Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

TERRORISME

Crim., 6 mars 2024, n° 23-87.046, (B), FRH

Rejet

Lois et règlements – Application dans l'espace – Crimes et délits commis à l'étranger – Résidence habituelle de l'auteur en France – Appréciation – Moment de la fixation de la résidence habituelle – Indifférence

Par application des dispositions de l'article 113-13 du code pénal, la loi pénale française s'applique à la personne de nationalité étrangère ayant fixé sa résidence habituelle en France, peu important que la fixation de cette résidence soit ou non antérieure à la commission, à l'étranger, d'actes de terrorisme.

M. [H] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1re section, en date du 27 novembre 2023, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises des mineurs de Paris, spécialement composée, sous l'accusation d'association de malfaiteurs terroriste.

Un mémoire a été produit.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance du 28 juillet 2023, le juge d'instruction a ordonné la mise en accusation de diverses personnes, dont M. [H] [U], devant la cour d'assises des mineurs de Paris, spécialement composée, pour association de malfaiteurs terroriste.

3. Les faits reprochés à l'accusé auraient été commis en Syrie, en Irak, en Egypte, aux Pays-Bas et en Allemagne, ainsi qu'à [Localité 1], dans [Localité 2] et sur le territoire national, du 1er janvier 2014 au 20 janvier 2020.

4. M. [U] et le ministère public ont relevé appel de l'ordonnance précitée.

Examen des moyens

Sur le second moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la mise en accusation de M. [U] devant la cour d'assises des mineurs spécialement composée siégeant à Paris pour y être jugé, et « pour avoir à [Localité 1], dans [Localité 2], et sur le territoire national, mais également en Syrie, en Irak, en Égypte, aux Pays-Bas et en Allemagne, du 1er janvier 2014 au 20 janvier 2020, en tout cas depuis temps n'emportant pas prescription de l'action publique, participé à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes visés par le 1er de l'article 421-1 du code pénal, ladite préparation étant caractérisée par un ou plusieurs éléments matériels, en l'espèce notamment, dans le cadre d'une adhésion aux thèses djihadistes :

- en intégrant une organisation djihadiste, notamment l'Etat islamique en Irak et au levant devenue Etat islamique, en s'y maintenant et en participant aux activités terroristes et combattantes de l'organisation ;

- en participant à l'élaboration de projets d'actions violentes ;

- en ayant conçu, reçu, téléchargé, transféré et diffusé de la documentation de propagande de l'Etat Islamique, crime prévu par les articles 113-13, 421-1, 421-2-1, 421-7, 421-8, 422-3, 422-4, 422-6, 422-7 du code pénal », alors :

« 1°/ qu'il résulte des pièces du dossier et de l'arrêt lui-même que M. [U], palestinien résidant en Syrie dès son plus jeune âge, n'est arrivé en France avec un titre de réfugié qu'en octobre 2015, après avoir fui la Syrie et être passé par l'Égypte ; les faits qui lui sont imputés en 2014 et en 2015, à les supposer avérés, d'adhésion ou de participation à l'Etat islamique en Syrie, ont été commis hors de France avant son arrivée sur le territoire français sans aucun lien avec celui-ci, et les juridictions françaises sont dépourvues de toute compétence pour les juger ; les dispositions de l'article 113-13 du code pénal selon lesquelles la loi pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV commis à l'étranger par un français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, impliquent que la condition de « résidence sur le territoire français » soit préexistante ou concomitante aux faits reprochés et non postérieurs comme en l'espèce ; en retenant l'application de la loi française et donc la compétence des juridictions françaises pour juger la participation supposée de M. [U] à l'organisation Etat Islamique en Syrie, la chambre de l'instruction a violé ledit texte et excédé sa compétence ; la cassation interviendra sans renvoi ;

2°/ qu'il n'existe pas de connexité entre les faits prétendument commis en Syrie et les faits prétendument commis en France, postérieurement à l'arrivée de M. [U] dans ce pays, dès lors qu'il n'y a eu aucune action concertée ni aucun lien entre les faits anciens et les prétendus faits nouveaux qui auraient été commis par d'autres personnes, rencontrées en France par M. [U] après son arrivée sur le territoire national ; la seule circonstance que M. [U] aurait eu avant son arrivée en France et après cette arrivée un « même dessein » ou un « même mobile », à savoir une prétendue « adhésion aux thèses djihadistes » ne saurait sans aucun autre élément concret caractériser une prétendue connexité entre deux associations de malfaiteurs qui n'ont aucun lien entre elles, avec un lieu géographique totalement différent, des projets totalement différents, la participation de personnes totalement différentes, et en l'absence de tout fait matériel commun ; la chambre de l'instruction a encore violé les textes susvisés, outre l'article 203 du code de procédure pénale par fausse application. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. Pour retenir la compétence des juridictions françaises et ordonner la mise en accusation de M. [U] du chef de l'ensemble des faits qui auraient été commis du 1er janvier 2014 au 20 janvier 2020, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que l'intéressé indique résider habituellement en France depuis le 28 octobre 2015, énonce que les dispositions de l'article 113-13 du code pénal s'appliquent aux personnes de nationalité étrangère résidant habituellement en France et n'exigent pas que la fixation de cette résidence préexiste à la commission des faits.

8. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application du texte visé au moyen.

9. En effet, aux termes de l'article 113-13 du code pénal, la loi pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme et réprimés par le titre II du livre IV de ce code, commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français.

10. Ce texte ne distingue pas selon que la personne de nationalité étrangère a fixé sa résidence habituelle en France avant ou après la commission, à l'étranger, d'actes de terrorisme.

11. Le grief n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

12. Pour retenir la compétence des juridictions françaises et ordonner la mise en accusation de M. [U] du chef de l'ensemble des faits qui auraient été commis du 1er janvier 2014 au 20 janvier 2020, l'arrêt retient encore que la compétence des juridictions françaises s'étend aux faits d'association de malfaiteurs commis à l'étranger, dès lors qu'ils sont connexes à d'autres faits en relation avec une entreprise terroriste commis en France, les uns et les autres formant un tout indissociable.

13. Les juges relèvent qu'en l'espèce, les faits reprochés à M. [U] à l'occasion de son séjour en Syrie courant 2014 et ceux qui lui sont imputés depuis son installation à [Localité 1] participent d'un même dessein et d'un même mobile.

14. C'est à tort que la chambre de l'instruction s'est ainsi déterminée.

15. En effet, la loi pénale française est applicable à une infraction commise, à l'étranger, par une personne de nationalité étrangère à l'encontre d'une victime de nationalité étrangère, dans le cas où il existe un lien d'indivisibilité entre cette infraction et une autre commise sur le territoire de la République.

Les faits sont indivisibles lorsqu'ils sont rattachés entre eux par un lien tel que l'existence des uns ne se comprendrait pas sans l'existence des autres.

16. Or, l'arrêt ne caractérise pas une telle indivisibilité entre les faits qui auraient été commis en Syrie et ceux qui l'auraient été en France.

17. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, dès lors que ces motifs sont surabondants.

18. Le grief doit donc être écarté.

19. Par ailleurs, la procédure est régulière et les faits, objet de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Viriot-Barrial - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 113-13 du code pénal.

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