Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

FRAUDES FISCALES

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-84.144, (P)

Rejet

Pénalités – Dispositions communes – Sanctions pénales – Prononcé – Motivation – Gravité des faits

Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

N'encourt pas la censure l'arrêt qui, n'ayant pas préalablement au prononcé de la peine recherché si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que le prévenu faisait valoir qu'il avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, a méconnu la réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel selon laquelle les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire, dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de cette gravité tenant au montant des droits éludés et à l'existence de manoeuvres de dissimulation des sommes sujettes à l'impôt.

REJET du pourvoi formé par Mme A... E... contre l'arrêt de la cour d'appel de Bastia, chambre correctionnelle, en date du 23 mai 2018, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 22 mars 2017, n° 16-80.995), pour fraude fiscale, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a ordonné une mesure de confiscation.

LA COUR,

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les investigations menées dans le cadre d'une information judiciaire ont révélé que Mme E..., qui détenait 100 % des parts en usufruit de la SCI la Cordillière (la SCI), ses deux filles en détenant la nue-propriété, avait reçu de cette société la somme de 550 000 euros sans la faire figurer sur sa déclaration de revenus.

3. Les faits ayant été communiqués à l'administration fiscale, le directeur départemental des finances publiques, après avis de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte pour fraude fiscale.

L'enquête préliminaire a permis d'établir que la somme, versée sur le compte d'associé de Mme E..., avait été ensuite transférée sur un compte bancaire dont elle était titulaire, puis placée dans le cadre d'un contrat d'assurance vie souscrit à son nom et au profit de ses deux filles et qu'elle n'avait jamais été déclarée à l'administration fiscale.

4.Poursuivie devant le tribunal correctionnel du chef de fraude fiscale, Mme E... a été reconnue coupable et condamnée à cinq mois d'emprisonnement avec sursis et mise à l'épreuve ainsi qu'à la confiscation de la créance d'assurance-vie saisie à hauteur de 50 000 euros.

5. La prévenue a formé appel de cette décision et le ministère public appel incident.

6. Par arrêt en date du 16 janvier 2016, la cour d'appel a confirmé le jugement, et porté la peine de confiscation à un montant de 276 962 euros.

7. La Cour de cassation a cassé cette décision par un arrêt en date du 22 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en sa première branche et sur le second moyen pris en sa seconde branche

8. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen de cassation pris en ses deuxième et troisième branches, relatif à l'information du contribuable prévue à l'article L. 47 du livre des procédures fiscales

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation des articles 1741 du code général des impôts, L. 10, L. 47 et L. 228 du livre des procédures fiscales, 591 à 593 du code de procédure pénale.

10. Le moyen, en ses deuxième et troisième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions de nullité soulevées par Mme E..., en conséquence, a confirmé le jugement qui l'avait déclarée coupable des faits de fraude fiscale et, en répression, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende, et a ordonné la confiscation de la somme de 276 962 euros ;

2°/ alors que « la méconnaissance de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales qui impose que le contribuable soit informé de son droit d'être assisté d'un conseil, ayant porté atteinte aux droits de la défense, entache d'irrégularité les opérations administratives préalables à l'engagement de poursuites pénales pour fraude fiscale et justifie l'annulation de la procédure par le juge judiciaire ; qu'en l'espèce, Mme E... faisait valoir qu'elle n'avait pas reçu, contrairement à ce qui était soutenu par l'administration fiscale, le courrier recommandé adressé le 3 mars 2011 ; qu'elle ajoutait que l'administration fiscale était dans l'incapacité de produire l'avis de réception de la lettre recommandée et que l'attestation postale versée aux débats ne mentionnait pas de date, pas d'identification de son auteur, pas de timbre du service émetteur, pas de mention qu'une signature figurerait sur la fiche de distribution ; que la cour d'appel a constaté que le paraphe porté sur l'avis produit par l'administration était illisible ; que la cour d'appel ne pouvait retenir, pour juger que la procédure était régulière, que l'accusé de réception aurait été signé par un mandataire habilité à le faire ou par la prévenue, cependant qu'il résultait de ses propres constatations que le paraphe porté sur cet avis était illisible ; »

3°/ alors que « la cour d'appel ne pouvait retenir qu'en tout état de cause, l'absence de délivrance de l'avis prévu par les dispositions de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales n'avait causé aucun grief à Mme E... dès lors qu'elle était assistée et représentée par un conseil dès le mois de mai 2011, cependant que le retard de deux mois entre le moment où elle aurait dû être informée de la procédure de vérification et le 10 mai 2011, date du rendez-vous fixé par l'administration fiscale, lui avait nécessairement porté grief dans l'exercice des droits de la défense ».

Réponse de la Cour

11. Pour écarter l'exception de nullité de la procédure, tirée de ce que la contribuable n'aurait pas été régulièrement avisée par l'administration fiscale des vérifications engagées et de son droit d'être assistée d'un avocat, en violation de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, l'arrêt énonce que l'administration fiscale a satisfait à ses obligations en adressant l'avis et la charte nécessaires à la procédure de vérification et que l'accusé de réception a été signé (paraphe illisible), comme le relève le tribunal, soit par la prévenue, soit par un mandataire habilité à le faire.

12. Les juges ajoutent que la poste confirme qu'à défaut de mention distincte, le courrier a été présenté et distribué le même jour à son destinataire.

13. En l'état de ces énonciations, procédant de l'appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, et dès lors que la remise effective de l'avis de vérification à son destinataire ne dépend pas de l'administration fiscale, c'est à bon droit que les juges ont décidé que les prescriptions du texte susvisé ont été respectées.

14. Ainsi, le moyen, inopérant en sa troisième branche, doit être écarté.

Sur le second moyen de cassation pris en sa première branche, relatif à la gravité des faits de fraude fiscale

Enoncé du moyen

15. Le moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 1741 du code général des impôts, 1729 du même code, du principe « non bis in idem », L. 227 et L. 228 du livre des procédures fiscales, 121-3 du code pénal et 591 à 593 du code de procédure pénale.

16. Le moyen, pris en sa première branche, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement qui a déclaré Mme E... coupable des faits de fraude fiscale et, en répression, l'a condamnée à un an d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et a ordonné la confiscation de la somme de 276 962 euros, alors qu'« il résulte du principe de nécessité des peines que seuls les manquements les plus graves peuvent être soumis à la fois à l'amende de 40 % prévue par les dispositions de l'article 1729 du code général des impôts et aux peines prévues par les dispositions de l'article 1741 du code général des impôts ; qu'en l'espèce, Mme E... avait exposé dans ses conclusions qu'en application du principe non bis in idem, elle ne pouvait faire l'objet d'un cumul de sanction sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts et 1741 du même code ; qu'elle rappelait ainsi qu'elle s'était vue infliger le 30 juin 2012 une amende correspondant à 40 % des sommes considérées comme dissimulées par l'administration fiscale et que, dès lors, elle ne pouvait être condamnée, compte tenu des circonstances de l'affaire, pour les mêmes faits dénoncés par l'administration fiscale dans sa plainte du 21 janvier 2013 (ccl. au fond p. 7 et 8) ; que la cour d'appel ne pouvait condamner Mme E... pour fraude fiscale sans répondre aux conclusions étayées dont elle était saisie et sans rechercher si les faits qui lui étaient reprochés revêtaient un caractère de gravité suffisant pour justifier l'application cumulée des sanctions prévues par les articles 1729 et 1741 du code général des impôts ».

Réponse de la Cour

17. L'article 1741 du code général des impôts incrimine et punit celui qui « s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts », « soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » notamment.

18. Le Conseil constitutionnel juge que la répression pénale permet d'assurer, avec la répression fiscale, la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive, et que le recouvrement de la nécessaire contribution publique et l'objectif de lutte contre la fraude fiscale peuvent justifier l'engagement de procédures complémentaires.

19. Le Conseil constitutionnel considère cependant que le principe de nécessité des délits et des peines impose que les dispositions pénales ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. Aussi a-t-il posé en ce sens une réserve d'interprétation à l'application combinée des dispositions précitées de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

20. Il en résulte que seuls les faits présentant une certaine gravité au regard des critères généraux fixés par la réserve peuvent faire l'objet, en complément de sanctions fiscales, de sanctions pénales. Si la gravité des faits est prise en considération par l'administration fiscale lorsqu'elle dépose plainte après avis conforme de la commission des infractions fiscales puis par le ministère public lorsqu'il décide d'engager les poursuites, il incombe à la juridiction de jugement, devant laquelle un débat contradictoire peut s'engager, de s'assurer de cette gravité.

21. A contrario, les faits ne présentant pas le caractère de gravité suffisante ne peuvent donner lieu, en plus de la poursuite fiscale, à une condamnation pénale, puisque, dans ce cas, même si les éléments constitutifs de l'infraction, qui demeurent inchangés, sont réunis, les dispositions les réprimant ne sont pas applicables.

En l'absence de tout fondement légal par effet de la réserve, le juge pénal ne peut que prononcer la relaxe du prévenu.

22. Il s'en déduit que l'applicabilité de l'article 1741 du code général des impôts suppose la vérification par le juge pénal de la caractérisation du délit reproché, puis de sa gravité suffisante.

23. Par ailleurs, s'agissant des conditions d'application de la réserve, la Cour de cassation a jugé qu'il appartient au prévenu de fraude fiscale de justifier de l'engagement à son encontre de poursuites fiscales pour les mêmes faits (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51).

24. Les considérations qui précèdent permettent de dégager les principes suivants. Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction au regard de l'article 1741 du code général des impôts, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent le degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire.

Le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. A défaut d'une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation.

25. En l'espèce, la cour d'appel a déclaré la prévenue coupable de fraude fiscale, porté la peine prononcée à un an d'emprisonnement avec sursis outre 5 000 euros d'amende et la confiscation des avoirs saisis à hauteur de 276 562 euros, aux termes de motifs portant sur la caractérisation de l'infraction et le choix des peines.

26.

En prononçant ainsi, sans rechercher, préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, alors que la prévenue faisait valoir qu'elle avait fait l'objet d'une pénalité fiscale sur le fondement de l'article 1729 du code général des impôts, la cour d'appel a méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

27. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure.

28. En effet, au regard des éléments de fait souverainement constatés par la cour d'appel, la Cour de cassation est en mesure de s'assurer de la gravité des faits retenus à l'encontre de la prévenue tenant au montant des droits éludés s'élevant à 276 562 euros et à l'existence de manoeuvres de dissimulation des sommes sujettes à l'impôt ayant consisté à transférer les fonds avec rapidité, avant toute approbation des associés de la SCI, sur les comptes de Mme E..., puis sur le contrat d'assurance-vie souscrit à son nom.

29. Dès lors, le moyen doit être écarté.

30. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Fouquet - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Monod, Colin et Stoclet ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1729 et 1741 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-82.430, Bull. crim. 2019 (rejet).

Crim., 11 septembre 2019, n° 18-82.430, (P)

Rejet

Pénalités – Dispositions communes – Sanctions pénales – Prononcé – Proportionnalité

Lorsque le prévenu de fraude fiscale justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature. Dès lors, n'a pas méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel relative au principe de proportionnalité des peines en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, la cour d'appel qui condamne le prévenu, à l'encontre duquel des pénalités fiscales définitives ont été prononcées, à un an d'emprisonnement avec sursis pour fraude fiscale et fraude fiscale aggravée, aucune amende pénale ne lui ayant été infligée.

REJET des pourvois formés par M. T... G..., M. A... G... et la société du Haut Dimont, contre l'arrêt de la cour d'appel de Besançon, chambre correctionnelle, en date du 13 mars 2018, qui a condamné, le premier, pour fraude fiscale aggravée, à un an d'emprisonnement avec sursis, le second, pour complicité, à six mois d'emprisonnement avec sursis et, la troisième, pour recel, à 10 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.

LA COUR,

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits en demande et en défense.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. T... G... a exercé, à titre individuel, puis, à compter de mars 2011, en qualité de gérant de la société 3BMA, une activité de négoce de véhicules automobiles d'occasion dans des locaux loués par la SCI du Haut Dimont, également gérée par lui. Des vérifications de comptabilité ont révélé une fraude à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant consisté, lors des reventes de véhicules provenant d'un autre Etat de l'Union européenne, dans l'application du régime de la TVA sur la marge et non sur le prix de vente total, grâce au recours à des sociétés espagnoles ayant servi d'intermédiaires avec des fournisseurs allemands.

L'administration fiscale, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales, a déposé plainte pour fraude fiscale.

Selon l'administration fiscale, la TVA éludée par M. T... G... à titre personnel s'élève à 992 429 euros.

3. Le procureur de la République, après avoir diligenté une enquête préliminaire, a fait citer M. T... G... devant le tribunal correctionnel afin d'y être jugé du chef de fraude fiscale pour minoration des déclarations de TVA au titre des années fiscales 2010 et suivantes, jusqu'au 7 décembre 2013, et de fraude fiscale aggravée pour minoration des déclarations de TVA, du 8 décembre 2013 au 20 mars 2014, réalisée ou facilitée au moyen de l'interposition d'une personne établie à l'étranger. Son fils, M. A... G..., a été cité du chef de complicité, la SCI du Haut Dimont, du chef de recel.

4. Devant les premiers juges, M. T... G... a soulevé une exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem prévu à l'article 4 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme. Il a fait valoir qu'il a déjà fait l'objet de pénalités fiscales définitives de 80 % pour les mêmes faits, la cour administrative d'appel l'ayant débouté de sa demande de décharge, et que la réserve émise par la France en marge du protocole ne peut plus être invoquée compte tenu de l'arrêt P... et autres c. Italie rendu le 4 mars 2014 par la Cour européenne des droits de l'homme (nos 18640/10, 18647/10, 18663/10, 18668/10 et 18698/10).

5. Le prévenu a également fait valoir que, ces pénalités étant supérieures à la somme de 500 000 euros, il ne pouvait plus être condamné à une amende pénale dès lors que le montant maximum encouru s'élève à cette somme.

6. Le tribunal correctionnel a relaxé M. T... G... sur le fondement, notamment, de la règle ne bis in idem s'agissant de la période de temps retenue par le juge de l'impôt. Il a condamné, pour une part des faits reprochés, M. A... G... et la SCI, et s'est prononcé sur les intérêts civils.

7. Le procureur de la République, M. T... G..., M. A... G..., la SCI, l'administration fiscale et l'Etat français, parties civiles, ont interjeté appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le second moyen de cassation

8. Le moyen n'est pas de nature à être admis, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen de cassation

Enoncé du moyen

9. Le moyen est pris de la violation de l'article 4 du 7e Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, des articles 6, § 1 et 57 de la Convention européenne des droits de l'homme, de l'article 1741 du code général des impôts, du principe de nécessité et de proportionnalité des peines, et des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, manque de base légale et insuffisance de motivation.

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'infirmant le jugement du tribunal correctionnel de Besançon du 8 décembre 2016, il a rejeté l'exception de procédure fondée sur la règle « non bis in idem », concernant M. T... G... en son nom propre du 1er octobre 2010 au 31 mars 2011, et ès- qualités de représentant légal de la Sarl 3 BMA du 1er avril 2011 au 31 décembre 2012, et en ce que l'arrêt attaqué a en conséquence déclaré M. G... coupable du délit de fraude fiscale réalisée ou facilitée par l'interposition de personne établie à l'étranger, et de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt, et en répression, l'a condamné à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis ;

1°/ alors que « selon l'article 4 du 7e Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ; que M. T... G... faisait valoir (ses conclusions d'appel, p. 5-6) que la réserve émise par l'Etat français sur cette disposition, aux termes de laquelle « le gouvernement de la République française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole », n'était pas conforme à l'article 57 de la Convention qui subordonne la validité des réserves émise par un Etat sur l'application d'une disposition de la Convention à l'établissement d'un bref exposé de la ou des loi(s) prétendument incompatible(s) avec la disposition objet de la réserve, et exclut les réserves de caractère général ; que pour rejeter ce moyen, la cour d'appel a retenu que la réserve émise par la France sur l'application de l'article 4 du Protocole additionnel n°7 à la Convention européenne des droits de l'homme « n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (cf l'arrêt CEDH du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, n° 24130/ 11 et 29758/ 11, § 117)" ; qu'en statuant de la sorte, quand dans l'arrêt A et B. c/ Norvège du 15 novembre 2016, la Cour européenne des droits de l'homme s'était bornée à énoncer de manière incidente (§ 117) que « les réserves formulées par l'Autriche et l'Italie ont été jugées non valables parce qu'elles n'étaient pas accompagnées d'un bref exposé de la loi en cause comme le veut l'article 57, § 2, (voir, respectivement, E... c. Autriche, 23 octobre 1995, § 51, série A n) 328-C, et P..., précité, §§ 204-211), contrairement à la réserve émise par la France (H... c. France, n°33402/96, § 51, CEDH 2002-V », l'arrêt P... du 4 mars 2014 ayant en revanche invalidé la réserve émise par l'Italie, laquelle était parfaitement analogue à celle émise par la France, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen » ;

2°/ alors, encore, qu' « en statuant ainsi, et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la réserve émise par la France quant à l'application de l'article 4 du Protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme ne contrevenait pas aux dispositions de l'article 57 de la Convention, eu égard à son caractère général et faute d'être accompagnée d'un bref exposé des lois prétendument incompatibles avec cette disposition, la cour d'appel a méconnu les textes et principes visés au moyen, et insuffisamment motivé sa décision » ;

3°/ alors que « le cumul contre une même personne de poursuites fiscale et pénale n'est conforme aux principes de proportionnalité et de légalité des délits et des peines qu'à la condition que le juge répressif tienne compte, pour apprécier la peine qu'il inflige au prévenu, des sanctions fiscales dont il a pu précédemment faire l'objet ; qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée (conclusions de M. T... G..., spéc. p. 3 ; p. 4 à 8) si l'infliction à son égard de sanctions pénales n'était pas disproportionnée eu égard au redressement dont il avait fait l'objet, validé par arrêt de la cour administrative de Nancy du 24 mars 2016, qui avait mis à sa charge des rappels de droit, intérêts de retard et majorations de 40 % et 80 %, à hauteur de 2 623 823 euros, alors que les droits éludés ne s'élevaient qu'à 1 402 681 euros, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes et principes visés au moyen, et insuffisamment motivé sa décision ».

Réponse de la Cour

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, relatif au principe ne bis in idem et à la réserve émise par la France.

11. Lors de la ratification du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme (la Convention), la France a émis une réserve aux termes de laquelle « seules les infractions relevant du droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens », notamment, de l'article 4 de ce protocole qui prévoit, à son paragraphe premier, que « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ».

12. La Cour de cassation juge de façon constante que l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7 ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif (Crim., 20 juin 1996, pourvoi n° 94-85.796, Bull. crim. 1996, n° 268 ; Crim., 4 juin 1998, pourvoi n° 97-80.620, Bull. crim. 1998, n° 186).

13. Postérieurement à l'arrêt P... ayant constaté l'invalidité de la réserve italienne, la Cour de cassation a confirmé son analyse considérant que la réserve de la France n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 14-82.526, Bull. crim. 2017, n° 49).

En effet, ladite Cour ne s'est pas prononcée sur la validité de la réserve française.

14. Cette jurisprudence s'inscrit dans celle relative à l'office du juge judiciaire qui est d'interpréter et d'appliquer un traité international invoqué dans la cause soumise à son examen, auquel s'incorpore la déclaration unilatérale faite par un Etat quand il signe ou ratifie un traité, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l'effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à l'Etat (Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-84.778, Bull. crim. 2014, n° 11 ; 1re Civ., 11 juillet 2006, pourvoi n° 02-20.389, Bull. 2006, I, n° 378).

15. Dans ces conditions, il appartient au juge répressif d'appliquer l'article 4 au Protocole n° 7 en faisant produire un plein effet à la réserve émise par la France en marge de ce protocole.

16. Ce principe ne contredit pas la jurisprudence de la Cour de cassation aux termes de laquelle les Etats adhérents à la Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation (Ass. plén., 15 avril 2011, pourvoi n° 10-17.049, Bull. crim. 2011, Ass. plén., n° 1).

17. Cette exigence a été adoptée pour l'application et l'interprétation des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles. Elle ne s'applique pas lorsque la question concerne, non la portée de ces droits et libertés, mais l'appréciation préalable de l'étendue des engagements de l'Etat.

18. C'est d'ailleurs sur le fondement de dispositions spécifiques de la Convention, les actuels articles 19 et 32, que la Cour européenne des droits de l'homme s'est reconnue compétente pour apprécier la validité d'une réserve formulée par un Etat au sujet d'une disposition particulière (29 avril 1988, N... c. Suisse, n° 10328/83).

En particulier, l'article 32 prévoit que la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme s'étend à toutes les questions concernant l'interprétation et l'application de la Convention et de ses protocoles et qu'en cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.

19. En l'espèce, pour infirmer le jugement et rejeter l'exception de procédure fondée sur le principe ne bis in idem, l'arrêt attaqué énonce que l'interdiction d'une double condamnation en raison de mêmes faits, prévue par l'article 4 du Protocole n° 7, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, ne trouve à s'appliquer, selon la réserve émise par la France, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale et n'interdit pas le prononcé de sanctions fiscales parallèlement aux peines infligées par le juge répressif et que contrairement à ce que soutiennent les prévenus, cette réserve n'est pas remise en cause par la Cour européenne des droits de l'homme (cf l'arrêt CEDH du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège, nos 24130/11 et 29758/11, § 117).

20. En cet état, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante, a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, relatif à la proportionnalité du cumul des sanctions pénales et fiscales.

21. Aux termes d'une réserve d'interprétation émise par le Conseil constitutionnel à l'application combinée de l'article 1741 du code général des impôts avec l'article 1728, 1a et 1b, ou 1729 du même code prévoyant des sanctions fiscales en cas d'omission ou d'insuffisance déclarative volontaire, si l'éventualité que deux procédures, pénale et fiscale, pour des faits de fraude fiscale soient engagées peut conduire à un cumul de sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues (décisions nos 2016-545 QPC et 2016-546 QPC du 24 juin 2016, n° 2016-556 QPC du 22 juillet 2016 et n° 2018-745 QPC du 23 novembre 2018).

22. Cette réserve ne peut concerner que des sanctions de même nature dès lors que sa mise en oeuvre suppose, pour le juge qui se prononce en dernier, de pouvoir procéder à la comparaison des maximums des sanctions pénales et fiscales encourues afin de déterminer le montant le plus élevé qui constitue le plafond.

23. Il convient d'en déduire que, lorsque le prévenu justifie avoir fait l'objet, à titre personnel, d'une sanction fiscale définitivement prononcée pour les mêmes faits, le juge pénal n'est tenu de veiller au respect de l'exigence de proportionnalité que s'il prononce une peine de même nature.

24. En l'espèce, la cour d'appel a condamné M. T... G..., déclaré coupable de fraude fiscale et de fraude fiscale aggravée, à un an d'emprisonnement avec sursis.

25. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, n'a pas méconnu la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel.

26. En effet, si des pénalités fiscales définitives ont été prononcées à l'encontre de M. T... G..., aucune amende pénale ne lui a été infligée par la juridiction correctionnelle.

27. Il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Soulard - Rapporteur : Mme Pichon - Avocat général : Mme Zientara-Logeay - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 4 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ; principe non bis in idem ; articles 1728 et 1741 du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel en cas de cumul de sanctions pénales et fiscales, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 16-82.047, Bull. crim. 2017, n° 51 (rejet) ; Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-84.144, Bull. crim. 2019 (rejet).

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