Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

AVOCAT

Crim., 5 mars 2024, n° 23-80.110, (B), FS

Rejet

Secret professionnel – Perquisition effectuée dans son cabinet – Saisie de documents – Documents sans rapport avec l'exercice des droits de la défense et le secret professionel – Possibilité – Documents caractérisant la participation de l'avocat à l'infraction – Nécessité (non)

Selon le deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.

Le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale.

Justifie sa décision le président de la chambre de l'instruction qui, pour écarter la contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat, exclut, par une motivation dépourvue d'insuffisance comme de contradiction, que les documents saisis relèvent de l'exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l'article 56-1 susvisé, et n'avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l'avocate aux faits objet de l'information.

Mme [V] [O] a formé un pourvoi contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 21 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre M. [S] [L]-[Z] des chefs d'association de malfaiteurs terroriste et de provocation directe à un acte de terrorisme commise au moyen d'un service de communication au public en ligne, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 23 mars 2022, une perquisition a été effectuée dans le cabinet de Mme [V] [O], avocate au barreau de Paris, au cours d'une information ouverte des chefs susvisés.

3. Lors de cette perquisition, l'intégralité des dossiers numériques et des données téléphoniques du cabinet a été saisie par les juges d'instruction.

4. Par ordonnance sur contestation de saisies en date du 15 décembre 2022, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement au dossier d'information de divers fichiers et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers.

5. Mme [O] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'appel mal fondé et a ordonné le versement à la procédure du contenu des scellés et le maintien de la saisie des scellés en rapport avec ces fichiers, alors :

« 1°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans relever qu'il aurait existé des raisons plausibles de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction a violé les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale ;

2°/ que lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; qu'en écartant la nullité des saisies, sans mieux s'expliquer, le cas échéant, sur les raisons plausibles qui existeraient de soupçonner l'avocate d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe, le président de la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et 56-1 du code de procédure pénale ;

3°/ qu'en énonçant d'une part, qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [L] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat et d'autre part, que les documents saisis mentionnaient la qualité d'avocate de l'exposante et le recours à la formule de politesse consacrée dans le cadre d'un rapport avocat-client « votre bien dévoué », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en énonçant qu'aucun élément ne permet de matérialiser l'existence d'une relation avocat-client entre l'exposante et M. [L] et qu'en conséquence les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, lors même qu'un mail du 5 octobre 2022 versé aux débats faisait état de la transmission d'un rapport « remis à la demande de l'un de mes clients, M. [S] [L] », le président de la chambre de l'instruction s'est contredit et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

8. Pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce notamment qu'il ressort de plusieurs éléments de la procédure pour association de malfaiteurs terroriste criminelle ouverte à l'encontre de M. [S] [L]-[Z], et notamment d'investigations techniques, que la ligne téléphonique de Mme [O] apparaissait dans différents groupes Whatsapp avec des membres des forces de l'ordre compromis dans I'association de malfaiteurs et qu'elle était en particulier membre d'un groupe où était évoqué le plan « Azur », destiné à mener des actions violentes contre les institutions.

9. Le président de la chambre de l'instruction précise que, le 19 mai 2021, Mme [O] a indiqué dans un courriel à un membre des forces de l'ordre impliqué dans l'organisation qu'il pouvait compter sur elle pour faire « partie des civils impliqués », mentionnant la nécessité d'agir vite contre la dictature, ce qui démontre une adhésion, au moment des faits, aux projets de M. [L]-[Z], visant à renverser le gouvernement.

10. Il conclut que ces éléments sont des indices de la participation de Mme [O] aux faits dont sont saisis les magistrats instructeurs et visés dans l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant la perquisition.

11. En se déterminant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

12. En effet, il se déduit de ces énonciations qu'il existait, au moment de la perquisition, des raisons plausibles de soupçonner Mme [O] d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui faisait l'objet de la procédure ou une infraction connexe.

13. Dès lors, ces griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

14. Selon le deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa version issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé.

15. Selon le Conseil constitutionnel, ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (Cons. Const., 19 janvier 2023, décision n° 2022-1030 QPC).

16. Par ailleurs, le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir la participation éventuelle de celui-ci à une infraction pénale (Crim., 14 janvier 2003, pourvoi n° 02-87.062, Bull. crim. 2003, n° 6).

17. En adoptant les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article 56-1 du code de procédure pénale, le législateur n'a pas entendu remettre en cause cette jurisprudence.

18. En l'espèce, pour confirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, l'ordonnance attaquée énonce qu'il importe de déterminer, scellés par scellés, si les pièces saisies en ce qu'il s'agirait de correspondances entre l'avocat et ses clients, utiles à la manifestation de la vérité, sont susceptibles d'établir la preuve de la participation de l'avocat à une infraction, objet de la saisine du juge d'instruction.

19. Pour écarter l'existence d'une relation avocat-client entre Mme [O] et M. [L]-[Z] et en conclure que les documents saisis n'étaient pas susceptibles de relever du secret professionnel de l'avocat, le président de la chambre de l'instruction énonce qu'aucune lettre de constitution n'est rapportée, aucune convention d'honoraires n'est alléguée, de même qu'aucun acte, événement ou objet en relation avec l'exercice professionnel d'un avocat s'agissant de la défense ou du conseil n'est rapporté ni même allégué.

20. Il ajoute qu'il ressort des déclarations mêmes de Mme [O] qu'elle a utilisé plusieurs adresses électroniques à diverses fins, sans qu'il soit possible d'attribuer à telle adresse électronique un usage purement professionnel dans le cadre d'une relation de défense ou de conseil.

21. Il précise que la qualité d'avocat ou le recours à des formules de politesse en usage dans la profession d'avocat retrouvées dans certains échanges ne sont pas de nature à caractériser le fait que ces derniers s'inscrivaient dans une relation qui serait couverte par le secret professionnel.

22. Il énonce qu'il ressort en outre des déclarations faites lors du débat contradictoire par Mme [O] l'existence d'une confusion dans l'usage de son outil informatique à des fins professionnelles et personnelles de sorte qu'il n'est aucunement justifié que les échanges avec M. [L]-[Z] relèvent de la relation avocat-client.

23. Il relève encore que l'analyse d'un rapport parlementaire sur un projet de loi en cours de discussion ne saurait caractériser une relation avocat-client, quand bien même M. [L]-[Z] écrirait « maître » et Mme [O] répondrait « votre bien dévouée » s'agissant d'un style de circonstance dénué de lien avec une consultation dans le cadre d'une relation avocat-client, que si Mme [O] allègue avoir contribué à la réflexion autour de la création d'un parti politique, il n'est pas démontré que cette contribution était rattachée à son exercice professionnel d'avocat.

24. Il conclut enfin qu'il n'est pas démontré, ni même allégué, que les documents saisis sur lesquels une contestation demeurait devant le juge des libertés et de la détention s'inscrivaient dans une relation avocat-client identifiée et qu'il ne résulte pas non plus des arborescences de fichiers des éléments permettant de considérer que les documents appartenant à ces arborescences relevaient d'une relation avocat-client.

25. En prononçant ainsi, le président de la chambre de l'instruction, qui a, par une motivation dépourvue d'insuffisance comme de contradiction, exclu que les documents saisis relèvent de l'exercice des droits de la défense et soient couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, au sens de l'article 56-1 précité, et qui n'avait donc pas à rechercher si ces pièces étaient susceptibles de caractériser la participation de l'avocate aux faits objet de l'information, a justifié sa décision.

26. Dès lors, le moyen ne saurait être accueilli.

27. Par ailleurs, l'ordonnance est régulière en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Hill - Avocat général : M. Aldebert - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 56-1 et 593 du code de procédure pénale ; article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

Cons. const., 19 janvier 2023, décision n° 2022-1030 QPC. Sur la saisie de documents ne concernant pas l'exercice des droits de la défense : Crim., 14 janvier 2003, pourvoi n° 02-87.062, Bull. crim. 2003, n° 6 (rejet) ; Crim., 25 novembre 2020, pourvoi n° 19-84.304, Bull. crim. (cassation) et l'arrêt cité.

Crim., 5 mars 2024, n° 23-80.229, (B), FS

Cassation

Secret professionnel – Perquisition effectuée dans son cabinet – Saisie de documents – Opposition du bâtonnier – Juge des libertés et de la détention – Audience – Droit de se taire – Notification – Défaut – Portée

Il résulte de l'article 56-1 du code de procédure pénale que la perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile justifiée par sa mise en cause suppose l'existence de raisons plausibles de sa participation à une infraction. En conséquence, lors de l'audience de contestation de saisie, d'une part, le droit de se taire doit lui être notifié, le défaut d'une telle notification ayant cependant pour seule conséquence que ses déclarations sur les faits demeurant à la procédure ne pourraient être utilisées contre lui pour prononcer son renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité. D'autre part, cet avocat ne peut être privé du droit d'être assisté d'un avocat.

Secret professionnel – Perquisition effectuée dans son cabinet – Saisie de documents – Opposition du bâtonnier – Juge des libertés et de la détention – Audience – Droit à l'assistance d'un avocat

Secret professionnel – Perquisition effectuée dans son cabinet – Saisie de documents – Opposition du bâtonnier – Juge des libertés et de la détention – Audience – Absence du juge d'instruction – Absence d'influence

Aucune nullité ne saurait résulter de l'absence du juge d'instruction régulièrement avisé de la date de l'audience devant le président de la chambre de l'instruction prononçant sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet ou au domicile d'un avocat.

Secret professionnel – Perquisition effectuée dans son cabinet – Saisie de données informatiques – Extraction de données d'un téléphone portable – Sélection selon des mots-clés – Validité

Est régulière la décision ordonnant le versement au dossier de la procédure des éléments extraits d'un téléphone saisi qui ont été sélectionnés selon des mots-clés en rapport direct avec les faits objet de la procédure.

M. [O] [Y] et le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy ont formé des pourvois contre l'ordonnance du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 19 décembre 2022, qui, dans l'information suivie contre personne non dénommée des chefs d'abus de confiance, escroquerie en bande organisée et blanchiment aggravé, a prononcé sur une contestation élevée en matière de saisie effectuée dans le cabinet d'un avocat.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. M. [O] [Y], avocat au barreau de la Guadeloupe, a été mis en cause dans des faits objet d'une enquête préliminaire, puis d'une information ouverte des chefs susvisés.

3. Sur saisine du juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention a autorisé des perquisitions, notamment au cabinet de M. [Y].

4. Cette perquisition a donné lieu à la saisie du contenu du téléphone portable de cet avocat, transféré sur une clé USB.

5. Le délégué du bâtonnier de l'ordre des avocats s'étant opposé à cette saisie au motif de son caractère global, le juge des libertés et de la détention a, avant dire droit sur la contestation, désigné un expert informatique avec mission d'extraire les éléments correspondant à une liste de trois cent trente mots-clés.

6. Après dépôt du rapport d'expertise, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement à la procédure des éléments ainsi sélectionnés.

7. M. [Y] et le bâtonnier ont formé un recours contre cette décision.

Examen de la recevabilité du pourvoi formé par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

8. Le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy n'a pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par son avocat, un mémoire exposant ses moyens de cassation.

9. Il y a lieu, en conséquence, de le déclarer déchu de son pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches

10. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'alinéa 1 de l'article 56-1 du code de procédure pénale que lorsque la perquisition dans le cabinet ou le domicile d'un avocat est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe ; et de son alinéa 8, qu'en cas de recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant statué sur l'opposition du Bâtonnier à la saisie d'un document ou d'un objet, l'avocat perquisitionné est obligatoirement entendu ; en s'abstenant dès lors de notifier à Me [Y] son droit de se taire, le président de la chambre de l'instruction a violé l'article préliminaire du code de procédure pénale et les droits de la défense. »

Réponse de la Cour

12. Pour dire qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner M. [Y] d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, les infractions objet de la procédure, l'ordonnance attaquée énonce que des indices graves ou concordants résultent des investigations, la mise en cause initiale de l'intéressé ayant été confirmée par les plaintes et auditions des personnes concernées ainsi que par l'étude de leurs dossiers et par les constatations faites par le Fonds de garantie et un médecin expert.

13. C'est à tort que le président de la chambre de l'instruction, qui a vérifié, ainsi qu'il en était requis par le mémoire régulièrement déposé devant lui, l'existence de raisons plausibles de soupçonner la participation de l'avocat aux infractions objet de la procédure, n'a pas notifié à celui-ci, au début de l'audience, son droit de se taire.

14. L'ordonnance n'encourt cependant pas la censure, dès lors que l'office du président de la chambre de l'instruction statuant sur le fondement de l'article 56-1 du code de procédure pénale n'est pas de statuer sur le bien-fondé d'une accusation en matière pénale et que, en cas de déclarations sur les faits effectuées devant lui et demeurant à la procédure, le défaut de notification du droit de se taire à l'avocat concerné aurait pour seule conséquence que ses déclarations ne pourraient être utilisées à son encontre par les juridictions amenées à prononcer un renvoi devant une juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité.

15. Le grief est, dès lors, inopérant.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors « que le magistrat qui a procédé à la perquisition n'a pas été entendu par le président de la chambre de l'instruction, en violation de l'article 56-1 alinéas 8 et 5 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

17. Aucune nullité ne saurait résulter de l'absence du juge d'instruction régulièrement avisé de la date de l'audience devant le président de la chambre de l'instruction.

18. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

19. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 2°/ que dans son mémoire, Me [Y] a dénoncé une saisie globale, revenant à appréhender l'intégralité de ses communications et portant atteinte au secret professionnel, en raison de l'utilisation de mots clés génériques tels que dommages, corporel, préjudice, bénéfice, gain, dommages et intérêts, évaluation, réparation, expertise, victime, virement, note d'honoraires, etc. ; en se bornant à énoncer que les mots clés, tels que retenus par le juge des libertés et de la détention, « permettent de déterminer les éléments utilisés par l'intéressé dans un but professionnel et en lien direct avec les infractions pour lesquelles il est mis en cause », cependant qu'il lui incombait, en prenant personnellement connaissance des pièces dont la saisie était contestée, de rechercher si les données extraites et documents numérisés extraits à partir de ces mots clés, versés en procédure, étaient en lien direct avec les infractions pour lesquelles Me [Y] est mis en cause, le président de la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard de l'article 56-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

20. Pour confirmer la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant le versement à la procédure des éléments définis par mots-clés, l'ordonnance attaquée énonce que la saisie a été opérée de manière sélective, et non pas intégrale, avec le concours d'un expert informatique, et que ces modalités ont permis de concilier la recherche de la vérité et la préservation du secret professionnel.

21. Le juge ajoute que les mots-clés, retenus de manière stricte, ont permis de déterminer les données utilisées par l'avocat dans un but professionnel et en lien direct avec les infractions pour lesquelles il est mis en cause.

22. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction n'a pas méconnu le texte visé au moyen.

23. En effet, d'une part, il s'est assuré que les mots-clés utilisés lors de l'expertise informatique étaient en rapport direct avec les faits objet de la procédure.

24. D'autre part, il appartenait au demandeur, s'il estimait que la sélection ainsi opérée avait inclus des éléments sans lien direct avec les infractions, de désigner ceux-ci afin de permettre leur contrôle, ce qu'il n'a pas fait.

25. Le grief doit, dès lors, être rejeté.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'ordonnance attaquée en ce qu'elle a rejeté le recours, alors :

« 2°/ que l'avocat mis en cause, dont le cabinet ou le domicile a été perquisitionné, peut, en vertu de l'article 56-1 alinéa 8 du code de procédure pénale former un recours contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention devant le président de la chambre de l'instruction, ce qui implique le droit à l'assistance d'un avocat ; en invitant l'avocat assistant Me [Y] à quitter la salle d'audience aux motifs inopérants que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoit pas qu'un avocat, quand bien même il solliciterait d'assurer la défense de son confrère au domicile ou au cabinet duquel la perquisition a été effectuée, puisse participer ou assister aux débats tenus en chambre du conseil ou en audience de cabinet et que la présence du Bâtonnier ou de son délégué permet de veiller à la régularité de la procédure, le président de la chambre de l'instruction a violé les droits de la défense, le droit à l'assistance d'un avocat ; les articles préliminaires du code de procédure pénale, 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 6, § 1, et § 3, c), de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 3, c), de la Convention européenne des droits de l'homme et préliminaire du code de procédure pénale :

27. Il se déduit de ces textes que toute personne suspectée ou poursuivie, qui ne souhaite pas se défendre elle-même, a droit à l'assistance d'un défenseur de son choix.

28. Pour justifier la décision d'inviter l'avocat de M. [Y] à quitter la salle d'audience, l'ordonnance attaquée énonce que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoit pas qu'un avocat puisse assister et participer aux débats tenus en chambre du conseil ou en audience de cabinet, et que la présence du bâtonnier ou de son délégué permet de veiller à la régularité de la procédure.

29. En statuant ainsi, le président de la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

30. En effet, d'une part, le fait que l'article 56-1 du code de procédure pénale ne prévoie pas le droit, pour l'avocat mis en cause, concerné par la saisie, d'être assisté d'un avocat lors de l'audience devant le juge des libertés et de la détention ou, sur recours, devant le président de la chambre de l'instruction, ne saurait pour autant exclure ce droit.

31. D'autre part, le bâtonnier est chargé d'une mission générale de protection des droits de la défense qui ne se confond pas avec la défense des intérêts de l'avocat mis en cause, concerné par la saisie.

31. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par le bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur le pourvoi formé par M. [Y] :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, en date du 19 décembre 2022, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la juridiction du président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Fort-de-France et sa mention en marge ou à la suite de l'ordonnance annulée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Tarabeux - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles préliminaire et 56-1 du code de procédure pénale ; article 56-1 du code de procédure pénale.

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