Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2023

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 27 juin 2023, n° 22-83.406, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Membre de l'enseignement public coupable d'infraction sur ses élèves – Responsabilité civile de l'Etat substituée à celle de l'enseignant – Action dirigée contre l'autorité académique compétente – Nécessité

Selon l'article L. 911-4 du code de l'éducation, l'action en responsabilité de l'Etat exercée par la victime d'un fait dommageable commis par un enseignant à raison de ses fonctions est portée devant le tribunal judiciaire et dirigée contre l'autorité académique compétente. En vertu de la règle d'ordre public du double degré de juridiction, la partie civile qui, en première instance, a dirigé son action contre le préfet n'est pas recevable à agir, devant la cour d'appel, contre l'autorité académique.

Mme [F] [E] et le rectorat de l'académie de [Localité 1], civilement responsable, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 2022, qui, pour homicide involontaire, a condamné la première à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 8 janvier 2015, [S] [C], élève de la classe de Mme [F] [E], a poussé par la fenêtre la jeune [K] [T], provoquant son décès.

3. Mme [E] a été renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire.

4. Les juges du premier degré l'ont relaxée et ont déclaré irrecevable la constitution de partie civile des parents, frère et soeurs de [K] [T].

5. Le procureur de la République et les consorts [T] ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens

6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées par le rectorat d'académie de [Localité 1], déclaré recevables les constitutions de parties civiles des consorts [T] contre l'Etat français, déclaré l'Etat français responsable des dommages causés aux consorts [T] et condamné l'Etat français, représenté par le rectorat d'académie de [Localité 1] au paiement de diverses sommes, alors « que l'action indemnitaire dirigée contre les membres de l'enseignement public en vertu de l'article L. 911-4 du code de l'éducation se prescrit par trois ans à partir du jour de la commission du fait dommageable ; qu'au cas d'espèce le Rectorat d'Académie de [Localité 1] faisait valoir que les demandes présentées à son encontre étaient prescrites faute pour lui (et même pour le Préfet) d'avoir été cité dans les trois ans suivant l'accident pour lequel la responsabilité de Madame [J] était recherchée ; qu'en affirmant, pour écarter cette fin de non-recevoir et faire droit aux demandes indemnitaires des parties civiles à l'encontre du Rectorat, que « l'action civile qui a été exercée devant la juridiction répressive par les consorts [T] se prescrit selon les règles de l'action publique, de sorte que la prescription a été interrompue par les actes d'enquête et d'instruction réalisés à compter du 8 janvier 2015 et jusqu'au 2 août 2018 puis par les citations à comparaître délivrées au civilement responsable les 29 novembre 2019 et 16 mars 2022 » ; quand la prescription de l'action civile ne pouvait résulter que de la citation régulière du civilement responsable devant la juridiction de jugement, la Cour d'appel a violé les articles L. 911-4 du code de l'éducation, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour déclarer recevables les constitutions de partie civile des consorts [T], l'arrêt attaqué énonce que l'action civile, qui a été exercée devant la juridiction répressive, se prescrit selon les règles de l'action publique.

9. Les juges ajoutent que la prescription a été interrompue par les actes d'enquête et d'instruction réalisés du 8 janvier 2015 au 2 août 2018 puis par la citation à comparaître délivrée au civilement responsable le16 mars 2022.

10. En l'état de ces seules énonciations, et dès lors que tout acte de poursuite et d'instruction accompli dans le délai de prescription de l'action publique interrompt la prescription de l'action civile exercée devant la juridiction répressive, non seulement à l'encontre de tous les participants à l'infraction mais encore à l'égard de l'Etat, civilement responsable des faits dommageables commis par les enseignants à raison de leurs fonctions, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

11. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté les exceptions d'irrecevabilité et d'incompétence soulevées par le rectorat d'académie de [Localité 1], déclaré recevables les constitutions de parties civiles des consorts [T] contre l'Etat français, déclaré l'Etat français responsable des dommages causés aux consorts [T] et condamné l'Etat français, représenté par le rectorat d'académie de [Localité 1] au paiement de diverses sommes, alors « que l'action civile ne peut être exercée pour la première fois en cause d'appel contre une partie qui n'était pas présente en première instance ; qu'au cas d'espèce, le Rectorat d'Académie de [Localité 1] faisait valoir que la demande présentée par les parties civiles à son encontre pour la première fois en appel et alors qu'il n'avait pas été cité en première instance étaient irrecevables ; qu'en affirmant, pour dire néanmoins cette demande recevable et y faire droit, que « l'Etat français, civilement responsable mis en cause par les parties civiles, était partie en première instance », quand il lui appartenait de rechercher si le Recteur d'Académie, seul contre qui l'action en responsabilité pouvait être engagée en application de l'article L. 911-4 du code de l'éducation, avait été cité en première instance, à défaut de quoi aucune demande ne pouvait être présentée à son encontre pour la première fois en appel, la chambre de l'instruction a violé les articles 3 du code de procédure pénale, ensemble L. 911-4 du code de l'éducation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 911-4 du code de l'éducation, 3 et 515 du code de procédure pénale :

13. Selon le premier de ces textes, l'action en responsabilité exercée par la victime d'un fait dommageable commis par un enseignant à raison de ses fonctions, par les parents ou les ayants droit de cette victime, intentée contre l'Etat, responsable du dommage, est portée devant le tribunal judiciaire et dirigée contre l'autorité académique compétente.

14. Il résulte des deux derniers qu'en vertu de la règle d'ordre public du double degré de juridiction, une partie ne peut intervenir pour la première fois en cause d'appel.

15. Pour accueillir l'action civile dirigée, devant la cour d'appel, par les consorts [T] contre le rectorat de l'académie de [Localité 1], l'arrêt attaqué retient que l'Etat français, civilement responsable, était partie en première instance.

16. En statuant ainsi, alors que, devant le tribunal correctionnel, les parties civiles avaient dirigé leur action contre le préfet, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation, limitée à l'action civile, aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 3 mai 2022, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT irrecevable l'action civile dirigée par les consorts [T] contre le rectorat de l'académie de [Localité 1] ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Rouvière - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; Me Balat -

Textes visés :

Article L. 911-4 code de l'éducation ; articles 3 et 515 du code de procédure pénale.

Crim., 28 juin 2023, n° 21-87.417, (B), FS

Cassation partielle

Recevabilité – Conditions – Préjudice direct – Cas – Etat garant de sociétés victimes d'escroquerie et de détournement de biens

Il résulte de l'article 2 du code de procédure pénale que l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction. Ne justifie pas sa décision la cour d'appel qui, pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'Etat du chef des faits d'escroquerie à la sentence arbitrale et de complicité de détournement de biens publics par un particulier commis au préjudice des sociétés chargées de la réalisation des actifs à risque ou compromis du Crédit lyonnais, retient que l'Etat est le garant de ces sociétés, alors que les préjudices susceptibles d'avoir été subis par l'Etat n'avaient pas pour cause directe les infractions poursuivies, mais étaient la conséquence de la garantie des dettes desdites sociétés.

MM. [N] [V], [H] [Y], [R] [E], [G] [A], et les sociétés [14], [13], [26], [30], [8], [22], [5], [25], [41], [46] et [7] ont formé des pourvois contre l'arrêt n° 164/2021 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-14, en date du 24 novembre 2021, qui a condamné le premier, pour escroquerie, à trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende, le deuxième, pour escroquerie et complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à trois ans d'emprisonnement dont deux ans avec sursis, 300 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, le troisième, pour complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d'amende, le quatrième, pour complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, à deux ans d'emprisonnement avec sursis et 25 000 euros d'amende, des confiscations et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Les difficultés financières rencontrées par le [16] au début des années 1990 ont conduit l'Etat à organiser la défaisance de la banque, c'est-à-dire le cantonnement de ses actifs à risque ou compromis, par un protocole du 5 avril 1995 conclu avec la banque, puis par la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995.

3. La défaisance a été confiée à une société chargée d'assurer la réalisation des actifs litigieux dénommée [14] (la société [13]) et un Etablissement public de financement et de restructuration ([18]), établissement public administratif national doté de l'autonomie financière et placé sous la tutelle du ministre chargé de l'économie, ayant pour mission de gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] dans le cadre du cantonnement de certains de ses actifs au sein de la société [13] et de veiller à ce que soient respectés les intérêts financiers de l'Etat dans le cadre du plan de redressement de la banque.

4. Initialement filiale du [16], la société [13] a vu son actionnariat transféré à l'EPFR en 1998. Elle constitue une société anonyme holding ayant notamment pour filiale la société [13] constituée à partir d'une filiale du [16], la [36] (la [34]), banque du groupe [D].

5. Au-delà du risque lié à la qualité des créances détenues par le groupe [13], est ultérieurement apparu un risque consécutif au développement des contentieux qui a reçu l'appellation de risques non chiffrables.

6. Ces risques incluaient notamment celui généré par le contentieux opposant [C] [D] et le [16], ainsi que la [34], sa filiale, à la suite de la vente des titres de la société de droit allemand [11], filiale de la société anonyme [9] (la société [12]), elle-même contrôlée par la société en nom collectif [26], et propriétaire des participations dans le capital de la société allemande [4] à la suite de leur acquisition au début des années 1990 pour un prix de 1,6 milliard de francs.

7. En 1996, à la suite du placement en liquidation judiciaire des époux [D] par jugement du tribunal de commerce du 14 décembre 1994, puis de l'ensemble des sociétés du groupe, à l'exception de la société [12], par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 31 mai 1995, le litige opposant [C] [D] au [16] a donné lieu à une action engagée par les liquidateurs du groupe [D] contre la société [13], nouvelle dénomination de la [34], et le [16].

8. Par arrêt du 30 septembre 2005, la cour d'appel de Paris a notamment condamné solidairement la société [13] et le [16] à payer la somme de 135 millions d'euros en réparation du préjudice résultant de la vente des participations [3].

9. Par arrêt du 9 octobre 2006, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel du chef des condamnations prononcées contre la société [13] et le [16], et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée (Ass. plén., 9 octobre 2006, pourvois n° 06-11.307, n° 06-11.056, Bull. 2006, Ass. plén, n° 11).

10. La cour d'appel de Paris autrement composée a été saisie par les liquidateurs judiciaires du groupe [D] et les époux [D].

11. Le 16 novembre 2007, les liquidateurs judiciaires, les époux [D], et les sociétés [13] et [13] ont signé un compromis prévoyant que le contentieux les opposant donnerait lieu à des désistements d'instance et serait soumis à l'arbitrage de trois arbitres, MM. [N] [W], [Z] [S] et [N] [V].

12. Par une sentence du 7 juillet 2008, le tribunal arbitral a condamné solidairement les sociétés [13] et [13] à payer aux liquidateurs judiciaires la somme de 240 000 000 euros, outre intérêts, a fixé à 45 000 000 euros le préjudice moral des époux [D] et à 8 448 529,29 euros les dépenses engagées sur frais de liquidation.

13. Trois autres sentences ont été rendues par les arbitres le 27 novembre 2008, dont l'une a statué sur les frais de liquidation et les deux autres sur des requêtes en interprétation de la sentence principale.

14. Le 28 juin 2013, les sociétés [13] et [13], alléguant le défaut d'impartialité de M. [V], ont introduit un recours en révision des sentences arbitrales devant la cour d'appel de Paris.

15. Par arrêt du 17 février 2015, cette juridiction a ordonné la rétractation de la sentence arbitrale rendue le 7 juillet 2008, ainsi que des trois sentences du 27 novembre 2008, et enjoint aux parties de conclure sur le fond du litige afin qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

16. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 30 juin 2016 (1re Civ., 30 juin 2016, pourvois n° 15-14.145, n° 15-13.755, n° 15-13.904, Bull. 2016, I, n° 151).

17. Par arrêt du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant au fond sur le contentieux qui était soumis aux arbitres aux termes du compromis du 16 novembre 2007, a notamment rejeté toutes les demandes formulées à l'encontre des sociétés [13] et [13], et a condamné solidairement les sociétés [19], [21], les liquidateurs judiciaires de [C] [D] et des sociétés [6] (la société [2]) et [10] (la société [10]), et Mme [D] à restituer aux sociétés [13] et [13] la somme de 404 623 082,04 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement en exécution de la sentence et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

18. Les pourvois formés contre cette décision ont été rejetés par arrêt de la Cour de cassation du 18 mai 2017 (Com., 18 mai 2017, pourvois n° 15-28.683, n° 16-10.339, n° 16-10.344).

19. [C] [D] a par ailleurs été mis en cause pénalement pour avoir frauduleusement organisé le recours à la procédure d'arbitrage, avec la complicité de son avocat, M. [H] [Y], et de M. [V].

20. La procédure pénale a également conduit à la mise en cause de Mme [M] [O], ministre de l'économie et des finances, de l'industrie et de l'emploi, M. [R] [E], son directeur de cabinet, M. [G] [A], président du conseil d'administration de la société [13], et M. [C] [I], président de l'EPFR.

21. Au terme de l'enquête puis de l'information judiciaire, Mme [O] a été déclarée coupable de négligence par une personne dépositaire de l'autorité publique dont il est résulté un détournement de fonds publics par un tiers, par arrêt définitif du 19 décembre 2016 de la Cour de justice de la République.

22. [C] [D] et MM. [V], [Y], [E] et [A], notamment, ont quant à eux été renvoyés devant le tribunal correctionnel.

23. Par jugement du 9 juillet 2019, le tribunal correctionnel a notamment renvoyé les prévenus des fins de la poursuite.

24. Le procureur de la République, ainsi que les sociétés [13] et [13], notamment, ont interjeté appel de la décision.

Déchéance du pourvoi formé par la société [7]

25. La société [7] n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de la déclarer déchue de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Sur la recevabilité des mémoires additionnels produits pour MM. [Y] et [V]

26. Les mémoires additionnels produits pour MM. [Y] et [V] après le dépôt du rapport du conseiller rapporteur sont irrecevables en application de l'article 590 du code de procédure pénale, dès lors que les demandeurs ne démontrent pas, ni même n'allèguent, qu'ils se trouvaient, avant le dépôt du rapport, dans l'incapacité de saisir la Cour de cassation des moyens développés dans lesdits mémoires.

27. La mise en oeuvre de ces dispositions, qui répondent à la nécessité de la mise en état des procédures, ne procède pas en conséquence d'un formalisme excessif.

Examen des moyens

Sur les premier moyen, deuxième moyen, troisième moyen, quatrième moyen, cinquième moyen, pris en ses première, cinquième et sixième branches, sixième moyen, septième moyen, pris en sa première branche, neuvième moyen, pris en sa première branche, onzième moyen, douzième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, et quinzième moyen, proposés pour M. [Y]

Sur les premier moyen, troisième moyen, quatrième moyen, cinquième moyen, sixième moyen, septième moyen, pris en sa deuxième branche, neuvième moyen, dixième moyen, onzième moyen, douzième moyen, pris en sa deuxième branche, treizième moyen et quinzième moyen, proposés pour M. [V]

Sur les premier moyen, deuxième moyen, troisième moyen, pris en ses première et deuxième branches, quatrième moyen, sixième moyen, pris en sa quatrième branche, et huitième moyen, proposés pour M. [E]

Sur les premier moyen, deuxième moyen, quatrième moyen, pris en sa deuxième branche, et cinquième moyen, proposés pour M. [A]

Sur le troisième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]

Sur le moyen, pris en ses première, troisième et cinquième branches, proposé pour les sociétés [22], [5], [25], [41] et [46]

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, proposé pour les sociétés [13] et [13]

28. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen proposé pour M. [V]

Enoncé du moyen

29. Le deuxième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de copie de notes d'audience du 25 mai 2021, alors « que tout accusé a droit aux facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; qu'il en résulte que les juridictions correctionnelles doivent communiquer à la demande des parties ou de leurs conseils les notes d'audience avant que soit rendue la décision, notamment quand cette communication a pour but d'éclairer les parties sur une requalification proposée par le ministère public ; qu'en l'espèce, le conseil de M. [V] avait demandé la communication des notes d'audience en cours de procès ; que pour rejeter cette demande, la cour d'appel a énoncé qu'« aucun texte ni aucune jurisprudence ne prévo[it] que les copies des notes d'audience soient délivrées avant la fin des débats » (arrêt attaqué, p. 85) ; qu'en statuant ainsi, quand le respect des droits de la défense commandait la communication de ces notes en cours de procès, la cour d'appel a méconnu l'article 6, § 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

30. Le moyen est infondé, dès lors qu'aucune disposition légale ni réglementaire ne prévoit que la note du déroulement des débats doive être communiquée aux parties en cours d'instance, l'article 453 du code de procédure pénale disposant au contraire que cette note peut être visée par le président dans les trois jours suivant l'audience.

31. Le moyen est en tout état de cause inopérant en ce qu'il invoque la méconnaissance de l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors qu'il ressort des pièces de procédure que la requalification proposée par le ministère public avait été mise dans le débat et contradictoirement discutée par les parties.

Sur le quatorzième moyen proposé pour M. [Y], troisième moyen proposé pour M. [A], et cinquième moyen proposé pour M. [E]

Enoncé des moyens

32. Le quatorzième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable du délit de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :

« 1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et de reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds de l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

33. Le troisième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :

« 1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds en vertu d'un prêt consenti par l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant, au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a violé l'article 433-4 du code pénal ;

2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a encore violé l'article 433-4 du code pénal ;

3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée au moyen d'un prêt consenti par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a violé l'article 433-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a encore violé l'article 433-4 du code pénal. »

34. Le cinquième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :

« 1°/ que le dépositaire public est celui dont la fonction est de percevoir et reverser des fonds ; que la mission de la société [14] consistait à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis et d'en assurer la liquidation ; que si la société [13] recevait pour l'exécution de cette mission des fonds de l'Etablissement public de financement et de restructuration, ces versements de fonds ne constituaient que les modalités de financement de la société ; qu'en retenant, au motif inopérant que le [13] recevait des fonds de l'EPFR, sa qualité de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le dépositaire public est celui qui perçoit et reverse des sommes qu'il détient en vertu d'un titre légal ; que la loi n° 95-1251 du 28 novembre 1995 a pour objet d'instituer l'Etablissement public de financement et de restructuration et de lui donner la mission de « gérer le soutien financier apporté par l'Etat au [16] » ; que ces dispositions n'investissent le [13] d'aucune mission ; qu'ainsi que la cour d'appel le relève, les modalités de financement du Consortium de réalisation sont fixées par l'avenant n° 13 au protocole du 5 avril 1995 entre l'Etat et le [16], qui est un contrat de droit privé (arrêt p. 147) ; qu'ainsi, à supposer que la perception de fonds puisse être regardée comme la fonction du [13], ce dernier n'en est pas investi par un titre légal ; qu'en jugeant pourtant que le [13] répondait à la notion légale de dépositaire public, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que pour retenir la qualité de personne chargée d'une mission de service public de la société [14], l'arrêt attaqué se fonde sur la circonstance que la société est détenue par l'EPFR, financée par ce dernier et que son mandataire social était agréé par le ministre chargé de l'économie ; qu'en statuant par ces motifs, inopérants pour caractériser des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'est chargée d'une mission de service public la personne qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général ; que l'arrêt constate que le [13] était une société anonyme de droit privé ayant pour mission l'acquisition et la cession d'actifs dans des conditions normales de marché, dans le cadre d'une opération de cantonnement et de défaisance ; qu'il constate encore que la défense des intérêts financiers de l'Etat était assurée par l'EPFR dans le cadre de sa mission de surveillance ; qu'en jugeant pourtant que le [13] était chargé d'une mission de service public, quand elle constatait que les actes par lui accomplis n'avaient pas pour but de satisfaire à l'intérêt général mais répondaient à un intérêt privé d'apurement de la comptabilité du [16], la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

35. Les moyens sont réunis.

36. Pour déclarer les prévenus coupables de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier au préjudice des sociétés [13] et [13], l'arrêt relève notamment que ces sociétés répondaient à la définition légale de dépositaire public, en ce qu'elles recevaient des fonds de l'EPFR en vertu de la loi du 28 novembre 1995 pour les besoins de la défaisance du [16].

37. Les juges ajoutent que, par ailleurs, la mission majeure de l'EPFR était la défense des intérêts financiers de l'Etat, qu'il disposait de représentants de l'Etat dans son conseil d'administration et agissait sous le contrôle du ministre de l'économie et des finances, et qu'ainsi il était d'évidence chargé d'une mission de service public.

38. Ils énoncent encore que la société [13] était une filiale à 100 % de l'EPFR, et que la mission de cette société, sous le contrôle de l'EPFR, consistait, grâce à un prêt accordé par l'établissement, à acquérir les actifs du [16] considérés comme compromis, la société remboursant ce prêt grâce aux produits générés par la vente des actifs du [16], quand les moins-values réalisées lors de la vente de ces actifs étaient compensées par des abandons de créances consentis par l'EPFR, dont la dette était garantie par l'Etat, donc en définitive par le contribuable qui supportait ainsi les pertes générées par la revente des actifs compromis du [16].

39. Ils retiennent enfin que, dans la convention de gestion entre l'Etat et l'EPFR du 30 janvier 1998, il est préalablement exposé que la stratégie de la société [13] ne serait plus exclusivement liquidative mais que la société devrait déterminer la stratégie de cession de ses actifs dans le seul souci de les valoriser au mieux et d'optimiser le résultat financier pour l'Etat, c'est-à-dire en prenant pleinement en compte l'ensemble des coûts de financement du [13].

40. En prononçant ainsi, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants relatifs à la qualité de dépositaires publics des sociétés [13] et [13] à qui l'EPFR ne remettait pas de fonds en dépôt, la cour d'appel, qui a établi que les sociétés [13] et [13] accomplissaient des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés aux moyens.

41. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

Sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches, proposé pour M. [Y], sixième moyen, pris en ses première à troisième branches, proposé pour M. [E], quatrième moyen, pris en sa première branche, et sixième moyen proposé pour M. [A]

Enoncé des moyens

42. Le cinquième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :

« 2°/ que la complicité n'est caractérisée qu'autant qu'il y a un fait principal punissable dont l'existence est établie en tous ses éléments constitutifs ; que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; qu'en déclarant M. [Y] coupable complicité de détournement de biens d'un dépôt public après avoir relevé que « la remise des fonds [...] n'a été ni volontaire, ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » (arrêt, p. 193), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation des articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;

3°/ que la caractérisation de l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public nécessite que le bien détourné ait été remis à titre précaire ; qu'en déclarant M. [Y] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public pour avoir facilité le détournement des sommes qui avaient été remises à M. et Mme [D] et aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, lorsque ces sommes leur avaient été remises en pleine propriété, la cour d'appel a violé les articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale ;

4°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en déclarant M. [Y] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public sans relever au titre de l'infraction principale aucun acte de détournement postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et à ses liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale, en violation des articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 591 du code de procédure pénale. »

43. Le sixième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public, alors :

« 1°/ que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; qu'en déclarant M. [E] coupable complicité de détournement de biens d'un dépôt public après avoir relevé que « la remise des fonds [...] n'a été ni volontaire, ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » (arrêt, p. 193), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la caractérisation de l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public nécessite que le bien détourné ait été remis à titre précaire ; qu'en déclarant M. [E] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public pour avoir facilité le détournement des sommes qui avaient été remises à M. et Mme [D] et aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, lorsque ces sommes leur avaient été remises en pleine propriété, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en déclarant M. [E] coupable de complicité de détournement de biens d'un dépôt public sans relever au titre de l'infraction principale aucun acte de détournement postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et à ses liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale, la cour d'appel a méconnu les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

44. Le quatrième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :

« 1°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que M. [G] [A] a été poursuivi, sur le fondement de l'article 433-4 du code pénal, en sa qualité de président du [13], pour avoir été complice par aide et assistance « du détournement par [C] [D] de fonds publics détenus par l'EPFR, en l'espèce de la somme d'environ 403 millions d'euros octroyée indûment par le tribunal arbitral aux mandataires liquidateurs des sociétés du groupe [D] et à M. et Mme [D], pour un préjudice inexistant, au terme d'un arbitrage frauduleux » ; que M. [C] [D] a été poursuivi sur ce même fondement pour avoir « détourné les fonds publics détenus par l'EPFR, dépositaire public » ; que l'acte matériel de détournement au sens de l'article 433-4 du code pénal implique une inversion de titre, soit par substitution d'une possession à titre de propriétaire à une simple détention précaire d'un bien, soit, en l'absence de détention matérielle, par usurpation de certaines fonctions ou d'une mission lui permettant l'accès audit bien ; qu'il suppose donc, en amont de l'acte qui consomme le détournement, soit que l'auteur du détournement avait déjà la détention précaire du bien placé en dépôt public, soit, à défaut de détention matérielle, qu'il détenait ou avait détenu, à raison de sa mission ou de ses fonctions, un accès à ce bien ou une prérogative sur ce bien ; que cette exigence préalable nécessaire fait défaut en l'espèce ; qu'il y a eu paiement, en exécution d'une sentence arbitrale ; que la remise des fonds est directement intervenue à titre de propriétaire et a opéré transfert de propriété aux liquidateurs des époux [D] et du groupe [D]; qu'elle s'est doublée d'un abandon de créances aux fins d'exécution de cette même sentence ; que M. [C] [D] ne disposait, en amont de ces paiements, en vertu d'une quelconque fonction ou mission, d'aucun accès ni d'aucun pouvoir d'aucune sorte sur les fonds ou effets en tenant lieu ; que dès lors, en l'absence de fait matériel principal constitutif d'un détournement au sens l'article 433-4 du code pénal, la cour d'appel ne pouvait déclarer M. [A] coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public par un particulier sans violer les articles 111-3, 111-4, 121-6, 121-7 et 433-4 du code pénal. »

45. Le sixième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :

« 1°/ que le délit de détournement de biens d'un dépôt public exige, à titre de condition préalable, une remise librement consentie de l'objet ensuite détourné ; que l'arrêt attaqué constate p. 193 que la remise des fonds n'a été « ni volontaire ni librement consentie, mais la conséquence d'une escroquerie commise par MM. [Y] et [V] » ; que dès lors la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que l'infraction de détournement de biens d'un dépôt public suppose que le bien détourné a été remis à titre précaire ; qu'en l'espèce, comme l'arrêt le constate, les sommes ont été remises à M. et Mme [D] et au mandataire liquidateur des sociétés du groupe [D] en exécution de la sentence arbitrale, en pleine propriété ; que dès lors en déclarant M. [A] coupable de détournement de biens d'un dépôt public, la Cour d'appel a violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la remise des fonds est une condition préalable du détournement ; qu'en l'espèce aucun acte de détournement n'est relevé à l'encontre de M. [A], postérieur à la remise des sommes à M. et Mme [D] et leurs liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale ; que dès lors, en le déclarant néanmoins coupable de détournement de biens d'un dépôt public, l'arrêt attaqué à violé les articles 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

46. Les moyens sont réunis.

47. Le délit de détournement de biens publics commis par un particulier n'a pas pour condition que les biens détournés aient été préalablement remis à l'auteur du détournement, dès lors que l'article 433-4 du code pénal dispose que ce délit a pour objet un acte ou un titre, des fonds publics ou privés, ou des effets, pièces ou titres en tenant lieu ou tout autre objet qui ont été remis, non pas au particulier auteur de l'infraction mais, en raison de ses fonctions, à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, à un comptable public, à un dépositaire public ou à l'un de ses subordonnés.

48. L'acte de détournement s'entend ainsi du fait de priver le dépositaire public ou la personne chargée d'une mission de service public, à qui les biens ont été remis, de son contrôle légitime sur ceux-ci.

49. Dès lors, les moyens, qui sont infondés, doivent être écartés.

Sur les septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y], et septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [V]

Enoncé des moyens

50. Le septième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une amende de 300 000 euros, alors :

« 2°/ que le juge qui prononce une amende doit tenir compte des charges résultant de sa décision ; qu'en affirmant péremptoirement, pour condamner M. [Y] au paiement d'une amende de 300 000 euros, que ce montant était en rapport avec son état de fortune, sans mieux s'en expliquer, quand elle le condamnait à verser aux parties civiles les sommes totales de 392 623 082,54 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel, 145 000 euros en réparation de leur préjudice moral, 600 000 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et qu'elle ordonnait par ailleurs à son encontre, à titre de peine complémentaire, la confiscation de la somme de 99 230,63 euros figurant au crédit de son compte bancaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 132-1, 132-20 du code pénal, 485 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme. »

51. Le septième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné à verser une amende de 300 000 euros, alors :

« 1°/ que le montant de l'amende est déterminé en tenant compte des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction ; qu'il appartient à la juridiction de jugement qui prononce une peine d'amende de prendre en compte, au titres des charges, celles qui résultent des condamnations qu'elle prononce sur l'action civile, en particulier lorsqu'elles sont considérables ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [N] [V] était âgé de 95 ans au moment du prononcé de l'arrêt et qu'il était atteint de graves problèmes de santé ; que la cour a condamné M. [V], sur l'action civile, à verser aux parties civiles au titre de dommages-intérêts et frais irrépétibles une somme totale s'élevant à plus de 400 millions d'euros ; qu'en condamnant M. [V], un homme âgé de plus de 95 ans atteint de graves problèmes de santé, au paiement d'une amende de 300 000 euros sans examiner les charges d'un montant exceptionnel nées de la condamnation sur l'action civile, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 132-20, alinéa 2, du code pénal, ensemble l'article 132-1 du même code. »

Réponse de la Cour

52. Les moyens sont réunis.

53. D'une part, si, en matière correctionnelle, le juge qui prononce une peine doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et s'il est en outre tenu, s'il prononce une amende, de motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu, celles-ci ne comprennent pas les charges résultant de la déclaration de culpabilité, telles que les condamnations au paiement de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis par les parties civiles, dès lors que l'importance du préjudice peut au contraire constituer un critère d'appréciation de la gravité de l'infraction.

54. D'autre part, il ne résulte pas de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. [Y] aurait saisi la cour d'appel du moyen pris du caractère disproportionné de l'atteinte portée à son droit de propriété par le niveau global des peines pécuniaires, lequel moyen aurait en tout état de cause été inopérant en l'espèce, dès lors que la confiscation avait pour objet un bien qui était dans sa totalité, en valeur, le produit des infractions dont le prévenu a été déclaré coupable.

55. Dès lors, les moyens, qui sont infondés, doivent être écartés.

Sur les dixième moyen proposé pour M. [Y], et huitième moyen proposé pour M. [V]

Enoncé des moyens

56. Le dixième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il a prononcé la confiscation en valeur de la somme de 99 230,63 euros inscrite au crédit de son compte bancaire n° [XXXXXXXXXX01], alors :

« 1°/ que peuvent seuls constituer le produit d'une infraction les fonds et biens générés par celle-ci ; que, dès lors, en énonçant, pour confisquer en valeur la somme de 99 230, 63 euros figurant au crédit du compte bancaire du prévenu, que celui-ci avait perçu une rémunération d'au moins deux millions d'euros à l'issue de l'arbitrage en sa qualité d'avocat de mandataires liquidateurs du groupe [D] et de [C] [D] et que la part de rémunération correspondant à ses conseils et actions relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics était au moins égale au montant de la somme confisquée, sans établir que les fonds qu'il avait ainsi perçus en règlement de ses honoraires provenaient en partie de ceux qui avaient été versés à ses clients par le [13] et le [13] en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas établi l'origine illicite de cette rémunération, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 et 313-7 du code pénal dans leur rédaction applicable ;

2°/ qu'en affirmant péremptoirement, pour confisquer en valeur la somme de 99 230, 63 euros figurant au crédit du compte bancaire du prévenu, qu'elle « estime certain que [la] part de la rémunération correspondant aux conseils et actions de [H] [Y] relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics est au moins égale au montant de la somme saisie » (arrêt, p. 203), sans déterminer le montant exact des honoraires perçus par M. [Y] dans le cadre de la procédure d'arbitrage, lesquels correspondaient, selon elle, au produit des infractions dont elle le déclarait coupable, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-21 et 313-7 du code pénal dans leur rédaction applicable. »

57. Le huitième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il a ordonné la confiscation à hauteur de 389 000 euros de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 32], alors :

« 1°/ que la confiscation peut porter sur tous les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction ; que le produit indirect de l'infraction est constitué par la transformation de ce qui a été généré directement par l'action ou l'abstention incriminée ; que le produit direct du délit d'escroquerie est constitué par l'objet de la remise opérée par la dupe et son produit indirect par la transformation de l'objet de cette remise ; que pour ordonner la confiscation à hauteur de 389 000 euros de l'ensemble immobilier situé à [Adresse 32], la cour d'appel a énoncé que « si le produit direct de l'infraction est tout avantage économique tiré de l'infraction pénale elle-même, le produit indirect de l'infraction vise, quant à lui, à appréhender toutes les formes d'enrichissement susceptibles d'avoir un lien avec la commission des faits, ce qui est le cas en l'espèce s'agissant du bien immobilier saisi, financé avec la rémunération de M. [V] en qualité d'arbitre » (arrêt attaqué, p. 206) ; qu'en statuant ainsi, quand la rémunération de M. [V] ne constituait pas le produit indirect du délit d'escroquerie pour lequel il a été condamné, la cour d'appel a méconnu l'article 131-21 du code pénal ;

2°/ que selon les propres constatations de l'arrêt, la « cour considère que le produit de l'infraction s'élève au montant des sommes versées aux liquidateurs (305 495 780,97 euros), auquel doit s'ajouter la créance abandonnée de la [34] sur la liquidation [D] (87 127 301,57 euros), [qu'] il est donc de 392 623 082,54 euros » (arrêt attaqué, p. 222), la cour d'appel ayant par ailleurs énoncé que « ce montant total constitue le produit direct des infractions connexes d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier » (eod. loc.) ; qu'en énonçant néanmoins par ailleurs que le bien immobilier des époux [V] était le produit indirect de l'escroquerie car financé avec sa rémunération d'arbitre, rémunération qui n'est pas la transformation des sommes qu'elles considérait elle-même comme le produit de l'escroquerie, la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que hormis le cas où la confiscation, qu'elle soit en nature ou en valeur, porte sur un bien qui, dans sa totalité, constitue le produit de l'infraction, le juge, en ordonnant une telle mesure, doit apprécier le caractère proportionné de l'atteinte portée au droit de propriété de l'intéressé lorsqu'une telle garantie est invoquée ou procéder à cet examen d'office lorsqu'il s'agit d'une confiscation de tout ou partie du patrimoine ; qu'il incombe en conséquence au juge qui décide de confisquer un bien, après s'être assuré de son caractère confiscable en application des conditions légales, de préciser la nature et l'origine de ce bien ainsi que le fondement de la mesure et, le cas échéant, de s'expliquer sur la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu ; que l'ensemble immobilier situé à Saint-Martin dont la cour d'appel a ordonné la confiscation n'est pas, ainsi qu'il a été démontré par les deux premières branches du moyen, le produit de l'escroquerie pour lequel l'exposant a été condamné ; qu'en ordonnant la confiscation de ce bien sans s'être assurée de son caractère confiscable en application des conditions légales, sans préciser le fondement de la mesure, la nécessité et la proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété du prévenu, la cour d'appel, qui ne met pas la Cour de cassation en mesure de s'assurer que les exigences de motivation rappelées ci-dessus ont été respectées, n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 131-21 du code pénal, ensemble les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

58. Les moyens sont réunis.

59. Pour condamner M. [Y] à la confiscation en valeur, à titre de produit des infractions dont il a été déclaré coupable, de la somme de 99 230,63 euros figurant sur un compte bancaire dont il est titulaire au [15], l'arrêt attaqué relève que ce dernier, en qualité d'avocat des mandataires liquidateurs du groupe [D] et de [C] [D], a perçu la somme d'au moins 2 millions d'euros à l'issue de l'arbitrage, et que cette somme peut s'analyser, au moins pour partie, en l'avantage économique qu'il a retiré de la commission des infractions d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier.

60. Les juges précisent que M. [Y] a fait valoir que cette somme était la rémunération de la défense de [C] [D] dans ses procès l'opposant au [16] et à la société [13], et n'incluait donc que pour partie son concours lors de la préparation et la tenue de l'arbitrage, mais qu'ils estiment certain que cette part de la rémunération correspondant aux conseils et actions du prévenu relatifs à l'arbitrage frauduleux et au détournement de biens publics est au moins égale au montant de la somme saisie.

61. Pour par ailleurs condamner M. [V] à la confiscation, à hauteur de 389 000 euros, d'un ensemble immobilier dont son épouse et lui sont propriétaires à [Localité 31] (97), à titre de produits des infractions dont il a été déclaré coupable, l'arrêt retient que les époux [V] sont propriétaires de cet ensemble immobilier dont la construction a été financée, à hauteur de 389 000 euros, au moyen des fonds perçus par M. [V], pour un montant de 399 262,66 euros, à titre d'honoraires à la suite de la sentence arbitrale.

62. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.

63. En effet, d'une part, les juges ont souverainement évalué l'avantage économique tiré des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables.

64. D'autre part, cet avantage, qui constitue le produit de ces infractions pour chacun des prévenus, se distingue de l'objet du délit de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier, lequel, identique pour l'ensemble des participants à l'infraction comme étant un élément constitutif de celle-ci, correspond aux fonds versés par les sociétés [13] et [13] en exécution de la sentence arbitrale frauduleuse.

65. Dès lors, les moyens doivent être écartés.

Sur le neuvième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y]

Enoncé du moyen

66. Le neuvième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a assorti la peine d'interdiction d'exercer la profession d'avocat et de conseil juridique prononcée à son encontre de l'exécution provisoire, alors :

« 2°/ qu'en déclarant exécutoire par provision la peine d'interdiction d'exercer la profession d'avocat ou de conseil juridique qu'elle prononçait à l'encontre de M. [Y], sans relever la commission, par celui-ci, d'autres faits délictueux dans l'exercice de ses fonctions depuis les faits poursuivis, anciens de plus de dix ans, ni établir l'existence d'un risque de récidive, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-10, 131-26 du code pénal, 471, 512 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

67. Aucune disposition législative ne prévoit l'obligation pour les juges de motiver leur décision par laquelle ils déclarent exécutoire par provision une peine d'interdiction professionnelle.

68. Dès lors, le moyen n'est pas fondé.

Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]

Enoncé du moyen

69. Le premier moyen critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de condamnation formées contre les sociétés [8] et [30] ès qualités par les sociétés [13] et [13], alors « que la créance née postérieurement au jugement d'ouverture n'est payée par les organes de la procédure collective que si elle est née régulièrement ; qu'une créancé née de la commission d'un fait délictueux ne saurait être regardée comme née régulièrement ; qu'en jugeant au contraire que la condition de naissance régulière n'est pas affectée par le caractère délictueux ou dommageable de l'acte générateur de la créance pour déclarer les demandes de condamnation des exposantes recevables, la cour d'appel a violé l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

70. Est régulière, au sens de l'article 40 de la loi n° 85-98 du 5 janvier 1985, la créance qui ne résulte pas d'un acte accompli en méconnaissance des règles gouvernant les pouvoirs du débiteur et des organes de la procédure de liquidation judiciaire, quand bien même cette créance serait née d'un acte fautif du débiteur.

71. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le moyen proposé pour la société [26]

Enoncé du moyen

72. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a rejeté la demande de la société [26] en mainlevée des saisies pénales et restitution du solde du contrat d'assurance capitalisation souscrit le 12 juin 2009 par la société [21] auprès de [40], des soldes des comptes bancaires de la société [21] n° 95721002781 et n° 72741279 ouverts dans les livres de la [35] et des soldes des comptes bancaires de la société [21] n° 175937 et n° 175938 ouverts dans les livres de l'[45], alors :

« 1°/ que tout jugement doit être suffisamment motivé ; que l'insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; que, dans ses écritures d'appel, la société [21] faisait valoir que ses actifs étaient insuffisants pour faire face au montant de son passif, de sorte qu'il convenait d'ordonner la mainlevée des biens saisis pour préserver le gage des créanciers (conclusions d'appel de la société [21], p. 2, in fine, p. 3, in limine); qu'en refusant d'ordonner la mainlevée des saisies pratiquées aux seuls motifs que les biens saisis étaient le produit indirect de l'infraction, et que la société [21] n'était pas de bonne foi, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de la société [21], à l'égard de laquelle la saisie avait été pratiquée, n'était pas de nature à justifier la mainlevée des saisies afin de préserver le gage des créanciers de la société, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, en violation de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la mesure de saisie pénale, de nature provisoire, a pour objet de garantir la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l'article 131-21 du code pénal ; que la mesure de saisie pénale n'opère pas transfert de propriété du bien saisi ; que le maintien d'une mesure de saisie pénale d'un bien appartenant au débiteur d'une procédure collective sans prononcé d'une peine complémentaire de confiscation a pour effet de maintenir le bien saisi dans le patrimoine du débiteur tout en empêchant la détermination de son insuffisance d'actifs et, en conséquence, la clôture de la procédure collective ; qu'en refusant d'ordonner la mainlevée des saisies pratiquées tout en s'abstenant de prononcer une peine complémentaire de confiscation, la cour d'appel a maintenu artificiellement les biens saisis dans le patrimoine de la société [21] sans terme, empêchant la détermination de l'actif réalisable et rendant impossible la clôture de la liquidation judiciaire ouverte à l'endroit de cette dernière, en violation de l'article 706-141 du code de procédure pénale, ensemble les articles L. 622-21 et L. 643-9 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

73. La demanderesse ne saurait se faire un grief de ce que la cour d'appel n'a pas répondu au moyen tiré des conséquences de l'ouverture d'une procédure collective à son encontre, dès lors que la mise en liquidation judiciaire, qui ne s'oppose ni au prononcé d'une peine de confiscation, ni à une mesure préalable de saisie destinée à en garantir l'exécution (Crim., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-85.820, Bull.), n'est pour ce motif pas propre à imposer la mainlevée d'une telle mesure.

74. Par ailleurs la non-restitution d'un bien saisi ne revient pas à le maintenir sous main de justice sans limitation de durée, dès lors qu'il résulte du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale que les biens non restitués deviennent la propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers, dans les conditions de ce texte.

75. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, quatrième, sixième, septième et huitième branches, proposé pour les sociétés [22], [5], [25], [42] et [46]

Enoncé du moyen

76. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il rejeté la demande des sociétés [22], [41], [25], [5] et [46] en mainlevée de saisies pénales et restitution concernant le bien immobilier situé sur la commune de [Localité 33], les comptes ouverts au nom de la société [22] à l'[45] et à la [39], ceux ouverts au nom de la société [41] à la [37] de [Localité 33], à la [37] de [Localité 29] et à l'[45], celui ouvert au nom de la société [5] à la [39], celui ouvert au nom de la société [25] à [28] et ceux ouverts au nom de la société [46] à la [39], alors :

« 2°/ que la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, qui a ajouté au troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale que le tribunal correctionnel peut refuser la restitution « lorsque le bien saisi est l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction » est postérieure aux faits reprochés aux prévenus ; que, partant, à supposer même que l'article 481 alinéa 3 du code de procédure pénale ait été applicable en l'espèce, il ne pouvait l'être que dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juin 2016 conformément au principe de non-rétroactivité des délits et des peines applicable au refus de restitution au stade du jugement, qui équivaut à une peine de confiscation dès lors qu'il conduit à la perte de la propriété du bien saisi ; que la cour d'appel, qui a refusé la restitution du produit des infractions aux exposantes en se fondant sur l'article 481 alinéa 3 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du 3 juin 2016, a violé le principe précité et ainsi méconnu les articles 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, 49.1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 15.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et 112-1 du code pénal ;

4°/ que la bonne foi de la société propriétaire, qui sollicite la restitution, s'apprécie en la personne de son représentant légal à la date de la demande en restitution et ce a fortiori lorsque la société a changé de statut juridique et se trouve en liquidation judiciaire, les anciens dirigeants se trouvant dessaisis de la gestion de ses actifs au profit du liquidateur, qui a pour mission légale de les liquider dans l'intérêt des créanciers ; qu'en l'espèce, l'absence de caractère frauduleux du changement de représentant légal des sociétés exposantes résultait du fait que les liquidateurs judiciaires (curateurs de justice) avaient été désignés par une autorité judiciaire et qu'il n'existait aucun soupçon de collusion entre eux et [C] [D] ou ses ayants droit ; qu'en outre, la liquidation judiciaire n'avait pas seulement eu pour effet de changer les représentants légaux des sociétés exposantes mais plus radicalement de changer leur statut juridique et de donner mandat aux liquidateurs de vendre leurs actifs dans l'intérêt de leurs créanciers, à savoir les sociétés [13] et [13], qui étaient également des tiers de bonne foi et même les victimes des infractions commises ; qu'en refusant d'apprécier la bonne foi des sociétés exposantes à l'aune de leur changement de statut juridique et de celle de leurs actuels liquidateurs judiciaires ainsi que de la mission légale de ceux-ci, qui est d'agir dans l'intérêt des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 481 et 484 du code de procédure pénale, ensemble l'article 131-21 du code pénal ;

6°/ que la bonne foi d'une personne morale s'apprécie au regard de la bonne ou mauvaise foi de ses dirigeants ; que si à la date du remploi des fonds provenant du protocole d'exécution des sentences arbitrales le capital des sociétés exposantes était détenu directement ou indirectement par [C] [D], il est constant que ce dernier était en liquidation judiciaire et que les fonds avaient été versés aux liquidateurs judiciaires des époux [D] et du Groupe [D] (par le [13] et le [13]) (arrêt p. 193 § 9 et p. 208 § 5), ce dont il résultait que la bonne foi des sociétés exposantes devait s'apprécier au regard de la bonne ou mauvaise foi des liquidateurs judiciaires des époux [D] et du Groupe [D], c'est-à-dire de la Selafa [30] et de société [17] (arrêt p. 215 § 5), et non pas au regard de celle de [C] [D] ; qu'en retenant la mauvaise foi des exposantes, pour rejeter leur demande en restitution, sans vérifier ni constater que la Selafa [30] et la société [17] auraient été de mauvaise foi lorsque les fonds ont été remployés au bénéfice des exposantes, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des articles 481 et 484 du code de procédure pénale, et de l'article 131-21 du code pénal ;

7°/ que le refus de restitution d'un bien saisi constituant le produit direct ou indirect de l'infraction est une simple faculté pour la juridiction saisie ; qu'en rejetant la demande de restitution formée par les exposantes aux motifs que les biens saisis constituaient le produit indirect des infractions d'escroquerie et de complicité de détournement de fonds publics et que les exposantes n'étaient pas de bonne foi au moment de la commission des faits, sans répondre aux conclusions par lesquelles elles faisaient valoir que, compte tenu des particularités de l'espèce, il était inopportun de rejeter leur demande de restitution dès lors, d'une part, que les exposantes, dont les intérêts ne se confondaient plus aujourd'hui avec ceux de [C] [D] ou de ses ayants droit, sollicitaient la restitution des biens afin de désintéresser les créanciers dans le cadre de leur liquidation, dont principalement le [13] et le [13], parties civiles dans le cadre de l'instance, sans qu'aucune somme ne puisse revenir à l'avenir aux ayants droits de [C] [D] et, d'autre part, que la restitution des biens aux exposantes aurait le même effet que leur confiscation ¿ à savoir servir à l'indemnisation du [13] et du [13] ¿ à ceci près que les diligences seraient effectuées par le liquidateur et les curateurs plutôt que l'AGRASC, ce qui serait plus rapide pour les parties civiles et moins coûteux pour l'Etat, la cour d'appel a statué par des motifs insuffisants et ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

8°/ que le tiers, y compris celui de mauvaise foi, n'est pas assimilable à un condamné et doit bénéficier du plus haut standard de protection, notamment de l'application en tout état de cause du contrôle de proportionnalité de toute atteinte portée à son droit de propriété ; qu'en l'espèce, ainsi que le faisaient valoir les exposantes (conclusions p. 18-20), le refus de leur restituer les biens saisis dont elles sont propriétaires prive d'indemnisation leurs créanciers, dont les sociétés [13] et [13], également privés de leur indemnisation en tant que parties civiles dès lors que l'article 706-164 du code de procédure pénale, qui permet l'indemnisation des parties civiles sur les fonds confisqués, ne s'applique pas en cas de refus de restitution, ce qui ne peut se trouver justifié ici par l'objectif d'éviter l'enrichissement du condamné en cas de restitution, les ayants droit de [C] [D] n'ayant aucune chance de percevoir des sommes après que les sociétés [13] et [13] aient été désintéressées dans le cadre de la liquidation judiciaire des sociétés exposantes ; qu'ainsi, à supposer même que les exposantes soient considérées comme des tiers de mauvaise foi et quand bien même les biens dont elles sollicitaient la restitution étaient le produit d'infractions, la cour d'appel aurait dû vérifier, comme elle y était invitée, si le refus de restitution qu'elle leur opposait n'était pas disproportionné ; qu'en ne le faisant pas, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

77. Pour rejeter, en application de l'article 481 du code de procédure pénale, la demande de restitution de biens placés sous main de justice présentée par les sociétés [22], [5], [25], [41] et [46], l'arrêt relève que ces biens constituent le produit des infractions connexes d'escroquerie et de complicité de détournement de biens publics par un particulier, par suite du réemploi par [C] [D] et la société [26], à partir de 2009, de la somme de 305 495 780,97 euros versée aux liquidateurs en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, à laquelle doit être ajoutée la créance abandonnée par la [34] sur la liquidation [D] pour un montant de 87 127 301,57 euros, le produit total s'élevant ainsi à la somme de 392 623 082,54 euros.

78. Les juges ajoutent que, si la restitution du produit de l'infraction ne peut être refusée à un requérant de bonne foi, les sociétés requérantes ne sont pas en l'espèce de bonne foi.

79. Ils précisent que la bonne foi du tiers propriétaire apparent ou réel de la société doit s'apprécier au moment de la commission des faits, puisque la rechercher chez ses nouveaux dirigeants ou liquidateurs au moment de la demande de restitution aurait notamment pour conséquence de rendre impossible tout refus de restitution, y compris du produit infractionnel, en cas de changement de représentant de la personne morale.

80. Ils énoncent encore que l'absence de bonne foi renvoie ainsi à la connaissance qu'avaient la société [22], détenue à 100 % par [C] [D], et ses filiales et sous-filiales détenues elles-même à 100 %, de l'utilisation des fonds et de leur origine illicite, les intérêts de [C] [D] se confondant avec ceux de l'ensemble de ces sociétés qui ne pouvaient ignorer, dans les circonstances de la cause, la provenance frauduleuse de leurs biens.

81. En prononçant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

82. En effet, d'une part, si les décisions de non-restitution du produit de l'infraction ont pour effet, comme la peine complémentaire de confiscation de celui-ci, de transférer à l'Etat la propriété des biens sur lesquels ces mesures portent, la non-restitution ne constitue pas pour autant une peine, comme ayant pour seul objet de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite (Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951, QPC), de sorte que les dispositions de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ayant modifié les dispositions de l'article 481 du code de procédure pénale en prévoyant que le tribunal peut refuser la restitution lorsque le bien saisi est le produit direct ou indirect de l'infraction, s'analysent en une loi de procédure s'appliquant aux faits commis avant son entrée en vigueur.

83. D'autre part, en matière de restitution, la bonne foi du requérant doit être appréciée à la date où ce dernier a acquis ses droits sur les biens objet de sa requête, et non à la date de celle-ci, de sorte que le moyen tiré du placement en liquidation judiciaire des requérantes dans l'ordre juridique belge est inopérant, celui-ci étant intervenu postérieurement au transfert de la propriété des fonds litigieux.

84. La circonstance que [C] [D] avait déjà été placé en liquidation judiciaire à la date où la société [22] et ses filiales se sont vues transférer la propriété du produit de l'infraction est sans emport, dès lors que le jugement de liquidation judiciaire d'une personne physique emporte dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens, notamment des parts dans le capital de sociétés, mais ne le dessaisit pas de ses fonctions de représentant légal de celles-ci (Com., 27 novembre 2001, pourvoi n° 97-22.086, Bull. 2001, IV, n° 189), de sorte que la cour d'appel était fondée à apprécier la bonne foi de ces sociétés en la personne de [C] [D], lequel, d'une part était organe et représentant de ces personnes morales, l'une ou l'autre de ces qualités justifiant une telle appréciation, d'autre part, avait accepté la possession des fonds litigieux pour le compte de celles-ci.

85. Enfin, la restitution d'un bien saisi constituant le produit direct ou indirect de l'infraction constitue une faculté pour la juridiction saisie, de sorte que la décision qui la refuse n'a pas lieu d'être motivée.

86. Par ailleurs, le moyen pris du caractère disproportionné de l'atteinte portée au droit de propriété par ce refus est inopérant.

87. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour les sociétés [13] et [13]

Enoncé du moyen

88. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a, d'une part, rejeté leur demande de restitution du contrat de capitalisation souscrit par la société [21] auprès de [40] et des sommes figurant au crédit des comptes bancaires saisis de [C] [D] et de ses sociétés, à savoir du compte ouvert à la [37] succursale de [Localité 33] au nom de la société [43], de celui ouvert par la société [20] dans les livres de la [28] à [Localité 27], du compte à vue au nom de la société [43] et ouvert auprès de la [38], des comptes ouverts auprès d'[45] et dont sont titulaires M. [D] et plusieurs de ses sociétés (compte ouvert le 25 novembre 2011 au nom de la société [43], deux comptes ouverts le même jour au nom de la société [26] SNC, le compte ouvert le 9 février 2012 au nom de la société [23]) et des comptes ouverts auprès de la [39] (au nom de [24], de [23], de [C] [D], d'Aircraft management services, de [46] et de [44]) et a, d'autre part, rejeté toutes les autres demandes de mainlevée des saisies pénales et de restitution formées respectivement par la SNC [26], représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [J], et par les sociétés [22], [41], [25], [5] et [46], représentées par leur administrateur, alors :

« 3°/ que la saisie par le magistrat instructeur de biens qui sont les produits directs et indirects d'une infraction contre les biens est une mesure de caractères provisoire et conservatoire destinée à préserver l'efficacité d'une peine ultérieure de confiscation et, le cas échéant, à permettre à la partie civile, victime de l'infraction, d'exercer la faculté que lui octroie l'article 706-164 du code de procédure pénale d'obtenir de l'AGRASC un paiement prioritaire des dommages et intérêts par prélèvement sur les sommes et valeurs liquidatives des biens saisis ; que la juridiction de jugement qui constate l'existence d'un délit d'escroquerie et prononce au bénéfice de la victime une condamnation à dommages-intérêts, mais ne prononce pas de peine de confiscation des produits directs et indirects de cette infraction, compte tenu du décès, survenu en cours d'instance, de l'un des prévenus, est tenue de se prononcer sur le dénouement des saisies ordonnées lors de l'instruction préparatoire d'une manière telle que les biens saisis soient restitués à la partie civile si celle-ci peut faire valoir un droit sur ces biens ou, à défaut, restitués à leur propriétaire, de telle sorte que la partie civile et les autres créanciers soient en mesure d'appréhender ces biens par des voies d'exécution individuelles ou collectives ; qu'en l'espèce, les sociétés [13] et [13] formaient une demande de restitution des actifs placés sous main de justice, tantôt à titre principal, tantôt à titre subsidiaire pour le cas où les demandes des mandataires judiciaires des sociétés du groupe [D] tendant à en obtenir, dans l'intérêt des créanciers, la restitution ne seraient pas accueillies ; que, tout en constatant que ces actifs constituaient des produits directs ou indirects des infractions connexes d'escroquerie et de détournement de biens publics dont elle a caractérisé l'existence, la cour d'appel n'en a pas prononcé la confiscation, compte tenu du décès de [C] [D], titulaire direct ou indirect de ces actifs ; qu'en refusant de faire droit à la fois aux demandes de restitution formées par les sociétés [13] et [13] et aux demandes de restitution formées par les liquidateurs judiciaires des diverses sociétés du groupe [D], la cour d'appel qui a, par-là placé les sociétés [13] en situation de ne pouvoir, ni procéder à des voies d'exécution sur les produits de l'infraction commise à son détriment, ni faire utilement valoir ses droits dans les procédures collectives de [C] [D] et des sociétés de son groupe, a méconnu les droits des parties civiles, en particulier leur droit de propriété et leur droit à l'exécution de la décision de justice rendue en leur faveur, et a ainsi violé l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et l'article 6 §1 de cette convention. »

Réponse de la Cour

89. Les sociétés [13] et [13] ne sauraient se faire un grief de ce que l'arrêt attaqué a rejeté leur demande de restitution du produit des infractions commises à leur préjudice, ainsi que les demandes de restitution des liquidateurs des sociétés du groupe [D], ce dont elles déduisent que la cour d'appel les aurait ainsi placées en situation de ne pouvoir, ni procéder à des voies d'exécution sur les produits de l'infraction commise à leur détriment, ni faire utilement valoir leurs droits dans la liquidation judiciaire de [C] [D] et des sociétés de son groupe, pour les motifs qui suivent.

90. Les demanderesses sont fondées à obtenir de l'AGRASC, dans les conditions de l'article 706-164 du code de procédure pénale, que les dommages-intérêts et les frais leur soient payés par prélèvement sur les fonds ou sur la valeur liquidative des biens dont la non-restitution a été prononcée par décision définitive, à compter du transfert de la propriété des biens à l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du même code.

91. En effet, l'article 481 de ce code doit être interprété à la lumière de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014, dont l'article 4, § 2, dispose que, lorsqu'il n'est pas possible de procéder à la confiscation à la suite d'une condamnation définitive, au moins lorsque cette impossibilité résulte d'une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice.

92. Ces dispositions ont été transposées par l'article 84 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 qui a modifié l'article 481 du code de procédure pénale en prévoyant que le tribunal correctionnel peut refuser la restitution d'un bien saisi lorsqu'il est le produit direct ou indirect de l'infraction.

93. Il s'en déduit que, si la non-restitution de l'instrument et du produit de l'infraction ne constitue pas une peine, dès lors que le seul objet de cette mesure est de prévenir le renouvellement d'infractions et de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite, dans l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, la décision de non-restitution de l'instrument et du produit prononcée par la juridiction de jugement constitue néanmoins une alternative à la confiscation, lorsque le prononcé de celle-ci est impossible en raison, comme en l'espèce, d'une circonstance personnelle à la personne poursuivie, et en partage les effets comme emportant la dévolution du bien non restitué à l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale.

94. En conséquence, pour l'application de l'article 706-164 du code de procédure pénale, la non-restitution de l'instrument et du produit direct ou indirect de l'infraction produit les mêmes effets que la confiscation lorsque la non-restitution a été décidée par la juridiction de jugement en application de l'article 481 du code de procédure pénale, après la caractérisation par les juges des éléments constitutifs de l'infraction et de l'impossibilité d'entrer en voie de condamnation en raison d'une circonstance propre à la personne de l'auteur, telle que le décès, de nature à rendre impossible la déclaration de culpabilité et le prononcé de la confiscation.

95. Dès lors, le moyen, qui soutient à tort que les dispositions de l'article 706-164 du code de procédure pénale ne pourraient être mises en œuvre, doit être écarté.

Mais sur le quatrième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, proposé pour M. [A], et sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, proposé pour M. [E]

Enoncé des moyens

96. Le quatrième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de biens contenus dans un dépôt public commis par un particulier, alors :

« 3°/ que la complicité punissable suppose une aide et assistance apportée sciemment à l'auteur principal du délit de détournement de biens dans un dépôt public, ce qui suppose, en l'espèce, la connaissance du caractère frauduleux de la sentence arbitrale en exécution de laquelle la remise des fonds est intervenue ; que dès lors que l'arrêt retient que M. [A], relaxé de ce chef, n'a pas participé à l'escroquerie à la sentence arbitrale et qu'il n'apparait pas qu'il savait que l'arbitrage était frauduleux, la cour d'appel ne pouvait retenir, faute de l'élément intentionnel requis, sa complicité du chef de détournement de biens contenus dans un dépôt public ; que la cour d'appel a violé les articles 121-6, 121-7 et 433-4 du code pénal ;

4°/ qu'en retenant que l'intention coupable de M. [A] a consisté à favoriser clandestinement la partie adverse du [13] au détriment des intérêts de ce dernier, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé les articles 121-6, 121-7, 433-4 du code pénal et 593 du code de procédure pénale. »

97. Le troisième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il l'a déclaré coupable de complicité de détournement de fonds publics, alors :

« 3°/ que le détournement de fonds publics implique la conscience d'utiliser les fonds à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été remis ; que la cour d'appel a jugé qu'« il n'apparaît pas qu'il [M. [E]] savait que l'arbitrage serait frauduleux » ; qu'en estimant cependant que M. [E] a concouru à un détournement des fonds en exécutant la sentence arbitrale conformément à ce que celle-ci prévoyait, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a de nouveau méconnu les dispositions des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 121-3 et 121-7, 433-4 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

98. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 121-7 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

99. Selon le premier de ces textes, est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

100. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

101. Pour déclarer les prévenus coupables de complicité de détournement de biens publics commis par un particulier au préjudice des sociétés [13] et [13], l'arrêt relève en substance que les concessions accordées par M. [A] à [C] [D] dissimulées au conseil d'administration de la société [13], au président et au conseil d'administration de l'EPFR et à l'Agence des participations de l'Etat, de par leur nombre et leur importance, ne peuvent être mises sur le compte d'une simple négligence, mais ne peuvent que résulter d'un choix délibéré et orienté de gestion personnelle du contentieux qui s'écartait de la défense des intérêts de la société [13] et des finances publiques pour venir favoriser la partie adverse.

102. Les juges ajoutent que les actes de M. [E] ne peuvent être considérés comme de la simple négligence, du fait de leur caractère délibéré, répété et déterminant pour la poursuite du processus délictuel, mais ne peuvent que résulter de l'intention d'agir, à propos du contentieux litigieux, à l'encontre des intérêts qu'il aurait dû défendre, pour favoriser la partie adverse. Ils précisent qu'en agissant clandestinement, à l'insu parfois de la ministre dont il était pourtant le directeur de cabinet, le prévenu a démontré la parfaite conscience qu'il avait du caractère anormal de ses actes.

103. Ils énoncent encore qu'en contribuant de manière décisive au renoncement de la société [13] à l'exercice d'un recours contre la sentence arbitrale, au mépris des intérêts de cette société et des finances publiques qu'ils étaient chargés de défendre, MM. [A] et [E] ont délibérément apporté leur aide à la partie adverse qui a pu ainsi recevoir une somme d'environ 403 millions d'euros en exécution d'un arbitrage frauduleux, ce versement consommant l'infraction de détournement de biens publics par un particulier.

104. En l'état de ces seules énonciations, la cour d'appel, qui a par ailleurs, pour relaxer les prévenus du délit de complicité d'escroquerie à la sentence arbitrale, retenu qu'ils n'avaient pas connaissance du caractère frauduleux de l'arbitrage, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et n'a ainsi pas justifié sa décision.

105. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le huitième moyen proposé pour M. [Y]

Enoncé du moyen

106. Le huitième moyen critique l'arrêt en ce qu'il a interdit à M. [Y] l'exercice de la profession d'avocat ou de conseil juridique pendant une durée de cinq ans, alors :

« 1°/ qu'en condamnant M. [Y] à cinq ans d'interdiction d'exercer la profession d'avocat ou de conseil juridique lorsque, dans les motifs de sa décision, il est énoncé qu'il y a lieu de condamner l'intéressé à l'interdiction d'exercer la profession d'avocat seulement, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas justifié sa décision au regard des articles 131-27, 131-28, 313-7, 433-22 du code pénal et a violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que la profession de conseil juridique n'existe plus depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 dont l'article 1er a modifié l'article 1er de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; que, dès lors, en interdisant l'exercice de cette profession à M. [Y] pour une durée de cinq ans, la cour d'appel a violé ces textes, ensemble les articles 131-27, 131-28, 313-7, 433-22 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

107. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

108. Après avoir énoncé dans ses motifs qu'il est indispensable de prononcer à l'encontre de M. [Y] l'interdiction d'exercer la profession d'avocat pendant une durée de cinq ans, l'arrêt le condamne, dans son dispositif, à cinq d'ans d'interdiction d'exercice de la profession d'avocat ou de conseil juridique.

109. En se déterminant ainsi, par des motifs en contradiction avec le dispositif de la décision, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

110. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

Et sur les douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], douzième moyen, pris en sa première branche, seizième moyen, proposés pour M. [V], et deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8]

Enoncé des moyens

111. Le douzième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement avec M. [V] à verser la somme de 301 124 236,27 euros à la société [13] et la somme de 91 498 846,27 euros à la société [13] à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice matériel et l'a condamné solidairement avec M. [V] à verser à ces deux sociétés la somme de 45 000 euros de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice moral, alors :

« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en condamnant solidairement M. [Y] et M. [V], à verser aux sociétés [13] et [13] la somme totale de 392 623 082,54 euros en réparation de leur préjudice matériel, correspondant à « toutes les sommes versées du fait de la sentence arbitrale frauduleuse » (arrêt, p. 218), quand elle constatait que, par un arrêt définitif du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris avait annulé la sentence arbitrale (arrêt, p. 218) et condamné solidairement les sociétés [19], [21], les mandataires liquidateurs des époux [D] et des sociétés [6] et [10] à restituer au [13] et au [13] la somme de 404 623 082,04 euros que ceux-ci leur avait versée en exécution de la sentence arbitrale litigieuse, outre les intérêts à taux légal et la capitalisation (arrêt, p. 109), la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

112. Le douzième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, alors :

« 1°/ que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et que cette réparation doit avoir lieu sans perte ni profit ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que par arrêt définitif de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015, les sociétés [13] et [13] ont obtenu la restitution des sommes versées en exécution de la sentence arbitrale annulée ; que pour condamner solidairement M. [N] [V] à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, la cour d'appel a énoncé que « le fait que les parties civiles disposent déjà d'un titre exécutoire à l'encontre d'un débiteur ne les empêche pas de demander réparation de leur préjudice à un autre débiteur, ou bien au même débiteur mais pour une cause différente de celle retenue par la juridiction civile » (arrêt attaqué, p. 218-219) ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 1240 du code civil, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

113. Le seizième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné solidairement à verser à la société [13] la somme de 301 124 236,27 euros et à la société [13] la somme de 91 498 846,27 euros de dommages-intérêts au titre de leur préjudice matériel, alors « que les sociétés [13] et [13] demandaient à la cour d'appel la condamnation « en deniers ou quittance » de M. [V], tenant compte de la condamnation prononcée par la juridiction civile le 3 décembre 2015 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les limites du litige en violation de l'article 2 du code de procédure pénale. »

114. Le deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8] critique l'arrêt en ce qu'il les a condamnées ès qualités à verser la somme de 301 124 236,27 euros à la société [13] et la somme de 91 498 846,23 euros à la société [13] en réparation de leur préjudice matériel, in solidum avec MM. [V] et [Y], alors :

« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; qu'en indemnisant le préjudice subi par les sociétés [13] et [13] créances quand celles-ci avaient déjà été indemnisées de leur préjudice par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 décembre 2015, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé en violation des articles 593 du code de procédure pénale et 1240 du code civil ;

2°/ que les sociétés [13] et [13] demandaient à la cour d'appel la condamnation « en deniers ou quittance » des sociétés [8] et [30] ès qualités, tenant compte de la condamnation prononcée par la juridiction civile le 3 décembre 2015 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a méconnu les limites du litige en violation de l'article 2 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

115. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 1382 devenu 1240 du code civil, 2 et 3 du code de procédure pénale :

116. Il résulte de ces textes que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

117. Les juges du fond, statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans les limites des conclusions des parties.

118. Pour condamner solidairement MM. [Y] et [V], in solidum avec les sociétés [30] et [8], à verser 301 124 236,27 euros à la société [13] et 91 498 846,27 euros à la société [13], en réparation de leur préjudice matériel, l'arrêt retient notamment que, par arrêt en date du 3 décembre 2015, la cour d'appel de Paris, statuant au fond sur le contentieux qui était soumis aux arbitres aux termes du compromis, a rejeté toutes les demandes formulées à l'encontre des sociétés [13] et [13], et condamné solidairement les sociétés [19], [21], les mandataires liquidateurs de [C] [D] et des sociétés [2] et [10], et Mme [D] à restituer aux sociétés [13] et [13] la somme de 404 623 082,04 euros avec intérêts au taux légal depuis le jour du paiement en exécution de la sentence et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil.

119. Les juges relèvent cependant que le fait que les parties civiles disposent déjà d'un titre exécutoire à l'encontre d'un débiteur ne les empêche pas de demander réparation de leur préjudice à un autre débiteur, ou bien au même débiteur mais pour une cause différente de celle retenue par la juridiction civile.

120. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas prononcé la condamnation en deniers ou quittances dans les limites de la demande dont elle était saisie, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

121. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

Et sur les treizième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], quatorzième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [V], septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [A] et septième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [E]

Enoncé des moyens

122. Le treizième moyen proposé pour M. [Y] critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat, alors :

« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie, c'est-à-dire dans les faits visés à la prévention ; que, dès lors, en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivis « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt, p. 214), la cour d'appel a violé l'article 2 du code de procédure pénale. »

123. Le quatorzième moyen proposé pour M. [V] critique l'arrêt en ce qu'il l'a condamné in solidum à verser 100 000 euros en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :

« 2°/ que l'action civile devant les juridictions répressives, qui n'appartient qu'à ceux qui ont personnellement et directement souffert des faits, objet de l'infraction poursuivie ; qu'en énonçant que l'« Etat a donc bien été victime directe, par ricochet, du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt attaqué, p. 214) du délit d'escroquerie commis par M. [N] [V], la cour d'appel a statué par des motifs contradictoires et méconnu les articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »

124. Le septième moyen proposé pour M. [A] critique l'arrêt en ce qu'il déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat et l'a condamné solidairement avec MM. [V], [Y] et [E] à lui verser la somme de 100 000 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :

« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie ; qu'en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivi « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt p. 124), la Cour d'appel a violé les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

125. Le septième moyen proposé pour M. [E] critique l'arrêt en ce qu'il a déclaré recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat et a condamné M. [E], solidairement avec MM. [V], [Y] et [A], à verser à l'agent judiciaire de l'Etat la somme de 100 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral de l'Etat, alors :

« 1°/ que l'action civile ne peut être exercée devant les juridictions pénales que par celui qui a subi un préjudice personnel prenant directement sa source dans l'infraction poursuivie, c'est-à-dire dans les faits visés à la prévention ; que, dès lors, en déclarant recevable la constitution de partie civile de l'Agent judiciaire de l'Etat venant aux droits de l'EPFR, après avoir retenu que l'Etat était une victime « par ricochet » des délits d'escroquerie et de complicité de détournement d'un bien public poursuivis « du fait de la garantie des fonds du [13] et de [13] par l'EPFR » (arrêt, p. 214), la cour d'appel a méconnu les articles 2, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

126. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale :

127. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

128. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

129. Pour déclarer recevable la constitution de partie civile de l'agent judiciaire de l'Etat, l'arrêt retient que ce dernier, agissant au nom de l'Etat, vient aux droits de l'EPFR à la suite de la dissolution de celui-ci le 1er janvier 2015, les éléments de passif et d'actif ainsi que les biens, droits et obligations de son activité, tels que les créances liées aux garanties consenties par l'EPFR aux sociétés [13] et [13], ayant été transférés à l'Etat.

130. Les juges ajoutent que l'EPFR ayant participé au versement des sommes obtenues par les mandataires liquidateurs du groupe et des époux [D] en exécution de l'arbitrage, comme étant chargé du financement de la garantie de la société [13], l'Etat a été victime directe, par ricochet, du fait de la garantie des fonds des sociétés [13] et [13] par l'EPFR, des infractions dont les prévenus ont été déclarés coupables et des fautes civiles commises par [C] [D].

131. En prononçant ainsi, par des motifs dont il résulte que les préjudices susceptibles d'avoir été subis par l'Etat n'avaient pas pour cause directe les infractions poursuivies, mais étaient la conséquence de la garantie des dettes des sociétés [13] et [13] par l'EPFR, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

132. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

Portée et conséquence de la cassation

133. La cassation sur le huitième moyen proposé pour M. [Y] aura lieu sans renvoi et par voie de retranchement.

134. La cassation sur les douzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [Y], douzième moyen, pris en sa première branche, et seizième moyen, proposés pour M. [V], et deuxième moyen proposé pour les sociétés [30] et [8] aura également lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

135. Le renvoi ne concernera que l'action publique et l'action civile relatives à MM. [A] et [E], ainsi que l'action civile relative à l'agent judiciaire de l'Etat.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le treizième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [Y], le quatorzième moyen, pris en sa première branche, proposé pour M. [V], le septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [A], et le septième moyen, pris en sa deuxième branche, proposé pour M. [E], relatifs à l'étendue du droit à réparation de l'Etat, la Cour :

Sur le pourvoi formé par la société [7] :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par MM. [N] [V], [H] [Y], [R] [E], [G] [A], et les sociétés [13], [13], [26], [30], [8], [22], [5], [25], [41] et [46] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 24 novembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l'action publique et à l'action civile concernant MM. [E] et [A], relatives aux intérêts civils concernant l'Etat, relatives à la peine de cinq ans d'interdiction professionnelle prononcée à l'encontre de M. [Y], mais seulement en ce que l'arrêt a interdit à ce prévenu d'exercer la profession de conseil juridique, et relatives à la condamnation solidaire de MM. [Y] et [V], in solidum avec les sociétés [30] et [8], à réparer le préjudice matériel des sociétés [13] et [13], mais seulement en ce que la cour d'appel s'est abstenue de prononcer cette condamnation en deniers ou quittances, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT que la condamnation de MM. [Y] et [V], et des sociétés [30] et [8], à réparer le préjudice matériel des sociétés [13] et [13], telle qu'énoncée par l'arrêt susvisé, interviendra en deniers ou quittances ;

DIT que l'interdiction professionnelle d'une durée de cinq ans prononcée par l'arrêt susvisé, a pour seul objet la profession d'avocat ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites du surplus de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Bougy - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Piwnica et Molinié ; SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Spinosi ; SCP L. Poulet-Odent ; SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 132-20 du code pénal ; article 131-21 du code pénal (alinéa 3) ; article 41-4 du code de procédure pénale ; article 481 du code de procédure pénale ; article 481 du code de procédure pénale ; article 706-164 du code de procédure pénale ; article 121-7 du code de procédure pénale ; article 2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la remise préalable des biens détournés, à rapprocher : Crim., 19 octobre 1993, pourvoi n° 93-83.225, Bull. crim. 1993, n° 297 (rejet). Sur l'application immédiate des dispositions du troisième alinéa de l'article 481 du code de procédure pénale, à rapprocher : Crim., 28 février 2018, pourvoi n° 17-81.577, Bull. crim. 2018, n° 41 (rejet). Sur l'appréciation de la bonne foi de la personne morale en la personne de l'organe ou du représentant, à rapprocher : Crim., 15 janvier 2014, pourvoi n° 13-81.874, Bull. crim. 2014, n° 12 (rejet) ; Crim., 10 mars 2021, pourvoi n° 20-84.117, Bull. crim. (rejet). Sur la motivation de la décision de refus de restitution, à rapprocher : Crim., 20 janvier 2021, pourvoi n° 20-81.118, Bull. crim. (rejet). Sur l'application de l'article 706-164, à rapprocher : Crim., 19 avril 2017, pourvoi n° 16-80.718, Bull. crim. 2017, n° 108 (cassation). Sur l'élément moral de la complicité par aide ou assistance, à rapprocher : Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.367, Bull. crim. (cassation). Sur le préjudice direct en matière d'escroquerie, à rapprocher : Crim., 27 juin 1963, pourvoi n° 62-91.086, Bull. crim. 1963 n° 238 (cassation) ; Crim., 2 mai 1983, pourvoi n° 81-94.911, Bull. crim. 1983, n° 122 (rejet) ; Crim., 4 novembre 1969, pourvoi n° 68-91.999, Bull. crim. 1969, n° 280 (rejet).

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