Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

INSTRUCTION

Crim., 11 septembre 2019, n° 19-83.878, (P)

Cassation sans renvoi

Désignation du juge d'instruction – Juge d'instruction empêché – Remplacement – Remplacement par le président du tribunal de grande instance – Condition

Selon l'article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, lorsque le juge d'instruction est absent, malade ou autrement empêché, le tribunal de grande instance désigne l'un des juges pour le remplacer. Cette désignation est faite par l'assemblée générale des magistrats du siège, comme le prévoit l'article R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire.

Le président du tribunal n'est compétent, pour désigner un des juges du tribunal pour remplacer le juge d'instruction empêché que s'il n'a pu désigner un autre juge d'instruction pour le remplacer, si aucun juge n'a été désigné en application de l'article 50 précité et si l'urgence et l'impossibilité de réunir l'assemblée générale des magistrats du tribunal ont été constatées.

CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par M. A... R... contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 mai 2019, qui, dans l'information suivie, notamment contre lui, des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants, détention et transport de marchandise dangereuse, blanchiment, et infractions à la législation sur les armes, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire.

LA COUR,

Un mémoire a été produit.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les pièces de la procédure, M. R... a été mis en examen et placé en détention provisoire, le 17 janvier 2019, dans le cadre d'une information ouverte au tribunal de grande instance de Vannes.

2. Par ordonnance du 26 avril 2019, le juge des libertés et de la détention a prolongé sa détention provisoire.

3. M. R... a relevé appel de cette décision.

4. Par arrêt du 17 mai 2019, la chambre de l'instruction a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention et confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire.

Examen du moyen unique de cassation

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 50, 145, 144, 148, 593 du code de procédure pénale, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, défaut de motifs, manque de base légale.

6. Le moyen critique l'arrêt, en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande d'annulation de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention et confirmé l'ordonnance de prolongation de la détention provisoire :

1°/ alors que « ne caractérise pas une situation d'urgence la circonstance que le juge d'instruction, unique magistrat instructeur au sein du tribunal, était absent du 15 au 23 avril 2019 dans le cadre d'une absence programmée ; que la chambre de l'instruction n'a pas donné de base légale à sa décision » ;

2°/ alors qu'à « défaut de motif concret explicitant la prétendue impossibilité de réunir le tribunal pour désigner un juge d'instruction à la place du titulaire empêché, la chambre de l'instruction n'a pas donné davantage de base légale à sa décision » ;

3°/ alors que « la procédure doit être équitable et impartiale, jusque et y compris dans les décisions relatives à la détention ; que ne revêt pas ce caractère l'ordonnance qui se borne à recopier exclusivement les motifs du parquet, pour saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de renouvellement du titre de détention provisoire ; que l'article 6 de la Convention européenne est applicable à une telle ordonnance de saisine, et qu'en refusant de l'annuler, la chambre de l'instruction a violé ledit texte et les droits de la défense ».

Réponse de la Cour :

Sur le moyen, pris en sa première branche.

Vu les articles 50, alinéa 4, du code de procédure pénale, et R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire ;

7. Selon ces texte, lorsque le juge d'instruction est absent, malade, ou autrement empêché, l'assemblée générale des magistrats du siège du tribunal de grande instance désigne l'un des juges de ce tribunal pour le remplacer.

8. Dans son mémoire déposé devant la chambre de l'instruction, M. R... a demandé l'annulation de l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention en vue de la prolongation de sa détention provisoire, au motif qu'elle avait été prise par un magistrat qui avait remplacé, de manière irrégulière, l'unique juge d'instruction de la juridiction.

9. Pour rejeter cette exception, la chambre de l'instruction énonce que cette ordonnance de saisine a été rendue par : « Céline Bureau, vice-présidente, substituant vu l'urgence et son empêchement légitime, Benoît Blanchy, juge d'instruction », et ajoute que l'unique juge d'instruction du tribunal de grande instance de Vannes était empêché de signer cette ordonnance de saisine, le 16 avril 2019, étant absent du 15 au 23 avril.

La chambre de l'instruction indique qu''il appartient au président du tribunal, en cas d'urgence et d'impossibilité de réunir l'assemblée générale des magistrats du siège, de procéder à ce remplacement ou d'accomplir lui-même les actes d'instruction utiles. Elle souligne que la désignation querellée se déduit du visa de l'urgence dans l'ordonnance, qui permet la désignation d'un juge d'instruction sans réunion, absolument impossible, de l'assemblée générale des magistrats du siège, étant observé que le caractère contraint des délais prévus pour organiser un débat contradictoire en matière de détention provisoire caractérise une situation d'urgence.

10. Mais, en statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés.

11. Il résulte, en effet, des pièces transmises à la Cour de cassation que, si Mme Bureau, vice-présidente au tribunal de grande instance de Vannes, a été désignée pour remplacer l'unique juge d'instruction de la juridiction, cette désignation est intervenue par une ordonnance du président du tribunal de grande instance, en date du 13 décembre 2018, répartissant les magistrats dans les services de la juridiction pendant l'année judiciaire 2019. Si cette ordonnance vise l'avis de l'assemblée générale des magistrats du siège en date du 19 novembre 2018, le procès-verbal de cette assemblée ne contient aucune désignation d'un magistrat chargé de remplacer le juge d'instruction.

12. Une ordonnance du président du tribunal de grande instance ne pouvant se substituer à une désignation de l'assemblée générale pour procéder à la désignation du magistrat du siège chargé de remplacer l'unique juge d'instruction d'un tribunal, il apparaît qu'en l'espèce, la saisine du juge des libertés et de la détention est intervenue par une ordonnance prise par un magistrat qui n'a pas été régulièrement désigné pour remplacer le juge d'instruction. Cette saisine irrégulière du juge des libertés et de la détention affecte la régularité de la décision de prolongation de la détention provisoire.

13. La cassation de l'arrêt est donc encourue. Elle interviendra sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer la règle appropriée, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 17 mai 2019 ;

ANNULE l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention, visant à la prolongation de la détention provisoire de M. R..., et l'ordonnance de prolongation de la détention qui en est la conséquence ;

ORDONNE la mise en liberté de l'intéressé, s'il n'est détenu pour autre cause.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. de Larosière de Champfeu - Avocat général : Mme Moracchini - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 50, alinéa 4, du code de procédure pénale ; article R. 212-36 du code de l'organisation judiciaire.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de désignation du juge chargé de remplacer le juge d'instruction empêché, à rapprocher : Crim., 15 novembre 2016, pourvoi n° 16-82.709, Bull. crim. 2016, n° 295 (cassation), et l'arrêt cité.

Crim., 3 septembre 2019, n° 19-80.388, (P)

Rejet

Dessaisissement du juge d'instruction – Dessaisissement au profit d'une juridiction interrégionale spécialisée – Cas – Connexité entre deux informations

Les dispositions de l'article 706-77 du code de procédure pénale viennent compléter celles de l'article 663 du même code sans se substituer à celles-ci ou les exclure.

Justifie sa décision la chambre de l'instruction qui confirme l'ordonnance de dessaisissement d'un juge d'instruction au profit de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), sur le fondement de l'article 663 du code de procédure pénale, après avoir relevé les éléments établissant la connexité entre les deux informations judiciaires.

REJET des pourvois formés par M. S... F...,

1) contre l'arrêt n° 1008 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 21 décembre 2018, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, a déclaré irrecevable son recours contre l'ordonnance de dessaisissement rendue par le juge d'instruction ;

2) contre l'arrêt n° 1009 de la même chambre de l'instruction, en date du 21 décembre 2018, qui, dans la même information, a confirmé cette ordonnance de dessaisissement.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les ordonnances du président de la chambre criminelle, en date du 25 mars 2019, prescrivant l'examen immédiat des pourvois ;

Vu les mémoires personnels produits ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. F... a été mis en examen dans le cadre d'une information judiciaire ouverte des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants et participation à une association de malfaiteurs ; que les investigations diligentées sur commission rogatoire ont permis d'effectuer un rapprochement avec une instruction relative à des faits d'infractions à la législation sur les stupéfiants ouverte au cabinet d'un juge d'instruction de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Rennes ; que par ordonnance du 26 novembre 2018, le juge d'instruction s'est dessaisi au profit du juge d'instruction de la JIRS ;

Que l'avocat de M. F... a interjeté appel de cette ordonnance et également présenté un recours sur le fondement de l'article 706-78 du code de procédure pénale à l'encontre de cette même ordonnance ;

En cet état ;

I - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt n° 1008 :

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles préliminaire, 706-77 et suivants, 663, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble excès de pouvoirs :

Attendu qu'il résulte de l'arrêt que le juge d'instruction s'est dessaisi sur le fondement de la connexité d'informations judiciaires, au visa de l'article 663 du code de procédure pénale et non dans le cadre des dispositions de l'article 706-77 du code de procédure pénale visées au moyen ;

Que, dès lors, c'est à bon droit que la chambre de l'instruction a retenu que le recours prévu à l'article 706-78 du code précité n'est en l'espèce pas recevable ;

Que le moyen ne saurait être accueilli ;

II - Sur le pourvoi formé contre l'arrêt n° 1009 :

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles Préliminaires, 706-75 à 706-78, 663, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe d'interprétation stricte de la loi de procédure pénale :

Attendu qu'après avoir rappelé les faits et la procédure de l'information ouverte devant le juge d'instruction de la juridiction de droit commun, la chambre de l'instruction, saisie de l'appel de l'ordonnance de dessaisissement, relève les éléments établissant la connexité de cette information avec celle ouverte devant la JIRS et justifiant le dessaisissement sur le fondement de l'article 663 du code de procédure pénale et énonce que si les règles des articles 706-77 et suivants du code de procédure pénale sont d'ordre public, elles n'ont pas pour autant vocation à se substituer à la règle de l'article 663 du code de procédure pénale instituant elle aussi une procédure d'exception dérogeant aux règles de compétences habituelles entre deux juridictions simultanément saisies sans que ne soit précisée leur spécialisation ;

Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que les dispositions de l'article 706-77 précité viennent compléter celles de l'article 663 du même code sans se substituer à celles-ci ou les exclure, la chambre de l'instruction, qui a prononcé par motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, a fait l'exacte application des textes visés au moyen ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles préliminaire, 706-75 à 706-78, 663, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble le principe d'interprétation stricte de la loi de procédure pénale :

Attendu que le demandeur ne saurait se faire grief de l'apparente contradiction entre une mention de l'arrêt indiquant que ne seront évoqués que les faits et la procédure instruite devant la juridiction d'instruction de droit commun et les motifs de l'arrêt se référant aux faits, objet de l'instruction confiée à la JIRS, la mention en cause ne concernant que le rappel des faits et procédure présenté dans l'arrêt et non la motivation de celui-ci ;

Que le moyen ne peut qu'être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : M. Violeau - Avocat général : Mme Zientara-Logeay -

Textes visés :

Article 663 et 706-77 du code de procédure pénale.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.