Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

BLANCHIMENT

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.040, (P)

Cassation partielle

Prescription – Action publique – Délai – Point de départ

Pénalités et peines – Pénalités – Amende fiscale – Calcul de l'amende proportionnelle

L'assiette de l'amende proportionnelle prévue à l'article 324-3 du code pénal est calculée en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l'infraction d'origine, sur lequel a porté le blanchiment. Méconnaît ce principe l'arrêt qui, pour condamner le prévenu à une amende d'un million d'euros, retient que les dispositions de l'article 324-3 du code pénal permettent de retenir comme base de calcul le montant global des sommes non déclarées créditant les comptes ouverts à l'étranger, alors que le produit de la fraude fiscale est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. K... D... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 23 janvier 2018, qui, pour fraude fiscale et blanchiment, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. L'enquête diligentée à la suite de révélations d'un ancien employé de la banque suisse HSBC, ayant mis en évidence que M. K... D... était détenteur de comptes ouverts dans cette banque, le directeur régional des finances publiques, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte à son encontre auprès du procureur de la République pour des faits présumés de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, le montant des droits éludés s'élevant à 235 580 euros.

3. A l'issue d'une information judiciaire, M. D..., qui a reconnu les faits de fraude fiscale, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment pour s'être, courant 2007 à 2010, frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement d'une partie des impôts dus au titre des années 2006 à 2009, en souscrivant des déclarations minorées en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt de solidarité sur la fortune et pour avoir, courant 2007 à 2010, apporté son concours à une opération de blanchiment, en l'espèce notamment en dissimulant le produit de sa propre fraude fiscale au travers de la société off shore Basic International, localisée en Suisse et dans Les Iles-Vierges britanniques, et de profils clients sous différentes identités auprès de la banque HSBC en Suisse.

4. M. D... a été reconnu coupable par les premiers juges, notamment de fraude fiscale et de blanchiment et condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis et 1 500 000 euros d'amende.

5. Le prévenu, le procureur de la République et l'administration fiscale, partie civile, ont interjeté appel de ce jugement.

6. Devant la cour d'appel, le prévenu a justifié avoir fait l'objet de pénalités fiscales et soutenu l'impossibilité de doubles poursuites, pénale et fiscale, en application du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, arguant que les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas des faits graves susceptibles de justifier une procédure pénale.

7. Il a également fait valoir que les faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale qui lui sont reprochés se confondent et ne peuvent, en application du principe ne bis in idem, donner lieu à une double déclaration de culpabilité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen de cassation pris en sa troisième branche, relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 4 du protocole n° 7 à la convention européenne des droits de l'homme, 14, § 7, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe ne bis in idem, 132-2 et 324-1 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale.

9. Le moyen, pris en sa troisième branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable des délits de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, l'a condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de trente mois avec sursis et à une peine d'amende d'un millions d'euros, et l'a condamné à payer une indemnité de 50 000 euros à la Direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest alors que « le Conseil constitutionnel a dit que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, au regard du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ; que pour retenir que M. D... pouvait faire l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale, la cour d'appel, tout en constatant que le montant de l'impôt éludé « reste tout de même assez relatif », s'est bornée à relever que M. D... avait dissimulé la possession de fonds dans des comptes ouverts en Suisse au nom de sociétés fictives et n'avait régularisé sa situation fiscale qu'après avoir fait l'objet d'une perquisition de sorte que les faits présentaient « des caractères de gravité certains » ; qu'en statuant par ces seuls motifs, dont ne résulte pas que les faits poursuivis sont au nombre des cas les plus graves, sans prendre en considération le fait que les fonds ont été placés sur les comptes litigieux en un temps où M. D... n'était pas assujetti à l'impôt, de sorte que M. D... s'était en réalité borné à s'abstenir de révéler l'existence de ces comptes après être devenu fiscalement imposable en France, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ».

Réponse de la Cour

10. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » notamment.

11. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale peuvent justifier l'engagement de procédures complémentaires.

12. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d'interprétation à l'application combinée des dispositions précitées de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

13. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s'engager, de s'assurer de cette gravité.

14. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l'infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.

En l'absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

15. Il s'en déduit que l'applicabilité de l'article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

16. Par ailleurs, s'agissant des conditions d'application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu'il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l'engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n°51).

17. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

18. En l'espèce, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, l'arrêt attaqué, après avoir caractérisé les faits de fraude fiscale et rappelé les réserves posées par le Conseil constitutionnel, énonce que les faits reprochés au prévenu présentent des caractères de gravité certains, permettant à l'administration fiscale d'engager des poursuites pénales, qui résultent « moins du montant des droits fraudés, qui sans être minimes restent tout de même assez relatifs », que de la nature des agissements de la personne poursuivie et des circonstances de leur intervention.

19. Il retient que M. D... a mis en place et profité durant de longues années d'un système frauduleux, initié dans un cadre familial, ayant consisté à ouvrir des comptes en Suisse sous couvert de sociétés fictives implantées dans des paradis fiscaux afin d'échapper à ses obligations fiscales et de gérer ses affaires dans la plus grande confidentialité.

20. Les juges ajoutent que l'origine des sommes versées sur ces comptes n'a jamais été justifiée et qu'en outre M. D..., contrairement à ses affirmations, n'a jamais voulu spontanément régulariser sa situation fiscale.

21. Si la cour d'appel a retenu à tort, au titre des critères de gravité de la fraude fiscale, l'absence de justification de l'origine des fonds placés et le comportement du prévenu postérieurement à la fraude, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure.

22. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu tenant à la circonstance du recours à des intermédiaires établis à l'étranger et au montant des droits éludés s'élevant à 235 580 euros.

23. Ainsi, le moyen, pris en sa troisième branche, doit être écarté.

Sur le deuxième moyen de cassation relatif à la saisine de la cour d'appel au regard de la nature du délit de blanchiment

Enoncé du moyen

24. Le moyen est pris de la violation des articles 324-1 alinéa 2 et 324-3 du code pénal, 388, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du délit de blanchiment de fraude fiscale, l'a condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de trente mois avec sursis et à une peine d'amende d'un millions d'euros, et l'a condamné à payer une indemnité de 50 000 euros à la direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest :

1°/ alors que « lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction, le juge pénal ne peut statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance ; que la cour d'appel a relevé, par motifs propres, que l'ordonnance de renvoi du 18 mars 2015 reprochait précisément à M. D... au titre du délit de blanchiment, d'avoir à Paris et en Suisse courant 2007 à 2010, dissimulé le produit de sa propre fraude fiscale au travers de la société off-shore Basic International Ltd, localisée en Suisse et dans les Iles-Vierges britanniques, et de profils clients sous différentes identités auprès de la banque HSBC en Suisse ; que dès lors, statuant par motifs propres ou adoptés, la cour d'appel ne pouvait légalement, pour caractériser les éléments constitutifs du blanchiment de fraude fiscale, se borner à relever des faits antérieurs à 2007 (création du profil client et de la société Basic international en 1997, instructions de gestion des comptes mentionnées dans les « scripts » de 2005) ou étrangers à la prévention (transfert des fonds sur un nouveau compte ouvert au nom de la société Tanganyika Invest en 2009) ; qu'en statuant ainsi, la cour a donc méconnu les textes susvisés et excédé les termes de sa saisine ; »

2°/ alors que « le délit de blanchiment prévu par l'article 324-1, alinéa 2, du code pénal est une infraction instantanée qui se réalise au moment où est apporté un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que la cour d'appel a constaté que M. D... avait dissimulé des fonds à l'administration fiscale en les plaçant, en décembre 1996 et en avril 1997, soit avant la période de la prévention fixée par l'ordonnance de renvoi, sur des comptes ouverts auprès de la banque HSBC sous des identités d'emprunt, notamment par le biais du profil client Basic International dont la société Basic International était titulaire ; qu'elle a néanmoins déclaré M. D... coupable de blanchiment au motif que le blanchiment est une infraction continue qui perdure après l'ouverture des comptes et le dépôt sur ceux-ci des sommes dissimulées au fisc ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

26. Vu les articles 324-1 du code pénal et 388 du code de procédure pénale :

27. Aux termes du premier de ces textes le blanchiment est défini comme le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ou le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou un délit. Il s'en déduit que ce délit, qui s'exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée.

28. Selon le second, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.

29. En l'espèce, pour confirmer le jugement déclarant le prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce notamment que M. D... disposait de liquidités dissimulées à l'administration fiscale grâce à l'ouverture de comptes auprès de la banque HSBC sous des identités d'emprunt, initialement par le biais d'un profil client intitulé « Manivelle », créé le 31 décembre 1996, puis comme mandataire jusqu'en décembre 2009, aux cotés de la société Staney Managment, du profil client Basic International, créé le 10 avril 1997 et dont le titulaire était la société Basic International Ltd, créée le 15 février 1997, laquelle était domiciliée en Suisse et dans les Iles- Vierges britanniques.

30. Il relève qu'au mois de février 2007, le montant total du solde des comptes associés au profil client Basic International s'élevait à la somme de 8 885 916 US dollars avec une évolution significative au cours des années précédentes, les scripts enregistrés en 2005 attestant non seulement que M. D... était bien le bénéficiaire de ces comptes, mais également qu'il les utilisait pour les besoins de ses activités en Afrique.

Selon l'arrêt, durant les années suivantes, les sommes figurant sur ces comptes ont encore évolué pour atteindre la somme de 7 544 220 euros au 30 décembre 2009 et à cette date, qui correspond précisément aux premières révélations sur l'implication de la banque HSBC dans les faits de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale concernant des contribuables français fraudeurs, les sommes en question ont été opportunément transférées sur les comptes d'une nouvelle société, Tanganyka Invest, immatriculée au Burundi, disposant également d'un compte HSBC et dont M. D... était le réel bénéficiaire.

31. Les juges ajoutent que le délit de blanchiment est une infraction continue, qui perdure après l'ouverture des comptes et le dépôt sur ceux-ci des sommes dissimulées au fisc, quelle que soit leur utilisation ultérieure ou leur absence d'utilisation, étant observé que le montant total des avoirs détenus par M. D... n'a cessé d'être valorisé sur l'ensemble de la période de prévention et que les faits de blanchiment ont perduré en 2010 avec le transfert des fonds concernés sur un nouveau compte ouvert au nom de la société Tanganyka Invest qui servait de paravent à M. D... à l'instar de la société Basic International.

32. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

33. En effet, en premier lieu, si le transfert des fonds sur le compte de la société fictive Tanganyka Invest en 2010 se trouvait inclus dans la saisine de la cour d'appel, telle que délimitée par l'ordonnance de renvoi, les juges, pour caractériser le délit de blanchiment, ont également retenu à l'encontre du prévenu des opérations tenant à la création et au fonctionnement du compte ouvert au nom de la société Basic International réalisées entre 1996 et 2005, période antérieure à celle visée par la prévention, sans constater que le prévenu avait accepté d'être jugé sur des faits de blanchiment commis au moyen de ces opérations.

34. En second lieu, le blanchiment étant une infraction instantanée et non continue, la cour d'appel ne pouvait considérer qu'il perdurait du seul fait que les fonds dissimulés à l'administration fiscale, versés sur le compte ouvert à l'étranger au nom de la société Basic international antérieurement à la période de prévention, se trouvaient toujours détenus sur ce compte au cours de cette période.

35. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le troisième moyen relatif à l'amende proportionnelle prévue à l'article 324-3 du code pénal

Enoncé du moyen

36. Le moyen est pris de la violation des articles 132-1, 132-20, 324-1 et 324-3 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale.

37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. D... au paiement d'une amende de 1 million d'euros, alors que « si, en cas de blanchiment de fraude fiscale, la peine d'amende peut être élevée jusqu'à la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment, ces fonds doivent être le produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale, lequel correspond au montant des droits fraudés, et non à l'ensemble des sommes dissimulées ; que pour condamner M. D... à une amende d'un million d'euros, la cour retient comme base de calcul la somme de 7 544 220,57 euros, correspondant aux avoirs crédités à la date du 30 septembre 2009 sur les comptes ouverts auprès de la banque HSBC en Suisse ; qu'en statuant ainsi, quand l'assiette de l'amende ne pouvait s'entendre que du montant des impositions éludées par M. D... du fait de la dissimulation des sommes sujettes à l'impôt, la cour a violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 324-1 alinéa 2 et 324-3 du code pénal et 1741 du code général des impôts :

38. Aux termes du premier de ces textes, le blanchiment est le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

39. Aux termes du second, la peine d'amende encourue peut être élevée jusqu'à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.

40. Il en résulte que l'assiette de l'amende ainsi définie ne peut être calculée qu'en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l'infraction d'origine.

41. Il se déduit par ailleurs du dernier de ces textes que le produit de la fraude fiscale est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.

42. En l'espèce, pour condamner le prévenu à une amende d'un million d'euros, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 324-3 du code pénal permettent de retenir comme base de calcul le montant global des sommes créditant les comptes ouverts au nom de la société Basic International sur la période de référence et dont M. D... était en réalité le propriétaire, soit au moins la moitié de la somme de 7 544 220 euros détenue par le prévenu à la date du 30 septembre 2009 sur les comptes ouverts auprès de la banque HSBC en Suisse.

43. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

44. En effet devait être pris comme base de calcul de l'amende prononcée le montant des seuls droits éludés.

45. Il s'en suit que la cassation est également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

46. Compte tenu de la cassation prononcée au titre du blanchiment, il n'y a pas lieu que la Cour de cassation examine les première et deuxième branches du premier moyen.

47. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité du chef de blanchiment et aux peines ainsi qu'aux intérêts civils alloués à la Direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest, dès lors que la déclaration de culpabilité pour fraude fiscale n'encourt pas la censure et que la relaxe pour corruption n'a pas fait l'objet d'un pourvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris en date du 23 janvier 2018, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. D... coupable du chef de blanchiment et celles relatives aux peines ainsi qu'aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1741 du code général des impôts ; article 324-3 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Concernant le délai de prescription en matière de blanchiment, à rapprocher : Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-83.484, Bull. crim 2019 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-83.484, (P)

Irrecevabilité et rejet

Prescription – Action publique – Délai – Point de départ – Infraction instantanée et occulte – Portée

Si le délit de blanchiment, qui s'exécute en un trait de temps, est une infraction instantanée, il constitue également, lorsqu'il consiste à faciliter la justification mensongère de l'origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, une infraction occulte par nature en ce qu'il a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte.

En conséquence, dans ces hypothèses, le délai de prescription de l'action publique commence à courir du jour où l'infraction apparaît et peut être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique.

Si c'est à tort qu'il a qualifié le blanchiment de délit continu, n'encourt cependant pas la censure l'arrêt qui, pour écarter l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu, énonce que la prescription n'a commencé à courir qu'à compter du jour où les faits ont été portés à la connaissance du procureur de la République par une note de TRACFIN, dès lors que, s'agissant d'une opération de blanchiment par dissimulation, le point de départ de la prescription doit être fixé au jour où les personnes susceptibles de mettre en mouvement l'action publique ont eu connaissance de l'infraction.

IRRECEVABILITE et rejet sur les pourvois formés par M. B... M..., prévenu, M. C... A..., M. S... D..., le comité national de soutien à V... R... et l'association « SOS » victimes de notaires, parties civiles contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 15 mai 2018, qui pour blanchiment a condamné le premier à un an d'emprisonnement avec sursis et 375 000 euros d'amende et a déclaré irrecevable la constitution de partie civile des quatre derniers.

LA COUR,

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ampliatif, personnel et en défense ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 4 décembre 2012, est paru dans le journal Médiapart un article affirmant que [...], M. K... U... avait détenu un compte bancaire en Suisse. Il était notamment fait état de l'enregistrement d'une conversation téléphonique datant de la fin de l'année 2000, détenu par M. F..., ancien maire de [...], au cours de laquelle M. U... évoquait avec son interlocuteur le compte qu'il détenait auprès de la banque UBS. Une enquête préliminaire a été ouverte par le procureur de la République le 8 janvier 2013 au cours de laquelle il a été établi qu'entre 2002 et 2006 des copies de cet enregistrement avaient été remises à différents agents des impôts ainsi qu'à M. S...-P... E..., juge d'instruction.

3. Plusieurs éléments étant venus confirmer la détention par M. U... d'un compte ouvert auprès de la banque suisse UBS, une information judiciaire a été ouverte le 19 mars 2013 notamment du chef de blanchiment de fraude fiscale. Il est apparu que les fonds litigieux avaient dans un premier temps été déposés sur un compte, ouvert au nom d'un avocat, sur lequel M. U... détenait une procuration.

Le 16 juin 1993, ce premier compte avait été débité de son solde en faveur d'un nouveau compte, ouvert cette fois-ci au nom de M. U... avec pour nom de code « X... ». Un mandat de gestion avait été délivré le 20 juillet 1993 par celui-ci à la société Progefinance SA, ancienne dénomination de L... et Compagnie.

Le 17 août 1998, dans un écrit adressé à la banque signé « X... », avait été donnée instruction à l'UBS de transférer les titres et liquidités à L... et Cie auprès de laquelle un nouveau compte avait été ouvert. A la fin de l'année 2009, les avoirs du compte L..., soit 579 000 euros, avaient été transférés sur un autre compte, ouvert au nom d'une société panaméenne, Penderley Corp et le 19 juillet 2010 M. U... avait sollicité la clôture du compte ouvert à Genève.

4. Une note Tracfin adressée au procureur de la République en avril 2013 a révélé que ces fonds avaient été, dans un second temps, virés sur un compte ouvert à la banque T... W... à Singapour au nom d'une société immatriculée aux Seychelles, dénommée Cernam group limited, dont M. U... était l'ayant droit et M. M..., avocat et conseil juridique du groupe L..., l'un des mandataires. Il a été mis en évidence que ce dernier avait participé au montage ainsi mis en place, impliquant plusieurs sociétés immatriculées aux Seychelles, aux Samoa et au Panama et que, bénéficiant d'une procuration sur ce compte, il était intervenu en 2011 dans le transfert d'une somme de 10 000 euros à Paris, remise en espèces à M. U....

Les fonds litigieux avaient été rapatriés en France sur l'initiative de M. U... en avril 2013.

5. A l'issue de l'information, M. M..., notamment, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir à Paris, en France, en Suisse, aux Seychelles et à Singapour, courant 2009, 2010, 2011, 2012 et 2013, jusqu'au 19 mars 2013, apporté son concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit de fraude fiscale, en participant activement à la dissimulation des avoirs de M. U..., détenus et gérés par la banque L..., ce dernier faisant également l'objet de poursuites.

6. Par jugement en date du 8 décembre 2016, le tribunal correctionnel de Paris a condamné M. M... à un an d'emprisonnement avec sursis et 375 000 euros d'amende.

Par ailleurs, il a déclaré irrecevable les constitutions de partie civile de M. A..., M. D..., l'association « SOS » victimes de notaires et le comité national de soutien à V... R.... Ces derniers, ainsi que M. M... et le procureur de la République ont notamment formé appel de cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. D...

7. La déclaration de pourvoi a été faite au nom du demandeur par M. A..., sans qu'il soit justifié du pouvoir spécial exigé par l'article 576 du code de procédure pénale.

8. Dès lors, le pourvoi n'est pas recevable.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par M. A..., l'association « SOS » victimes de notaires et le comité national de soutien à V... R...

9. Les demandeurs n'ayant justifié d'aucun préjudice direct découlant des infractions poursuivies, la cour d'appel a déclaré à bon droit leur constitution de partie civile irrecevable.

10. Dès lors le pourvoi est également irrecevable.

Examen des moyens proposés pour M. M...

Sur le second moyen

11. Il n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen relatif à la prescription du délit de blanchiment

Enoncé du moyen

12. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention des droits de l'homme, L. 2122-31 du code général des collectivités territoriales, L. 132-2 du code de la sécurité intérieure, 324-1 et 324-1-1 du code pénal, préliminaire, 8, dans sa rédaction applicable à la cause, 16, 19, 40, 591 et 593 du code de procédure pénale.

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception tendant à voir constater l'extinction de l'action publique par l'effet de la prescription relative aux faits de blanchiment reprochés à M. M..., et par voie de conséquence, en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. M... coupable des faits qui lui sont reprochés de blanchiment par concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d'un délit, l'a condamné à un emprisonnement délictuel de un an et à 375 000 euros d'amende et, sur l'action civile, a condamné M. M... à payer à l'Etat français, solidairement avec M. U..., M. H... L... et la société L... & compagnie, la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts :

1°/ alors que « les maires ont la qualité d'officiers de police judiciaire ; que les officiers de police judiciaire sont tenus d'informer sans délai le procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance ; que toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ; qu'en relevant que M. N... F..., maire de [...] et en cette qualité officier de police judiciaire, officier public, autorité constituée et fonctionnaire, en 2000, avait capté et enregistré une conversation téléphonique dans laquelle M. U... évoquait son compte en Suisse ouvert dans les livres de la banque UBS mais s'était « abstenu de toute divulgation auprès des autorités compétentes » (arrêt, p. 48, § 4), mais que néanmoins le délai de prescription de l'action publique sur les faits de blanchiment reprochés à M. M... n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la note Tracfin du 25 avril 2013, consécutive au rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour, circonstance qui « seule a rendu possible l'exercice de l'action publique à l'égard de M. M..., la prescription ayant commencé à courir à compter de cette date » (arrêt, p. 49, § 3), la cour d'appel a méconnu les principes et textes susvisés ; »

2°/ alors que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ; qu'en jugeant que le délai de prescription de l'action publique sur les faits de blanchiment reprochés à M. M... n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la note Tracfin du 25 avril 2013, consécutive au rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour, circonstance qui « seule a rendu possible l'exercice de l'action publique à l'égard de M. M..., la prescription ayant commencé à courir à compter de cette date » (arrêt, p. 49, § 3), après avoir relevé que M. F... avait transmis les informations qu'il détenait sur la détention, par M. U..., d'un compte en Suisse dans les livres de la banque UBS, à différents fonctionnaires de l'administration des impôts, « parmi lesquels MM. S...-Z... Q... et J...G..., tous deux agents de l'administration des impôts, (aucun n'ayant) estimé que l'information portée à sa connaissance méritait d'être portée à la connaissance de l'autorité judiciaire ou de l'administration fiscale aux fins que des procédures soient engagées » (arrêt, p. 48, § 4), après avoir également relevé que M. Q..., inspecteur des impôts, « avait proposé de signaler cette information (détention par M. U... d'un compte à l'étranger) à son administration, ce qu'il fit en s'adressant à son collègue M. I... alors en poste à la BII de Bordeaux » (arrêt, p. 18, § 3), que M. Patrick O..., collègue de M. I... à la Brigade interrégionale d'intervention de Bordeaux de la Direction nationale d'enquêtes fiscale avait « sollicité en février 2001 la communication du dossier personnel de M. U... détenu par les services fiscaux de Paris-sud », que M. G..., qui avait écrit au ministre du budget le 11 juin 2008 que « les informations recueillies (...) convergent vers les mêmes conclusions. (...) Alors qu'il exerce ses activités au cabinet de M. WP... Y..., [...], il (M. U...) ouvre un compte bancaire en Suisse », et avait fait l'objet d'une procédure disciplinaire pour s'être intéressé au dossier U... (arrêt, p. 18, § 6), au motif inopérant, concernant M. G..., que les informations que celui-ci avait recueillies l'auraient été « par un stratagème le plaçant en dehors de ses prérogatives de services » (arrêt, p. 48, § 5), la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a méconnu le principe et les textes susvisés ; »

3°/ alors que « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant que le délai de prescription de l'action publique sur les faits de blanchiment reprochés à M. M... n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la note Tracfin du 25 avril 2013, consécutive au rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour, circonstance qui « seule a rendu possible l'exercice de l'action publique à l'égard de M. M..., la prescription ayant commencé à courir à compter de cette date » (arrêt, p. 49, § 3), sans répondre aux conclusions de ce dernier alléguant que la remise de l'enregistrement de M. U... à M. S...-P... E..., alors magistrat et autorité de poursuite au sens de l'article 40 du code de procédure pénale, le 12 novembre 2006, avait fait courir la prescription, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; »

4°/ alors que « tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant que le délai de prescription de l'action publique sur les faits de blanchiment reprochés à M. M... n'avait pu commencer à courir qu'à compter de la note Tracfin du 25 avril 2013, consécutive au rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour, circonstance qui « seule a rendu possible l'exercice de l'action publique à l'égard de M. M..., la prescription ayant commencé à courir à compter de cette date » (arrêt, p. 49, § 3), sans répondre aux conclusions de ce dernier alléguant, pour établir que la mise en mouvement de l'action publique pouvait parfaitement intervenir avant cette date, qu'il « n'aura fallu que cinq mois à un journaliste, pourtant non détenteur de pouvoirs d'investigation d'ordre public, pour découvrir que M. U... était le bénéficiaire effectif des sommes déposées sur le compte de la société Cerman Group Ltd ouvert dans les livres de la Banque T... W... (D432/1 à D432/110)" (conclusions, p. 4), qu'il « aura fallu moins de deux mois à l'administration fiscale pour obtenir des autorités singapouriennes l'information selon laquelle M. U... était le bénéficiaire effectif des sommes déposées sur le compte de la société Cerman Group Ltd ouvert dans les livres de la banque T... W... (D432/1 à D432/110)" (ibid.), la cour d'appel ayant elle-même constaté que M. U... était formellement désigné, dans tous les documents bancaires, « comme bénéficiaire effectif des fonds et de la société » et bénéficiait « d'un pouvoir de signature sur le compte ouvert à la banque T... W... » (arrêt, p. 50, § 4), M. M... en concluant que les « raisons, sur lesquelles M. M... n'a pas à se prononcer, pour que les très nombreuses personnes, dont certaines occupaient des fonctions judiciaires et/ou administratives, ne révèlent pas, et ce depuis le début des années 2000, que M. U... détenait un compte non déclaré à l'étranger » (conclusions, p. 4) ne résidaient pas dans un obstacle à la mise en oeuvre de l'action publique, ce que confirmait encore le rapport rendu par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur cette affaire, cité page 29 des conclusions de M. M... et soulignant notamment que « le contenu de la conversation enregistrée ne laissait en fait guère de doutes sur le caractère non déclaré du compte en question », que « les vérifications entreprises en 2001 sont demeurées étonnamment superficielles » ou encore qu'« un inspecteur chevronné, comme M. Q..., ne pouvait ignorer que son signalement du début de l'année 2001 aurait dû être adressé au centre des impôts de Paris-sud, en charge du dossier fiscal personnel des époux U... (...) ou à la direction nationale des vérifications de situations fiscales », et sans vérifier si, par conséquent, l'absence de poursuites n'était pas due à des raisons étrangères à tout obstacle à la mise en mouvement de l'action publique, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ; »

5°/ alors que « le blanchiment est une infraction instantanée ; qu'en jugeant, par motifs éventuellement adoptés du jugement entrepris, que « dans le cas de l'espèce, le blanchiment reproché à M. M... revêt un caractère continu ; qu'en effet, le placement de sommes d'argent dissimulées sur un compte à l'étranger, donne à l'infraction un caractère continu dès lors que les faits sont en relation avec des actes de conservation et de dissimulation qui s'étendent dans le temps ; que sur la question de la prescription au cas de l'espèce, la prescription n'est pas acquise compte tenu du caractère continu de l'infraction ; que pour le tribunal, le délit de blanchiment étant continu, la prescription n'a commencé à courir qu'à compter du jour où l'état délictueux a pris fin, en l'espèce à compter du jour où les sommes ont été rapatriées par M. U... » (jugement entrepris, pp. 76-77), au motif inopérant que M. M..., après 2009, était intervenu à une reprise, en 2011, pour permettre la remise de sommes d'argent à M. U..., la cour d'appel a méconnu le principe et les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

14. Aux termes de l'article 324-1 du code pénal, le blanchiment est défini comme le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ou le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. Il s'en déduit que ce délit, qui s'exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée.

15. Lorsqu'il consiste à faciliter la justification mensongère de l'origine de biens ou de revenus ou à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, le blanchiment, qui a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte, notamment aux yeux de la victime et de l'autorité judiciaire, constitue en raison de ses éléments constitutifs une infraction occulte par nature.

16. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, ultérieurement consacrée par la loi n°2017-242 du 27 février 2017 à l'article 9-1 du code de procédure pénale, le délai de prescription de l'infraction instantanée, mais occulte, court à compter du jour où elle est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique (Crim., 8 février 2006, pourvoi n° 05-80.301, Bull. crim. 2006, n° 34). Cette date doit être fixée au jour où les personnes susceptibles de mettre en mouvement l'action publique ont eu connaissance de l'infraction.

17. En l'espèce, pour rejeter l'exception de prescription de l'action publique soulevée par le prévenu, l'arrêt attaqué énonce que le blanchiment reproché à M. M..., consistant en la dissimulation du produit de la fraude fiscale imputée à M. U..., non plus en Suisse, mais à Singapour, constitue un délit tout à la fois continu et occulte ayant débuté en novembre 2009 et non en 1992 ou en 2000.

18. Il relève que le prévenu n'est pas fondé à exciper de la notoriété, qui n'était pas plus avérée au cours de l'année 2009 qu'elle ne l'était en 2000, de la détention par M. U... d'un compte en Suisse, pour prétendre que les faits fondant les poursuites engagées à son encontre étaient prescrits à la date du premier acte interruptif de prescription, qu'il situe lui-même au 8 janvier 2013, s'agissant de la décision du procureur de la République d'ouvrir une enquête préliminaire.

19. Les juges ajoutent que ces faits n'ont été portés à la connaissance du procureur de la République que par la note Tracfin du 25 avril 2013, à la suite du rapatriement des fonds intervenu courant 2013 depuis Singapour à l'initiative de M. U..., cette circonstance ayant seule rendu possible l'exercice de l'action publique à l'égard de M. M....

20. La cour d'appel en conclut que la prescription a commencé à courir à compter de cette date.

21. Si c'est à tort que la cour d'appel a qualifié le blanchiment d'infraction continue, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure.

22. En effet, il résulte des énonciations de la cour d'appel, relevant de son appréciation souveraine, dépourvues d'insuffisance comme de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions des parties, que ces faits n'ont pu être portés à la connaissance du procureur de la République qu'en avril 2013, à la suite de leur découverte par Tracfin et que la prescription n'était en conséquence pas acquise à la date de l'ouverture de l'enquête préliminaire.

23. Par ailleurs, les quatre premières branches du moyen, en ce qu'elles reprochent à l'arrêt attaqué de ne pas avoir tenu compte de la connaissance qu'ont pu avoir certaines personnes dès l'année 2000 de la détention par M. U... d'un compte en Suisse, sont inopérantes dès lors que les faits de blanchiment reprochés à M. M..., concernant un compte ouvert en Thaïlande et commis pour les premiers en novembre 2009, ne pouvaient être constatés et poursuivis à une période antérieure à leur commission.

24. Enfin, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois de M. D..., M. A..., l'association « SOS » victimes de notaires et le comité national de soutien à V... R... :

Les déclare IRRECEVABLES ;

Sur le pourvoi de M. M... :

Le REJETTE.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 7 et suivants du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Concernant le délai de prescription de l'infraction instantanée, occulte, qui court à compter du jour où elle est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique, à rapprocher : Crim., 8 février 2006, pourvoi n° 05-80.301, Bull. crim. 2006, n° 34 (cassation), et l'arrêt cité.

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