Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Partie I - Arrêts et ordonnances

ACTION CIVILE

Crim., 19 mars 2024, n° 23-81.792, (B), FRH

Cassation

Partie civile – Citation directe – Recevabilité – Conditions – Personne physique – Justification de ressources – Nécessité (non)

Il se déduit de l'article 392-1 du code de procédure pénale que, contrairement à celle délivrée à la requête d'une personne morale à but lucratif, la citation délivrée à la requête d'une personne physique ne peut être déclarée irrecevable au seul motif que cette dernière n'a pas produit de justificatifs permettant de déterminer le montant de la consignation.

Dans ce cas, il appartient au tribunal correctionnel de fixer ce montant au regard des éléments de procédure et des éventuelles pièces produites.

Encourt ainsi la censure l'arrêt qui, pour déclarer irrecevables les citations adressées à la requête des parties civiles, énonce que ces dernières, personnes physiques, non bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, n'ont pas, comme elles le devaient, justifié de leurs ressources, la simple déclaration orale faite par leur avocat selon laquelle elles pourraient faire face à des amendes civiles de 15 000 euros ne pouvant se substituer aux exigences légales.

MM. [G] [J], [N] [T] et [O] [Y], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes, 11e chambre, en date du 22 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [R] [L] du chef de diffamation publique envers un particulier, a déclaré irrecevables leurs citations directes.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par actes d'huissier du 15 avril 2022, M. [R] [L] a été cité à comparaître devant le tribunal correctionnel, en sa qualité de directeur de la publication, par MM. [G] [J], [N] [T] et [O] [Y], du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison de propos tenus à leur égard sur la chaine YouTube « Made in Azerbaidjian » entre janvier et mars 2022.

3. Par jugement du 8 juin 2022, le tribunal correctionnel a constaté l'irrecevabilité des citations directes en l'absence de justificatifs de ressources produits par les parties civiles.

4. Ces dernières ont relevé appel du jugement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement ayant déclaré irrecevable la citation directe de MM. [J], [Y] et [T] à l'encontre de M. [L], alors :

« 1°/ que d'une part, il résulte du premier alinéa de l'article 392-1 du code de procédure pénale que lorsque l'action de la partie civile n'est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel fixe, en fonction des ressources de celle-ci, le montant de la consignation qu'elle doit, si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la citation directe ; que cette consignation garantit le paiement de l'amende civile dont le montant maximal est de 15 000 euros, susceptible d'être prononcée en application du dernier alinéa du même article ; qu'il résulte de la lettre comme de la portée de ce texte que le tribunal a l'obligation de fixer le montant de la consignation et le délai imparti pour la régler ; que cette fixation doit intervenir quand bien même l'auteur de la citation ne verserait pas de justificatif de ses revenus, lorsque celui-ci est une personne physique, et par opposition à une personne morale à but lucratif pour laquelle « la détermination du montant de la consignation » est expressément subordonnée à la production du bilan et du compte de résultat, et ce « sous peine de non-recevabilité de la citation directe », en vertu de l'alinéa 2 de l'article 392-1 du code de procédure pénale ; qu'a méconnu les articles 392-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'appel qui a jugé que les parties civiles devaient « justifier de leur ressource afin que le tribunal correctionnel puisse fixer le montant de la consignation due » (arrêt attaqué, p. 6) »

Réponse de la Cour

Vu l'article 392-1 du code de procédure pénale :

6. Selon ce texte, lorsque l'action de la partie civile n'est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel fixe, en fonction des ressources de la partie civile, le montant de la consignation que celle-ci doit, si elle n'a pas obtenu l'aide juridictionnelle, déposer au greffe et le délai dans lequel elle devra être faite sous peine de non-recevabilité de la citation directe.

7. Lorsque la partie civile est une personne morale à but lucratif, elle doit, sous peine d'irrecevabilité de la citation directe, produire au tribunal son bilan et son compte de résultat afin de permettre la détermination du montant de la consignation.

8. Il s'en déduit que, contrairement à celle délivrée à la requête d'une personne morale à but lucratif, la citation délivrée à la requête d'une personne physique ne peut être déclarée irrecevable au seul motif que cette dernière n'a pas produit de justificatifs permettant de déterminer le montant de la consignation. Dans ce cas, il appartient au tribunal correctionnel de fixer ce montant au regard des éléments de procédure et des éventuelles pièces produites.

9. En l'espèce, pour confirmer le jugement et déclarer irrecevables les citations adressées à leur requête, l'arrêt attaqué énonce que les parties civiles, personnes physiques, non bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, n'ont pas, comme elles le devaient, justifié de leurs ressources, la simple déclaration orale faite par leur avocat selon laquelle elles pourraient faire face à des amendes civiles de 15 000 euros ne pouvant se substituer aux exigences légales.

10. Les juges ajoutent que les parties civiles ne sauraient invoquer une atteinte à leur droit d'accéder à la justice dès lors que celle-ci résulte de leur carence à répondre aux exigences de la loi.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner le second grief.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Rennes et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Merloz - Avocat général : M. Aubert - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 392-1 du code de procédure pénale.

Crim., 27 mars 2024, n° 22-84.496, (B), FS

Cassation partielle

Préjudice – Réparation – Exercice illégal de l'activité de conseil en investissements financiers

Si le délit d'exercice illégal de l'activité de conseil en investissements financiers prévu par l'article L. 573-9 du code monétaire et financier est susceptible de causer aux victimes un préjudice résultant directement du non-respect des obligations statutaires édictées aux articles L. 541-2 à L. 541-5 du code monétaire et financier, il appartient aux juges d'établir un lien direct entre au moins l'un des manquements sanctionnés, précisément identifié, et le préjudice financier allégué.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour établir le caractère direct du lien entre le délit d'exercice illégal de l'activité de conseiller en investissements financiers et le préjudice subi par les parties civiles, et allouer à celles-ci des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice financier équivalant au montant des sommes investies, se borne à énoncer que le seul exercice illégal de cette activité, sans remplir les conditions fixées par la loi, constitue directement la cause du préjudice subi, les victimes ayant été privées des garanties afférentes à l'agrément.

M. [R] [O] et la société [R] [O] [1] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Douai, 6e chambre, en date du 30 mai 2022, qui, pour exercice illégal de l'activité de conseil en investissements financiers, a condamné le premier, à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis, la seconde, à 7 000 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [R] [O] a commercialisé auprès de particuliers, par le biais de sa société [R] [O] [1], des produits financiers émis par les sociétés du groupe [2], qui rachetait et exploitait des hôtels.

3. Mme [M] [H], sa fille Mme [S] [H] et son fils M. [C] [E] ont ainsi souscrit entre décembre 2013 et mai 2017 des actions et participations dans plusieurs sociétés du groupe [2].

4. En novembre 2017, l'ensemble des sociétés du groupe a été placé en redressement judiciaire.

5. Mmes [M] et [S] [H], ainsi que M. [E], ont porté plainte contre M. [O], lui reprochant d'avoir exercé la profession de conseiller en investissements financiers alors qu'il n'en remplissait pas les conditions légales, n'étant pas assuré pour cette activité, ni immatriculé au registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance, ni adhérent à une association agréée par l'Autorité des marchés financiers.

6. M. [O] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour exercice illégal de l'activité de conseil en investissements financiers et fourniture illégale de services d'investissement à titre de profession habituelle.

Par jugement du 17 mai 2021, le tribunal l'a relaxé de ce second chef, et condamné à douze mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis en répression du premier délit.

Le tribunal a également prononcé sur l'action civile.

7. L'ensemble des parties a fait appel du jugement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches

8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Énoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris qui a déclaré recevables les constitutions de partie civile de Mmes [M] et [S] [H], et M. [E] et, après infirmation dudit jugement, a condamné solidairement M. [O] et la société [R] [O] [1] à payer à Mme [M] [H] la somme de 284 475 euros, à Mme [S] [H] la somme de 44 400 euros et à M. [E] la somme de 83 334 euros, alors :

« 2°/ que le préjudice direct dont une partie civile peut demander l'indemnisation doit résulter directement des faits dont le prévenu a été déclaré coupable ; que le préjudice constitué des sommes investies ou des investissements perdus ne peut trouver son origine directe dans le délit d'exercice illégal de l'activité de conseiller en investissements financiers que s'il est établi, à partir des faits visés par la prévention, que la perte du bénéfice des garanties que ne présentait pas ce professionnel a eu une incidence sur la qualité de l'information et des conseils délivrés aux investisseurs, sur les décisions prises par ces derniers et sur le risque du marché auxquels ils ont été exposés ; que, pour retenir un lien direct entre le délit d'exercice illégal de l'activité de conseiller en investissements financiers et la perte subie par les parties civiles, la cour d'appel a déduit de la seule circonstance que ces dernières avaient été privées des garanties afférentes à l'agrément que la faute était la cause directe du préjudice constitué du montant des sommes investies ; qu'en se prononçant par de tels motifs, cependant que l'absence de souscription d'une assurance et d'inscription au registre de l'organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (ORIAS) au regard de laquelle le délit avait été caractérisé, n'est pas à elle seule de nature à remettre en cause la qualité de l'information et des conseils délivrés aux investisseurs et demeure à ce titre dénuée d'incidence sur les décisions prises par ces derniers et sur le risque du marché auxquels ils ont été exposés, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil :

10. Selon le premier de ces textes, l'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction.

11. Selon le troisième, le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

12. Selon le deuxième, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

13. Pour établir le caractère direct du lien entre le délit d'exercice illégal de l'activité de conseiller en investissements financiers et le préjudice subi par les parties civiles, et allouer à celles-ci des dommages-intérêts en réparation de leur préjudice financier, l'arrêt attaqué énonce que, dès lors qu'il est établi que le prévenu a exercé illégalement cette activité sans remplir les conditions fixées par la loi, les victimes ont été privées des garanties afférentes à l'agrément, la faute commise étant alors directement la cause du préjudice subi, lequel équivaut nécessairement au montant des sommes investies.

14. En prononçant par ces seuls motifs, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

15. En effet, si le délit d'exercice illégal de l'activité de conseil en investissements financiers est susceptible de causer aux victimes un préjudice résultant directement du non-respect des obligations statutaires édictées aux articles L. 541-2 à L.541-5 du code monétaire et financier, il appartient aux juges d'établir un lien direct entre au moins l'un des manquements sanctionnés, précisément identifié, et le préjudice financier allégué, lequel n'équivaut pas nécessairement au montant des sommes investies et perdues, compte tenu notamment de l'aléa inhérent à tout placement financier.

16. Dès lors, la cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation sera limitée aux seules dispositions relatives aux intérêts civils, les autres dispositions de l'arrêt n'encourant pas la censure.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 30 mai 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Wyon - Avocat général : Mme Chauvelot - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Articles L. 541-2 à L. 541-5 et L. 573-9 du code monétaire et financier.

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