Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2023

COUR D'ASSISES

Crim., 14 juin 2023, n° 23-82.157, (B), FRH

Cassation

Appel – Cour d'assises statuant en appel – Délai de comparution – Détention provisoire – Prolongation – Motivation – Perturbations liées à la crise sanitaire – Insuffisance – Applications diverses

Encourt la cassation l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction qui, saisi d'une demande de prolongation de la détention provisoire d'un condamné en attente de comparution devant une cour d'assises d'appel en application de l'article 380-3-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, se borne à exposer la charge récurrente de la cour d'assise du ressort et les perturbations liées à la crise sanitaire sans caractériser les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par la cour d'assises ou en quoi les conséquences de la crise sanitaire constituaient toujours, plusieurs années après celle-ci, des circonstances insurmontables qui ont empêché d'y parvenir.

M. [H] [G] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 mars 2023, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de meurtre et tentative, violences aggravées, en récidive, a ordonné la prolongation exceptionnelle de sa détention provisoire.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [H] [G], mis en examen des chefs susmentionnés, et placé en détention provisoire entre le 11 octobre 2017 et le 14 janvier 2019 puis à compter du 7 février 2020, a été mis en accusation, le 26 novembre suivant, devant la cour d'assises qui, par arrêt du 18 mars 2022, l'a condamné à vingt ans de réclusion criminelle.

3. M. [G] a relevé appel de cette décision.

4. Le président de la chambre de l'instruction a été saisi par le procureur de la République aux fins de prolongation exceptionnelle de la détention provisoire de l'intéressé pour une durée de six mois.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen est pris de la violation des articles 5, § 1, et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et des articles 380-3-1 et 593 du code de procédure pénale.

6. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a ordonné, à titre exceptionnel, la prolongation de la détention provisoire de M. [G], pour une durée de six mois, alors qu'en justifiant cette prolongation au motif que la pandémie de Covid 19 aurait entraîné des répercussions sur le long terme sur l'audiencement de la cour d'assises des Alpes-Maritimes, sans caractériser les diligences particulières ou les circonstances insurmontables de nature à expliquer, au regard des exigences conventionnelles, la durée de la détention provisoire entre la décision de première instance et la comparution devant la cour d'assises d'appel, le président de la chambre de l'instruction a violé les dispositions précitées.

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

7. Tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

8. Pour prolonger, à titre exceptionnel, la détention provisoire de M. [G], l'ordonnance attaquée retient que la cour d'assises des Alpes-Maritimes est toujours très chargée eu égard à une importante criminalité, récurrente dans la région, et a en outre connu de fortes perturbations à la suite de la crise sanitaire liée au Covid-19 et aux mesures de restriction adoptées par les pouvoirs publics pour en prévenir la propagation et protéger la santé publique.

9. Le juge relève que ces restrictions imposées en 2020 et 2021 ont empêché, sur une longue période, un fonctionnement normal du déroulement de la justice, et en particulier des cours d'assises, puisqu'elles se sont révélées incompatibles avec la possibilité de tenir des audiences devant les juridictions criminelles, celles-ci étant pour partie composées d'un jury populaire.

10. Il ajoute que les sessions devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes devant laquelle devait comparaître l'accusé ont été annulées et les affaires qui y étaient fixées ont été soit renvoyées, lorsqu'elles étaient inscrites aux rôles des sessions déjà ouvertes, soient déprogrammées lorsqu'elles étaient aux rôles des sessions à venir.

11. Il retient encore que cette situation, imprévisible et insurmontable, a, de fait, entraîné des répercussions, y compris sur le long terme, sur l'audiencement de ladite cour d'assises, dont le rôle est déjà particulièrement chargé notamment de dossiers prioritaires avec détenus à juger en première instance, avec la nécessité d'intégrer au fil du temps les affaires qui avaient dû être annulées ou déprogrammées.

12. Il conclut que ce surcroît de dossiers pendants devant la juridiction des Alpes-Maritimes, conséquence de circonstances tout à fait exceptionnelles, a toutefois vocation à diminuer et, à terme, à disparaître, et que cette cour d'assises devrait alors pouvoir retrouver un fonctionnement plus normal.

13. En se déterminant ainsi, sans mieux caractériser les diligences particulières mises en oeuvre pour permettre l'examen du dossier par la cour d'assises ou en quoi les conséquences de la crise sanitaire constituaient toujours, plusieurs années après celle-ci, des circonstances insurmontables qui ont empêché d'y parvenir, le président de la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

14. La cassation est par conséquent encourue sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 9 mars 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Gillis - Avocat général : M. Courtial -

Textes visés :

Articles 380-3-1 et 593 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la motivation de la prolongation de la détention provisoire de l'accusé en attente de comparution devant une cour d'assises d'appel, à rapprocher : Crim., 2 mars 2021, pourvoi n° 20-86.729, Bull. crim. 2021 (rejet), et l'arrêt cité.

Crim., 7 juin 2023, n° 23-81.655, (B), FRH

Irrecevabilité

Arrêt – Arrêt de condamnation – Jugement par défaut – Recours – Pourvoi en cassation – Possibilité (non)

Le jugement par défaut de l'accusé devant la cour d'assises ne lui permet pas de former un pourvoi en cassation contre la décision de mise en accusation, mais implique un nouvel examen de l'affaire par la cour d'assises, en application de l'article 379-4 du code de procédure pénale.

Cependant, selon l'article 269-1 du code de procédure pénale, lorsque l'accusé n'a pas été régulièrement informé, selon les cas, de sa mise en examen, de l'avis de fin d'information judiciaire ou de l'ordonnance de mise en accusation et que cette défaillance ne procède pas d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence, il peut saisir le président de la chambre de l'instruction, alors même que l'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive, et au plus tard dans les trois mois avant la date de sa comparution, d'une requête contestant les éventuelles irrégularités de la procédure d'information.

Procédure antérieure aux débats – Accusé non régulièrement informé – Ordonnance de mise en accusation définitive – Recours – Président de la chambre de l'instruction – Requête contre les irrégularités de l'information

M. [M] [C] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon, en date du 28 juin 2005, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises du Rhône sous l'accusation de tentative d'homicide aggravé.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Une information a été ouverte, le 8 juin 2000, contre personne non dénommée, du chef de tentative de meurtre sur un militaire de la gendarmerie.

3. Le juge d'instruction a délivré, le 27 juillet 2000, un mandat d'arrêt contre M. [M] [C].

4. Par l'arrêt attaqué du 28 juin 2005, la chambre de l'instruction a ordonné son renvoi devant la cour d'assises.

5. Par un arrêt rendu le 15 février 2008, la cour d'assises, statuant par défaut, a déclaré M. [C] coupable du crime de tentative d'homicide aggravé.

6. En exécution du mandat d'arrêt, M. [C] a été incarcéré en France le 11 septembre 2021, puis placé sous contrôle judiciaire.

7. L'arrêt du 15 février 2008 ayant été mis à néant, le président de la cour d'assises a ordonné, le 12 octobre 2021, un supplément d'information en vue d'un nouvel examen de l'affaire devant la cour d'assises.

Examen de la recevabilité du pourvoi

8. L'arrêt de mise en accusation est devenu définitif, compte tenu du jugement par défaut de l'accusé devant la cour d'assises, qui ne permet pas au demandeur de former un pourvoi en cassation contre la décision de mise en accusation, mais implique un nouvel examen de l'affaire par la cour d'assises, en application de l'article 379-4 du code de procédure pénale (Crim., 23 août 2017, pourvoi n° 17-83.386).

9. Cependant, selon l'article 269-1 du code de procédure pénale, qui résulte de la loi du 22 décembre 2021, lorsque l'accusé n'a pas été régulièrement informé, selon les cas, de sa mise en examen, de l'avis de fin d'information judiciaire ou de l'ordonnance de mise en accusation et que cette défaillance ne procède pas d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence, il peut saisir le président de la chambre de l'instruction, alors même que l'ordonnance de mise en accusation est devenue définitive, et au plus tard dans les trois mois avant la date de sa comparution, d'une requête contestant les éventuelles irrégularités de la procédure d'information.

10. Dès lors, si le demandeur prétend s'être trouvé dans la situation prévue par l'article 269-1 précité, il peut engager le recours prévu par ce texte.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE le pourvoi IRRECEVABLE.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Diop-Simon - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Crim., 21 juin 2023, n° 22-80.317, (B), FRH

Rejet

Débats – Président – Appréciation souveraine – Pièces du dossier – Enregistrements sonores, visuels ou audiovisuels – Diffusion

Lorsque, au cours des débats devant la cour d'assises, la cour est saisie de conclusions tendant à la diffusion d'un enregistrement, elle apprécie souverainement si la mesure sollicitée est utile à la manifestation de la vérité.

Ainsi, le droit pour l'accusé d'obtenir, s'il le demande, la présentation des pièces à conviction sur le fondement de l'article 341 du code de procédure pénale, n'implique pas le droit à la diffusion des enregistrements sonores, visuels ou audiovisuels, placés sous scellés.

M. [D] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises de la Gironde, en date du 17 décembre 2021, qui, pour viols et violences, aggravés, arrestation et séquestration arbitraire, l'a condamné à treize ans de réclusion criminelle, une interdiction définitive du territoire national, quinze ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, dix ans d'inéligibilité et une confiscation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [D] [J] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Dordogne des chefs de viols aggravés et délits connexes.

3. Par arrêt pénal du 24 septembre 2020, ladite cour d'assises l'a condamné à douze ans de réclusion criminelle, cinq ans de suivi socio-judiciaire et cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation.

4. L'accusé et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et quatrième moyens

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que, par arrêt incident du 16 décembre 2021, la cour a rejeté les conclusions de la défense qui, s'opposant à ce qu'il soit passé outre aux débats à l'absence du témoin, tendaient au renvoi de l'affaire, alors :

« 1°/ que tout arrêt rendu sur un incident contentieux doit, à peine de nullité, être motivé ; en rejetant la demande de renvoi au motif que la comparution du témoin à une autre session, absent de son domicile pour un motif inconnu et n'ayant pu être localisé le 16 décembre 2021, « demeurerait incertaine », la cour a statué par un motif hypothétique, et violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout accusé a le droit d'interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge ; les conclusions faisaient expressément valoir qu'en l'absence de ce témoin, la cause de Monsieur [D] [J] ne saurait être entendue équitablement, ce dernier ne pouvant poser à Monsieur [F] [L] des questions essentielles à sa défense ; en affirmant « qu'au vu des résultats de l'instruction orale à laquelle il a été procédé, l'audition de ce témoin n'est pas indispensable à la manifestation de la vérité », la cour ne justifie pas mieux sa décision dès lors que cette nécessité ne peut être appréciée qu'au vu des questions qui seront posées au témoin et de ses réponses, ce que la juridiction ne connaissait pas quand elle a écarté la nécessité de cette audition ; la cour a statué par un motif inopérant et violé l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 3, d) de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

7. Pour rejeter la demande de renvoi présentée par la défense en raison de l'absence d'un témoin, l'arrêt incident du 16 décembre 2021 relève que les investigations entreprises pour le localiser sont demeurées vaines et que la cour se trouve dans l'impossibilité d'assurer sa comparution.

8. Les juges en déduisent que la nécessité de juger l'accusé dans un délai raisonnable s'oppose à ce que l'affaire soit renvoyée à une autre session, à laquelle la comparution du témoin demeurerait incertaine.

9. La cour ajoute qu'au vu des résultats de l'instruction orale à laquelle il a été procédé, l'audition de ce témoin n'est pas indispensable à la manifestation de la vérité.

10. En l'état de ces énonciations, dénuées de caractère hypothétique, la cour, qui a souverainement apprécié qu'au vu de l'instruction orale à laquelle il avait été procédé, l'audition de ce témoin n'apparaissait pas nécessaire à la manifestation de la vérité, a justifié sa décision, sans méconnaître les textes visés au moyen.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce que, par arrêt incident du 17 décembre 2021, la cour a, rejetant la demande de visionnage avant la clôture des débats des vidéos du passage à l'hôtel de l'accusé et de la partie civile, décidé que ne seront projetées que les photographies tirées de cet enregistrement, alors :

« 1°/ que tout arrêt rendu sur un incident contentieux doit, à peine de nullité, être motivé ; en rejetant la demande de visionnage formulée au cours des débats, au motif que le complément d'information sollicité est tardif, sans constater une impossibilité technique de procéder à ce visionnage à l'audience avant la clôture des débats ni exposer en quoi la demande serait tardive, l'arrêt ne satisfait pas aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en retenant que « la cour est en mesure de s'assurer que le complément d'information sollicité est (?) inutile à la manifestation de la vérité » mais « qu'en revanche, et pour satisfaire au principe de la demande formée par la défense, la cour décide que seront projetées les photographies cotées Dl 15 tirées de l'enregistrement vidéo du passage à l'hôtel de l'accusé et de la victime partie civile », la cour, qui s'est contredite, a derechef violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Pour rejeter la demande, adressée à la cour et tendant au visionnage de vidéos placées sous scellés, l'arrêt incident du 17 décembre 2021 retient que l'instruction à l'audience a permis la complète audition de l'accusé, des témoins et des experts et que la cour est en mesure de s'assurer que le complément d'information sollicité est non seulement tardif mais également inutile à la manifestation de la vérité.

13. L'arrêt ajoute qu'en revanche, et pour satisfaire au principe de la demande formée par la défense, seront projetées les photographies tirées de l'enregistrement vidéo dont il est demandé le visionnage.

14. En l'état de ces énonciations, et abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif au caractère tardif de la demande, la cour a justifié sa décision.

15. En effet, la cour, saisie de conclusions tendant à la diffusion d'un enregistrement, apprécie souverainement si la mesure sollicitée est utile à la manifestation de la vérité.

16. Ainsi, le droit pour l'accusé d'obtenir, s'il le demande, la présentation des pièces à conviction sur le fondement de l'article 341 du code de procédure pénale, n'implique pas le droit à la diffusion des enregistrements sonores, visuels ou audiovisuels, placés sous scellés.

17. Le moyen doit dès lors être écarté.

18. Par ailleurs, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 341 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 24 mars 1993, pourvoi n° 92-81.700, Bull. crim. 1993, n° 131 (rejet).

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