Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2023

CIRCULATION ROUTIERE

Crim., 21 juin 2023, n° 22-85.530, (B), FRH

Cassation partielle

Conduite après usage de stupéfiants ou de plantes classées comme stupéfiants – Usage de stupéfiants – Autorisation de commercialisation des stupéfiants – Absence d'influence

L'autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en delta 9 tétrahydrocannabinol, substance elle-même classée comme stupéfiant, n'est pas supérieure à 0,30 %, est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, cette infraction étant constituée s'il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée.

Le procureur général près la cour d'appel de Rouen a formé un pourvoi contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2022, qui, après relaxe de M. [P] [J] pour conduite après usage de stupéfiants, l'a condamné à 400 euros d'amende dont 300 euros avec sursis, pour contravention au code de la route.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par jugement du 21 janvier 2021, le tribunal correctionnel a déclaré M. [P] [J] coupable de conduite d'un véhicule en ayant fait usage de produits stupéfiants, et excès de vitesse d'au moins 40 km/h et inférieur à 50 km/h, l'a condamné à deux mois d'emprisonnement avec sursis, à six mois de suspension du permis de conduire, ainsi qu'à 50 euros d'amende.

3. M. [J] a relevé appel de cette décision, le ministère public a formé appel incident.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le moyen est pris de la violation de l'article L. 235-1 du code de la route.

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé M. [J] du chef de conduite après usage de stupéfiants, au motif que l'expertise toxicologique ne mentionne pas de taux de tétrahydrocannabinol (THC), et qu'il n'a pas été recherché si le cannabidiol (CBD) que l'intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC, alors que l'article L. 235-1 du code de la route incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, sans qu'il soit fait référence à un dosage de stupéfiants à établir lors des analyses biologiques du prélèvement salivaire ou sanguin du contrevenant.

En effet l'arrêté du 13 décembre 2016 en vigueur au moment des faits, qui fixe les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route, mentionne un seuil de détection et non un seuil d'incrimination.

Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article L. 235-2 du code la route, l'usage de stupéfiants ne peut être établi qu'au moyen d'analyses sanguine ou salivaire à l'exclusion de toutes autres vérifications telles que la recherche et le dosage de tétrahydrocannabinol pouvant être contenu dans le CBD retrouvé à l'occasion du contrôle routier du contrevenant et pouvant être celui qu'il déclare avoir consommé.

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 235-1 du code de la route et l'annexe IV de l'arrêté du 22 février 1990 modifié, pris pour l'application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique :

6. Le premier de ces textes incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, cet usage étant établi par une analyse sanguine ou salivaire, peu important que le taux de produits stupéfiants ainsi révélé soit inférieur au seuil minimum prévu par l'arrêté, en vigueur au moment des faits, fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants, qui est un seuil de détection et non un seuil d'incrimination.

7. Selon le second, le tétrahydrocannabinol est une substance classée comme stupéfiants.

8. Pour relaxer M. [J] du délit de conduite après usage de stupéfiants, l'arrêt attaqué retient que, s'agissant de la présence de cannabis dans la salive, l'expertise toxicologique, qui en fait état, ne mentionne pas de taux de THC, et qu'en outre, aucune investigation n'a été menée afin de savoir si le CBD consommé par l'intéressé dépassait ou non la teneur admise en tétrahydrocannabinol, fixée à moins de 0,20 % à la date des faits.

9. Le juge en conclut qu'il résulte de ces éléments et des déclarations du prévenu, que ni l'élément matériel, ni l'élément intentionnel de l'infraction ne sont établis avec certitude.

10. En prononçant ainsi, alors que l'autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en delta 9 tétrahydrocannabinol, substance elle-même classée comme stupéfiant par l'arrêté susvisé, n'est pas supérieure à 0,30 %, est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, cette infraction étant constituée s'il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée, la cour d'appel a méconnu les textes précités.

11. La cassation est, dès lors, encourue.

Portée et conséquence de la cassation

12. La cassation portera sur les dispositions de l'arrêt ayant relaxé le prévenu du délit de conduite après usage de stupéfiants et toutes les peines prononcées, la déclaration de culpabilité pour l'infraction d'excès de vitesse, non critiquée par le moyen, étant maintenue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rouen, en date du 5 septembre 2022, mais en ses seules dispositions ayant relaxé le prévenu du délit de conduite après usage de stupéfiants et celles relatives aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rouen, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription les registres du greffe de la cour d'appel de Rouen, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Guerrini - Avocat général : Mme Bellone -

Textes visés :

Article L. 235-1 du code de la route et l'annexe IV de l'arrêté du 22 février 1990 modifié, pris pour l'application de l'article L. 5132-7 du code de la santé publique.

Crim., 6 juin 2023, n° 22-87.212, (B), FRH

Cassation

Titulaire du certificat d'immatriculation redevable pécuniairement – Titulaire personne morale – Représentant légal – Désignation du conducteur – Condition – Désignation reposant sur des éléments probants

Il résulte de l'article L. 121-6 du code de la route que le représentant légal de la personne morale titulaire du certificat d'immatriculation d'un véhicule ayant donné lieu à un avis de contravention au code de la route dispose d'un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention pour indiquer l'identité et l'adresse du conducteur du véhicule lors de l'infraction.

Cette obligation n'est remplie que si la désignation de la personne physique qui conduisait effectivement le véhicule au moment des faits repose sur des éléments probants.

Encourt la cassation le tribunal de police qui, pour relaxer la société prévenue du chef d'excès de vitesse, énonce que celle-ci a fourni tous les éléments d'identité de la personne qui conduisait le véhicule, la circonstance que cette dernière conteste en être le conducteur ne permettant pas de retenir à son encontre, a posteriori, l'infraction prévue à l'article L. 121-6 du code de la route, alors que le juge ne pouvait considérer qu'une telle désignation, en l'absence de tout élément probant de nature à corroborer l'identification du contrevenant, était conforme aux exigences de l'article précité.

L'officier du ministère public près le tribunal de police de La Roche-sur-Yon a formé un pourvoi contre le jugement dudit tribunal, en date du 19 novembre 2021, qui a relaxé la société [U] [1] du chef de contravention au code de la route.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 15 juin 2020, un véhicule appartenant à la société [U] [1] a été verbalisé pour un excès de vitesse.

3. Un procès-verbal a été établi le 25 juin 2020.

4. La société [U] [1] a reçu un avis de contravention adressé le 29 juin 2020, et a présenté une requête en exonération le 17 juillet suivant en désignant comme conducteur, M. [D] [U], dont elle a indiqué la date de naissance, l'adresse et le numéro de permis de conduire.

5. Un avis de contravention a été adressé à ce dernier, qui a contesté en être l'auteur.

6. M. [J] [U], gérant de la société [U] [1], entendu le 8 mars 2021 par la gendarmerie, a indiqué qu'il avait désigné M. [D] [U] en qualité de responsable du véhicule, et qu'il ne pouvait savoir s'il était le conducteur au moment des faits. Il a précisé également ne pouvoir fournir d'éléments probants sur ce conducteur, l'entreprise ne tenant pas de registre.

7. La société [U] [1] a été citée devant le tribunal de police, le 26 octobre 2021, pour non-transmission de l'identité et de l'adresse du conducteur du véhicule ayant servi à commettre l'infraction, en application de l'article L. 121-6 du code de la route.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

8. Le premier moyen est pris de la violation des articles L. 121-2, L. 121-3, L. 121-6 et A. 121-1 du code de la route.

9. Le moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a relaxé la société [U] [1], alors :

1°/ que selon l'article L. 121-6 du code de la route, l'obligation de fournir l'identité du conducteur ne cesse, pour le représentant légal de la personne morale au nom de laquelle le véhicule a été immatriculé, que lorsqu'il est établi l'existence d'un vol, d'une usurpation de plaque d'identité ou de tout autre cas de force majeure ;

2°/ que l'obligation de désignation du conducteur découlant de cet article, combiné aux articles L. 121-2 et L. 121-3 de ce même code, s'entend d'une désignation certaine pouvant être corroborée par des éléments probants ;

3°/ que les éléments d'identité du conducteur doivent être corroborés, car, lorsque le tiers désigné conteste avoir été le conducteur, la seule désignation ne peut suffire à établir que le tiers en question était le conducteur du véhicule ;

4°/ que, dès lors, le représentant légal qui désigne un tiers sans disposer d'éléments probants ne satisfait pas aux exigences de l'article L. 121-6 du code de la route.

10. Le second moyen est pris de la violation de l'article 593 du code de procédure pénale.

11. Le moyen critique le jugement attaqué pour avoir relaxé cette société alors qu'il ressort des éléments de la procédure que, selon ses propres déclarations, la société [U] [1] ne tenait pas de registre et ne pouvait donc satisfaire aux exigences de l'article L. 121-6 du code de la route, de sorte que le tribunal a insuffisamment justifié sa décision.

Réponse de la Cour

12. Les moyens sont réunis.

Vu les articles L. 121-6 du code de la route et 593 du code de procédure pénale :

13. Selon le premier de ces textes, lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 de ce même code a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, son représentant légal doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, à l'autorité mentionnée sur cet avis, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol, d'une usurpation de plaque d'immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.

14. Il s'en déduit que cette obligation n'est remplie que si la désignation de la personne physique qui conduisait effectivement le véhicule au moment des faits repose sur des éléments probants.

15. En application du second de ces textes, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour relaxer le prévenu, le jugement énonce notamment que la société [U] [1] a dûment fourni tous les éléments d'identité de la personne qu'elle désigne, la circonstance que cette dernière ait contesté être le conducteur ne permettant pas de retenir à son encontre, a posteriori, l'infraction prévue à l'article L. 121-6 du code de la route.

17. Le juge ajoute que les déclarations inexactes et erronées sont, sans préjudice d'éventuelles poursuites pour faux ou dénonciation calomnieuse, réprimées par l'article R. 49-19 du code de procédure pénale.

18. En se déterminant ainsi, le tribunal n'a pas justifié sa décision.

19. En effet, le juge ne pouvait considérer que la désignation effectuée par la société [U] [1], en l'absence de tout élément probant de nature à corroborer l'identification du contrevenant, était conforme aux exigences de l'article L. 121-6 du code de la route.

20. La cassation est par conséquent encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement susvisé du tribunal de police de La Roche-sur-Yon, en date du 19 novembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de police de Poitiers, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal de police de La Roche-sur-Yon et sa mention en marge ou à la suite du jugement annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Michon - Avocat général : M. Quintard -

Textes visés :

Article L. 121-6 du code de la route.

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