Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

IMPOTS ET TAXES

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.980, (P)

Rejet

Dispositions communes – Fraude fiscale – Cumul de poursuites fiscales et pénales – Poursuites exercées devant le juridiction répressive – Décision non définitive du juge de l'impôt déchargeant le prévenu de l'impôt pour un motif de fond – Sursis à statuer – Faculté du juge pénal – Conditions – Risque sérieux de contrariété des décisions – Motivation

Même lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie de l'existence d'une procédure pendante devant le juge de l'impôt tendant à une décharge de l'imposition pour un motif de fond, le juge pénal n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision définitive du juge de l'impôt soit intervenue. Par exception, il peut prononcer, dans l'exercice de son pouvoir souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions, notamment en présence d'une décision non définitive déchargeant le prévenu de l'impôt pour un motif de fond. Dans tous les cas, le juge saisi d'une demande de sursis à statuer doit spécialement motiver sa décision.

Justifie sa décision, sans insuffisance et sans méconnaître la portée de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel selon laquelle un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond ne peut être condamné pour fraude fiscale, la cour d'appel qui rejette la demande de sursis à statuer jusqu'à la décision de la cour administrative d'appel aux motifs que la société et son gérant, prévenus de fraude fiscale, ont été reconnus par le tribunal administratif redevables du paiement des impôts éludés et que la commission départementale et la commission des infractions fiscales n'ont émis aucune objection sur les opérations de contrôle.

REJET du pourvoi formé par M. I... X... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 5 mars 2018, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits en demande et en défense.

Faits et procédure :

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. La société Euro power technology, dont l'activité porte sur la fourniture, l'installation et la maintenance de moteurs destinés à la production d'électricité, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité.

L'administration fiscale, après avis de la commission des infractions fiscales, a porté plainte à l'encontre de M. X... en qualité de président de la société.

3. Le procureur de la République a fait citer M. X... devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale en raison de minorations déclaratives en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour des droits éludés de 428 706 euros et de restitutions abusives de crédits d'impôt recherche (CIR) pour un montant de 2 020 246 euros.

4. Le tribunal correctionnel a condamné le prévenu à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et, après avoir reçu l'administration fiscale en sa constitution de partie civile, a prononcé une mesure de solidarité fiscale avec la société, redevable légal de l'impôt, pour le paiement des impôts fraudés, des majorations et pénalités y afférentes. M. X... et le ministère public ont interjeté appel de ce jugement.

5. Devant la cour d'appel, M. X... a sollicité le prononcé du sursis à statuer au motif que le jugement du tribunal administratif rejetant le recours de la société contre les rappels de TVA et la remise en cause du CIR, a été frappé d'appel.

Le prévenu a également demandé que la juridiction ordonne une mesure d'expertise relative à l'éligibilité de la société au CIR.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen :

6. Le moyen n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen relatif au sursis à statuer en matière fiscale

Enoncé du moyen

7. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale.

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par M. I... X..., puis l'a déclaré coupable de fraude fiscale et l'a condamné de ce chef à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende ;

1°/ alors qu' « il résulte de la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-545 QPC du 24 juin 2016 (§13) que les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des peines déduit de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt pour un motif de fond par une décision juridictionnelle devenue définitive puisse être condamné pour fraude fiscale ; que cette exigence fait non seulement obstacle à ce que le juge répressif prononce une condamnation pour fraude fiscale lorsque le juge de l'impôt a prononcé une décharge avant que le juge répressif ne statue, mais impose également au juge répressif de surseoir à statuer lorsqu'une instance est pendante devant le juge de l'impôt relativement aux impositions faisant l'objet de la plainte pour fraude fiscale ; qu'à défaut, une peine pénale pourrait être prononcée alors même que le prévenu pourrait in fine être déchargé des impositions litigieuses ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de sursis à statuer formée par M. X..., que la décision n°2016-545 QPC du Conseil constitutionnel n'implique pas d'obligation pour le juge pénal de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive de la juridiction administrative car seule l'hypothèse d'une personne définitivement déchargée de l'impôt prive le juge pénal de la possibilité légale de la condamner pour fraude fiscale, la cour a violé l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 1741 du code général des impôts » ;

2°/ alors que « pour rejeter la demande de sursis à statuer formée par M. X..., la cour a énoncé que l'éventualité d'une décharge, pour un motif de fond, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la société Euro Power Technology a été assujettie, était exclue en l'espèce dans la mesure où la société comme le prévenu s'étaient toujours reconnus redevables des impositions éludées et responsables fiscalement des manquements relevés ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher s'il ne ressortait pas des mentions du jugement du tribunal administratif de Paris du n°1602298/1-2 du 6 juin 2017 ainsi que de la requête introductive d'appel formée le 27 juillet 2017 par la société Euro Power Technology que cette dernière contestait le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée et des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mis à sa charge au titre de l'année 2009 et en demandait la décharge totale, et s'il ne se déduisait pas de ces éléments que l'intervention d'une décision juridictionnelle déchargeant la société des impositions litigieuses pour un motif de fond était envisageable, ce qui imposait un sursis à statuer, la cour a privé a décision de base légale au regard de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 1741 du code général des impôts » ;

3°/ alors que « pour rejeter la demande de sursis à statuer formée par M. X..., la cour a retenu que la commission départementale et la commission des infractions fiscales n'avaient, dans leurs avis respectifs des 6 juin et 7 décembre 2012, émis aucune objection ni sur les modalités du contrôle de la comptabilité de la société Euro Power Technology ni sur les conclusions retenues à l'issue des opérations de contrôle ; qu'elle a ajouté que cette communauté d'analyse la déterminait à considérer la demande de sursis à statuer comme infondée ; qu'en se prononçant ainsi, cependant qu'aux termes des articles 1651 du code général des impôts et des articles L. 59 et L. 228 du Livre des procédures fiscales, la commission départementale des impôts directs et sur le chiffre d'affaires et la commission des infractions fiscales sont investies d'une compétence purement consultative dont l'exercice ne saurait préjuger de la solution donnée par le juge de l'impôt à une requête tendant à la décharge d'une imposition, ce dont il résulte que le juge répressif ne saurait se fonder sur les avis rendus par ces deux commissions pour rejeter une demande de sursis à statuer, la cour a violé l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les articles 1741 et 1651 du code général des impôts, ensemble les articles L. 59 et L. 228 du Livre des procédures fiscales » ;

4°/ alors que « pour rejeter la demande de sursis à statuer formée par M. X..., la cour a énoncé que le prévenu n'avait pas estimé devoir indiquer à quelle date l'appel interjeté contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 juin 2017 serait examiné par la cour administrative d'appel ; qu'en statuant de la sorte, cependant que le sort devant être donné à une demande de sursis à statuer ne saurait dépendre de la connaissance que le prévenu est susceptible d'avoir de la date à laquelle le juge de l'impôt va statuer, mais dépendait en l'espèce exclusivement du point de savoir si une décision juridictionnelle déchargeant la société Euro Power Technology était susceptible d'intervenir, la cour a violé l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'article 1741 du code général des impôts ».

Réponse de la Cour :

9. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, la décision du juge de l'impôt n'a pas autorité de chose jugée à l'égard du juge pénal, de sorte que l'existence d'une décision du juge fiscal déchargeant le contribuable de toute imposition ne dispense pas le juge répressif de rechercher si ce prévenu s'est soustrait ou a tenté de se soustraire à l'établissement ou au paiement de l'impôt (en dernier lieu, Crim., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-84.092). Il en résulte que le juge pénal n'a pas à surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive du juge de l'impôt (Crim., 11 janvier 2006, pourvoi n° 05-82.674, Bull. crim. 2006, n° 16).

10. Cependant, selon la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne sauraient, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale (décisions nos 2016-545 QPC et 2015-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

11. En conséquence, la jurisprudence prohibant tout sursis à statuer doit être infléchie pour limiter le risque de contrariété de décisions au regard de l'exigence posée par cette réserve.

12. Toutefois, il ne peut en être déduit que le sursis à statuer doit être systématique en cas de saisine du juge de l'impôt.

13. En effet, en premier lieu, la réserve d'interprétation n'empêche pas l'engagement des deux procédures, pénale et fiscale, l'autorité absolue de chose jugée ne s'attachant qu'à une décision juridictionnelle présentant un caractère définitif. Elle ne s'applique qu'en cas de décharge de l'imposition pour des raisons de fond, exclusives de tout motif de procédure.

14. En deuxième lieu, par application des articles 384 et 427 du code de procédure pénale notamment, le juge pénal conserve plénitude de juridiction et est tenu de statuer lui-même sur toute question dont dépend l'application de la loi pénale.

15. En troisième lieu, ainsi que le juge le Conseil constitutionnel, eu égard à l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, la répression pénale, s'agissant des faits les plus graves, permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive.

16. En dernier lieu, selon les articles préliminaire du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, le juge pénal doit toujours statuer dans un délai raisonnable.

17. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Même lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie de l'existence d'une procédure pendante devant le juge de l'impôt tendant à une décharge de l'imposition pour un motif de fond, le juge pénal n'est pas tenu de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'une décision définitive du juge de l'impôt soit intervenue.

Par exception, il peut prononcer, dans l'exercice de son pouvoir souverain, le sursis à statuer en cas de risque sérieux de contrariété de décisions, notamment en présence d'une décision non définitive déchargeant le prévenu de l'impôt pour un motif de fond. Dans tous les cas, le juge saisi d'une demande de sursis à statuer doit spécialement motiver sa décision.

18. En l'espèce, pour dire n'y avoir lieu à statuer jusqu'à la décision de la cour administrative d'appel, l'arrêt attaqué énonce que la société et le prévenu ont été reconnus par le tribunal administratif redevables du paiement des impôts éludés et responsables fiscalement des manquements relevés. Ils retiennent que la commission départementale et la commission des infractions fiscales n'ont émis aucune objection sur les modalités du contrôle de la comptabilité de la société et les conclusions retenues à l'issue des opérations de contrôle.

Les juges en concluent que cette communauté d'analyse par le juge administratif et ces deux commissions les détermine à juger la demande infondée.

19. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, sans insuffisance, a justifié sa décision sans méconnaître la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

20. Il s'ensuit que le moyen, qui manque en fait en sa deuxième branche, la cour d'appel n'ayant pas retenu que la société et le prévenu s'étaient toujours reconnus redevables des impositions, et qui est inopérant en sa quatrième branche en ce qu'il critique un motif surabondant aux termes duquel le prévenu n'a pas estimé devoir indiquer à quelle date l'appel serait examiné par la cour administrative d'appel, doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen relatif à la demande d'expertise :

Enoncé du moyen

21. Le moyen est pris de la violation des articles 388-5 et 463 du code de procédure pénale.

22. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise formée par M. X..., puis l'a déclaré coupable de fraude fiscale et l'a condamné de ce chef à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende ;

1°/ alors qu' « en vertu de l'article 388-5 du code de procédure pénale, les parties ou leurs avocats peuvent, en cas de poursuites par citation, demander par conclusions écrites, avant le début de l'audience ou à tout moment au cours des débats, qu'il soit procédé à tout acte qu'ils estiment nécessaire à la manifestation de la vérité ; qu'il résulte également de ce texte que le président de la juridiction est compétent pour statuer sur les demandes d'acte formées avant le début de l'audience, tandis que la juridiction elle-même est compétente pour statuer sur les demandes d'acte formées à compter de l'audience et au cours des débats ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande d'expertise formée par M. X... par conclusions écrites déposées le jour de l'audience, qu'une telle demande supposait la saisine préalable du président de la juridiction et qu'en l'espèce, M. X... avait, le jour de l'audience, directement saisi la cour de sa demande d'expertise, cependant que l'article 388-5 du code de procédure pénale autorise expressément les parties à présenter des demandes d'actes soit « avant l'audience », soit « à tout moment au cours des débats », les demandes présentées au cours des débats relevant de la compétence de la juridiction, la cour a violé ce texte, ensemble l'article 463 du code de procédure pénale » ;

2°/ alors que « par des conclusions écrites déposées le 15 janvier 2018, M. X... a demandé à la cour d'ordonner une expertise afin de déterminer si les travaux de recherche à raison desquels la société Euro Power Technology a demandé un remboursement au titre du crédit impôt recherche prévu à l'article 244 quater-B du code général des impôts étaient ou non éligibles à ce dispositif fiscal, en faisant valoir que le rapport d'expertise d'ores et déjà établi par M. V... W... le 22 juin 2010 n'avait tenu compte ni des éléments complémentaires transmis par un courriel de M. X... du 22 juin 2010, ni du nouveau dossier de présentation des recherches et des nouvelles pièces transmises aux enquêteurs le 11 février 2014 ; qu'en rejetant la demande d'expertise au motif qu'elle disposait des éléments suffisants pour fonder son intime conviction, sans expliquer en quoi les éléments n'ayant pas été analysés par l'expert dans son rapport du 22 juin 2010 ne rendaient pas nécessaire une nouvelle appréciation scientifique et technique des travaux de recherche mis en oeuvre par la société Euro Power Technology au regard des critères d'éligibilité au crédit d'impôt recherche, la cour n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 388-5 et 463 du code de procédure pénale ».

Réponse de la Cour :

23. Selon l'article 388-5 du code de procédure pénale, en cas de poursuites par citation ou convocation, les parties ou leur avocat peuvent, avant toute défense au fond ou à tout moment au cours des débats, demander qu'il soit procédé à tout acte par conclusions écrites, lesquelles peuvent être adressées avant le début de l'audience. Il en résulte qu'un supplément d'information peut être sollicité à tout moment au cours des débats.

24. Par conséquent, c'est à tort que, pour rejeter la demande d'expertise formée par conclusions écrites déposées par le prévenu le jour de l'audience, la cour d'appel énonce que l'article précité suppose la saisine préalable du président de la juridiction.

25. Cependant, l'arrêt attaqué n'encourt pas la censure dès lors que, d'une part, le rejet a fait l'objet d'une motivation spéciale, d'autre part, l'opportunité d'ordonner une mesure d'instruction relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

26. Le moyen ne peut donc être accueilli.

27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Pichon - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article 1741 du code général des impôts ; article 388-5 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Concernant les poursuites pénales exercées sur le fondement de l'article 1741 du code général des impôts et la procédure administrative tendant à fixer l'assiette et l'étendue de l'impôt étant, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, le juge répressif n'a pas à surseoir à statuer jusqu'à la décision définitive de la juridiction administrative, laquelle ne peut avoir autorité de chose jugée à son égard, à rapprocher : Crim., 11 janvier 2006, pourvoi n° 05-82.674, Bull. crim. 2006, n° 16 (cassation), et l'arrêt cité. Concernant l'appréciation souveraine opérée par les juges du fond en matière de supplément d'information et la nécessité d'une motivation exempte d'insuffisance, à rapprocher : Crim., 25 avril 2006, pourvoi n° 05-87.318, Bull. crim. 2006, n° 111 (cassation), et arrêts cités.

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.040, (P)

Cassation partielle

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Cumul de poursuites fiscales et pénales – Degré de gravité – Nécessité

Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

N'encourt pas la censure l'arrêt qui, après avoir établi l'infraction de fraude fiscale reprochée au prévenu et préalablement à la motivation du choix des peines, pour caractériser la gravité des faits en application de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel selon laquelle les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire, a retenu à tort l'absence de justification de l'origine des fonds non déclarés et le comportement du prévenu postérieurement à la fraude, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu tenant à la circonstance du recours à des intermédiaires établis à l'étranger et au montant des droits éludés.

CASSATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. K... D... contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 23 janvier 2018, qui, pour fraude fiscale et blanchiment, l'a condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 000 euros d'amende et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. L'enquête diligentée à la suite de révélations d'un ancien employé de la banque suisse HSBC, ayant mis en évidence que M. K... D... était détenteur de comptes ouverts dans cette banque, le directeur régional des finances publiques, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte à son encontre auprès du procureur de la République pour des faits présumés de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, le montant des droits éludés s'élevant à 235 580 euros.

3. A l'issue d'une information judiciaire, M. D..., qui a reconnu les faits de fraude fiscale, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel notamment pour s'être, courant 2007 à 2010, frauduleusement soustrait à l'établissement et au paiement d'une partie des impôts dus au titre des années 2006 à 2009, en souscrivant des déclarations minorées en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt de solidarité sur la fortune et pour avoir, courant 2007 à 2010, apporté son concours à une opération de blanchiment, en l'espèce notamment en dissimulant le produit de sa propre fraude fiscale au travers de la société off shore Basic International, localisée en Suisse et dans Les Iles-Vierges britanniques, et de profils clients sous différentes identités auprès de la banque HSBC en Suisse.

4. M. D... a été reconnu coupable par les premiers juges, notamment de fraude fiscale et de blanchiment et condamné à trente mois d'emprisonnement avec sursis et 1 500 000 euros d'amende.

5. Le prévenu, le procureur de la République et l'administration fiscale, partie civile, ont interjeté appel de ce jugement.

6. Devant la cour d'appel, le prévenu a justifié avoir fait l'objet de pénalités fiscales et soutenu l'impossibilité de doubles poursuites, pénale et fiscale, en application du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, arguant que les faits qui lui sont reprochés ne constituent pas des faits graves susceptibles de justifier une procédure pénale.

7. Il a également fait valoir que les faits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale qui lui sont reprochés se confondent et ne peuvent, en application du principe ne bis in idem, donner lieu à une double déclaration de culpabilité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen de cassation pris en sa troisième branche, relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

8. Le moyen est pris de la violation des articles 4 du protocole n° 7 à la convention européenne des droits de l'homme, 14, § 7, du pacte international relatif aux droits civils et politiques, 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, du principe ne bis in idem, 132-2 et 324-1 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale.

9. Le moyen, pris en sa troisième branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable des délits de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, l'a condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de trente mois avec sursis et à une peine d'amende d'un millions d'euros, et l'a condamné à payer une indemnité de 50 000 euros à la Direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest alors que « le Conseil constitutionnel a dit que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt, au regard du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention ; que pour retenir que M. D... pouvait faire l'objet de poursuites pénales pour fraude fiscale, la cour d'appel, tout en constatant que le montant de l'impôt éludé « reste tout de même assez relatif », s'est bornée à relever que M. D... avait dissimulé la possession de fonds dans des comptes ouverts en Suisse au nom de sociétés fictives et n'avait régularisé sa situation fiscale qu'après avoir fait l'objet d'une perquisition de sorte que les faits présentaient « des caractères de gravité certains » ; qu'en statuant par ces seuls motifs, dont ne résulte pas que les faits poursuivis sont au nombre des cas les plus graves, sans prendre en considération le fait que les fonds ont été placés sur les comptes litigieux en un temps où M. D... n'était pas assujetti à l'impôt, de sorte que M. D... s'était en réalité borné à s'abstenir de révéler l'existence de ces comptes après être devenu fiscalement imposable en France, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ».

Réponse de la Cour

10. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » notamment.

11. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale peuvent justifier l'engagement de procédures complémentaires.

12. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d'interprétation à l'application combinée des dispositions précitées de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

13. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s'engager, de s'assurer de cette gravité.

14. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l'infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.

En l'absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

15. Il s'en déduit que l'applicabilité de l'article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

16. Par ailleurs, s'agissant des conditions d'application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu'il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l'engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n°51).

17. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

18. En l'espèce, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel de nécessité des délits et des peines, l'arrêt attaqué, après avoir caractérisé les faits de fraude fiscale et rappelé les réserves posées par le Conseil constitutionnel, énonce que les faits reprochés au prévenu présentent des caractères de gravité certains, permettant à l'administration fiscale d'engager des poursuites pénales, qui résultent « moins du montant des droits fraudés, qui sans être minimes restent tout de même assez relatifs », que de la nature des agissements de la personne poursuivie et des circonstances de leur intervention.

19. Il retient que M. D... a mis en place et profité durant de longues années d'un système frauduleux, initié dans un cadre familial, ayant consisté à ouvrir des comptes en Suisse sous couvert de sociétés fictives implantées dans des paradis fiscaux afin d'échapper à ses obligations fiscales et de gérer ses affaires dans la plus grande confidentialité.

20. Les juges ajoutent que l'origine des sommes versées sur ces comptes n'a jamais été justifiée et qu'en outre M. D..., contrairement à ses affirmations, n'a jamais voulu spontanément régulariser sa situation fiscale.

21. Si la cour d'appel a retenu à tort, au titre des critères de gravité de la fraude fiscale, l'absence de justification de l'origine des fonds placés et le comportement du prévenu postérieurement à la fraude, l'arrêt n'encourt cependant pas la censure.

22. En effet, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre du prévenu tenant à la circonstance du recours à des intermédiaires établis à l'étranger et au montant des droits éludés s'élevant à 235 580 euros.

23. Ainsi, le moyen, pris en sa troisième branche, doit être écarté.

Sur le deuxième moyen de cassation relatif à la saisine de la cour d'appel au regard de la nature du délit de blanchiment

Enoncé du moyen

24. Le moyen est pris de la violation des articles 324-1 alinéa 2 et 324-3 du code pénal, 388, 485, 512, 591 et 593 du code de procédure pénale.

25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré le prévenu coupable du délit de blanchiment de fraude fiscale, l'a condamné à une peine d'emprisonnement délictuel de trente mois avec sursis et à une peine d'amende d'un millions d'euros, et l'a condamné à payer une indemnité de 50 000 euros à la direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest :

1°/ alors que « lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par la juridiction d'instruction, le juge pénal ne peut statuer que sur les faits relevés par l'ordonnance ; que la cour d'appel a relevé, par motifs propres, que l'ordonnance de renvoi du 18 mars 2015 reprochait précisément à M. D... au titre du délit de blanchiment, d'avoir à Paris et en Suisse courant 2007 à 2010, dissimulé le produit de sa propre fraude fiscale au travers de la société off-shore Basic International Ltd, localisée en Suisse et dans les Iles-Vierges britanniques, et de profils clients sous différentes identités auprès de la banque HSBC en Suisse ; que dès lors, statuant par motifs propres ou adoptés, la cour d'appel ne pouvait légalement, pour caractériser les éléments constitutifs du blanchiment de fraude fiscale, se borner à relever des faits antérieurs à 2007 (création du profil client et de la société Basic international en 1997, instructions de gestion des comptes mentionnées dans les « scripts » de 2005) ou étrangers à la prévention (transfert des fonds sur un nouveau compte ouvert au nom de la société Tanganyika Invest en 2009) ; qu'en statuant ainsi, la cour a donc méconnu les textes susvisés et excédé les termes de sa saisine ; »

2°/ alors que « le délit de blanchiment prévu par l'article 324-1, alinéa 2, du code pénal est une infraction instantanée qui se réalise au moment où est apporté un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ; que la cour d'appel a constaté que M. D... avait dissimulé des fonds à l'administration fiscale en les plaçant, en décembre 1996 et en avril 1997, soit avant la période de la prévention fixée par l'ordonnance de renvoi, sur des comptes ouverts auprès de la banque HSBC sous des identités d'emprunt, notamment par le biais du profil client Basic International dont la société Basic International était titulaire ; qu'elle a néanmoins déclaré M. D... coupable de blanchiment au motif que le blanchiment est une infraction continue qui perdure après l'ouverture des comptes et le dépôt sur ceux-ci des sommes dissimulées au fisc ; qu'en statuant ainsi, la cour a violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

26. Vu les articles 324-1 du code pénal et 388 du code de procédure pénale :

27. Aux termes du premier de ces textes le blanchiment est défini comme le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect ou le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou un délit. Il s'en déduit que ce délit, qui s'exécute en un trait de temps, constitue une infraction instantanée.

28. Selon le second, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention.

29. En l'espèce, pour confirmer le jugement déclarant le prévenu coupable de blanchiment de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce notamment que M. D... disposait de liquidités dissimulées à l'administration fiscale grâce à l'ouverture de comptes auprès de la banque HSBC sous des identités d'emprunt, initialement par le biais d'un profil client intitulé « Manivelle », créé le 31 décembre 1996, puis comme mandataire jusqu'en décembre 2009, aux cotés de la société Staney Managment, du profil client Basic International, créé le 10 avril 1997 et dont le titulaire était la société Basic International Ltd, créée le 15 février 1997, laquelle était domiciliée en Suisse et dans les Iles- Vierges britanniques.

30. Il relève qu'au mois de février 2007, le montant total du solde des comptes associés au profil client Basic International s'élevait à la somme de 8 885 916 US dollars avec une évolution significative au cours des années précédentes, les scripts enregistrés en 2005 attestant non seulement que M. D... était bien le bénéficiaire de ces comptes, mais également qu'il les utilisait pour les besoins de ses activités en Afrique.

Selon l'arrêt, durant les années suivantes, les sommes figurant sur ces comptes ont encore évolué pour atteindre la somme de 7 544 220 euros au 30 décembre 2009 et à cette date, qui correspond précisément aux premières révélations sur l'implication de la banque HSBC dans les faits de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale concernant des contribuables français fraudeurs, les sommes en question ont été opportunément transférées sur les comptes d'une nouvelle société, Tanganyka Invest, immatriculée au Burundi, disposant également d'un compte HSBC et dont M. D... était le réel bénéficiaire.

31. Les juges ajoutent que le délit de blanchiment est une infraction continue, qui perdure après l'ouverture des comptes et le dépôt sur ceux-ci des sommes dissimulées au fisc, quelle que soit leur utilisation ultérieure ou leur absence d'utilisation, étant observé que le montant total des avoirs détenus par M. D... n'a cessé d'être valorisé sur l'ensemble de la période de prévention et que les faits de blanchiment ont perduré en 2010 avec le transfert des fonds concernés sur un nouveau compte ouvert au nom de la société Tanganyka Invest qui servait de paravent à M. D... à l'instar de la société Basic International.

32. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

33. En effet, en premier lieu, si le transfert des fonds sur le compte de la société fictive Tanganyka Invest en 2010 se trouvait inclus dans la saisine de la cour d'appel, telle que délimitée par l'ordonnance de renvoi, les juges, pour caractériser le délit de blanchiment, ont également retenu à l'encontre du prévenu des opérations tenant à la création et au fonctionnement du compte ouvert au nom de la société Basic International réalisées entre 1996 et 2005, période antérieure à celle visée par la prévention, sans constater que le prévenu avait accepté d'être jugé sur des faits de blanchiment commis au moyen de ces opérations.

34. En second lieu, le blanchiment étant une infraction instantanée et non continue, la cour d'appel ne pouvait considérer qu'il perdurait du seul fait que les fonds dissimulés à l'administration fiscale, versés sur le compte ouvert à l'étranger au nom de la société Basic international antérieurement à la période de prévention, se trouvaient toujours détenus sur ce compte au cours de cette période.

35. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le troisième moyen relatif à l'amende proportionnelle prévue à l'article 324-3 du code pénal

Enoncé du moyen

36. Le moyen est pris de la violation des articles 132-1, 132-20, 324-1 et 324-3 du code pénal, 1741 du code général des impôts, 591 et 593 du code de procédure pénale.

37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. D... au paiement d'une amende de 1 million d'euros, alors que « si, en cas de blanchiment de fraude fiscale, la peine d'amende peut être élevée jusqu'à la moitié de la valeur des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment, ces fonds doivent être le produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale, lequel correspond au montant des droits fraudés, et non à l'ensemble des sommes dissimulées ; que pour condamner M. D... à une amende d'un million d'euros, la cour retient comme base de calcul la somme de 7 544 220,57 euros, correspondant aux avoirs crédités à la date du 30 septembre 2009 sur les comptes ouverts auprès de la banque HSBC en Suisse ; qu'en statuant ainsi, quand l'assiette de l'amende ne pouvait s'entendre que du montant des impositions éludées par M. D... du fait de la dissimulation des sommes sujettes à l'impôt, la cour a violé les textes susvisés ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 324-1 alinéa 2 et 324-3 du code pénal et 1741 du code général des impôts :

38. Aux termes du premier de ces textes, le blanchiment est le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.

39. Aux termes du second, la peine d'amende encourue peut être élevée jusqu'à la moitié de la valeur des biens ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment.

40. Il en résulte que l'assiette de l'amende ainsi définie ne peut être calculée qu'en prenant pour base le montant du produit direct ou indirect de l'infraction d'origine.

41. Il se déduit par ailleurs du dernier de ces textes que le produit de la fraude fiscale est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.

42. En l'espèce, pour condamner le prévenu à une amende d'un million d'euros, l'arrêt attaqué énonce que les dispositions de l'article 324-3 du code pénal permettent de retenir comme base de calcul le montant global des sommes créditant les comptes ouverts au nom de la société Basic International sur la période de référence et dont M. D... était en réalité le propriétaire, soit au moins la moitié de la somme de 7 544 220 euros détenue par le prévenu à la date du 30 septembre 2009 sur les comptes ouverts auprès de la banque HSBC en Suisse.

43. En statuant ainsi la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

44. En effet devait être pris comme base de calcul de l'amende prononcée le montant des seuls droits éludés.

45. Il s'en suit que la cassation est également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

46. Compte tenu de la cassation prononcée au titre du blanchiment, il n'y a pas lieu que la Cour de cassation examine les première et deuxième branches du premier moyen.

47. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité du chef de blanchiment et aux peines ainsi qu'aux intérêts civils alloués à la Direction générale des finances publiques de Paris sud-ouest, dès lors que la déclaration de culpabilité pour fraude fiscale n'encourt pas la censure et que la relaxe pour corruption n'a pas fait l'objet d'un pourvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour,

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris en date du 23 janvier 2018, mais en ses seules dispositions ayant déclaré M. D... coupable du chef de blanchiment et celles relatives aux peines ainsi qu'aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 1741 du code général des impôts ; article 324-3 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Concernant le délai de prescription en matière de blanchiment, à rapprocher : Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-83.484, Bull. crim 2019 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-81.067, (P)

Rejet

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Pénalités et peines – Cumul de peines – Cumul des sanctions fiscales et des sanctions pénales – Protocole additionnel n° 7 de la Convention européenne des droits de l'homme – Article 4 – Principe de l'interdiction des doubles poursuites – Réserve émise par la France – Appréciation de la validité de la réserve – Compétence du juge répressif (non)

Il appartient au juge répressif d'appliquer l'article 4 au Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

L'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon ladite réserve, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif.

Dès lors, justifie sa décision la cour d'appel saisie de faits de fraude fiscale, qui, pour rejeter l'exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, énonce qu'il n'est pas démontré que la réserve émise par la France, dont il n'appartient pas au juge du fond d'apprécier la validité, ait été écartée par la Cour européenne des droits de l'homme.

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Cumul de poursuites fiscales et pénales – Degré de gravité – Nécessité

Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation. Dès lors, justifie sa décision, sans méconnaître la portée de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel selon laquelle les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire, la cour d'appel qui, après avoir établi les infractions de fraude fiscale reprochées aux prévenus et préalablement à la motivation du choix des peines, caractérisé la gravité des faits tenant à la réitération de faits d'omission déclarative sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure et à la qualité d'élu de la République de l'un d'entre eux.

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Pénalités et peines – Cumul de peines – Cumul de sanctions pénales et fiscales – Peines de nature différente – Examen de proportionnalité – Défaut – Portée

Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature. Dès lors, n'a pas méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel relative au principe de proportionnalité des peines en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, la cour d'appel qui condamne les prévenus, à l'encontre desquels des pénalités fiscales définitives ont été prononcées, chacun, à douze mois d'emprisonnement avec sursis et trois ans d'inéligibilité pour fraude fiscale, aucune amende pénale ne leur ayant été infligée.

REJET des pourvois formés par M. G... I..., Mme T... M..., épouse I..., contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 5-12, en date du 31 janvier 2018, qui, pour fraude fiscale, les a condamnés, chacun, à douze mois d'emprisonnement avec sursis et trois ans d'inéligibilité et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires en demande et en défense et des observations complémentaires ont été produits.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 27 mai 2015, l'administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a transmis au procureur de la République une plainte pour fraude fiscale à l'encontre des époux I... leur reprochant d'avoir déposé tardivement des déclarations d'ensemble des revenus sur la période de 2009 à 2013, certaines après l'envoi de mises en demeure, l'une d'entre elles, postérieurement à la mise en oeuvre d'une procédure de taxation d'office, pour un montant total de droits fixé à 70 547 euros.

3. Le procureur de la République, après avoir diligenté une enquête préliminaire, a fait citer M. et Mme I... devant le tribunal correctionnel afin d'y être jugés du chef de fraude fiscale pour s'être abstenus de souscrire la déclaration de revenus au titre de l'année 2012 et de souscrire, dans les délais légaux, les déclarations de revenus au titre des années 2009, 2010, 2011 et 2013.

4. Devant les premiers juges, les prévenus ont justifié avoir fait l'objet, pour les mêmes faits, de pénalités fiscales définitives de 10 % ou 40 %, selon les années concernées, à hauteur d'une somme globale de 20 495 euros. Ils ont soulevé in limine litis une exception d'extinction de l'action publique en application du principe de nécessité des délits et des peines, arguant que de simples omissions déclaratives ne constituent pas des faits graves susceptibles de justifier une procédure pénale.

5. Ladite exception était également fondée sur la violation du principe ne bis in idem prévu à l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que les deux procédures, fiscale et pénale, n'ont entretenu entre elles aucun lien matériel et temporel. Il a été allégué que, compte tenu de l'arrêt R... et autres c. Italie en date du 4 mars 2014 (nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10), la Cour européenne des droits de l'homme, lorsqu'elle se prononcera, invalidera la réserve émise par la France en marge de ce protocole de sorte qu'il est opportun que les juges anticipent la condamnation de la France, qu'ils en ont d'ailleurs l'obligation comme l'a jugé l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 15 avril 2011.

6. Le tribunal correctionnel a rejeté l'exception et condamné Mme I... à trois mois d'emprisonnement avec sursis, M. I... à trois mois d'emprisonnement avec sursis et un an d'inéligibilité. Il s'est prononcé sur les intérêts civils.

7. Le procureur de la République, les prévenus et l'administration fiscale, partie civile, ont interjeté appel.

8. Devant la cour d'appel, les époux I... ont à nouveau soulevé une exception d'extinction de l'action publique.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen

9. Le moyen n'est pas de nature à être admis en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1728 1.a. et 1.b. et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel a rejeté l'exception d'extinction de l'action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits alors que « les dispositions de l'article 1728, 1, a, et 1, b, du code général des impôts et la phrase « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » de l'article 1741 de ce code, en ce qu'elles autorisent, à l'encontre de la même personne et en raison des mêmes faits, le cumul de procédures ou de sanctions pénales et fiscales, portent atteinte aux principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui interviendra privera de fondement l'arrêt attaqué, de sorte que la cassation sera prononcée ».

Réponse de la Cour

12. Sur une saisine des prévenus, la Cour de cassation a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité incidente aux présents pourvois, et portant sur la faculté de cumuler des actions et sanctions pénales et fiscales en cas d'omissions déclaratives.

Le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions de l'article 1728, 1, a et b et la phrase « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits » de l'article 1741 du code général des impôts, conformes à la Constitution sous trois réserves d'interprétation (décision n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

13. Le moyen, devenu sans objet compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel précitée, doit être écarté.

Sur le troisième moyen relatif au principe ne bis in idem et à la réserve émise par la France

Enoncé du moyen

14. Le moyen est pris de la violation des articles 57 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 1728, 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel a rejeté l'exception d'extinction de l'action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits ;

1°/ alors qu'« en sa qualité de juge de droit commun de la Convention européenne des droits de l'homme, chaque juge national a le pouvoir d'interpréter les droits garantis ainsi que les conditions dans lesquels l'Etat membre s'est engagé à les respecter ; qu'à ce titre, il n'est fait aucun obstacle à ce que le juge pénal français apprécie la validité d'une réserve émise par la France en application de l'article 57 de la Convention européenne ; que c'est au prix d'une méconnaissance de son office que la cour d'appel a jugé qu'« il n'est pas démontré que les réserves émises par la France à l'application de ces dispositions, dont il n'appartient pas au juge du fond d'apprécier la validité, aient été écartées par la Cour européenne des droits de l'homme ; »

2°/ alors que « si un cumul entre des poursuites fiscales et pénales peut être envisagé en application de la jurisprudence de la Cour européenne, c'est à la condition qu'il existe un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre ces deux procédures ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisaient valoir les conclusions régulièrement déposées, la poursuite pénale est intervenue bien postérieurement aux différentes décisions définitives rendues sur le plan fiscal, à tel point que de deux à quatre années se sont écoulées entre les décisions de sanction par l'administration fiscale et la décision du ministère public de déclencher l'action publique, intervenue le 21 septembre 2016 ; que dans ces conditions, la cour d'appel n'était pas fondée à écarter la violation du principe non bis in idem ».

Réponse de la Cour

16. Lors de la ratification du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (la Convention), la France a émis une réserve aux termes de laquelle « seules les infractions relevant du droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens », notamment, de l'article 4 de ce protocole qui prévoit, à son paragraphe premier, que « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

17. La Cour de cassation juge de façon constante que l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Crim., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-85.796, Bull. crim. 1996, n° 268 ; Crim., 4 juin 1998, pourvoi n° 97-80.620, Bull. crim. 1998, n° 186).

18. Postérieurement à l'arrêt R... ayant constaté l'invalidité de la réserve italienne, la Cour de cassation a confirmé son analyse considérant que la réserve de la France n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 14-82.526, Bull. crim. 2017, n° 49).

En effet, ladite Cour ne s'est pas prononcée sur la validité de la réserve française.

19. Cette jurisprudence s'inscrit dans celle relative à l'office du juge judiciaire qui est d'interpréter et d'appliquer un traité international invoqué dans la cause soumise à son examen, auquel s'incorpore la déclaration unilatérale faite par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l'Etat (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-84.778, Bull. crim. 2014, n° 11 ; 1re Civ., 11 juillet 2006, pourvoi n° 02-20.389, Bull. 2006, I, n° 378).

20. Dans ces conditions, il appartient au juge répressif d'appliquer l'article 4 au Protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

21. Ce principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi n° 10-17.049, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 1).

22. Cette exigence a été adoptée pour l'application et l'interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Elle ne s'applique pas lorsque la question concerne, non la portée de ces droits et libertés, mais l'appréciation préalable de l'étendue des engagements de l'Etat.

23. C'est d'ailleurs sur le fondement de dispositions spécifiques de la Convention, les actuels articles 19 et 32, que la Cour européenne des droits de l'homme s'est reconnue compétente pour apprécier la validité d'une réserve formulée par un Etat au sujet d'une disposition particulière (29 avril 1988, J... c. Suisse, n° 10328/83).

En particulier, l'article 32 prévoit que la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles et qu'en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

24. En l'espèce, pour rejeter l'exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'est pas démontré que la réserve émise par la France, dont il n'appartient pas au juge du fond d'apprécier la validité, ait été écartée par la Cour européenne des droits de l'homme.

25. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées.

26. Il s'ensuit que le moyen, qui devient inopérant en sa seconde branche, ne peut qu'être écarté.

Sur le deuxième moyen relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

27. Le moyen est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 1728 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

28. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel a rejeté l'exception d'extinction de l'action publique et déclaré les demandeurs coupables de fraude fiscale par omission de réaliser la déclaration dans les délais prescrits alors que « si, la Cour de cassation, en refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, ou le Conseil constitutionnel, dans sa décision, étendaient aux cas d'omission la réserve posée pour les cas de dissimulation, selon laquelle les doubles poursuites doivent être réservées aux cas les plus graves, la chambre criminelle ne serait pas en mesure de vérifier la conformité de la décision de la cour d'appel à cette exigence, cette dernière ayant considéré que « la gravité ne saurait être considérée comme une condition de recevabilité de l'action publique » et n'ayant en conséquence jamais recherché si les faits reprochés aux époux I... entraient dans le champ des cas les plus graves, privant ainsi sa décision de toute base légale ».

Réponse de la Cour

29. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » notamment.

30. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'Etat ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale peut justifier l'engagement de procédures complémentaires.

31. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d'interprétation à l'application combinée des dispositions précitées de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1, a, et 1, b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

32. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s'engager, de s'assurer de cette gravité.

33. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l'infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.

En l'absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

34. Il s'en déduit que l'applicabilité de l'article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

35. Par ailleurs, s'agissant des conditions d'application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu'il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l'engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.104, Bull. crim. 2017, n° 51).

36. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

37. En l'espèce, pour confirmer le jugement ayant rejeté l'exception aux fins de constatation de l'extinction de l'action publique, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, énonce que la gravité des faits de fraude fiscale ne constitue pas une condition de recevabilité de l'action publique et que le juge pénal doit examiner les éléments constitutifs de l'infraction et a posteriori apprécier, le cas échéant, si le prévenu doit être soumis à l'intégralité du régime répressif ou seulement à une partie de celui-ci.

38. Les juges, après avoir caractérisé les infractions reprochées aux deux prévenus et préalablement à la motivation du choix des peines, retiennent, par motifs propres et adoptés, que les manquements concernent cinq années et que l'administration fiscale a pris le soin, à maintes reprises, de rappeler aux prévenus leurs obligations déclaratives. Ils ajoutent, s'agissant de M. I..., que le fait pour un élu auquel s'attache un devoir d'exemplarité, de ne pas respecter sur plusieurs années, une législation à laquelle il participe constitue un fait grave. Ils concluent que les circonstances de l'espèce justifient le prononcé de sanctions pénales à l'encontre des deux prévenus.

39. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, a justifié sa décision sans méconnaître la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

40. En effet, il résulte de ces motifs que les juges du fond ont caractérisé la gravité des faits retenus à l'encontre des prévenus tenant à la réitération de faits d'omission déclarative sur une longue période en dépit de plusieurs mises en demeure et à la qualité d'élu de la République de l'un d'entre eux.

41. Il s'en déduit que le moyen doit être rejeté.

Sur le cinquième moyen de cassation relatif à la proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales

Enoncé du moyen

42. Il est pris de la violation des articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-26 du code pénal, 1728 1, a, et 1, b, et 1741 du code général des impôts, 6, 591 et 593 du code de procédure pénale.

43. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que la cour d'appel a condamné les demandeurs à une peine d'un an d'emprisonnement avec sursis et de trois ans d'inéligibilité alors qu' « il résulte du principe de proportionnalité de la peine globale que, dans l'hypothèse d'une poursuite pénale succédant à une poursuite fiscale ayant conduit à l'application de pénalités, le juge pénal doit motiver le choix de la peine en tenant compte de la sanction déjà prononcée ; qu'en prononçant à l'égard des demandeurs une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis et de trois ans d'inéligibilité, sans qu'il résulte de sa décision une quelconque prise en compte de la pénalité fiscale précédemment prononcée à leur encontre pour les mêmes faits, la cour d'appel a méconnu le principe précité ».

Réponse de la Cour

44. Aux termes d'une autre réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel, si l'éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

45. Cette réserve ne peut concerner que des sanctions de même nature dès lors que sa mise en oeuvre suppose, pour le juge qui se prononce en dernier, de pouvoir procéder à la comparaison des maximums des sanctions pénales et fiscales encourues afin de déterminer le montant le plus élevé qui constitue le plafond.

46. Il convient d'en déduire que, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature.

47. En l'espèce, les juges en appel ont condamné M. et Mme I..., déclarés coupables de fraude fiscale, chacun, aux peines de douze mois d'emprisonnement avec sursis et de trois ans d'inéligibilité.

48. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, n'a pas méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

49. En effet, si des sanctions fiscales définitives ont été prononcées à l'encontre des époux I..., aucune amende pénale ne leur a été infligée par la juridiction correctionnelle.

50. Le moyen, inopérant en ce qu'il invoque l'article 4 du Protocole n° 7 compte tenu de la réserve émise par la France, ne saurait être accueilli.

51. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Pichon - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ; principe ne bis in idem ; article 1741 du code général des impôts ; articles 1728 et 1741 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Concernant l'application de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 14-82.526, Bull. crim. 2017, n° 49 (rejet), et les arrêts cités ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-82.430, Bull. crim. 2019 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-84.144, Bull. crim. 2019 (rejet). Sur la nécessité, pour le juge répressif, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire, à rapprocher : Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-81.040, Bull. crim. 2019, (1) (cassation partielle). Sur la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel en matière de proportionnalité en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, cf. : Cons. const., 24 juin 2016, décision n° 2016-545 QPC ; Cons. const., 24 juin 2016, décision n° 2016-546 QPC ; Cons. const., 22 juillet 2016, décision n° 2016-556 QPC ; Cons. const., 23 novembre 2018, décision n° 2018-745 QPC. Sur la portée de la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans ses décisions n° 2016-545 et 2016-546 QPC du 24 juin 2016 et n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-84.144, Bull. crim. 2019 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-82.430, Bull. crim. 2019, (2) (rejet).

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-84.144, (P)

Rejet

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel – Domaine d'application – Détermination – Portée

REJET du pourvoi formé par Mme A... E... contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 23 mai 2018, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 22 mars 2017, n° 16-80.995), pour fraude fiscale, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a ordonné une mesure de confiscation.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les investigations menées dans le cadre d'une information judiciaire ont révélé que Mme E..., qui détenait 100 % des parts en usufruit de la SCI la Cordillière (la SCI), ses deux filles en détenant la nue-propriété, avait reçu de cette société la somme de 550 000 euros sans la faire figurer sur sa déclaration de revenus.

3. Les faits ayant été communiqués à l'administration fiscale, le directeur départemental des finances publiques, après avis de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte pour fraude fiscale.

L'enquête préliminaire a permis d'établir que la somme, versée sur le compte d'associé de Mme E..., avait été ensuite transférée sur un compte bancaire dont elle était titulaire, puis placée dans le cadre d'un contrat d'assurance vie souscrit à son nom et au profit de ses deux filles et qu'elle n'avait jamais été déclarée à l'administration fiscale.

4.Poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale, Mme E... a été reconnue coupable et condamnée à cinq mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve ainsi qu'à la confiscation de la créance d'assurance-vie saisie à hauteur de 50 000 euros.

5. La prévenue a formé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

6. Par arrêt en date du 16 janvier 2016, la cour d'appel a confirmé le jugement, et porté la peine de confiscation à un montant de 276 962 euros.

7. La Cour de cassation a cassé cette décision par un arrêt en date du 22 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en sa première branche et sur le second moyen pris en sa seconde branche

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen de cassation pris en ses deuxième et troisième branches, relatif à l'information du contribuable prévue à l'article L. 47 du livre des procédures fiscales

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, L. 10, L. 47 et L. 228 du livre des procédures fiscales, 591 à 593 du code de procédure pénale.

10. Le moyen, en ses deuxième et troisième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par Mme E..., en conséquence, a confirmé le jugement qui l'avait déclarée coupable des faits de fraude fiscale et, en répression, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, et a ordonné la confiscation de la somme de 276 962 euros ;

2°/ alors que « la méconnaissance de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales qui impose que le contribuable soit informé de son droit d'être assisté d'un conseil, ayant porté atteinte aux droits de la défense, entache d'irrégularité les opérations administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale et justifie l'annulation de la procédure par le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, Mme E... faisait valoir qu'elle n'avait pas reçu, contrairement à ce qui était soutenu par l'administration fiscale, le courrier recommandé adressé le 3 mars 2011 ; qu'elle ajoutait que l'administration fiscale était dans l'incapacité de produire l'avis de réception de la lettre recommandée et que l'attestation postale versée aux débats ne mentionnait pas de date, pas d'identification de son auteur, pas de timbre du service émetteur, pas de mention qu'une signature figurerait sur la fiche de distribution ; que la cour d'appel a constaté que le paraphe porté sur l'avis produit par l'administration était illisible ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, pour juger que la procédure était régulière, que l'accusé de réception aurait été signé par un mandataire habilité à le faire ou par la prévenue, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le paraphe porté sur cet avis était illisible ; »

3°/ alors que « la cour d'appel ne pouvait retenir qu'en tout état de cause, l'absence de délivrance de l'avis prévu par les dispositions de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales n'avait causé aucun grief à Mme E... dès lors qu'elle était assistée et représentée par un conseil dès le mois de mai 2011, cependant que le retard de deux mois entre le moment où elle aurait dû être informée de la procédure de vérification et le 10 mai 2011, date du rendez-vous fixé par l'administration fiscale, lui avait nécessairement porté grief dans l'exercice des droits de la défense ».

Réponse de la Cour

11. Pour écarter l'exception de nullité de la procédure, tirée de ce que la contribuable n'aurait pas été régulièrement avisée par l'administration fiscale des vérifications engagées et de son droit d'être assistée d'un avocat, en violation de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, l'arrêt énonce que l'administration fiscale a satisfait à ses obligations en adressant l'avis et la charte nécessaires à la procédure de vérification et que l'accusé de réception a été signé (paraphe illisible), comme le relève le tribunal, soit par la prévenue, soit par un mandataire habilité à le faire.

12. Les juges ajoutent que la poste confirme qu'à défaut de mention distincte, le courrier a été présenté et distribué le même jour à son destinataire.

13. En l'état de ces énonciations, procédant de l'appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, et dès lors que la remise effective de l'avis de vérification à son destinataire ne dépend pas de l'administration fiscale, c'est à bon droit que les juges ont décidé que les prescriptions du texte susvisé ont été respectées.

14. Ainsi, le moyen, inopérant en sa troisième branche, doit être écarté.

Sur le second moyen de cassation pris en sa première branche, relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

15. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 1741 du code général des impôts, 1729 du même code, du principe « non bis in idem », L. 227 et L. 228 du livre des procédures fiscales, 121-3 du code pénal et 591 à 593 du code de procédure pénale.

16. Le moyen, pris en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement qui a déclaré Mme E... coupable des faits de fraude fiscale et, en répression, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a ordonné la confiscation de la somme de 276 962 euros, alors qu'« il résulte du principe de nécessité des peines que seuls les manquements les plus graves peuvent être soumis à la fois à l'amende de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts et aux peines prévues par les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ; qu'en l'espèce, Mme E... avait exposé dans ses conclusions qu'en application du principe non bis in idem, elle ne pouvait faire l'objet d'un cumul de sanction sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et 1741 du même code ; qu'elle rappelait ainsi qu'elle s'était vue infliger le 30 juin 2012 une amende correspondant à 40 % des sommes considérées comme dissimulées par l'administration fiscale et que, dès lors, elle ne pouvait être condamnée, compte tenu des circonstances de l'affaire, pour les mêmes faits dénoncés par l'administration fiscale dans sa plainte du 21 janvier 2013 (ccl. au fond p. 7 et 8) ; que la cour d'appel ne pouvait condamner Mme E... pour fraude fiscale sans répondre aux conclusions étayées dont elle était saisie et sans rechercher si les faits qui lui étaient reprochés revêtaient un caractère de gravité suffisant pour justifier l'application cumulée des sanctions prévues par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts ».

Réponse de la Cour

17. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » notamment.

18. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale peuvent justifier l'engagement de procédures complémentaires.

19. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d'interprétation à l'application combinée des dispositions précitées de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

20. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s'engager, de s'assurer de cette gravité.

21. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l'infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.

En l'absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

22. Il s'en déduit que l'applicabilité de l'article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

23. Par ailleurs, s'agissant des conditions d'application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu'il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l'engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51).

24. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

25. En l'espèce, la cour d'appel a déclaré la prévenue coupable de fraude fiscale, porté la peine prononcée à un an d'emprisonnement avec sursis outre 5 000 euros d'amende et la confiscation des avoirs saisis à hauteur de 276 562 euros, aux termes de motifs portant sur la caractérisation de l'infraction et le choix des peines.

26.

En prononçant ainsi, sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que la prévenue faisait valoir qu'elle avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

27. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.

28. En effet, au regard des éléments de fait souverainement constatés par la cour d'appel, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre de la prévenue tenant au montant des droits éludés s'élevant à 276 562 euros et à l'existence de manoeuvres de dissimulation des sommes sujettes à l'impôt ayant consisté à transférer les fonds avec rapidité, avant toute approbation des associés de la SCI, sur les comptes de Mme E..., puis sur le contrat d'assurance-vie souscrit à son nom.

29. Dès lors, le moyen doit être écarté.

30. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Monod, Colin et Stoclet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1729 et 1741 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-82.430, Bull. crim. 2019 (rejet).

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-82.430, (P)

Rejet

Impôts directs et taxes assimilées – Fraude fiscale – Réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel – Domaine d'application – Détermination – Portée

REJET des pourvois formés par M. T... G..., M. A... G... et la société du Haut Dimont, contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2018, qui a condamné, le premier, pour fraude fiscale aggravée, à un an d'emprisonnement avec sursis, le second, pour complicité, à six mois d'emprisonnement avec sursis et, la troisième, pour recel, à 10 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. T... G... a exercé, à titre individuel, puis, à compter de mars 2011, en qualité de gérant de la société 3BMA, une activité de négoce de véhicules automobiles d'occasion dans des locaux loués par la SCI du Haut Dimont, également gérée par lui. Des vérifications de comptabilité ont révélé une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant consisté, lors des reventes de véhicules provenant d'un autre Etat de l'Union européenne, dans l'application du régime de la TVA sur la marge et non sur le prix de vente total, grâce au recours à des sociétés espagnoles ayant servi d'intermédiaires avec des fournisseurs allemands.

L'administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte pour fraude fiscale.

Selon l'administration fiscale, la TVA éludée par M. T... G... à titre personnel s'élève à 992 429 euros.

3. Le procureur de la République, après avoir diligenté une enquête préliminaire, a fait citer M. T... G... devant le tribunal correctionnel afin d'y être jugé du chef de fraude fiscale pour minoration des déclarations de TVA au titre des années fiscales 2010 et suivantes, jusqu'au 7 décembre 2013, et de fraude fiscale aggravée pour minoration des déclarations de TVA, du 8 décembre 2013 au 20 mars 2014, réalisée ou facilitée au moyen de l'interposition d'une personne établie à l'étranger. Son fils, M. A... G..., a été cité du chef de complicité, la SCI du Haut Dimont, du chef de recel.

4. Devant les premiers juges, M. T... G... a soulevé une exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem prévu à l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme. Il a fait valoir qu'il a déjà fait l'objet de pénalités fiscales définitives de 80 % pour les mêmes faits, la cour administrative d'appel l'ayant débouté de sa demande de décharge, et que la réserve émise par la France en marge du protocole ne peut plus être invoquée compte tenu de l'arrêt P... et autres c. Italie rendu le 4 mars 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme (nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10).

5. Le prévenu a également fait valoir que, ces pénalités étant supérieures à la somme de 500 000 euros, il ne pouvait plus être condamné à une amende pénale dès lors que le montant maximum encouru s'élève à cette somme.

6. Le tribunal correctionnel a relaxé M. T... G... sur le fondement, notamment, de la règle ne bis in idem s'agissant de la période de temps retenue par le juge de l'impôt. Il a condamné, pour une part des faits reprochés, M. A... G... et la SCI, et s'est prononcé sur les intérêts civils.

7. Le procureur de la République, M. T... G..., M. A... G..., la SCI, l'administration fiscale et l'Etat français, parties civiles, ont interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le second moyen de cassation

8. Le moyen n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen de cassation

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation de l'article 4 du 7e Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 6, § 1 et 57 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1741 du code général des impôts, du principe de nécessité et de proportionnalité des peines, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et insuffisance de motivation.

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'infirmant le jugement du tribunal correctionnel de Besançon du 8 décembre 2016, il a rejeté l'exception de procédure fondée sur la règle « non bis in idem », concernant M. T... G... en son nom propre du 1er octobre 2010 au 31 mars 2011, et ès- qualités de représentant légal de la Sarl 3 BMA du 1er avril 2011 au 31 décembre 2012, et en ce que l'arrêt attaqué a en conséquence déclaré M. G... coupable du délit de fraude fiscale réalisée ou facilitée par l'interposition de personne établie à l'étranger, et de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, et en répression, l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis ;

1°/ alors que « selon l'article 4 du 7e Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ; que M. T... G... faisait valoir (ses conclusions d'appel, p. 5-6) que la réserve émise par l'Etat français sur cette disposition, aux termes de laquelle « le gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole », n'était pas conforme à l'article 57 de la Convention qui subordonne la validité des réserves émise par un Etat sur l'application d'une disposition de la Convention à l'établissement d'un bref exposé de la ou des loi(s) prétendument incompatible(s) avec la disposition objet de la réserve, et exclut les réserves de caractère général ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que la réserve émise par la France sur l'application de l'article 4 du Protocole additionnel n°7 à la Convention européenne des droits de l'homme « n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (cf l'arrêt CEDH du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, n° 24130/ 11 et 29758/ 11, § 117)" ; qu'en statuant de la sorte, quand dans l'arrêt A et B. c/ Norvège du 15 novembre 2016, la Cour européenne des droits de l'homme s'était bornée à énoncer de manière incidente (§ 117) que « les réserves formulées par l'Autriche et l'Italie ont été jugées non valables parce qu'elles n'étaient pas accompagnées d'un bref exposé de la loi en cause comme le veut l'article 57, § 2, (voir, respectivement, E... c. Autriche, 23 octobre 1995, § 51, série A n) 328-C, et P..., précité, §§ 204-211), contrairement à la réserve émise par la France (H... c. France, n°33402/96, § 51, CEDH 2002-V », l'arrêt P... du 4 mars 2014 ayant en revanche invalidé la réserve émise par l'Italie, laquelle était parfaitement analogue à celle émise par la France, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen » ;

2°/ alors, encore, qu' « en statuant ainsi, et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la réserve émise par la France quant à l'application de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 57 de la Convention, eu égard à son caractère général et faute d'être accompagnée d'un bref exposé des lois prétendument incompatibles avec cette disposition, la cour d'appel a méconnu les textes et principes visés au moyen, et insuffisamment motivé sa décision » ;

3°/ alors que « le cumul contre une même personne de poursuites fiscale et pénale n'est conforme aux principes de proportionnalité et de légalité des délits et des peines qu'à la condition que le juge répressif tienne compte, pour apprécier la peine qu'il inflige au prévenu, des sanctions fiscales dont il a pu précédemment faire l'objet ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée (conclusions de M. T... G..., spéc. p. 3 ; p. 4 à 8) si l'infliction à son égard de sanctions pénales n'était pas disproportionnée eu égard au redressement dont il avait fait l'objet, validé par arrêt de la cour administrative de Nancy du 24 mars 2016, qui avait mis à sa charge des rappels de droit, intérêts de retard et majorations de 40 % et 80 %, à hauteur de 2 623 823 euros, alors que les droits éludés ne s'élevaient qu'à 1 402 681 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principes visés au moyen, et insuffisamment motivé sa décision ».

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, relatif au principe ne bis in idem et à la réserve émise par la France.

11. Lors de la ratification du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (la Convention), la France a émis une réserve aux termes de laquelle « seules les infractions relevant du droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens », notamment, de l'article 4 de ce protocole qui prévoit, à son paragraphe premier, que « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

12. La Cour de cassation juge de façon constante que l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Crim., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-85.796, Bull. crim. 1996, n° 268 ; Crim., 4 juin 1998, pourvoi n° 97-80.620, Bull. crim. 1998, n° 186).

13. Postérieurement à l'arrêt P... ayant constaté l'invalidité de la réserve italienne, la Cour de cassation a confirmé son analyse considérant que la réserve de la France n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 14-82.526, Bull. crim. 2017, n° 49).

En effet, ladite Cour ne s'est pas prononcée sur la validité de la réserve française.

14. Cette jurisprudence s'inscrit dans celle relative à l'office du juge judiciaire qui est d'interpréter et d'appliquer un traité international invoqué dans la cause soumise à son examen, auquel s'incorpore la déclaration unilatérale faite par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l'Etat (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-84.778, Bull. crim. 2014, n° 11 ; 1re Civ., 11 juillet 2006, pourvoi n° 02-20.389, Bull. 2006, I, n° 378).

15. Dans ces conditions, il appartient au juge répressif d'appliquer l'article 4 au Protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

16. Ce principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi n° 10-17.049, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 1).

17. Cette exigence a été adoptée pour l'application et l'interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Elle ne s'applique pas lorsque la question concerne, non la portée de ces droits et libertés, mais l'appréciation préalable de l'étendue des engagements de l'Etat.

18. C'est d'ailleurs sur le fondement de dispositions spécifiques de la Convention, les actuels articles 19 et 32, que la Cour européenne des droits de l'homme s'est reconnue compétente pour apprécier la validité d'une réserve formulée par un Etat au sujet d'une disposition particulière (29 avril 1988, N... c. Suisse, n° 10328/83).

En particulier, l'article 32 prévoit que la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles et qu'en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

19. En l'espèce, pour infirmer le jugement et rejeter l'exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce que l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif et que contrairement à ce que soutiennent les prévenus, cette réserve n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (cf l'arrêt CEDH du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, nos 24130/11 et 29758/11, § 117).

20. En cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante, a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, relatif à la proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales.

21. Aux termes d'une réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel à l'application combinée de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales en cas d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire, si l'éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

22. Cette réserve ne peut concerner que des sanctions de même nature dès lors que sa mise en oeuvre suppose, pour le juge qui se prononce en dernier, de pouvoir procéder à la comparaison des maximums des sanctions pénales et fiscales encourues afin de déterminer le montant le plus élevé qui constitue le plafond.

23. Il convient d'en déduire que, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature.

24. En l'espèce, la cour d'appel a condamné M. T... G..., déclaré coupable de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée, à un an d'emprisonnement avec sursis.

25. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, n'a pas méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

26. En effet, si des pénalités fiscales définitives ont été prononcées à l'encontre de M. T... G..., aucune amende pénale ne lui a été infligée par la juridiction correctionnelle.

27. Il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Pichon - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ; principe non bis in idem ; articles 1728 et 1741 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-84.144, Bull. crim. 2019 (rejet).

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