Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

RESTITUTION

Crim., 8 mars 2023, n° 22-81.100, (B), FRH

Rejet

Juridiction non saisie au terme de l'enquête ou juridiction saisie ayant épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution – Requête en restitution – Cas – Créances figurant sur les contrats d'assurance sur la vie – Délai pour saisir le procureur de la République – Détermination

Les dispositions des premier et troisième alinéas de l'article 41-4 du code de procédure pénale, dont il résulte que, si la restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets placés sous main de justice qui n'ont pas été restitués deviennent propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers, s'appliquent aux créances figurant sur les contrats d'assurance sur la vie saisies en application des articles 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale.

Leur dévolution à l'Etat entraîne la résolution du contrat d'assurance sur la vie et le transfert des fonds à l'Etat, en application de l'article L. 160-9 du code des assurances, L. 223-29 du code de la mutualité ou L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale dont les dispositions s'étendent à la non-restitution définitive de tels biens.

Justifie sa décision l'arrêt de la chambre de l'instruction qui, pour rejeter la requête en restitution d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, relève que la juridiction saisie ayant, par jugement du 13 mai 2019, épuisé sa compétence, sans avoir statué sur la restitution de la créance, le requérant disposait d'un délai ayant expiré le 13 novembre 2019 pour saisir le procureur de la République d'une requête en restitution, et qu'à défaut le ministère public était fondé à statuer d'office pour dire n'y avoir lieu à restituer la créance devenue propriété de l'Etat.

M. [S] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 11 janvier 2022, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de fraude fiscale, blanchiment aggravé et abus de biens sociaux, a confirmé la décision de non-restitution de bien saisi prise par le procureur de la République.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Par jugement contradictoire du 13 mai 2019, le tribunal correctionnel a déclaré M. [S] [W] coupable de fraude fiscale et abus de biens sociaux.

3. En répression, le tribunal a notamment ordonné la confiscation de diverses sommes d'argent qui avaient été préalablement saisies pour un total de 664 237,48 euros.

4. Le tribunal s'est en revanche abstenu de statuer sur le devenir d'une créance d'un montant de 83 610,65 euros figurant sur un contrat d'assurance sur la vie [2], qui avait été saisie au cours de l'enquête préliminaire.

5. Le 5 juillet 2021, le procureur de la République financier a rendu une décision de non-restitution de cette créance.

6. Par acte du 29 juillet 2021, M. [W] a contesté cette décision devant la chambre de l'instruction.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, les premier et troisième moyens en ce qu'ils portent sur l'irrecevabilité d'une note en délibéré, et le quatrième moyen, pris en sa seconde branche

7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, en ce qu'il porte sur l'irrecevabilité du mémoire

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, en la forme, déclaré irrecevables le mémoire et la note en délibéré produits en son nom devant la chambre de l'instruction, alors :

« 1°/ que la chambre de l'instruction statuant sur la restitution d'objets saisis au détriment d'une personne poursuivie puis condamnée pénalement, doit soumettre à la discussion contradictoire des parties tout moyen qu'elle relève d'office, en particulier toute fin de non-recevoir, quel qu'en soit le fondement ; que la chambre de l'instruction a relevé d'office (arrêt attaqué, p. 3, in fine) un moyen pris de la prétendue tardiveté du mémoire produit par monsieur [W], demandeur en restitution du solde d'un contrat d'assurance-vie placé sous main de justice ; qu'aucune mention de l'arrêt attaqué n'atteste que ce dernier ait été invité à présenter des observations sur ce moyen relevé d'office et qu'il ne peut non plus être déduit des termes de sa note en délibéré qu'il aurait eu connaissance de ce moyen avant le prononcé de l'arrêt, cette note ayant exclusivement trait à une fin de non-recevoir distincte, également relevée d'office par la juridiction, mais mentionnée par elle lors de l'audience, prise de ce que le mémoire produit au nom de l'intéressé n'avait pas été signé de son avocat ; qu'en statuant comme elle a fait, la chambre de l'instruction a violé l'article préliminaire du code de procédure pénale, ensemble l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que la procédure devant la chambre de l'instruction est écrite ; qu'il suit de là que c'est par écrit, et à tout le moins par la voie d'une note en délibéré, que les parties doivent être mises en mesure de présenter des observations sur tout moyen de droit ou de fait que la chambre de l'instruction relève d'office ; qu'en l'espèce, la chambre de l'instruction a aussi relevé d'office (arrêt attaqué, p. 4, § 1) le moyen pris de ce que l'absence de signature, par l'avocat de monsieur [W], du mémoire produit au nom de ce dernier, rendrait irrecevables ledit mémoire et la note en délibéré ultérieure de l'intéressé ; qu'en se cantonnant à ce que les parties, oralement et sans réflexion préalable, auraient pu dire lors de l'audience sur ce moyen et dont l'arrêt ne fait du reste pas mention, et en n'invitant pas les parties à présenter des observations écrites sur ce moyen, à tout le moins en ne déclarant pas recevable la note en délibéré que le conseil de monsieur [W] avait précisément pris l'initiative d'envoyer pour répondre à ce moyen découvert lors de l'audience, la chambre de l'instruction a derechef violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour

9. Le moyen est infondé, dès lors que les juges se trouvaient tenus de rechercher d'office, sans avoir à provoquer de nouvelles explications du demandeur, si le mémoire produit en application de l'article 198 du code de procédure pénale avait été déposé régulièrement au regard des formes prévues par ce texte.

Sur le troisième moyen, en ce qu'il porte sur l'irrecevabilité du mémoire

Enoncé du moyen

10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, en la forme, déclaré irrecevables le mémoire et la note en délibéré produits en son nom devant la chambre de l'instruction, alors « que la communication électronique, y compris pour le dépôt de mémoires devant la chambre de l'instruction, est possible devant toutes les juridictions, par l'effet des articles D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale, modifiés en vue de permettre la signature d'une convention nationale, intervenue le 5 février 2021, selon des modalités qui garantissent la sécurité des échanges et l'authenticité des actes et pièces échangés entre avocats et juridictions ; qu'il suit de là qu'il n'est pas possible de considérer qu'un doute existe sur l'authenticité d'un mémoire non signé manuscritement, dès lors qu'il est transmis à la chambre de l'instruction selon les modalités susmentionnées ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire l'irrecevabilité du mémoire produit par le conseil de monsieur [W], dont il n'était pas contesté qu'il avait été adressé conformément aux modalités prévues par la convention nationale susvisée du 5 février 2021, qu'« en application de l'article 198 du code de procédure pénale, le mémoire de l'avocat de [...] [S] [W] n'a[vait] pas été signé. [...] En effet, le décret n° 2021-1130 du 30 août 2021 modifiant les articles D591 et D592 du code de procédure pénale ne remet[tait] pas en cause l'obligation légale pour l'avocat, qui transmet[tait] son mémoire par le RPVA, de le signer afin de l'authentifier » (arrêt, p. 4, § 1), la chambre de l'instruction a violé les articles 198, D. 591 et D. 592 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

11. Le moyen est inopérant comme portant sur des motifs erronés mais surabondants de l'arrêt attaqué.

Sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, au fond, rejeté sa requête et confirmé la décision du procureur de la République financier du 5 juillet 2021 rendue à son égard, disant n'y avoir lieu de lui restituer la créance figurant au contrat d'assurance-vie n° C090001959 souscrit le 26 octobre 2011 auprès de la société [1] et présentant au moment de la saisie le solde de 83 610,65 euros, alors :

« 1°/ que les formes et modalités de la saisie pénale d'une créance figurant sur un contrat d'assurance-vie sont exclusivement celles prévues à l'article 706-155 du code de procédure pénale, lesquelles n'emportent pas appréhension effective par le service public de la justice du contrat, de la créance figurant sur ce contrat ni de tout autre élément patrimonial dont l'Etat pourrait devenir propriétaire en cas d'absence de demande en restitution formée, passé un certain temps, par la personne visée par la saisie, mais entraînent seulement, aux termes même du texte, « la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l'attente du jugement définitif au fond », l'interdiction de « toute acceptation postérieure du bénéfice du contrat dans l'attente de ce jugement » et l'impossibilité pour « l'assureur [de] consentir d[es] avances au contractant » ; qu'il suit de là que, lorsque la juridiction répressive de jugement, connaissant de la poursuite ayant motivé la saisie, n'a pas statué sur le sort de la créance inscrite au crédit du contrat d'assurance-vie saisi ni donc ordonné sa confiscation, le titulaire du contrat, visé par la saisie, retrouve de plein droit, du seul fait du prononcé du jugement définitif au fond, toutes ses prérogatives quant à la gestion et à la disposition du contrat, avec lesquelles l'Etat n'est plus en droit d'interférer, et retrouve en particulier la titularité de la créance inscrite au contrat en cause ; que la chambre de l'instruction, qui a constaté que le jugement définitif au fond n'avait pas statué sur le devenir du contrat d'assurance-vie saisi, souscrit par monsieur [W] auprès de la compagnie [1] (arrêt attaqué, p. 4, antépénultième alinéa), aurait donc dû en déduire que ce dernier avait recouvré de plein droit l'ensemble de ses prérogatives sur ce contrat ; qu'en retenant néanmoins que le procureur de la République était fondé à dire n'y avoir lieu à restituer la créance figurant au contrat concerné (arrêt attaqué, p. 4, in fine), la chambre de l'instruction a violé l'article 706-155 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Pour rejeter la requête, l'arrêt relève que la juridiction saisie ayant, par jugement du 13 mai 2019, épuisé sa compétence, sans avoir statué sur la restitution de certaines des sommes saisies, M. [W] disposait d'un délai expirant au 13 novembre 2019 pour saisir le procureur de la République financier d'une requête en restitution.

14. Les juges ajoutent qu'à défaut le ministère public était fondé à statuer d'office pour dire n'y avoir lieu à restituer les sommes saisies.

15. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

16. En effet, il résulte des dispositions des premier et troisième alinéas de l'article 41-4 du code de procédure pénale que si la restitution n'a pas été demandée ou décidée dans un délai de six mois à compter de la décision par laquelle la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence, les objets placés sous main de justice qui n'ont pas été restitués deviennent propriété de l'Etat, sous réserve des droits des tiers.

17. Ces dispositions ne distinguant pas selon la nature des biens placés sous main de justice, elles s'appliquent notamment aux créances figurant sur les contrats d'assurance sur la vie saisies en application des articles 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale.

18. La circonstance qu'en application du second de ces textes, la saisie de tels biens n'entraîne pas, pour l'assureur ou l'organisme auprès duquel le contrat d'assurance sur la vie a été souscrit, l'obligation de consigner la somme objet de ces créances auprès de l'AGRASC, est par ailleurs sans emport sur leur indisponibilité prévue par l'article 706-145 du code de procédure pénale.

19. Il s'en déduit qu'à l'expiration du délai de six mois précité, les créances figurant sur les contrats d'assurance sur la vie saisies sont dévolues à l'Etat lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur leur restitution.

20. Cette dévolution entraîne de surcroît la résolution du contrat d'assurance sur la vie et le transfert des fonds objet de la créance à l'Etat en application de l'article L. 160-9 du code des assurances, L. 223-29 du code de la mutualité ou L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale, disposant que la décision définitive de confiscation d'une somme ou d'une créance figurant sur un contrat d'assurance sur la vie, prononcée par une juridiction pénale, entraîne de plein droit la résolution judiciaire du contrat et le transfert des fonds confisqués à l'État.

21. En effet, les textes précités sont issus de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 qui a été adoptée afin d'éviter que l'Etat ne soit tenu d'attendre le dénouement du contrat d'assurance sur la vie pour ramener à exécution la peine de confiscation de la créance figurant sur cette convention (Rapport nos 1130 et 1131 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de l'Assemblée nationale, XIVe législature, p. 81).

22. À la suite de l'entrée en vigueur de ce texte, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 a modifié l'article 41-4 du code de procédure pénale pour permettre au procureur de la République, notamment lorsque la dernière juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution des biens placés sous main de justice, de refuser la restitution des biens qui sont l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction, en plus de ceux dont la restitution est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens, et ceux dont la destruction est prévue par une disposition particulière. Cette loi a également modifié en ce sens l'article 481 du code de procédure pénale applicable devant le tribunal correctionnel.

23. La loi du 3 juin 2016 constitue la transposition des dispositions de l'article 4 de la directive 2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 imposant aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires pour permettre, dans certains cas, la confiscation de l'instrument et du produit de l'infraction sans condamnation préalable de son auteur.

24. Si la non-restitution définitive des biens placés sous main de justice ne constitue pas une peine, dès lors que le seul objet de cette mesure est de prévenir le renouvellement d'infractions et de lutter contre toute forme d'enrichissement illicite, dans l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public (Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951 QPC), la non-restitution doit dorénavant être vue comme une alternative à la confiscation dont elle partage les effets comme emportant, au même titre que cette peine, la dévolution du bien non-restitué à l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale.

25. En conséquence, les effets de la dévolution à l'Etat des créances figurant sur les contrats d'assurance sur la vie prévus par les articles L. 160-9 du code des assurances, L. 223-29 du code de la mutualité et L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale doivent s'étendre à celles qui sont devenues la propriété de l'Etat en application du troisième alinéa de l'article 41-4 du code de procédure pénale.

26. Dès lors le moyen doit être écarté.

27. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Ascensi - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles 41-4, 706-153 et 706-155, alinéa 2, du code de procédure pénale ; article L. 160-9 du code des assurances ; article L. 223-29 du code de la mutualité ; article L. 932-23-2 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Cons. const., 3 décembre 2021, décision n° 2021-951 QPC.

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