Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

ETRANGER

Crim., 13 avril 2023, n° 22-84.426, (B), FS

Rejet

Entrée et séjour – Entrée et séjour irréguliers – Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Champ d'application – Exclusion – Transfert de l'étranger dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013

La directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 n'est pas applicable au transfert d'un étranger d'un Etat de l'Union vers un autre Etat membre, qui est mis en oeuvre conformément au règlement européen n° 604/2013.

N'encoure cependant pas la censure l'arrêt qui, sur le fondement de la directive précitée, prononce la relaxe d'une personne poursuivie à l'occasion d'un tel transfert, du chef de refus de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office d'une mesure d'éloignement, infraction prévue par l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que ce sont les dispositions de l'article L. 824-10 du même code qui sont applicables en matière de transfert, lesquelles n'incriminent pas le refus de se soumettre au test de dépistage de la COVID 19.

Entrée et séjour – Entrée et séjour irréguliers – Transfert de l'étranger dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 – Refus de se soumettre au test de dépistage de la covid 19 – Incrimination (non)

Le procureur général près la cour d'appel de Metz a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 329 de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 juin 2022, qui a relaxé Mme [X] [M] du chef d'infraction à la législation sur les étrangers, en récidive.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [X] [M], de nationalité angolaise, est entrée sur le territoire de l'Union européenne et a déposé une demande d'asile en Allemagne. Elle est ensuite entrée irrégulièrement sur le territoire français.

3. Elle a présenté une demande d'asile à la préfecture du Loiret, le 20 mars 2018, puis elle a fait l'objet d'une procédure de transfert et a été remise aux autorités allemandes le 21 décembre 2018, en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dit règlement Dublin III.

4. Elle a regagné ensuite le territoire français.

5. Le 26 octobre 2021, à la demande des autorités françaises, les autorités allemandes ont accepté de prendre de nouveau en charge Mme [M].

Le 15 novembre suivant, elle a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de transfert en Allemagne.

6. Elle a été placée en rétention administrative, le 3 janvier 2022.

Le 19 février 2022, elle a refusé de se soumettre à un test de dépistage de la covid-19, exigé par les autorités allemandes. Elle a renouvelé ce refus, le 23 février 2022.

7. Elle a été placée en garde à vue, puis poursuivie sur le fondement de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devant le tribunal correctionnel, pour refus, par un étranger, de se soumettre aux modalités de transport ou aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office d'une décision d'éloignement.

8. Par jugement du 1er mars 2022, le tribunal correctionnel a prononcé sa relaxe après avoir fait droit à une exception de nullité.

9. Le procureur de la République a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit aux exceptions de nullités et relaxé Mme [M], alors que l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'exige pas que la personne ait fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'une assignation à résidence ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement, élément légal qui figure exclusivement dans l'article L. 824-3 du même code qui réprime l'infraction de maintien irrégulier sur le territoire, qu'en retenant que l'impossibilité d'engager des poursuites pénales à l'encontre d'un étranger, faisant l'objet d'une mesure de rétention administrative avant l'expiration du délai maximal de rétention, doit s'interpréter comme un principe général s'appliquant non seulement au délit de maintien irrégulier sur le territoire national mais également à ceux d'obstruction et de soustraction à l'exécution d'une mesure administrative de reconduite à la frontière, la cour d'appel a violé les articles L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 591 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

11. Pour accueillir l'exception de nullité soulevée par la prévenue et prononcer sa relaxe, l'arrêt attaqué retient que la poursuite a été exercée alors que le délai maximal de rétention de la personne poursuivie n'était pas atteint, en violation des règles posées par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne.

12. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur le texte et la jurisprudence précités.

13. En effet, l'article 3 de cette directive, qui fixe les normes et procédures à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, définit le retour comme le fait, pour ces ressortissants, volontairement ou en y étant forcé, de rentrer dans leur pays d'origine, ou un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou dans un autre pays tiers qui l'accepte.

14. Les pays de transit ainsi mentionnés sont des pays tiers à l'Union européenne.

15. La directive 2008/115 n'est donc pas applicable aux procédures de transfert d'un État de l'Union européenne vers un autre État membre, qui, comme en l'espèce, sont mises en oeuvre conformément au règlement n° 604/2013.

16. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.

17. Compte tenu de l'objet de la procédure appliquée à la prévenue, l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime la soustraction à l'exécution d'une interdiction administrative du territoire français, d'une obligation de quitter le territoire ou d'une décision d'expulsion, dont la violation a été poursuivie, n'est pas applicable à la situation de la prévenue, poursuivie pour s'être opposée à une décision de transfert.

18. En effet, d'une part, le refus de se soumettre aux modalités de transport désignées à la personne en cause pour l'exécution de la mesure d'éloignement dont elle fait l'objet, prévu par le même article, vise, selon les travaux parlementaires qui s'y rapportent, à réprimer les cas dans lesquels cette personne oppose un refus d'embarquement à l'occasion de l'exécution d'office de cette mesure.

19. D'autre part, c'est en application de l'article L. 824-10 du code précité qu'est puni de trois ans d'emprisonnement, le fait, pour un étranger, de se soustraire à l'exécution d'une décision de transfert prévue par l'article L. 572-1 du même code, selon lequel l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre État peut faire l'objet d'un transfert vers l'État responsable de son examen.

20. Il ne résulte pas de ces derniers textes que le législateur ait entendu sanctionner pénalement le refus, par la personne concernée, à l'occasion de l'exécution de la décision de transfert prise sur le fondement du règlement précité du 26 juin 2013, de se soumettre aux obligations sanitaires préalables à l'exécution d'office de la décision.

21. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : M. Courtial -

Textes visés :

Articles L. 572-1, L. 824-9 et L. 824-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; article 591 du code de procédure pénale.

Crim., 13 avril 2023, n° 22-81.676, (B), FS

Cassation sans renvoi

Entrée et séjour – Entrée et séjour irréguliers – Procédure de rétention administrative – Reconduite à la frontière – Refus de se soumettre aux obligations sanitaires avant le terme de la procédure de rétention – Peine d'emprisonnement – Droit de l'Union européenne – Compatibilité (non)

Le droit de l'Union prohibe la poursuite des délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme.

Il en résulte que l'infraction, prévue à l'alinéa 3 de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de refuser de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

Encourt la cassation l'arrêt qui déclare le prévenu coupable de ce chef alors que sa rétention n'avait pas pris fin.

M. [D] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, chambre correctionnelle, en date du 22 décembre 2021, qui, pour infraction à la législation sur les étrangers, l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 mars 2021, M. [D] [V], ressortissant algérien, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français.

3. Le 9 août 2021, il a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de placement en rétention pour une durée de quarante-huit heures, rétention qui, le 11 août suivant, a été prolongée pour vingt-huit jours par une ordonnance du juge des libertés et de la détention.

Le 8 septembre 2021, une nouvelle prolongation de la mesure a été ordonnée pour trente jours.

4. Les 10 et 26 août, 14 et 30 septembre 2021, M. [V] a refusé de se prêter à un test de dépistage de la covid-19 nécessaire pour embarquer dans un avion à destination de l'Algérie.

5. Par jugement du 7 octobre 2021, le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable de refus de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'une mesure d'éloignement et l'a condamné à trois mois d'emprisonnement.

6. M. [V] a relevé appel de cette décision, le ministère public formant un appel incident.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [V] du délit de refus par un étranger de se soumettre aux modalités de transport ou aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office d'une décision d'éloignement, alors « qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 s'oppose à une réglementation nationale mettant en oeuvre des poursuites pénales à l'encontre du ressortissant d'un pays tiers séjournant irrégulièrement sur le territoire d'un État membre sans que ne soient préalablement mises en échec les mesures coercitives prévues par cette même directive ; qu'il s'ensuit qu'en condamnant Monsieur [V] à une peine d'emprisonnement délictuel de trois mois au titre de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile (CESEDA) du fait de son refus de se soumettre à la réalisation d'un test PCR aux fins d'exécution de sa mesure d'éloignement, alors même que la mesure de rétention administrative dont il faisait l'objet dans le cadre de la procédure d'éloignement n'avait pas expiré, la cour d'appel de Lyon a violé les textes précédemment évoqués. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

8. Selon le premier de ces textes, pris en son paragraphe 1, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet d'une procédure de retour, afin de procéder à son éloignement, en particulier lorsque la personne évite ou empêche la préparation du retour ou de l'éloignement.

9. Le même article, en son paragraphe 6, a), prévoit que la durée de la rétention, dont il fixe le maximum, peut être prolongée, lorsque, malgré les efforts déployés par l'État membre, l'opération d'éloignement se prolonge en raison du manque de coopération de la personne concernée.

10. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que la directive précitée s'oppose à une réglementation d'un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n'étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n'a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l'article 8 de cette directive et n'a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention (CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11).

11. La CJUE considère qu'un tel emprisonnement est en effet susceptible de faire échec à l'application de la procédure d'éloignement et de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l'effet utile de cette directive, dont l'objet est la mise en place d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d'une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.

12. Il en résulte que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui doivent être éloignés en application de la directive précitée peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus être soumis à une rétention.

13. Néanmoins, selon la CJUE, les États membres ont la faculté d'adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière, sans motif justifié de non-retour, la procédure de retour établie par ladite directive ayant été menée à son terme (CJUE, arrêt du 28 avril 2011, C-61/11, El Dridi ; arrêt du 6 décembre 2011 précité ; arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15).

14. Telle est la situation de la personne qui a fait l'objet d'une mesure de rétention dont la durée maximale a été atteinte sans qu'elle ait pu être éloignée, malgré les efforts de l'État membre, et de celle dont la rétention a été levée au constat qu'il n'existe plus de perspectives raisonnables d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, au sens de l'article 15, § 4, de la directive précitée, ce dont le juge saisi des poursuites doit s'assurer.

15. Il s'en déduit que les délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, ne peuvent être poursuivis avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme.

16. Tel est le cas de l'alinéa 3 de l'article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de refuser de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet.

17. Une telle infraction ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin pour l'un des motifs visés au paragraphe 14, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

18. En l'espèce, pour déclarer M. [V] coupable du chef de l'infraction prévue à l'article L. 824-9, alinéa 3, précité, l'arrêt attaqué énonce que, si cette directive interdit de recourir à des mesures pénales tant que les mesures administratives d'éloignement n'ont pas été exercées, elle n'interdit pas de sanctionner des comportements délibérés de refus ou de soustraction aux mesures administratives prises dans le cadre de l'éloignement, sans qu'il soit nécessaire de maintenir l'intéressé en rétention jusqu'à l'expiration du délai maximal de celle-ci.

19. En se déterminant ainsi, alors que les poursuites pénales ne pouvaient être engagées avant l'expiration du délai de la rétention du prévenu, lequel n'avait pas pris fin en l'espèce, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon en date du 22 décembre 2021 ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire en ce qui concerne la déclaration de culpabilité prononcée contre M. [V] ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ; article L. 824-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 ; CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11 ; CJUE, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15.

Crim., 13 avril 2023, n° 22-85.816, (B), FS

Rejet

Entrée et séjour – Entrée et séjour irréguliers – Procédure de rétention administrative – Reconduite à la frontière – Soustraction avant le terme de la procédure de rétention – Peine d'emprisonnement – Droit de l'Union européenne – Compatibilité (non)

Le droit de l'Union prohibe la poursuite des délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de celle-ci à l'exécution de la décision de retour, avant que la procédure de rétention ne soit parvenue à son terme.

Il en résulte que l'infraction, prévue par l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de ne pas présenter les documents de voyage, ou de ne pas communiquer les renseignements permettant l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet, ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

Justifie sa décision l'arrêt qui prononce la relaxe du prévenu de ce chef alors que sa rétention n'avait pas pris fin en l'espèce.

Le procureur général près la cour d'appel de Metz a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 16 juin 2022, qui a relaxé M. [B] [L] du chef d'infraction à la législation sur les étrangers.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 9 avril 2021, M. [B] [L], de nationalité soudanaise, a fait l'objet d'un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire. Il a été placé dans un centre de rétention, le 22 décembre 2021, en vue de l'exécution de la décision d'éloignement ; sa rétention a été prolongée par le juge des libertés et de la détention jusqu'au 20 février 2022.

3. Le 5 janvier, puis le 9 février 2022, M. [L] a refusé de se rendre au consulat du Soudan aux fins que soient établis les documents nécessaires à sa reconduite vers ce pays.

4. Il a été poursuivi devant le tribunal correctionnel, le 10 février 2022, pour avoir omis de communiquer à l'autorité administrative compétente les documents de voyage ou renseignements permettant l'exécution d'une obligation de quitter le territoire.

5. Par jugement du 25 février 2022, le tribunal correctionnel a accueilli une exception de nullité soulevée pour le prévenu et a prononcé sa relaxe.

6. Le ministère public a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a fait droit aux exceptions de nullité et relaxé le prévenu, alors que l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'énonce pas que l'infraction qu'il réprime s'applique à une personne qui a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'une assignation à résidence ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement, qu'en retenant que cette condition, prévue par l'article L. 824-3 du même code, doit s'interpréter comme un principe général s'appliquant non seulement au délit de maintien irrégulier sur le territoire national mais également à ceux d'obstruction et de soustraction à l'exécution d'une mesure administrative de reconduite à la frontière, la cour d'appel a violé le premier des textes précités et l'article 591 du code de procédure pénale.

Réponse de la Cour

8. Pour accueillir l'exception de nullité soulevée par le prévenu, tirée de la violation des règles posées par la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et prononcer sa relaxe, l'arrêt attaqué retient que la poursuite a été exercée alors que le délai maximal de la rétention administrative n'était pas atteint.

9. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

10. En effet, la directive 2008/115, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants en séjour irrégulier, fixe les normes et procédures applicables, dans les États membres, au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

11. L'article 15 de ce texte, pris en son paragraphe 1, énonce que les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d'un pays tiers qui fait l'objet d'une procédure de retour, afin de procéder à son éloignement, en particulier lorsque la personne évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d'éloignement.

12. Le même article, en son paragraphe 6, a), prévoit que la durée de la rétention, dont il fixe le maximum, peut être prolongée, lorsque, malgré les efforts déployés par l'État membre, l'opération d'éloignement se prolonge en raison du manque de coopération de la personne concernée.

13. La CJUE a dit pour droit que la directive précitée s'oppose à une réglementation d'un État membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit État membre et n'étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n'a pas été soumis aux mesures coercitives visées à l'article 8 de cette directive et n'a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention (CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11).

14. La CJUE considère qu'un tel emprisonnement est en effet susceptible de faire échec à l'application de la procédure d'éloignement et de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l'effet utile de cette directive, dont l'objet est la mise en place d'une politique efficace d'éloignement et de rapatriement basée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées d'une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux et de leur dignité.

15. Il en résulte que les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui doivent être éloignés, en application de la directive précitée, peuvent, en vue de la préparation et de la réalisation de cet éloignement, s'agissant d'une privation de liberté, tout au plus être soumis à une rétention.

16. Néanmoins, selon la CJUE, les États membres ont la faculté d'adopter, dans le respect des principes de la directive 2008/115 et de son objectif, des dispositions réglant la situation dans laquelle les mesures coercitives n'ont pas permis de parvenir à l'éloignement d'un ressortissant d'un pays tiers qui séjourne sur leur territoire de façon irrégulière, la procédure de retour établie par ladite directive ayant été menée à son terme (CJUE, arrêt du 28 avril 2011, C-61/11, El Dridi ; arrêt du 6 décembre 2011 précité ; arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15).

17. Telle est la situation de la personne qui a fait l'objet d'une mesure de rétention dont la durée maximale a été atteinte sans qu'elle ait pu être éloignée, malgré les efforts de l'État membre, et de celle dont la rétention a été levée au constat qu'il n'existe plus de perspectives raisonnables d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres, au sens de l'article 15, § 4, de la directive précitée, ce dont le juge saisi des poursuites doit s'assurer.

18. Il s'en déduit que les délits, punis d'une peine d'emprisonnement, dont la poursuite repose sur la circonstance de l'entrée, du séjour ou du maintien irrégulier de la personne poursuivie, et qui ont pour seul objet de sanctionner le manque de coopération de cette dernière à l'exécution de la décision de retour, ne peuvent être poursuivis avant que la procédure d'éloignement ne soit parvenue à son terme.

19. Tel est le cas de l'article L. 824-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui réprime de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger qui fait l'objet d'une interdiction administrative du territoire, d'une décision d'expulsion, d'une mesure de reconduite à la frontière ou d'une obligation de quitter le territoire, de ne pas communiquer à l'autorité administrative compétente les documents de voyage, ou les renseignements qui permettent d'établir son identité, ou encore des renseignements inexacts.

20. Une telle infraction ne peut être poursuivie que si cet étranger a fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation ayant pris fin pour l'un des motifs visés au paragraphe 17, sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement.

21. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

22. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : M. Courtial -

Textes visés :

Article 591 du code de procédure pénale ; articles L. 824-1 et L. 824-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 ; CJUE, arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11 ; CJUE, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15.

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