Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 19 avril 2023, n° 23-80.817, (B), FRH

Rejet

Assignation à résidence avec surveillance électronique – Conditions – Prise en compte de l'état de récidive (non)

Si, en application de l'article 142-5 du code de procédure pénale, le placement avec surveillance électronique mobile peut être ordonné lorsque la personne mise en examen l'est pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, il n'y a pas lieu, pour déterminer cette peine, de prendre en compte la circonstance de récidive.

M. [G] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 27 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes, association de malfaiteurs, en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susmentionnés, M. [G] [N] a été placé en détention provisoire le 10 janvier 2022.

3. Par ordonnance du 5 janvier 2023, le juge des libertés et de la détention a prolongé cette détention.

4. L'intéressé a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité formulée par la défense et a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes du 5 janvier 2023 prolongeant la détention provisoire de M. [N], alors :

« 1°/ qu'il incombe au juge des libertés et de la détention, saisi d'une demande de report du débat contradictoire, à peine de nullité de son ordonnance, de motiver sa décision de rejet ; que lorsque le mandat de dépôt de la personne détenue n'expire pas immédiatement après la date initialement prévue pour le débat, ni les contingences liées à l'organisation des services de la justice, ni les contraintes liées aux délais de convocation, inapplicables, et de comparution, inopérants, ne sauraient, sauf circonstances insurmontables, motiver le rejet d'une demande de renvoi ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure et des propres constatations de la Chambre de l'instruction que la défense a sollicité le renvoi du débat contradictoire relatif à la prolongation de la détention provisoire de M. [N], initialement prévu le 5 janvier 2023, en raison de la nécessité pour l'avocat de celui-ci de prendre connaissance du dossier, celui-ci, malgré son éloignement et sa désignation tardive, ne s'étant jamais vu délivrer une copie de la procédure ; que le mandat de dépôt de l'exposant n'expirait que le 9 janvier suivant, soit quatre jours, dont deux jours ouvrables, plus tard ; que le juge des libertés et de la détention a toutefois écarté cette demande au motif principal que les délais de comparution et de convocation de l'exposant ne permettaient pas ce report, eu égard à la tardiveté de la demande qu'en retenant, pour écarter l'irrégularité du débat contradictoire litigieux, que « si l'affirmation du juge des libertés et de la détention est contestée en ce qu'il retient qu'un report n'était pas possible en raison des délais de convocation de l'article 114 du code de procédure pénale, il y a lieu d'observer que ce motif ne constitue pas le motif exclusif du refus de reporter le débat contradictoire et, partant, que ce motif erroné est surabondant », quand l'inopérance de ce motif principal, et le simple constant qu'un report était matériellement possible, auraient dû conduire les juges à en déduire que le débat contradictoire était vicié, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 6, § 3, c, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que le respect dû aux droits de la défense suppose que toutes les diligences soient effectuées pour permettre à l'avocat de la personne détenue, désigné tardivement et qui, inscrit à un barreau extérieur au ressort de celui la juridiction saisie, subit à la fois son éloignement et sa désignation tardive, de prendre connaissance du dossier en amont du débat contradictoire relatif à la détention ; que le juge des libertés et de la détention ne saurait dès lors, à peine de nullité de son ordonnance, rejeter la demande de report du débat contradictoire formulée par cet avocat au motif inopérant qu'il lui incombait de s'organiser pour prendre connaissance du dossier avant la date initialement prévue pour le débat qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure suivie au tribunal judiciaire de Nantes que, le 5 décembre 2022, M. [N] a désigné Maître [L] [O], avocat inscrit au barreau de Paris, comme son nouveau premier avocat que ce dernier a alors immédiatement, par deux courriels en date des 14 et 19 décembre 2022, sollicité en vain une copie complète du dossier de la procédure que le 20 décembre 2022, soit à peine quinze jours après sa désignation, Maître [O] a été destinataire d'une convocation en vue du débat contradictoire sur la prolongation de la détention de M. [N] qui devait se tenir le 5 janvier suivant devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes que compte tenu d'une part de son éloignement et d'autre part de ce qu'il n'avait jamais reçu la copie du dossier qu'il avait sollicitée il a, le 4 janvier 2023, sollicité le report du débat contradictoire que la défense faisait valoir que les motifs de la décision de rejet de cette demande, tenant à l'absence d'obligation de délivrer une copie du dossier au conseil de la personne mise en examen dans un délai inférieur à un mois et à la possibilité, pour l'avocat du mis en cause, de consulter le dossier au greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention étaient inopérants qu'en se bornant à retenir, pour dire cette motivation régulière, que l'avocat de M. [N] pouvait consulter le dossier au greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention en amont du débat contradictoire, quand ce raisonnement abstrait fait fi de l'éloignement de l'avocat choisi par M. [N], lequel exerce dans un barreau extérieur au ressort du tribunal dans lequel la procédure est suivie, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à établir la pertinence et l'opérance des motifs du juge des libertés et de la détention, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire 114, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que toutes les diligences doivent être mises en oeuvre pour permettre à l'avocat de la personne détenue, désigné tardivement et qui, inscrit à un barreau extérieur au ressort de celui la juridiction saisie, subit à la fois son éloignement et sa désignation tardive, de prendre connaissance du dossier en amont du débat contradictoire relatif à la détention ; que si aucune disposition du Code de procédure pénale n'impose la délivrance en urgence d'une copie du dossier à l'avocat qui en fait la demande, cette obligation découle du seul principe du respect dû aux droits de la défense, dont la valeur supra-légale s'impose aux juges, même en l'absence de texte ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure suivie au tribunal judiciaire de Nantes que, le 5 décembre 2022, M. [N] a désigné Maître [L] [O], avocat inscrit au barreau de Paris, comme son nouveau premier avocat que ce dernier a alors immédiatement, par deux courriels en date des 14 et 19 décembre 2022, sollicité en vain une copie complète du dossier de la procédure que le 20 décembre 2022, soit à peine quinze jours après sa désignation, Maître [O] a été destinataire d'une convocation en vue du débat contradictoire sur la prolongation de la détention provisoire de M. [N] qui devait se tenir le 5 janvier suivant devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes que compte tenu d'une part de son éloignement et d'autre part de ce qu'il n'avait jamais reçu la copie du dossier qu'il avait sollicité, il a, le 4 janvier 2023, sollicité le report du débat contradictoire ; que la défense faisait valoir que les motifs de la décision de rejet de cette demande, tenant à l'absence d'obligation de délivrer une copie du dossier au conseil de la personne mise en examen dans un délai inférieur à un mois et à la possibilité, pour l'avocat du mis en cause, de consulter le dossier au greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, étaient inopérants qu'en affirmant au contraire que « le juge des libertés et de la détention n'était pas tenu d'ordonner le report du débat alors que le délai pour délivrer la copie de la procédure n'était pas expiré », quand cette obligation découlait non pas de l'article 114 du Code de procédure pénale, mais du principe même du respect dû aux droits de la défense, garanti notamment des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du Code de procédure pénale, la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à établir la pertinence et l'opérance des motifs du juge des libertés et de la détention, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de ces dispositions, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que le respect dû aux droits de la défense suppose que toutes les diligences soient mises en oeuvre pour permettre à l'avocat de la personne détenue, désigné tardivement et qui, inscrit à un barreau extérieur au ressort de celui la juridiction saisie, subit à la fois son éloignement et sa désignation tardive, de prendre connaissance du dossier en amont du débat contradictoire relatif à la détention ; que le juge des libertés et de la détention ne saurait dès lors, à peine de nullité de son ordonnance, rejeter la demande de report du débat contradictoire formulée par cet avocat, sauf à établir en quoi le report du débat contradictoire était impossible, du fait soit de l'expiration très proche du mandat de dépôt, soit d'une circonstance insurmontable qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure suivie au tribunal judiciaire de Nantes que, le 5 décembre 2022, M. [N] a désigné Maître [L] [O], avocat inscrit au barreau de Paris, comme son nouveau premier avocat que ce dernier a alors immédiatement, par deux courriels en date des 14 et 19 décembre 2022, sollicité en vain une copie complète du dossier de la procédure que le 20 décembre 2022, soit à peine quinze jours après sa désignation, Maître [O] a été destinataire d'une convocation en vue du débat contradictoire qui devait se tenir le 5 janvier suivant devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes sur la prolongation de la détention provisoire de M. [N] que compte tenu d'une part de son éloignement et d'autre part de ce qu'il n'avait jamais reçu la copie du dossier qu'il avait sollicité, il a, le 4 janvier 2023, sollicité le report du débat contradictoire que la défense faisait valoir que les motifs de la décision de rejet de cette demande, tenant à l'absence d'obligation de délivrer une copie du dossier au conseil de la personne mise en examen dans un délai inférieur à un mois et à la possibilité, pour l'avocat du mis en cause, de consulter le dossier au greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention étaient inopérants qu'en énonçant toutefois que la décision du juge des libertés et de la détention était justifiée, faute pour la défense d'avoir démontré l'existence d'une circonstance insurmontable ayant rendu impossible la consultation du dossier, quand il incombait au juge d'établir en quoi le report du débat contradictoire était impossible, du fait soit de expiration très prochaine du mandat de dépôt, soit d'une circonstance insurmontable, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 114, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que le respect dû aux droits de la défense suppose que toutes les diligences soient mises en oeuvre pour permettre à l'avocat de la personne détenue, désigné tardivement et qui, inscrit à un barreau extérieur au ressort de celui la juridiction saisie, subit tant son éloignement que sa désignation tardive, de prendre connaissance du dossier en amont du débat contradictoire relatif à la détention ; qu'au cas d'espèce, il résulte de la procédure suivie au tribunal judiciaire de Nantes que, le 5 décembre 2022, M. [N] a désigné Maître [L] [O], avocat inscrit au barreau de Paris, comme son nouveau premier avocat que ce dernier a alors immédiatement, par deux courriels en date des 14 et 19 décembre 2022, sollicité en vain une copie complète du dossier de la procédure que le 20 décembre 2022, soit à peine quinze jours après sa désignation, Maître [O] a été destinataire d'une convocation en vue du débat contradictoire qui devait se tenir le 5 janvier suivant devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes que compte tenu d'une part de son éloignement et d'autre part de ce qu'il n'avait jamais reçu la copie du dossier qu'il avait sollicité, il a, le 4 janvier 2023, sollicité le report du débat contradictoire que la défense faisait valoir que les motifs de la décision de rejet de cette demande, tenant à l'absence d'obligation de délivrer une copie du dossier au conseil de la personne mise en examen dans un délai inférieur à un mois et à la possibilité, pour l'avocat du mis en cause, de consulter le dossier au greffe du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention, étaient inopérants ; qu'en retenant toutefois, pour établir la régularité de la décision du juge des libertés et de la détention que la chambre de l'instruction retient que l'absence de l'avocat de M. [N] lors du débat ne résulte que d'un « renoncement » de la défense, quand ce motif est inopérant à justifier l'absence de diligences du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction afin de permettre à la défense de pouvoir prendre, en amont de ce débat, connaissance du dossier, compte tenu de la situation particulière d'éloignement et d'urgence dans laquelle se trouvait Maître [O], la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard de ces dispositions, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

6. Pour écarter le moyen de nullité selon lequel l'ordonnance de prolongation était irrégulière dès lors que le juge des libertés et de la détention avait rejeté une demande de report du débat contradictoire par une motivation inopérante, l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de l'article 114 du code de procédure pénale que le dossier de la procédure est mis à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables et de l'article 145-1 du même code que le juge des libertés et de la détention met la procédure à la disposition de l'avocat de la personne mise en examen quatre jours ouvrables au plus tard en vue du débat contradictoire.

7. Les juges ajoutent que l'avocat de M. [N] ayant été convoqué le 20 décembre 2022 en vue d'un débat contradictoire devant se tenir le 5 janvier 2023, il avait la faculté de prendre connaissance de la procédure et de préparer la défense de son client dont il était le premier avocat avant d'en devenir le seul le 4 janvier 2023.

8. Ils relèvent qu'il n'est ni soutenu ni allégué que le dossier de la procédure n'a pas été mis à sa disposition dans les délais légaux et que l'avocat de la personne mise en examen ne saurait se faire un grief de l'absence de délivrance de copie à la date du débat contradictoire dès lors que cette délivrance doit intervenir dans un délai d'un mois.

9. Ils en déduisent que le dossier de la procédure était à la disposition de l'avocat de M. [N] pour assurer la défense de son client et qu'il n'est ni allégué ni même invoqué l'existence de circonstances insurmontables faisant obstacle à la consultation du dossier mis à sa disposition à tout moment, son éloignement du tribunal judiciaire de Nantes ne constituant pas une circonstance insurmontable opposable aux services judiciaires.

10. Ils en concluent que le juge des libertés et de la détention n'était pas tenu d'ordonner le report du débat dès lors que le délai pour délivrer la copie de la procédure n'était pas expiré et que l'avocat de M. [N] n'annonçait pas son déplacement au tribunal judiciaire de Nantes pour consulter le dossier mis à sa disposition et se mettre en mesure de préparer la défense de son client.

11. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction, qui pouvait en tout état de cause substituer ses motifs à ceux, partiellement erronés, du premier juge, a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

12. Dès lors, le moyen, inopérant en sa dernière branche en ce qu'il critique un motif surabondant, n'est pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes du 5 janvier 2023 prolongeant la détention provisoire de M. [N], alors « qu'en matière correctionnelle, les décisions prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois doivent comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés ; que l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile peut être mise en oeuvre si la personne est mise en examen pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru ; qu'il résulte de la procédure que M. [N] est mis en examen notamment du chef de détention non autorisée d'une ou plusieurs armes, munitions ou leurs éléments essentiels de catégorie B, en état de récidive légale, infraction pour laquelle il encourt dix années d'emprisonnement et la peine complémentaire de suivi socio-judiciaire ; qu'il est en outre détenu depuis le 10 janvier 2022, soit plus de huit mois ; qu'en se bornant, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nantes du 5 janvier 2023 prolongeant la détention provisoire de M. [N], à énoncer que « la détention provisoire constitue l'unique moyen de parvenir aux objectifs sus énoncés et que ceux-ci ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence sous surveillance électronique, ces mesures ne comportant que des mesures de surveillance ponctuelle et à posteriori », sans rechercher si la mise en oeuvre mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile, qui permet un suivi en temps réel, et non seulement a posteriori, de la position géographique de la personne munie du bracelet électronique, ne permettait pas de parvenir à ces objectifs, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 137-3, 142-5, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

14. Pour ordonner la prolongation de la détention provisoire, l'arrêt attaqué retient qu'il résulte des circonstances particulières déduites des éléments de l'espèce, qu'il détaille, que la détention provisoire constitue l'unique moyen de parvenir aux objectifs fixés par l'article 144 du code de procédure pénale et que ceux-ci ne sauraient être atteints par un placement sous contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.

15. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction, qui s'est déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale, a justifié sa décision.

16. En effet, d'une part, selon les dispositions de l'article 137-3 du code de procédure pénale, en matière correctionnelle, les décisions prolongeant la détention provisoire au-delà de huit mois doivent également comporter l'énoncé des considérations de fait sur le caractère insuffisant des obligations de l'assignation à résidence avec surveillance électronique mobile lorsque cette mesure peut être ordonnée au regard de la nature des faits reprochés.

17. D'autre part, si, en application de l'article 142-5 du code de procédure pénale, le placement avec surveillance électronique mobile peut être ordonné lorsque la personne mise en examen l'est pour une infraction punie de plus de sept ans d'emprisonnement et pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru, il n'y a pas lieu, pour déterminer cette peine, de prendre en compte la circonstance de récidive.

18. Dès lors, le fait que M. [N] soit mis en examen pour les faits de détention non autorisée d'arme de catégorie B, en récidive, ne justifiait pas l'application des dispositions de l'article 137-3 dès lors que, hors récidive, ce délit est puni de cinq ans d'emprisonnement.

19. Ainsi, le moyen doit être écarté.

20. Par ailleurs l'arrêt est régulier, tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Gillis - Avocat général : Mme Chauvelot - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 137-3, 142-5, 591 et 593 du code de procédure pénale.

Crim., 18 avril 2023, n° 23-80.453, (B), FS

Cassation

Dessaisissement du juge d'instruction – Dessaisissement au profit d'une JIRS – Dessaisissement prononcé sur un autre fondement que l'article 706-77 du code de procédure pénale (CPP) – Possibilité – Cas – Juge d'instruction situé dans le même tribunal que la JIRS – Application de l'article 84 du CPP

L'article 706-77 du code de procédure pénale applicable au dessaisissement au profit de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, ne fait pas obstacle à l'application d'autres cas de dessaisissement prévus par le même code, selon les conditions et procédures qui leur sont propres.

Il s'ensuit que le président du tribunal judiciaire ou son délégué peut valablement faire application de l'article 84 du code de procédure pénale pour désigner, sur requête du procureur de la République et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, par ordonnance insusceptible de recours, un juge d'instruction spécialement habilité au titre de la JIRS pour poursuivre une information ouverte au titre de la compétence territoriale de droit commun au cabinet d'un juge d'instruction du même tribunal.

M. [U] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 28 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une information a été ouverte, notamment des chefs sus-mentionnés, au cabinet d'un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Marseille.

3. M. [U] [J] a été interpellé à [Localité 1] le 18 février 2021 en exécution d'un mandat d'arrêt international émis dans le cadre de cette procédure.

4. Par ordonnance du 6 décembre 2021, rendue sur requête du procureur de la République aux fins de dessaisissement, le président du tribunal judiciaire a désigné, pour poursuivre l'information, un juge d'instruction spécialement habilité au titre de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS).

5. Remis aux autorités judiciaires françaises, M. [J] a été mis en examen le 15 décembre 2021 et placé en détention provisoire.

6. La détention provisoire a été prolongée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du 13 décembre 2022.

7. M. [J] a relevé appel de cette décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

8. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant la détention provisoire de M. [J], alors :

« 1°/ que la contestation de la compétence du juge d'instruction ayant saisi le juge des libertés et de la détention participe de l'unique objet du contentieux de la détention ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme l'exposant l'y avait invité, si le juge des libertés et de la détention qui avait ordonné la prolongation de sa détention provisoire avait été régulièrement saisi, au motif erroné que lorsqu'elle est saisie « d'un recours portant sur la détention provisoire, la chambre de l'instruction ne peut, en application de la règle de l'unique objet, examiner la régularité de la désignation du nouveau juge d'instruction » (arrêt, p.5, §5), la chambre de l'instruction a méconnu le principe ci-dessus rappelé et les articles 186 du code de procédure pénale et 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

2°/ qu'en application des articles 706-77 et 706-78 du code de procédure pénale, seul le juge d'instruction est compétent pour prononcer son dessaisissement au profit de la JIRS et son ordonnance ne peut prendre effet qu'à l'expiration du délai de cinq jours qui court à compter de sa notification pour exercer un recours ; que le président du tribunal judiciaire n'a en revanche aucune compétence pour dessaisir le juge d'instruction au profit de la JIRS ; que dès lors l'ordonnance du président du tribunal judiciaire, insusceptible de recours, intervenue dans ces conditions irrégulières est un acte nul qui ne peut ni dessaisir le juge d'instruction ni saisir la JIRS en sorte que tous les actes effectués par la JIRS après une telle ordonnance de dessaisissement sont nuls d'une nullité absolue ; que dès lors, en l'espèce, le juge d'instruction spécialisé, n'avait pu être valablement saisi par une ordonnance du président du Tribunal judiciaire du 6 décembre 2021 et n'avait pas compétence pour saisir le juge des libertés et de la détention afin de prolonger la détention provisoire de la personne mise en examen dans le cadre d'une information dont il n'était pas en charge ; qu'en refusant d'annuler la désignation du nouveau magistrat instructeur et l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire de l'intéressé, la chambre de l'instruction a violé les articles 84, 706-77 et 706-78 du code de procédure pénale, ensemble l'article 5§4 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;

3°/ qu'au surplus et en toute hypothèse, l'ordonnance de dessaisissement au profit de la JIRS ne prend effet qu'à l'expiration du délai de recours de cinq jours qui court à compter de sa notification ; qu'en l'espèce faute de notification de l'ordonnance du président du Tribunal judiciaire avec l'indication de la voie de recours, celle-ci n'était pas devenue définitive et n'avait pas pris effet ; qu'en conséquence les actes effectués par je juge d'instruction spécialisé sont nuls d'une nullité absolue, y compris l'ordonnance de saisine du JLD ; que l'arrêt attaqué a violé les articles 706-77 et 706-78 du code de procédure pénale, par fausse application de l'article 84 du même code, et les articles 144 et 145 ainsi que l'article 5 § 4 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable, au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité ; que le juge d'instruction doit poursuivre son information nonobstant l'exercice par le mis en examen des voies de recours que la loi lui offre ; qu'en énonçant, après avoir constaté que M. [U] [C] [J] n'avait pas été interrogé depuis le 15 décembre 2021, soit depuis plus d'un an, que « la contestation de la validité de la procédure d'extradition a nécessairement impacté la dynamique de l'instruction et que la marge de manoeuvre opérationnelle du magistrat instructeur était nécessairement entravée », alors que cette circonstance est impropre à justifier l'inertie du magistrat instructeur, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée des articles 144-1 et 187 du code de procédure pénale, ensemble l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

10. Pour écarter le moyen de nullité tiré de ce que l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention a été prise par un juge d'instruction irrégulièrement saisi, l'arrêt attaqué énonce que la chambre de l'instruction ne peut, en application de la règle de l'unique objet, examiner un moyen critiquant une décision encore susceptible d'appel à l'occasion d'un recours portant sur la détention provisoire.

11. Les juges relèvent que le demandeur a déjà sollicité l'annulation de la désignation du nouveau magistrat instructeur par une requête sur laquelle il doit être statué le 16 janvier 2023.

12. C'est à tort que les juges se sont déterminés ainsi, alors qu'un tel moyen concerne la compétence du juge d'instruction ayant saisi le juge des libertés et de la détention aux fins de prolongation de la détention provisoire, que la chambre de l'instruction devait contrôler.

13. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, il résulte des travaux parlementaires de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 que la suppression, par amendement, des mots « autres que ceux visés à l'article 706-75 », à l'article 706-77 du code de procédure pénale, avait pour objet de permettre au juge d'instruction d'un tribunal à compétence territoriale étendue au titre de la JIRS, autre que celui de Paris, de se dessaisir au profit du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris dans le cadre de la compétence concurrente nationale de cette dernière juridiction, en tant que juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée, dite JUNALCO, introduite, par le même amendement, à l'article 706-75, alinéa 4, du même code pour les affaires d'une très grande complexité.

15. En second lieu, les dispositions de l'article 706-77 du code de procédure pénale ne font pas obstacle à l'application d'autres cas de dessaisissement prévus par le même code, selon les conditions et procédures qui leur sont propres.

16. Il s'ensuit que le président du tribunal judiciaire pouvait valablement faire application de l'article 84 du code de procédure pénale pour désigner, sur requête du procureur de la République et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, par ordonnance insusceptible de recours, un juge d'instruction spécialement habilité au titre de la JIRS pour poursuivre une information ouverte au titre de la compétence territoriale de droit commun.

17. Par conséquent, les griefs doivent être écartés.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Vu les articles 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme et 593 du code de procédure pénale :

18. Selon le premier de ces textes, la détention provisoire ne peut excéder une durée raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen et de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité.

19. Selon le second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

20. Pour écarter le moyen tiré de ce que la détention provisoire de M. [J] excéderait une durée raisonnable et confirmer l'ordonnance prolongeant la détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce que, sans qu'il y ait lieu de faire grief à l'intéressé d'avoir exercé des recours, sa contestation de la validité de la procédure d'extradition a nécessairement affecté la dynamique de l'information et entravé la marge de manoeuvre opérationnelle du magistrat instructeur, spécialement entre le 14 décembre 2021 et le 7 juin 2022.

21. En se déterminant ainsi, sans mieux caractériser les éléments concrets ressortant de la procédure de nature à expliquer, au regard des exigences conventionnelles ci-dessus rappelées, le délai de comparution de la personne mise en examen pour un premier interrogatoire au fond par le juge d'instruction, et à justifier la durée de la détention provisoire de l'intéressé, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

22. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 28 décembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Charmoillaux - Avocat général : M. Tarabeux - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 84 et 706-77 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le dessaisissement d'un juge d'instruction non spécialement habilité au profit d'un juge d'instruction de la JIRS sur le fondement de l'article 663 du code de procédure pénale : Crim., 3 septembre 2019, pourvoi n° 19-80.388, Bull. crim. (rejet).

Crim., 18 avril 2023, n° 22-85.450, (B), FRH

Annulation

Expertise – Ordonnance aux fins d'expertise – Demande tendant à modifier ou compléter les questions posées à l'expert – Mesure de contre-expertise – Ordonnance de rejet – Appel – Examen – Président de la chambre de l'instruction (non)

La société [1] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 25 juillet 2022, qui, dans l'information suivie contre elle du chef de tromperie aggravée, a prononcé sur sa demande de modification d'une mission de complément d'expertise.

Par ordonnance du 5 décembre 2022, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen du pourvoi.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. La société [1] (la société) a été mise en examen du chef de tromperie aggravée et les magistrats instructeurs lui ont notifié les conclusions d'un rapport d'expertise.

3. La société a formé une demande de complément d'expertise dont le principe a été accepté par les magistrats instructeurs par ordonnance du 6 septembre 2021, lesquels ont, par ailleurs, dit qu'il sera prescrit par ordonnance distincte et rejeté les questions proposées par la société.

4. Par ordonnance du 12 novembre 2021, les juges d'instruction ont prescrit ce complément d'expertise et désigné les experts.

5. Par ordonnance du 29 novembre 2021, les magistrats instructeurs ont partiellement rejeté la demande de la société tendant à modifier ou à compléter les questions posées aux experts.

6. Par requête du 8 décembre 2021, la société a, « dans l'incertitude relative à la juridiction compétente pour examiner le recours formé contre cette décision », d'une part, formé un appel contre celle-ci, d'autre part, déposé une requête aux fins de saisine du président de la chambre de l'instruction, en application de l'article 161-1 du code de procédure pénale.

7. S'agissant de l'appel, le président de la chambre de l'instruction, par ordonnance du 22 mars 2022, a dit n'y avoir lieu à en saisir celle-ci.

8. S'agissant de la requête, par arrêt du 1er juillet 2022, la chambre de l'instruction s'est déclarée incompétente au motif qu'elle relevait de la compétence de son président et a fait retour de la procédure à celui-ci.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté la requête de la société [1] tendant à la réformation de l'ordonnance du 29 novembre 2021 par laquelle les juges d'instruction ont rejeté la demande de modification des questions posées aux experts et d'ajout de questions, alors :

« 1°/ d'une part que toute contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise doit être portée devant la chambre de l'instruction, exclusivement compétente pour en connaître, qu'en statuant sur la requête de la société [1] tendant à la réformation de l'ordonnance du 29 novembre 2021 par laquelle les juges d'instruction avaient rejeté sa demande de modification et de complément des questions posées aux experts dans le cadre d'un complément d'expertise, le Président de la Chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs en violation des règles de compétence d'ordre public posées par les articles 186, 161, 161-1 et 167 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 167 et 186 du code de procédure pénale :

11. Il résulte de ces textes, dont le premier ne renvoie pas à l'article 161-1, alinéa 2, du même code, que toute contestation relative à une mesure de contre-expertise ou de complément d'expertise est portée devant la chambre de l'instruction et non devant son seul président.

12. Dès lors, en statuant seul, en méconnaissance des textes susvisés et du principe ci-dessus énoncé, sur une demande de modification de questions afférente à une mission de complément d'expertise, le président de la chambre de l'instruction a excédé ses pouvoirs.

13. L'annulation est, de ce fait, encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 25 juillet 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, autrement présidée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Coirre - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 161-1, 167 et 186 et du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens : Crim., 22 mars 2016, pourvoi n° 15-86.470, Bull. crim. 2016, n° 89 (rejet). Sur l'impossibilité pour le président de décider s'il y a ou non lieu de saisir la chambre de l'instruction de l'appel interjeté contre une ordonnance rejetant une demande de complément d'expertise : Crim., 20 septembre 2022, pourvoi n° 21-87.319, (annulation).

Crim., 19 avril 2023, n° 23-80.675, (B), FRH

Cassation

Ordonnances – Appel – Forme – Appel interjeté par un avocat – Désignation préalable de l'avocat – Exception – Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Excès de formalisme portant atteinte à l'équité de la procédure – Applications diverses

La procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Il se déduit de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure.

Encourt la cassation, en raison d'un formalisme excessif, l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui déclare irrecevable l'appel formé au nom de la partie civile par un avocat, au motif que ce dernier n'avait pas été régulièrement désigné au regard des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, alors que la copie du dossier lui a été délivrée et que l'avis de fin d'information, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de règlement lui ont été notifiés, ce dont il résulte que le juge d'instruction a considéré que cet avocat avait été personnellement choisi par la partie civile.

La société [1], anciennement dénommée [2], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre M. [O] [F], des chefs d'abus de biens sociaux, abus de confiance, fraude fiscale, abandon de famille, organisation frauduleuse d'insolvabilité, et contre Mme [I] [U], du chef de recel, a déclaré irrecevable son appel de l'ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel rendue par le juge d'instruction.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite d'un signalement de TRACFIN relatif aux mouvements de fonds observés entre les comptes des sociétés dirigées par M. [O] [F] et ceux de ce dernier ainsi que de sa mère, une information a été ouverte le 17 mars 2008 des chefs d'escroquerie, abus de biens sociaux et complicité, recel et blanchiment.

3. Le 11 mars 2009, la société [2] s'est constituée partie civile.

4. Une ordonnance de requalification, de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal correctionnel a été rendue le 29 juillet 2021 par le juge d'instruction.

5. Le 6 août 2021, Mme Maryline Buchheit, avocat, a formé appel de cette ordonnance pour la société [2].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel de la société [1], anciennement dénommée [2], irrecevable, alors :

« 1°/ que lorsqu'une partie a désigné une société civile professionnelle comme avocat en application des dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale, l'ensemble des avocats exerçant au sein de cette société civile professionnelle sont réputés avoir été désignés et peuvent dès lors interjeter appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de cette partie ; qu'en l'espèce, il ressort du dossier de la procédure que deux courriers adressés par la société [2] au greffier du juge d'instruction en application du texte susvisé mentionne la « SCP Gandar-Buchheit » comme avocat désigné ; que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel formé à l'encontre de l'ordonnance de règlement de la procédure par Me Buchheit au nom et pour le compte de la société [2], motifs pris que cette avocate n'avait pas été régulièrement désignée, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que lorsqu'une partie a désigné une société civile professionnelle comme avocat en application des dispositions de l'article 115 du Code de procédure pénale, l'appel formé, au stade de l'instruction, par un avocat au nom et pour le compte de cette partie est recevable dès lors que l'acte d'appel fait apparaître l'appartenance de cet avocat à la société civile professionnelle désignée ; que, dès lors, en déclarant irrecevable l'appel formé à l'encontre de l'ordonnance de règlement de la procédure par Me Buchheit au nom et pour le compte de la société [2], quand les termes de l'acte d'appel faisaient apparaître l'appartenance de cette avocate à la « SCP Gandar-Buchheit », laquelle avait été mentionnée comme avocat désigné dans deux courriers adressés par la société [2] au greffier du juge d'instruction en application de l'article 115 du Code de procédure pénale, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que les avocats associés de l'avocat choisi par une partie en application de l'article 115 du Code de procédure pénale peuvent interjeter appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de celle-ci ; qu'à tout le moins en va-t-il ainsi lorsque l'acte d'appel fait apparaître que l'avocat qui a fait la déclaration d'appel est associé, au sein d'une même société civile professionnelle, à l'avocat régulièrement désigné ; qu'en l'espèce, il résulte des pièces de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (p. 42) que par un courrier du 11 mars 2009, la société [2] a informé le juge d'instruction de sa volonté de désigner Me Gandar comme l'un de ses avocats, qu'à l'issue de sa première audition en qualité de partie civile le 22 juin 2009, la société [2] a confirmé avoir fait le choix notamment de Me Gandar, que par un courrier du 27 janvier 2015, cette société a rappelé que la situation de Me Gandar, membre de la « SCP Gandar-Buchheit », restait inchangée et que par courrier du 1er juillet 2019, elle a informé le juge d'instruction de la désignation d'un nouvel avocat aux côtés notamment de la « SCP Gandar-Buchheit » ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé au nom et pour le compte de la société [2] à l'encontre de l'ordonnance de règlement par Me Buchheit, quand les termes de l'acte d'appel faisaient apparaître l'appartenance de cette avocate à la SCP Gandar-Buchheit en tant qu'associée, la chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 115, 186, 502 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en déclarant irrecevable l'appel formé au nom et pour le compte de la société [2] par Me Buchheit, motifs pris que cette avocate n'avait pas été désignée dans les formes prévues par l'article 115 du Code de procédure pénale (arrêt, p. 42), lorsque, d'une part, l'exigence qui, selon la Cour de cassation résulte des dispositions combinées de ce texte et de l'article 502 du Code de procédure pénale, selon laquelle l'avocat, qui fait une déclaration d'appel, ne peut exercer ce recours, au stade de l'instruction, que si la partie concernée a préalablement fait choix de cet avocat et en a régulièrement informé la juridiction d'instruction (Crim. 9 janvier 2007, n° 06-84.738, Bull. crim. n°3 ; Crim. 27 novembre 2012, n°11-85.130, Bull. crim. n°260), ne constitue pas un moyen adéquat pour atteindre les buts visés par ces dispositions, à savoir éviter les risques d'annulation de la procédure du fait d'une irrégularité dans la convocation de l'avocat choisi par les parties et préserver le secret de l'instruction, et lorsque, d'autre part et en tout état de cause, l'atteinte portée au droit d'accès au juge d'appel de la société [2], résultant de la déclaration d'irrecevabilité de son appel, n'entretient pas un rapport raisonnable de proportionnalité avec les buts poursuivis par les dispositions susvisées, dans la mesure où, en premier lieu, l'application de l'article 115 du code de procédure pénale n'est pas systématique, la Cour de cassation ayant déjà considéré comme valable une procédure dans laquelle ces formalités n'avaient pas été respectées dès lors que cela n'avait pas porté atteinte aux intérêts de la partie concernée (Crim. 9 avril 2013, n°13-80.502), en deuxième lieu, il ressort du dossier de la procédure que le juge d'instruction et son greffier étaient parfaitement informés que Me Buchheit était l'un des avocats de la société [2] et qu'ils n'ont rien trouvé à redire à ce sujet, cette avocate ayant notamment reçu notification des avis de fin d'information, des réquisitoires du procureur de la République et du procureur général, de l'ordonnance de règlement, de l'avis d'audience devant la chambre de l'instruction, de l'arrêt attaqué de la chambre de l'instruction et ayant pu obtenir sans difficulté copie du dossier de la procédure dès 2018, sans qu'aucune contestation ne soit par ailleurs soulevée à cet égard par les autres parties, de sorte que Me Buchheit était fondée à considérer que sa désignation était régulière, en troisième lieu, la société [2] n'a soutenu à aucun moment que Me Buchheit aurait agi en dehors de ses instructions, en quatrième lieu, Me Buchheit avait été l'associée de Me Gandar, avocat régulièrement désigné par la société, ce qui ressort très clairement de l'acte d'appel lui-même qui mentionne l'appartenance de Me Buchheit à la « SCP Gandar-Buchheit », en cinquième et dernier lieu, la décision d'irrecevabilité de l'appel de la partie civile entraîne des conséquences irrémédiables de nature à entraver l'exercice des droits de la défense, la partie civile et son avocat ne pouvant plus, à ce stade, régulariser une désignation validée par le juge d'instruction, alors même que le risque d'annulation de la procédure pour cause d'ambiguïté ou de confusion quant au nom de l'avocat chargé d'assister la société [2] durant l'instruction a nécessairement disparu, la chambre de l'instruction a fait preuve d'un formalisme excessif susceptible de porter atteinte à l'équité de la procédure et a par conséquent violé les articles préliminaire du Code de procédure pénale et 6 §1 de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches

7. Pour déclarer irrecevable l'appel formé le 6 août 2021 par Mme Buchheit, avocat, pour le compte de la société [2], l'arrêt attaqué énonce qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles 115 et 502 du code de procédure pénale que I'avocat qui fait une déclaration d'appel ne peut exercer ce recours au stade de l'instruction que si la partie concernée a préalablement fait le choix de cet avocat et en a informé la juridiction d'instruction, que cette désignation doit être nominative et porter sur une personne physique régulièrement inscrite à un barreau et que l'appel a en l'espèce été interjeté par un avocat non régulièrement désigné.

8. Les juges rappellent, notamment, que la société [2] a informé le juge d'instruction le 11 mars 2009 qu'elle se constituait partie civile en désignant comme avocats M. Pierre Gandar, avocat à Metz, et M. Olivier Saumon, avocat à Paris, que par application de l'article 89 du code de procédure pénale, la société [2] a déclaré le 27 mars suivant au juge d'instruction l'adresse de M. Gandar, à laquelle lui ont été notifiés les droits liés à sa qualité de partie civile et qu'à I'issue de sa première audition, le représentant de la société [2] a confirmé avoir fait le choix de deux avocats, M. Bernard Vatier, avocat à Paris, étant désigné comme nouvel avocat aux côtés de M. Gandar.

9. Ils ajoutent que le 27 janvier 2015, la partie civile a informé le juge d'instruction qu'elle désignait M. Fabrice Fages, avocat à Paris, aux lieux et place de M. Vatier, en précisant que la situation de M. Gandar demeurait inchangée, que le 1er juillet 2019, elle a avisé le juge d'instruction du choix d'un nouvel avocat en la personne de M. François Saint-Pierre, avocat à Lyon, aux côtés de M. Fages et de la SCP Gandar-Buchheit et qu'ainsi à ce stade de la procédure, les avocats régulièrement désignés par la société [2] étaient MM. Saint-Pierre, Fages et Gandar.

10. Ils relèvent que la société [2] n'a jamais fait connaître au juge d'instruction dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale le nom de Mme Buchheit, avocat à Metz, comme étant I'avocat choisi par elle et que le seul courrier du 1er juillet 2019 faisant référence à la personne morale SCP Gandar-Buchheit ne peut être considéré comme désignant un avocat personne physique, ayant seul le titre d'avocat au sens de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

11. Ils concluent que la désignation d'un avocat dans le cadre de l'information n'emporte pas désignation de ses associés ou collaborateurs et qu'à aucun moment, Mme Buchheit n'a fait l'objet d'une désignation nominative dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale, et ce, alors même que M. Gandar, avocat honoraire depuis le 1er janvier 2018, n'était plus associé de la SCP Gandar-Buchheit ni autorisé à représenter des clients depuis le 31 décembre 2017 et que Mme Buchheit était devenue la seule associée de cette SCP.

12. En prononçant ainsi, la chambre de l'instruction a fait une exacte application des articles 115 et 502 du code de procédure pénale, lesquels ne sont pas contraires aux articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme.

13. En effet, d'une part, le courrier du 1er juillet 2019 par lequel la société [2] a fait le choix de M. Saint-Pierre, avocat, afin d'assurer la défense de ses intérêts aux côtés de M. Fages, avocat, et de la SCP Gandar-Buchheit, n'a pas eu pour effet de désigner l'ensemble des avocats exerçant au sein de cette société civile professionnelle en leur permettant de former appel des ordonnances du juge d'instruction au nom et pour le compte de cette partie.

14. D'autre part, il ne résulte d'aucune disposition conventionnelle ou légale qu'un avocat qui n'a pas été personnellement désigné dans les formes prévues par l'article 115 du code de procédure pénale serait recevable à interjeter appel d'une ordonnance du juge d'instruction, quand bien même il exercerait au sein de la même société civile professionnelle que l'avocat régulièrement choisi et serait l'associé ou le collaborateur de ce dernier.

15. Ainsi, les griefs doivent être écartés

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Vu les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme :

16. Il résulte du premier de ces textes que la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties.

17. Il se déduit du second de ces textes que si le droit d'exercer un recours peut être soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure.

18. Pour déclarer irrecevable l'appel formé le 6 août 2021 par Mme Buchheit, avocat, pour le compte de la société [2], l'arrêt prononce par les motifs repris aux paragraphes 7 à 11 de la présente décision.

19. En se déterminant ainsi, alors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer, par l'examen des pièces de la procédure, que la copie du dossier d'information avait été délivrée à Mme Buchheit, avocat, par le greffe de la juridiction d'instruction et que l'avis de fin d'information, le réquisitoire définitif et l'ordonnance de règlement dont elle a formé appel lui avaient été notifiés, ce dont il résulte que le juge d'instruction a considéré que cet avocat avait été personnellement choisi par la partie civile, la chambre de l'instruction, en opposant à cette dernière, au stade de l'appel, l'irrégularité de la désignation de Mme Buchheit, a fait preuve d'un formalisme excessif et a méconnu les textes et les principes ci-dessus rappelés.

20. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, en date du 12 janvier 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme de la Lance (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Turcey - Avocat général : Mme Chauvelot - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles préliminaire, 115 et 502 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur le principe de la désignation de l'avocat auprès de la juridiction d'instruction comme condition de la recevabilité de l'appel interjeté par celui-ci, à rapprocher : Crim., 16 septembre 2014, pourvoi n° 13-82.758, Bull. crim. 2014, n° 186 (rejet), et l'arrêt cité.

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