texte, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

32. Après avoir déclaré M. [K] coupable d'abus de biens sociaux, l'arrêt attaqué l'a condamné, notamment, à l'interdiction d'exercer une fonction publique pour une durée de dix ans.

33. En prononçant ainsi l'interdiction d'exercer une fonction publique pour une durée de dix ans, alors que les articles L. 249-1 du code de commerce et 131-27 du code pénal, applicables au délit reproché, limitent une telle interdiction, lorsqu'elle est temporaire, à une durée de cinq ans, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

34. La cassation est par conséquent de nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

35. La cassation, qui sera limitée aux dispositions relatives aux peines complémentaires d'interdiction de gérer et d'exercer d'une fonction publique prononcées, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, en date du 28 octobre 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines d'interdiction de gérer et d'exercer d'une fonction publique prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que l'interdiction de gérer prononcée à titre de peine complémentaire contre M. [K] est limitée à la direction ou à la gestion, directes ou indirectes, d'une entreprise commerciale ou industrielle ou d'une société commerciale ;

DIT que l'interdiction d'exercer une fonction publique prononcée à titre de peine complémentaire contre M. [K] est limitée à une durée de cinq ans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Chafaï - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 132-1 du code pénal ; article 485-1 du code de procédure pénale ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 131-21 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Sur la confiscation du bien produit de l'infraction lorsqu'elle n'est pas ordonnée en valeur, à rapprocher : Crim., 31 janvier 2018, pourvoi n° 17-81.876, Bull. crim. 2018, n° 29 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 19 avril 2023, n° 22-83.355, (B), FRH

Rejet

Peines complémentaires – Peine d'inéligibilité – Exécution provisoire – Motivation – Nécessité (non)

Ni l'article 485-1 du code de procédure pénale, ni aucune autre disposition législative ne prévoient l'obligation pour les juges de motiver le choix d'assortir une peine d'inéligibilité de l'exécution provisoire.

M. [I] [L] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Riom, chambre correctionnelle, en date du 18 mai 2022, qui, pour complicité d'escroquerie aggravée, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, 2 000 euros d'amende, deux ans d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme (la CPAM) a porté plainte, dénonçant des prestations indûment perçues par un de ses assurés, M. [D] [M], grâce à des arrêts de travail frauduleux établis par M. [I] [L].

3. Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal correctionnel a condamné M. [L] pour complicité d'escroquerie aggravée à six mois d'emprisonnement assorti du sursis, à une amende de 8 000 euros et à cinq ans d'inéligibilité et a prononcé sur les intérêts civils.

4. M. [L], le ministère public et la CPAM ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches, le deuxième moyen, pris en sa première branche et le troisième moyen

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [L] coupable de complicité d'escroquerie au préjudice de la CPAM du Puy-de-Dôme et l'a condamné à six mois d'emprisonnement assorti du sursis, une amende de 2 000 euros, une inégibilité de deux ans assortie de l'exécution provisoire et a prononcé sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que le délit d'escroquerie suppose l'utilisation de manoeuvres frauduleuses déterminantes de la remise de fonds ; que, pour déclarer M. [L] complice d'une escroquerie commise par M. [M], la cour d'appel a retenu que les certificats médicaux étaient de complaisance, ayant été établis sans examen du patient, contrairement aux règles déontologiques ; que M. [L] avait fait valoir que l'absence d'examen physique n'impliquait pas que les certificats médicaux auraient été de complaisance et non médicalement justifiés s'agissant d'un patient présentant une cervicalgie invalidante constatée médicalement et ayant fait l'objet d'un acte chirurgical en mars 2018 ; qu'en se bornant à relever l'absence d'examen pour en déduire l'existence de certificats de complaisance, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants à justifier sa décision au regard des articles 121-7, 313-1, 313-2 du code pénal, 591, 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que, en toute hypothèse, la complicité d'escroquerie suppose que le prévenu a agi sciemment en vue de la commission du délit ; que la cour d'appel ne pouvait déclarer M. [L] complice de l'escroquerie ayant consisté pour M. [M] à s'être fait verser des indemnités journalières, sans rechercher si M. [L] avait conscience que les arrêts de travail n'étaient pas justifiés par l'état de santé de son patient ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'intention frauduleuse qui aurait animé M. [L] et n'a ainsi pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 121-7, 313-1, 313-2 du code pénal, 591, 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer M. [L] coupable de complicité d'escroquerie aggravée, l'arrêt attaqué relève notamment que l'escroquerie commise par M. [M] au détriment de la CPAM n'a pu être réalisée que par la production à cet organisme des arrêts de travail établis par M. [L], médecin, lequel en aurait délivré cinquante-six, d'une durée d'un mois, entre avril 2014 et mars 2019.

8. Les juges relèvent également que M. [L] a reconnu avoir prescrit des arrêts sans examen du patient et que certains des arrêts ont été prescrits alors que le patient se trouvait à l'étranger.

9. Ils ajoutent que M. [L] ne suivait pas médicalement M. [M] et ne faisait que lui prescrire des arrêts de travail, M. [M] étant pour le reste suivi par d'autres médecins. Ils relèvent aussi que M. [L] a délivré des duplicatas d'arrêts de travail inexistants, dans le seul but de rendre service à M. [M] dans ses rapports avec la CPAM et qu'il a estimé que l'état de santé de M. [M] lui permettait de l'employer en novembre et décembre 2018 tout en lui délivrant en février et mars 2019 de nouveaux arrêts de travail de rechute d'un accident de travail.

10. Ils en concluent que M. [L] a sciemment établi des arrêts de travail sans aucun fondement médical, dans le seul but de permettre à M. [M] de percevoir de la CPAM des indemnités.

11. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision et a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

12. En premier lieu, la cour d'appel ne s'est pas fondée uniquement sur le fait que M. [L] n'avait pas examiné M. [M] avant de lui délivrer des arrêts de travail pour en déduire souverainement que ceux-ci étaient de complaisance et sans fondement médical, mais elle s'est fondée sur une pluralité d'éléments matériels, notamment le fait que M. [L] n'était pas le médecin qui suivait médicalement M. [M], qu'il lui avait délivré des duplicatas de certificats d'arrêt de travail inexistants et qu'il l'avait employé tout en lui délivrant peu après cette période d'emploi des arrêts de travail liés à la rechute d'un ancien accident de travail.

13. En second lieu, le fait que la situation médicale de M. [M] justifiait, éventuellement, un arrêt de travail, est en tout état de cause indifférent dès lors que la cour d'appel a retenu que M. [L] avait sciemment établi les arrêts litigieux sans avoir constaté les éléments médicaux qui y étaient décrits.

14. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [L] à six mois d'emprisonnement assorti du sursis, à une amende de 2 000 euros et à une inégibilité de deux ans assortie de l'exécution provisoire, alors :

« 2°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en se bornant à ordonner une peine complémentaire d'inéligibilité assortie de l'exécution provisoire sans motiver spécialement sa décision sur la peine complémentaire et sur le prononcé de l'exécution provisoire, disposition dérogeant au principe de l'effet suspensif des voies de recours, la cour d'appel a méconnu les articles 132-1 du code pénal et 485, 512 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. Pour condamner M. [L] à six mois d'emprisonnement avec sursis, l'arrêt attaqué retient notamment que les faits reprochés, commis entre le 1er avril 2014 et le 4 novembre 2019, présentent une gravité certaine car ils ont été commis au détriment d'un organisme de protection sociale, par un médecin expérimenté, exerçant un mandat de député, aux seules fins de permettre à un proche de percevoir illégalement des revenus issus de la solidarité, et ce durant plusieurs années.

Les juges retiennent également l'absence d'introspection du prévenu et sa volonté de se présenter à nouveau devant les électeurs. Ils ajoutent que M. [L] n'a pas d'antécédents judiciaires, perçoit environ 8 000 euros par mois, est inséré socialement et a indemnisé en grande partie les parties civiles.

17. Pour condamner M. [L] à une peine d'inéligibilité, dont ils relèvent qu'elle est obligatoire, de deux ans, les juges retiennent « les mêmes éléments ». Ils ajoutent que l'effectivité et le sens de la peine justifient le prononcé de l'exécution provisoire.

18. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

19. En premier lieu, il résulte de l'article 485-1 du code de procédure pénale que les juges n'ont pas à motiver le choix de la peine, au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, lorsque celle-ci est obligatoire, ce qui est le cas de la peine d'inéligibilité depuis la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017.

20. En second lieu, ni l'article 485-1 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition législative ne prévoient l'obligation pour les juges de motiver le choix d'assortir une peine d'inéligibilité de l'exécution provisoire.

21. Ainsi, le moyen doit être écarté.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Gillis - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 485-1 du code de procédure pénale ; articles 132-1 et 132-20 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation de motivation d'une modalité d'exécution d'une peine, à rapprocher : Crim., 20 octobre 2021, pourvoi n° 20-87.088, Bull. crim. (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 13 avril 2023, n° 22-85.457, (B), FRH

Rejet

Sursis – Sursis avec mise à l'épreuve – Délai d'épreuve expiré – Prolongation – Motif intervenu avant l'expiration du délai – Effet – Article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Compatibilité

Il se déduit de l'article 132-52 du code pénal que la prolongation du délai de probation, y compris lorsqu'elle est prononcée, conformément à l'alinéa 3 de ce texte, après l'expiration du délai de probation mais à raison d'un manquement ou d'une infraction commis avant, a pour effet de repousser à la fin du délai ainsi prolongé le caractère non avenu de la condamnation, sans qu'il soit fait une distinction selon que ladite condamnation a été prononcée intégralement ou partiellement sous le bénéfice du sursis probatoire.

Ce report du caractère non avenu d'une condamnation, en ce compris la partie ferme d'une condamnation partiellement assortie du sursis probatoire, est compatible avec les exigences de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que cette prolongation doit avoir pour cause un fait survenu pendant le délai initial de probation, et que le juge doit être saisi à cette fin dans le mois suivant l'expiration du délai de probation, lequel, prolongation comprise, ne peut excéder trois années.

M. [L] [F] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Rouen, en date du 29 novembre 2021, qui a déclaré irrecevable sa demande de conversion de peine et a rejeté sa demande d'aménagement de peine.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [L] [F] a été condamné par arrêt de la cour d'appel de Rouen du 4 juin 2018 à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, pendant deux ans, et par arrêts du 12 septembre 2018 à deux peines de deux mois d'emprisonnement chacune.

3. M. [F] a sollicité la conversion ou l'aménagement de ces peines.

4. Le 14 avril 2021, le juge de l'application des peines a ordonné la prolongation pour une durée d'un an du délai de probation afférent à la condamnation prononcée le 4 juin 2018, lequel avait pris fin le 11 décembre 2020.

5. Par jugement du 24 août 2021, le juge de l'application des peines a déclaré irrecevable la demande de conversion de peine et a rejeté les autres demandes d'aménagement.

6. M. [F] a relevé appel de ce jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de M. [F] en conversion en jours-amende, alors :

« 1°/ que la condamnation assortie d'un sursis probatoire pour une partie de l'emprisonnement est réputée non avenue dans tous ses éléments à l'expiration du délai de probation, à moins que la révocation du sursis n'ait été prononcée par le juge ordonnant l'exécution de la totalité de l'emprisonnement ; que le caractère non avenu de la condamnation partiellement assortie de sursis fait alors obstacle à ce qu'elle soit remise à exécution, tant pour sa partie ferme que pour sa partie assortie du sursis ; que si le caractère non avenu de la condamnation, survenu de plein droit à l'expiration du délai de probation, ne fait pas obstacle à la prolongation du sursis probatoire lorsque le manquement ou l'infraction ont été commis avant l'expiration du délai de probation, cette prolongation n'a d'effet que sur la partie de la peine assortie du sursis ; que le caractère non avenu de la condamnation ferme, survenu avant la prolongation du délai de probation, fait obstacle à ce que la partie ferme de la peine soit remise à exécution ; que par motifs propres et adoptés, l'arrêt a déclaré irrecevable la demande de M. [F] aux fins de conversion de peine en jours-amende aux motifs que le condamné doit purger trois condamnations représentant un quantum cumulé de dix mois d'emprisonnement ferme, supérieur au maximum de six mois prévu à l'article 747-1 du code de procédure pénale pour que la demande de conversion de la peine en jours-amende soit recevable ; qu'en statuant ainsi, cependant que la condamnation de M. [F] à une peine d'emprisonnement de six mois ferme par arrêt de la cour d'appel de Rouen du 4 juin 2018 était devenue non avenue à l'expiration du délai de probation le 11 décembre 2020, peu important la prolongation du délai de probation ordonnée le 14 avril 2021 par le juge de l'application des peines, la cour d'appel a violé les articles 132-52 du code pénal et 742 du code de procédure pénale, ensemble l'article 747-1 de ce même code ;

2°/ qu'en interprétant les articles 132-52 du code pénal et 742 du code de procédure pénale comme permettant au juge de l'application des peines, en prolongeant le sursis probatoire, de remettre en cause rétroactivement le caractère non avenu d'une condamnation pénale et de remettre ainsi à exécution la partie ferme de la peine, la cour d'appel, qui a considéré que la condamnation de M. [F] à une peine de six mois ferme par arrêt de la cour d'appel de Rouen du 4 juin 2018 n'était pas non avenue compte tenu de la prolongation du délai de probation décidée par jugement du 14 avril 2021, a violé l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme garantissant le droit de toute personne à la liberté et à la sécurité. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer irrecevable la requête en conversion de peine présentée par le condamné, la chambre de l'application des peines énonce qu'il doit exécuter trois condamnations représentant une durée cumulée de dix mois d'emprisonnement ferme.

9. En prononçant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

10. En premier lieu, il se déduit de l'article 132-52 du code pénal que la prolongation du délai de probation, y compris lorsqu'elle est prononcée, conformément à l'alinéa 3 de ce texte, après l'expiration du délai de probation mais à raison d'un manquement ou d'une infraction commis avant, a pour effet de repousser à la fin du délai ainsi prolongé le caractère non avenu de la condamnation, sans qu'il soit fait une distinction selon que ladite condamnation a été prononcée intégralement ou partiellement sous le bénéfice du sursis probatoire.

11. En second lieu, la possibilité ainsi offerte aux juridictions de l'application des peines de repousser le caractère non avenu d'une condamnation, en ce compris la partie ferme d'une condamnation partiellement assortie du sursis probatoire, est compatible avec les exigences de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que, par application combinée des articles 132-52 du code pénal et 712-20, 742 et 743 du code de procédure pénale, cette prolongation doit avoir pour cause un fait survenu pendant le délai initial de probation, et que le juge doit être saisi à cette fin dans le mois suivant l'expiration du délai de probation, lequel, prolongation comprise, ne peut excéder trois années.

12. Dès lors, le moyen doit être écarté.

13. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : Mme Viriot-Barrial - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 132-52 du code pénal ; article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

Crim., 22 mai 2019, pourvoi n° 18-84.220, Bull. crim. 2019, n° 99 (cassation), et l'arrêt cité ; Crim., 5 janvier 2022, pourvoi n° 21-83.378, Bull. crim. (cassation).

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