Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

MISE EN DANGER DE LA PERSONNE

Crim., 5 mars 2024, n° 22-86.972, (B), FRH

Rejet

Risques causés à autrui – Eléments constitutifs – Violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence – Obligation particulière de sécurité ou de prudence – Définition – Obligation objective et abstraite sans possibilité d'appréciation personnelle – Exclusion – Cas

L'existence d'une loi ou d'un règlement prévoyant une obligation particulière de prudence ou de sécurité est une condition préalable de l'infraction de mise en danger de la vie d'autrui prévue à l'article 223-1 du code pénal. Cette obligation, qui s'apprécie de manière objective et abstraite, doit ainsi être immédiatement perceptible et clairement applicable, sans possibilité d'appréciation personnelle par la personne qui y est tenue.

Dès lors, les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile selon lesquelles l'étranger malade ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, qui laissent au préfet une marge d'appréciation de la situation de cette personne, ne sont pas susceptibles de constituer le fondement d'une telle obligation.

M. [N] [M], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Limoges, en date du 24 novembre 2022, qui a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction ayant refusé d'informer sur sa plainte du chef de mise en danger de la vie d'autrui et s'étant déclaré incompétent des chefs de dénonciation calomnieuse, arrestation et séquestration arbitraires.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [N] [M], de nationalité iranienne, a porté plainte et s'est constitué partie civile des chefs susvisés devant le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Limoges en raison des faits suivants.

3. Arrivé en France en 2013 comme étudiant, il a bénéficié d'un titre de séjour jusqu'en 2016. A compter de l'année 2014, il a été suivi médicalement pour une sclérose en plaques.

4. En février 2016, le préfet de la Haute-Vienne a refusé le renouvellement de son titre de séjour d'étudiant et délivré à son encontre une obligation de quitter le territoire français.

L'intéressé a alors sollicité un titre de séjour pour raison de santé, et sa demande a été suivie d'un avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé.

5. Le 19 juillet 2016, M. [M] s'est rendu à l'université d'[Localité 1] pour s'inscrire, ce qui lui a été refusé faute de titre de séjour. Il a été interpellé par la police à la sortie des locaux universitaires.

6. Placé en rétention administrative sur décision du préfet de Vaucluse, il a été expulsé le 22 juillet suivant, sans pouvoir récupérer sa valise et son traitement médical, et nonobstant ses demandes et recours pendants qui, en référé puis au fond, ont abouti à l'annulation des décisions administratives, à son retour sur le territoire national et à l'octroi d'un titre de séjour.

7. Par ordonnance du 25 janvier 2022, le juge d'instruction a refusé d'informer sur les faits de mise en danger et s'est déclaré territorialement incompétent pour les faits survenus en [Localité 1].

8. M. [M] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Enoncé des moyens

9. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction disant n'y avoir lieu à informer concernant les faits de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, alors :

« 1°/ que la juridiction d'instruction, régulièrement saisie d'une plainte avec constitution de partie civile, a le devoir d'instruire, quelles que soient les réquisitions du ministère public et que cette obligation ne cesse, suivant les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 86, que si, pour des causes affectant l'action publique elle-même, les faits ne peuvent comporter légalement une poursuite ou si, à supposer les faits démontrés, ils ne peuvent admettre aucune qualification pénale ; qu'en statuant en l'espèce par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 85 et 86 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées ; que dans sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 26 mars 2018, M. [M] dénonçait des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui consistant notamment en une dissimulation par des fonctionnaires de l'administration préfectorale de la Haute-Vienne de sa demande de titre de séjour pour raison de santé dont ils avaient été saisis et de l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de la santé qui leur avait été transmis constatant que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en l'absence d'un traitement approprié existant en Iran, avant et afin d'entraîner l'exécution, par des fonctionnaires de l'administration préfectorale du Vaucluse, après son arrestation et sa rétention illégales, d'une décision d'expulsion vers l'Iran également illégale et insusceptible d'exécution dès lors qu'un recours était pendant, en l'empêchant en outre de récupérer sa valise et son traitement avant son renvoi en Iran ; qu'en relevant que « [l]e plaignant reproche spécialement ce délit à la Préfecture de la Haute-Vienne en ce qu'elle aurait notamment « escamoté » la demande de permis de séjour pour raison de santé M. [M] », puis en énonçant, pour refuser d'informer sur les faits dénoncés au titre du délit de mise en danger délibérée d'autrui par M. [M], qu'« [e]n l'espèce, il appartenait au préfet d'accorder ou de refuser le renouvellement du titre de séjour.

Au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les problèmes de santé de [N] [M] ne justifiaient pas le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et famille. [N] [M] était naturellement en droit de contester cette décision sur le plan juridique. Il l'a d'ailleurs fait et a finalement obtenu satisfaction » pour en conclure qu' « il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative » et qu' « [e]n l'état, l'infraction suggérée par le plaignant n'est manifestement pas constituée, le comportement du préfet ne relevant pas du pénal » (arrêt, pp. 5-6) et en considérant « qu'en l'espèce, l'absence de prise en compte des problèmes de santé présentés par M _- [M] par l'autorité préfectorale ne saurait s'analyser en une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ; que les fail : dénoncés s'analysent en une contestation de décisions administratives et de leur mise en oeuvre ; que l'appréciation du caractère fondé et proportionné des mesures prises relève de la juridiction administrative tout comme l'action en responsabilité de l'état en cas de manquement avéré ou d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en - application de l'article 86 du code de procédure pénale les faits ne peuvent revêtir une qualification pénale, il n'y a dès lors pas lieu d'informer sur ces faits de ce chef » (ordonnance, p. 1), la chambre de l'instruction, qui ne s'est ainsi, ce faisant, pas prononcée sur les faits tels que dénoncés par M. [M] dans sa plainte avec constitution de partie civile, qu'elle avait pourtant elle-même rappelés, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;

3°/ que le juge d'instruction a l'obligation d'informer sur tous les faits résultant de la plainte et des pièces y analysées ; que dans sa plainte avec constitution de partie civile déposée le 26 mars 2018, M. [M] dénonçait des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui consistant notamment en une dissimulation par des fonctionnaires de l'administration préfectorale de la Haute-Vienne de sa demande de titre de séjour pour raison de santé dont ils avaient été saisis et de l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de la santé qui leur avait été transmis constatant que son état de santé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, en l'absence d'un traitement approprié existant en Iran, avant et afin d'entraîner l'exécution, par des fonctionnaires de l'administration préfectorale du Vaucluse, après son arrestation et sa rétention illégales, d'une décision d'expulsion vers l'Iran également illégale et insusceptible d'exécution dès lors qu'un recours était pendant, en l'empêchant en outre de récupérer sa valise et son traitement avant son renvoi en Iran ; qu'en relevant que « [l]e plaignant reproche spécialement ce délit à la Préfecture de la Haute-Vienne en ce qu'elle aurait notamment « escamoté » la demande de permis de séjour pour raison de santé M. [M] », puis en se bornant à retenir, pour refuser d'informer sur les faits dénoncés au titre du délit de mise en danger délibérée d'autrui par M. [M], qu'« [e]n l'espèce, il appartenait au préfet d'accorder ou de refuser le renouvellement du titre de séjour.

Au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les problèmes de santé de [N] [M] ne justifiaient pas le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et famille. [N] [M] était naturellement en droit de contester cette décision sur le plan juridique. Il l'a d'ailleurs fait et a finalement obtenu satisfaction » pour en conclure qu'« il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative » et qu'« [e]n l'état, l'infraction suggérée par le plaignant n'est manifestement pas constituée, le comportement du préfet ne relevant pas du pénal » (arrêt, pp. 5-6) et en considérant « qu'en l'espèce, l'absence de prise en compte des problèmes de santé présentés par M _- [M] par l'autorité préfectorale ne saurait s'analyser en une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité ; que les fail : dénoncés s'analysent en une contestation de décisions administratives et de leur mise en oeuvre ; que l'appréciation du caractère fondé et proportionné des mesures prises relève de la juridiction administrative tout comme l'action en responsabilité de l'état en cas de manquement avéré ou d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'en - application de l'article 86 du code de procédure pénale les faits ne peuvent revêtir une qualification pénale, il n'y a dès lors pas lieu d'informer sur ces faits de ce chef » (ordonnance, p. 1), la chambre de l'instruction, qui a refusé d'informer par des motifs qui ne permettent pas de justifier qu'il serait manifeste que les faits dénoncés n'auraient pas été commis, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en refusant d'informer sur les faits tels que dénoncés par M. [M], qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, sans rechercher s'ils n'étaient pas susceptibles, en l'état, de revêtir une autre qualification pénale que celle proposée par ce dernier, notamment celles d'atteintes à la liberté individuelle par des personnes exerçant une fonction publique, d'abus d'autorité ou de non-assistance à personne en péril, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles 85 et 86 du code de procédure pénale ;

5°/ qu'en retenant « que si le requérant estime que le préfet a pris des mesures non fondées ou disproportionnées, qu'il a fait une erreur manifeste d'appréciation ou a manqué à ses devoirs, il peut exercer une action en responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative », la chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs impropres à justifier un refus d'informer dès lors, d'une part, qu'ils se situent hors les cas prévus par la loi pour refuser d'informer et que, d'autre part, l'éventuelle possibilité d'exercer une action en responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative est sans incidence sur le droit d'une personne se prétendant lésée par un crime ou un délit commis par des personnes physiques de déposer une plainte avec constitution de partie civile et de voir informer sur celle-ci, a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85, 86 et 593 du code de procédure pénale ;

6°/ qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur au moment des faits dénoncés, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; qu'aux termes de l'article L. 521-3 du même code, dans sa version en vigueur au moment des faits, il ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes ; que ce texte impose aux agents de ne pas, par une absence de communication d'une information sur l'état de santé de la personne, contribuer à cet éloignement ; que ces textes peuvent caractériser une obligation particulière de prudence imposée par la loi, en présence d'un étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que M. [M] invoquait dans son mémoire, au titre des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, la violation de ces obligations tirées du ceseda ; qu'en énonçant que l'« [o]n cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet - ou son administration - aurait délibérément et manifestement violée » la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles préliminaire, 85 et 86 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 223-1 du code pénal et l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur du 18 juillet 2011 au 1er novembre 2016 ;

7°/ qu'aux termes de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur au moment des faits dénoncés, ne peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français l'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que ce texte peut caractériser une obligation particulière de prudence imposée par la loi, en présence d'un étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, si eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié ; que M. [M] invoquait dans son mémoire, au titre des faits qu'il qualifiait de mise en danger délibérée de la vie d'autrui, la violation de cette obligation tirée de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en se bornant à énoncer que l'« [o]n cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet - ou son administration - aurait délibérément et manifestement violée », sans davantage s'expliquer sur la question de savoir si l'article L. 5114 du ceseda ne posait pas une obligation particulière de prudence imposée par la loi, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des articles préliminaire, 85 et 86 et 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 223-1 du code pénal et l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version en vigueur du 18 juillet 2011 au 1ernovembre 2016 ;

8°/ que l'obligation pour l'État de mener une enquête effective est une obligation inhérente à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en refusant d'informer sur les faits tels que dénoncés par M. [M] dans sa plainte avec constitution de partie civile, qui pouvaient constituer un traitement prohibé par l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la chambre de l'instruction a méconnu ce texte. »

10. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction s'étant déclaré territorialement incompétent pour les faits de dénonciations calomnieuses et arrestation et séquestration arbitraires et illégales, alors :

« 1°/ que la compétence du juge d'instruction, à raison du lieu de commission d'un délit s'étend aux infractions connexes de toute nature commises en dehors de cette circonscription ; que sont déclarés nuls les arrêts de la chambre de l'instruction lorsqu'il a été omis ou refusé de répondre aux articulations essentielles des mémoires dont elle est saisie ; qu'en confirmant l'ordonnance du juge d'instruction s'étant déclaré territorialement incompétent pour les faits qualifiés par M. [M] de dénonciation calomnieuse et d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, sans répondre à l'articulation essentielle du mémoire déposé par ce dernier, qui invoquait l'existence d'un lien de connexité, susceptible de justifier une prorogation de compétence entre les faits qualifiés de mise en danger délibérée de la vie d'autrui et ceux qualifiés de dénonciation calomnieuse et d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ en tout état de cause, que les juridictions d'instruction ont non seulement le pouvoir mais aussi le devoir de vérifier leur compétence qu'il s'agisse de la compétence territoriale, matérielle ou personnelle ; que la chambre de l'instruction ne peut, sans méconnaître l'obligation d'informer imposée aux juridictions d'instruction par les articles 85 et 86 du code de procédure pénale, déclarer territorialement incompétent un juge d'instruction saisi d'une plainte avec constitution de partie civile, tant que ce magistrat n'a pas effectué les investigations de nature à lui permettre de vérifier sa compétence ; que pour considérer qu'une partie des faits dénoncés par M. [M] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud « faute du moindre critère de compétence », la chambre de l'instruction a retenu, s'agissant des faits qualifiés de dénonciation calomnieuse, que « l'université d'[Localité 1] n'a aucun lien avec la préfecture de la Haute-Vienne » et, s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales, « qu'a fortiori en est-il de même de son service de sécurité.

Les polices municipales ou nationale de cette ville sont également indépendantes de la Préfecture de la Haute-Vienne » et a considéré que « par ailleurs, et quoi qu'il en dise, le plaignant ne démontre aucunement que le préfet du Vaucluse n'aurait fait qu'obéir aux ordres de la Préfecture de la Haute-Vienne » et qu'ainsi « [à] l'évidence, les deux Préfectures n'étaient pas dans la connivence ou la subordination » ; qu'en se déterminant ainsi, alors que le seul examen abstrait de la plainte ne pouvait, en l'état, permettre d'affirmer l'absence de tout lien entre les différents acteurs mentionnés dans la plainte, lien que seules des investigations du magistrat instructeur aurait été à même de confirmer ou d'infirmer et ainsi, de lui permettre de vérifier sa compétence ; qu'en prononçant ainsi, sans avoir vérifié par une information préalable sa compétence territoriale, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ en tout état de cause, qu'une chambre de l'instruction ne saurait déclarer territorialement incompétent un juge d'instruction par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude et en en faisant peser la charge de la preuve sur la seule partie civile, en ce que de tels motifs équivalent à un refus d'informer hors les cas prévus par la loi ; que pour considérer qu'une partie des faits dénoncés par M. [M] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud « faute du moindre critère de compétence », la chambre de l'instruction a retenu, s'agissant des faits qualifiés de dénonciation calomnieuse, que « l'université d'[Localité 1] n'a aucun lien avec la préfecture de la Haute-Vienne » et, s'agissant des faits qualifiés de séquestration et arrestation arbitraires et illégales, « qu'a fortiori en est-il de même de son service de sécurité.

Les polices municipales ou nationale de cette ville sont également indépendantes de la Préfecture de la Haute-Vienne » et a considéré que « par ailleurs, et quoi qu'il en dise, le plaignant ne démontre aucunement que le préfet du Vaucluse n'aurait fait qu'obéir aux ordres de la Préfecture de la Haute-Vienne » et qu'ainsi « [à] l'évidence, les deux Préfectures n'étaient pas dans la connivence ou la subordination. Indépendantes l'une de l'autre elles appliquaient chacune les textes les concernant » ; qu'en se déterminant ainsi, par des motifs dont il résulte qu'elle s'est prononcée sur le fond même de l'affaire, en s'appuyant sur des faits en contradiction avec les allégations de la plainte dont seule une information aurait pu éventuellement établir l'exactitude et en en faisant peser la charge de la preuve sur la seule partie civile, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85 et 86 du code de procédure pénale ;

4°/ à tout le moins, que la juridiction d'instruction qui se déclare d'emblée incompétente territorialement, avant toute instruction sur les faits dénoncés par la partie civile, ne saurait se prononcer sur leur réalité ou sur la possibilité qu'ils relèvent d'une qualification pénale, faute de compétence pour le faire ; qu'en se déclarant territorialement incompétente tout en retenant en l'espèce, que l'« [o]n peut s'interroger sur la notion de dénonciation calomnieuse dès lors que : [N] [M] n'était effectivement pas en possession d'un titre de séjour » et que « tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit, est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République, en application de l'article 40 du code de procédure pénale » et s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales que « ces qualifications pénales interrogent dès lors que : s'agissant de la remise à la police, tout citoyen peut interpeller une personne soupçonnée d'un délit et la remettre à la police, en application de l'article 73 du code de procédure pénale ; s'agissant du placement en rétention administrative, le préfet du Vaucluse a seulement fait usage de ses prérogatives, les recours légaux avant d'ailleurs été exercés et ayant abouti : « il n'existe pas de délit de voies de fait : [N] [M] n'a par ailleurs jamais soutenu avoir été victime de violences, que ce soit lors de son interpellation ou lors de son séjour au C.R.A », quand il ne lui appartenait pas, dès lors qu'elle s'était elle-même déclarée incompétente pour le faire, de se prononcer sur les faits dénoncés et la qualification pénale qu'ils seraient susceptibles ou insusceptibles d'admettre, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 52, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ en toute hypothèse, que le séjour irrégulier ne constitue pas un délit ; que la connaissance de la situation irrégulière d'une personne ne peut justifier un avis au procureur par un fonctionnaire en application de l'article 40 du code de procédure pénale et encore moins une arrestation par tout citoyen en application de l'article 73 du même code ; qu'en retenant en l'espèce que l'« [o]n peut s'interroger sur la notion de dénonciation calomnieuse dès lors que : [N] [M] n'était effectivement pas en possession d'un titre de séjour » et que « tout fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un délit, est tenu d'en aviser sans délai le procureur de la République, en application de l'article 40 du code de procédure pénale » et s'agissant des faits qualifiés d'arrestation et séquestration arbitraires et illégales que « ces qualifications pénales interrogent dès lors que : s'agissant de la remise à la police, tout citoyen peut interpeller une personne soupçonnée d'un délit et la remettre à la police, en application de l'article 73 du code de procédure pénale », la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 40, 52, 73, 85, 86, 90, 203 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Les moyens sont réunis.

12. Pour confirmer la décision du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'il appartenait au préfet de se prononcer sur le droit au séjour du demandeur, qu'au vu des éléments dont il disposait, il a estimé que les raisons de santé avancées par celui-ci ne justifiaient ni le renouvellement du titre de séjour existant ni la délivrance d'un permis de séjour vie privée et familiale, que l'intéressé a, comme il en avait le droit, contesté cette décision et obtenu satisfaction et qu'il n'y a là que l'exercice normal du pouvoir administratif et du contrôle dudit pouvoir par la juridiction administrative.

13. Les juges ajoutent que l'on cherche en vain l'obligation particulière de prudence ou de sécurité que le préfet aurait délibérément violée, le comportement de celui-ci ne relevant pas de la matière pénale.

14. Ils estiment encore que les faits survenus en [Localité 1] ne sauraient être instruits par un juge d'instruction limougeaud faute du moindre critère de compétence.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

16. L'existence d'une loi ou d'un règlement prévoyant une obligation particulière de prudence ou de sécurité est une condition préalable de l'infraction de mise en danger prévue à l'article 223-1 du code pénal. Cette obligation, qui s'apprécie de manière objective et abstraite, doit ainsi être immédiatement perceptible et clairement applicable, sans possibilité d'appréciation personnelle par la personne qui y est tenue.

17. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile invoquées à l'appui de la plainte accordent au préfet une marge d'appréciation de la situation de la personne malade étrangère qui s'en prévaut pour décider si les conditions de leur application sont ou non réunies. Elles ne sont donc pas susceptibles de constituer le fondement d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité d'application automatique telle que requise par l'article susvisé du code pénal.

18. En conséquence, le défaut d'une telle obligation constitue une cause affectant l'action publique elle-même, d'où il résulte que, sans qu'il y ait lieu à investigations complémentaires, les faits dénoncés sous la qualification de mise en danger de la vie d'autrui ne peuvent légalement comporter une poursuite.

19. Les faits décrits dans la plainte sous cette qualification ne peuvent admettre aucune autre qualification pénale.

20. Par ailleurs, les recours intentés par l'intéressé ayant abouti à l'annulation des décisions administratives, à son retour sur le territoire national et à l'octroi d'un titre de séjour, celui-ci ne saurait alléguer une violation, par les autorités françaises, de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme.

21. En cet état, aucune connexité susceptible d'entraîner la compétence territoriale du juge d'instruction de Limoges ne saurait résulter des faits dénoncés sous la qualification de mise en danger avec ceux, qualifiés de dénonciation calomnieuse, arrestation et séquestration arbitraires, survenus en [Localité 1].

22. Les moyens doivent, en conséquence, être écartés.

23. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Croizier - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles 3, 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 85, 86 et 593 du code de procédure pénale ; article 223-1 du code pénal ; article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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