Numéro 6 - Juin 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Numéro 6 - Juin 2023

NON-REPRESENTATION D'ENFANT

Crim., 21 juin 2023, n° 23-80.031, (B), FRH

Rejet

Compétence – Compétence territoriale – Lieu où doit être effectuée la remise du mineur – Défaut de précision du lieu de remise – Domicile du parent en droit de réclamer l'enfant

Le juge français est compétent pour statuer en matière de non-représentation d'enfant lorsque le lieu de remise de ce dernier, ou à défaut de précision le domicile du parent en droit de le réclamer, se situe sur le territoire national, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que le domicile du prévenu, ou l'endroit où est indûment retenu l'enfant se trouve, ou non, sur le territoire national, cette circonstance étant sans effet sur la détermination du lieu de commission de l'infraction.

M. [O] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-5, en date du 20 octobre 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 17 mars 2021, pourvoi n° 19-84.296), pour non-représentation d'enfant, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [O] [N] et Mme [C] [J], tous deux de nationalité syrienne, se sont mariés à [Localité 3] le [Date mariage 1] 1991. Trois enfants sont issus de leur union, dont le dernier, [E] [N], est né à [Localité 3] le [Date naissance 2] 2001.

3. M. [N] a ensuite fixé sa résidence à [4], son épouse et ses enfants se sont installés à [Localité 5] au cours de l'année 2004.

4. Par ordonnance du 30 octobre 2015, le juge aux affaires familiales, statuant sur une requête présentée par Mme [J] le 2 avril 2015, a fixé la résidence de [E] [N] au domicile de sa mère et accordé au père un droit de visite et d'hébergement les fins de semaine et la moitié des vacances scolaires.

5. Par ordonnance du 22 septembre 2015, une juridiction siégeant à [Localité 3], statuant sur une requête présentée par M. [N] le 18 mai 2015, a ordonné l'expiration de la garde de l'enfant par la mère, et la remise de celui-ci au père.

6. Alors que Mme [J] et son fils [E] se trouvaient en vacances aux Emirats arabes unis depuis le 19 octobre 2015, M. [N] a obtenu, le 22 octobre suivant, une interdiction de voyage à l'égard de son fils. Mme [J] est rentrée seule en France, et [E] a ensuite été remis à son père le 11 novembre 2015.

7. Par jugement du 16 août 2016, le tribunal d'un district de la ville de Moscou, saisi par M. [N], a fixé la résidence de l'enfant mineur chez son père.

8. Sur la plainte de Mme [J], le procureur de la République a fait citer M. [N] devant le tribunal correctionnel pour non-représentation d'enfant.

9. Par jugement du 15 novembre 2017, le tribunal correctionnel a rejeté l'exception d'incompétence présentée par M. [N], et l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis.

10. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le deuxième moyen

11. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception tirée de l'inapplicabilité de la loi pénale française, alors :

« 1°/ que, d'une part, la compétence territoriale des juridictions françaises suppose que l'infraction poursuivie ou qu'un de ses faits constitutifs ait été commis sur le territoire de la République ; qu'en l'absence de désignation expresse du lieu spécifique où doit être accomplie la remise du mineur par la décision de justice dont l'inexécution est poursuivie, le délit de non-représentation d'enfant se commet au lieu où l'enfant est indument retenu, le refus de représentation constitutif de l'élément matériel de ce délit se matérialisant concrètement par cette rétention ; qu'il s'ensuit que la compétence territoriale de la loi pénale française doit être écartée lorsque l'enfant est retenu à l'étranger au jour où la décision dont l'inexécution est poursuivie devient exécutoire ; que, dès lors, en affirmant, pour rejeter l'exception d'incompétence des juridictions françaises, que le lieu de commission de l'infraction était celui du domicile du parent chez lequel la résidence habituelle avait été fixée et qui était en droit de le réclamer, soit à [6], la cour d'appel a violé les articles 113-2 et 227-5 du code pénal. »

Réponse de la Cour

13. La Cour de cassation juge que le lieu de commission du délit de non-représentation d'enfant est celui où l'enfant doit être remis, et qu'en l'absence de précision sur ce point dans la décision fixant l'obligation de représentation, ce lieu est le domicile du parent en droit de le réclamer (Crim., 14 avril 1999, pourvoi n° 98-82.853, Bull. crim. 1999, n° 85).

14. En conséquence, le juge français est compétent lorsque le lieu de remise de l'enfant, ou à défaut de précision le domicile du parent en droit de le réclamer, se situe sur le territoire national, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que le domicile du prévenu, ou l'endroit où est indûment retenu l'enfant se trouve, ou non, sur le territoire national, cette circonstance étant sans effet sur la détermination du lieu de commission de l'infraction.

15. Pour écarter l'exception d'incompétence de la juridiction française, l'arrêt attaqué énonce que, dès lors que l'enfant mineur [E] résidait en France et que la décision fixant le droit de visite et d'hébergement du père ne précisait pas expressément que ce droit devait s'exercer à l'étranger, le tribunal compétent pour connaître du délit de non-représentation d'enfant était celui du lieu où devait être effectuée la remise du mineur.

16. Les juges en concluent que le lieu de commission de l'infraction était donc celui du domicile du parent chez lequel la résidence habituelle du mineur avait été fixée et qui était en droit de le réclamer, soit à [Localité 5], et que l'infraction, commise sur le territoire de la République, était soumise à la loi française.

17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

18. Dès lors, celui-ci n'est pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses deux dernières branches, et sur le troisième moyen

Enoncé des moyens

19. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception tirée de l'inapplicabilité de la loi pénale française, alors :

« 4°/ qu'au surplus, un jugement étranger produit en France des effets, en tant que fait juridique, indépendamment d'une vérification de sa régularité internationale par une procédure de reconnaissance ou d'exequatur ; qu'en l'espèce, après avoir dit pour droit que le lieu de commission du délit de non-représentation d'enfant est « celui du domicile du parent chez lequel la résidence habituelle du mineur avait été fixée et qui était en droit de le réclamer » (arrêt, p. 9), la cour d'appel a retenu la compétence des juridictions françaises pour connaître des faits reprochés aux prévenus aux motifs, d'une part, que la décision syrienne du 22 septembre 2015 ayant ordonné la remise de l'enfant [E] à son père avait été obtenue frauduleusement et faisait application de dispositions légales contraires à l'ordre public international et à l'ordre public français et, d'autre part, que le domicile du parent chez lequel la résidence habituelle de [E] avait été fixée et qui était en droit de le réclamer selon l'ordonnance de non-conciliation du 30 octobre 2015, à savoir le domicile de sa mère Mme [J], se trouvait à Paris ; qu'en écartant ainsi la décision civile rendue le 22 septembre 2015 par le juge syrien en exécution de laquelle l'enfant [E] avait été remis à son père et résidait avec celui-ci à l'étranger, quand cette décision étrangère antérieure à l'ordonnance de non-conciliation devait être prise en considération en tant que fait juridique indépendamment de la question de sa régularité internationale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 113-2 et 227-5 du code pénal ;

5°/ qu'enfin, la fraude susceptible de faire obstacle à la reconnaissance en France d'un droit acquis à l'étranger consiste soit en une fraude à la loi, consistant à obtenir l'application d'une loi inapplicable, soit en une fraude à la juridiction, résultant de la création artificielle d'un lien permettant de saisir un juge étranger, soit encore en une fraude au jugement, caractérisée par la saisine d'un juge étranger compétent dans le seul but de faire échec à une procédure pendante devant le juge français préalablement saisi ou à une décision rendue par le juge français ; que, dès lors, en se bornant à énoncer, pour retenir que le choix de la juridiction syrienne avait été frauduleux et écarter la décision civile rendue par celle-ci le 22 septembre 2015, que Mme [J] avait été faussement domiciliée à [Localité 3] lors de la saisine, le 2 juin 2015, de la juridiction syrienne, sans établir soit que la loi syrienne était inapplicable, soit que la compétence de la juridiction syrienne résultait d'un lien artificiellement créé soit encore que M. [N] l'avait saisie dans le seul but de faire échec à la procédure initiée en France par Mme [J], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 113-2 et 227-5 du code pénal. »

20. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence et a confirmé le jugement entrepris sur la culpabilité pour la période comprise entre le 16 août 2016 et le 8 novembre 2016, alors :

« 1°/ d'une part, dans ses conclusions régulièrement déposées, le conseil du prévenu faisait valoir que « par jugement du tribunal de Moscou daté du 16 août 2016, la résidence de [E] avait été fixée chez son père, après l'exécution d'une mesure d'enquête sociale sur les conditions de vie du mineur et une audition de ce dernier » et que « contrairement à ce qui a pu être indiqué par les juges civils et repris dans l'arrêt cassé (en page 7), les magistrats russes étaient informés de l'existence de la procédure française et avaient considéré, par une ordonnance du 16 juin 2016, que les questions de résidence des enfants mineurs étaient des mesures provisoires susceptibles d'être modifiées » (conclusions, p. 4) ; que, dès lors, en énonçant, pour écarter la décision de la juridiction russe du 16 août 2016 et retenir l'applicabilité de la loi pénale française aux faits de non-représentation d'enfant poursuivis commis postérieurement à cette décision, que le choix de M. [N] de saisir cette juridiction avait été frauduleux en ce qu'il ne résulte pas « des termes de cette décision que le juge russe ait été informé des conditions dans lesquelles la résidence de l'enfant avait été déplacée par le père seul, ni de l'existence d'une décision française concernant cet enfant, alors qu'à cette date, la France et la Fédération de Russie étaient liés par la Convention de La Haye du 10 octobre 1996 » (arrêt, p. 9), sans mieux rechercher, comme elle y était invitée, si la procédure française, dont l'ordonnance de non-conciliation du 30 octobre 2015, n'avait pas été portée à la connaissance du tribunal de Moscou, au besoin en sollicitant la communication de l'ordonnance russe du 16 juin 2016 dont le prévenu se prévalait, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 113-2 et 227-5 du code pénal ;

2°/ d'autre part, en déclarant le prévenu coupable des faits de non-représentation d'enfant pour la période comprise entre le 16 août 2016 et le 8 novembre 2016, sans expliquer en quoi l'ordonnance de non-conciliation du 30 octobre 2015 fixant la résidence habituelle de l'enfant [E] chez sa mère en France demeurait exécutoire après que le tribunal de Moscou, par une décision du 16 août 2016, a fixé la résidence habituelle de [E] chez son père à Moscou, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 227-5 du code pénal ;

3°/ qu'enfin, l'élément intentionnel du délit de non-représentation d'enfant consiste dans le refus délibéré d'exécuter une décision de justice ; que le refus d'exécuter une décision de justice ne peut être délibéré que si le caractère exécutoire de celle-ci est connu ; que, dès lors, en déclarant le prévenu coupable des faits de non-représentation d'enfant pour la période comprise entre le 16 août 2016 et le 8 novembre 2016, sans établir que celui-ci savait que l'ordonnance de non-conciliation du 30 octobre 2015 avait conservé son caractère exécutoire postérieurement à la décision russe du 16 août 2016 ayant fixé la résidence de son fils [E] à son domicile, décision postérieure statuant en sens contraire sur une mesure provisoire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 121-3 et 227-5 du code pénal. »

Réponse de la Cour

21. Les moyens sont réunis.

22. Pour rejeter les conclusions du prévenu invoquant le bénéfice de décisions juridictionnelles prononcées à l'étranger, lui ayant confié la garde de l'enfant, l'arrêt attaqué énonce, d'abord, que M. [N] a saisi des juridictions en fraude des droits de son épouse, en la domiciliant faussement à [Localité 3], puis à Moscou, afin que ces juridictions se déclarent compétentes, et que son épouse ne puisse être avertie des procédures ainsi engagées.

La cour d'appel ajoute que ces manœuvres lui ont permis d'obtenir des décisions convenant à ses vœux.

Les juges précisent que le prévenu a faussement prétendu, devant la juridiction russe, que son épouse, qui vivait avec lui et son fils, à Moscou, avait abandonné le foyer, le laissant seul avec l'enfant, ce qui lui a permis d'obtenir une décision lui en ayant confié la garde.

23. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui a exactement estimé que le prévenu ne pouvait se prévaloir du contenu de décisions juridictionnelles qu'il avait obtenues par fraude, en méconnaissance de l'ordre public international procédural français, a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen.

24. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Mallard - Avocat général : Mme Bellone - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles 121-3 et 227-5 du code pénal.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence territoriale du juge français pour non représentation d'enfant, à rapprocher : Crim., 14 avril 1999, pourvoi n° 98-82.853, Bull. crim. 1999, n° 85 (rejet), et l'arrêt cité.

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