Numéro 3 - Mars 2024

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

ASSURANCE

Crim., 26 mars 2024, n° 23-80.795, (B), FS

Cassation partielle

Assureur appelé en garantie – Juridictions pénales – Intervention ou mise en cause – Recevabilité – Poursuites pour homicide ou blessures involontaires

L'assureur appelé à garantir le dommage n'est admis à intervenir et ne peut être mis en cause devant la juridiction répressive, afin que la décision concernant les intérêts civils lui soit déclarée opposable, que lorsque des poursuites pénales sont exercées pour des faits d'homicide involontaire ou de blessures involontaires, qu'elle soit entrée en voie de condamnation de ces chefs ou qu'elle ait constaté sur appel des seules parties civiles une faute civile du prévenu définitivement relaxé, démontrée à partir et dans la limite des faits objet de cette poursuite.

Les sociétés [1] et [2], parties intervenantes, Mme [P] [J], Mme [D] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants [L] et [T] [J], M. [V] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants [M], [X] et [A] [J], M. [G] [J] et Mme [F] [S], parties civiles, M. [O] [Y] et la société [3] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 19 octobre 2022, qui, dans la procédure suivie contre l'avant-dernier des chefs d'infraction à la réglementation sur l'hygiène et la sécurité des travailleurs et blessures involontaires et contre la dernière du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [G] [J], artisan qui intervenait en qualité de sous-traitant sur un chantier dont le maître d'ouvrage était la société [3] (la société), gérée par M. [O] [Y], a été blessé à l'occasion d'une chute.

3. Son incapacité totale de travail a été évaluée à plus de six mois.

4. Le procureur de la République a poursuivi M. [Y] pour avoir, étant maître d'ouvrage d'une opération de bâtiment ou de génie civil appelant à faire intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, omis d'assurer au coordonnateur en matière de sécurité et de santé l'autorité et les moyens indispensables à l'exercice de sa mission.

5. M. [G] [J] et des membres de sa famille, parties civiles, ont fait citer M. [Y] et la société du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de trois mois.

6. Ordonnant la jonction des procédures, le tribunal correctionnel a condamné M. [Y] pour entrave d'un maître d'ouvrage à la mission d'un coordonnateur en matière de sécurité et l'a relaxé, ainsi que la société, pour le surplus. Il a rejeté les demandes des parties civiles présentées sur le fondement de l'article 470-1 du code de procédure pénale.

7. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.

Déchéance du pourvoi formé par M. [Y] et la société

8. M. [Y] et la société n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par un avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leur pourvoi par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour les sociétés [1] et [2]

9. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen proposé pour les parties civiles

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté les parties de toutes leurs autres demandes, alors :

« 1°/ que la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de tout dommage résultant d'une faute démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite ; qu'en l'espèce, les consorts [J], parties civiles, ont fait citer M. [Y] et la société [3] devant le tribunal correctionnel en demandant réparation des faits de blessures involontaires qui leur étaient imputables ; qu'en déboutant ces parties civiles, seules appelantes du jugement de relaxe sur ce point, au motif inopérant que l'article 470-1, du code de procédure pénale était inapplicable, sans rechercher si les fautes invoquées contre M. [Y] et la sarl [3] à partir et dans les limites des faits de blessures involontaires objet de la poursuite n'étaient pas à l'origine de l'atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique dont M. [J] et ses proches ont été victimes, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 222-19 du code pénal, 1240 et 1241 du code civil, 2, 497 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en l'espèce, les consorts [J] demandaient formellement une indemnisation à raison des conséquences dommageables de fautes civiles dont se sont rendus coupables M. [Y] et la société [3] qu'ils démontraient à partir et dans les limites des faits de blessures involontaires objet de la poursuite ; qu'en se contentant d'écarter toute demande sur le fondement de l'article 470-1 du code de procédure pénale qui n'était plus invoqué, sans examiner ni répondre à ce moyen principal et péremptoire des écritures d'appel dont elle était expressément saisie (Conclusions des consorts [J] p. 13 et s.), la cour d'appel a privé sa décision de motifs en violation des articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

11. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. Pour les débouter de leurs demandes d'indemnisation fondées sur la faute civile correspondant à l'infraction de blessures involontaires, l'arrêt attaqué énonce que les parties civiles ont cité directement devant le tribunal correctionnel M. [Y] et la société pour répondre de ce chef et qu'ils en ont été relaxés.

13. Les juges ajoutent que les demandes d'indemnisation fondées sur les dispositions de l'article 470-1 du code de procédure pénale devaient donc être déclarées irrecevables par le tribunal correctionnel.

14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui était saisie de conclusions des parties civiles soutenant que M. [Y] et la société avaient commis des fautes démontrées à partir et dans la limite des faits de blessures involontaires objet de la poursuite, n'a pas justifié sa décision.

15. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le second moyen proposé pour les sociétés [1] et [2]

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré l'arrêt commun et opposable aux sociétés [1] et [2], alors « que les assureurs appelés à garantir le dommage ne sont admis à intervenir et ne peuvent être appelés en cause devant la juridiction répressive qu'à l'occasion de poursuites exercées du chef d'homicide ou blessures involontaires ; qu'en déclarant sa décision opposable aux sociétés [2] et [1] après avoir pourtant constaté que l'action civile faisant suite à la citation directe des parties civiles pour blessures involontaires était irrecevable à la suite de la relaxe du prévenu, ce qui avait mis fin à cette instance, et qu'elle ne restait donc saisie que de l'action civile associée à la citation des prévenus pour un délit d'entrave à l'action du coordinateur de sécurité, la cour d'appel, à qui il appartenait de déclarer d'office irrecevable l'intervention de l'assureur, en l'absence de poursuite pour homicide ou blessures involontaires, et ne pouvait lui déclarer commun et opposable sa décision, a violé les articles 388-1 et 388-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 388-1 et 388-3 du code de procédure pénale :

17. Il résulte de ces textes que l'assureur appelé à garantir le dommage n'est admis à intervenir et ne peut être mis en cause devant la juridiction répressive, afin que la décision concernant les intérêts civils lui soit déclarée opposable, que lorsque des poursuites pénales sont exercées pour des faits d'homicide involontaire ou de blessures involontaires, que la juridiction répressive soit entrée en voie de condamnation de ces chefs ou qu'elle ait constaté sur appel des seules parties civiles une faute civile du prévenu définitivement relaxé, démontrée à partir et dans la limite des faits objet de cette poursuite.

18. Pour déclarer opposable aux sociétés [1] et [2], appelées en garantie, la décision en ce qu'elle a déclaré M. [Y] et la société solidairement responsables des dommages causés par l'accident subi par M. [G] [J] en raison de la faute civile correspondant au délit d'entrave à coordonnateur, l'arrêt attaqué énonce que, par cette faute privant la victime de l'intervention d'un coordonnateur de sécurité sur le chantier, le maître de l'ouvrage a engagé sa responsabilité à l'égard de son sous-traitant, M. [G] [J].

19. Les juges ajoutent que la société et son gérant, M. [Y], auteur direct de la faute correspondant à ce délit et ayant agi pour le compte de la personne morale, doivent être déclarés entièrement et solidairement responsables des préjudices nés de l'accident survenu.

20. Ils rappellent que la société et son gérant ont appelé les sociétés [1] et [2] en garantie.

21. En statuant ainsi, alors qu'elle n'a fait droit aux conclusions des parties civiles qu'à raison de l'infraction d'entrave à coordonnateur, qui n'entre pas dans les prévisions de l'article 388-1 du code de procédure pénale, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé.

22. La cassation est par conséquent également encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

23. La cassation à intervenir ne concernera que les dispositions relatives aux demandes des parties civiles présentées sur le fondement de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de l'infraction de blessures involontaires et celles relatives à la déclaration d'opposabilité de l'arrêt aux sociétés [1] et [2].

Les autres dispositions seront donc maintenues.

24. Il appartiendra à la cour d'appel de renvoi de statuer sur le caractère opposable de sa décision aux sociétés [1] et [2] lorsqu'elle se prononcera sur la faute civile de M. [Y] et de la société [3] correspondant à l'infraction de blessures involontaires démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur le pourvoi formé par M. [Y] et la société [3] :

CONSTATE la déchéance du pourvoi ;

Sur les pourvois formés par les sociétés [1] et [2] et par Mme [P] [J], Mme [D] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants [L] et [T] [J], M. [V] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants [M], [X] et [A] [J], M. [G] [J] et Mme [F] [S] :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 19 octobre 2022, mais en ses seules dispositions ayant débouté Mme [P] [J], Mme [D] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants [L] et [T] [J], M. [V] [J], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de ses enfants [M], [X] et [A] [J], M. [G] [J] et Mme [S] de leurs demandes relatives à la faute civile commise par M. [Y] et la société [3] démontrée à partir et dans la limite des faits de blessures involontaires, et ayant déclaré l'arrêt opposable aux sociétés [1] et [2], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : M. Petitprez - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 388-1 et 388-3 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Crim., 11 juillet 2017, pourvoi n° 16-82.904, Bull. crim. 2017, n° 193 (rejet) et les arrêts cités.

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