Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

ENLEVEMENT ET SEQUESTRATION

Crim., 29 mars 2023, n° 22-83.214, (B), FRH

Rejet

Circonstances aggravantes – Séquestration suivie de mort – Suicide de la victime postérieur à la séquestration – Appréciation souveraine

C'est par des motifs relevant de son appréciation souveraine que la cour d'assises a retenu l'existence du crime de séquestration, assorti de la circonstance aggravante selon laquelle les faits ont été suivis de la mort de la victime, prévue par l'article 224-2, alinéa 2, du code pénal, en énonçant que la victime s'est suicidée, après la fin de sa séquestration.

M. [L] [E] [T] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'assises des Pyrénées-Orientales, en date du 22 avril 2022, qui, pour détention et séquestration arbitraires suivies de mort, violences aggravées et infractions à la législation sur les armes en récidive, l'a condamné à vingt-cinq ans de réclusion criminelle, ainsi que contre l'arrêt du même jour par lequel la cour a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Par ordonnance, en date du 28 avril 2020, M. [L] [E] [T] a été renvoyé devant la cour d'assises de l'Aude sous l'accusation de détentions, séquestrations arbitraires de [B] [Z], avec cette circonstance que ces faits ont été suivis de la mort de la victime et de Mme [U] [N], sans libération volontaire avant le septième jour, de violences avec arme, d'infractions à la législation sur les armes en récidive, et de menaces de mort.

3. Par arrêt du 18 mars 2021, cette juridiction a acquitté l'accusé des faits de menaces de mort, séquestration et détention de Mme [N], l'a déclaré coupable des autres infractions, l'a condamné à trente ans de réclusion criminelle et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Le 19 mars 2021, l'accusé a relevé appel des arrêts pénal et civil.

Examen des moyens

Sur les trois premiers moyens, le quatrième moyen, pris en sa troisième branche et le cinquième moyen

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le quatrième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné l'accusé des chefs de détention, séquestration arbitraires suivies de la mort de la victime, de violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours avec armes et réunion, et détention, port, transport, sans motif légitime d'une arme de catégorie C en récidive légale, les 13 et 14 octobre 2018, de violences volontaires ayant entraîné une ITT n'excédant pas 8 jours avec arme et par personne agissant sous l'emprise de produits stupéfiants le 15 octobre 2018 à la peine de vingt-cinq ans de réclusion criminelle, alors :

« 1°/ que d'une part, le principe de légalité interdit de procéder par analogie ; qu'en condamnant l'accusé du chef de séquestration suivie de mort quand le décès de la victime, survenu par suicide quinze jours après les faits, ne découlait pas de manière directe et certaine des faits de détention ou de séquestration, la cour d'assises qui s'est contentée d'indiquer qu'elle avait « a acquis la conviction que la mort de Mlle [Z] est bien la conséquence » de ces faits, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4, 121-3, 224-1, 224-2, 224-9, 224-10, 224-11 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que d'autre part, nul n'est responsable de son propre fait ; qu'a privé sa décision de base légale au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4, 121-2, 121-3, 224-1, 224-2, 224-9, 224-10, 224-11 du code pénal, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, la cour d'assises qui a condamné l'accusé du chef de séquestration suivie de mort quand le décès de la victime résultait du suicide de cette dernière, et, partant, d'un acte volontaire de sa part ;

4°/ qu'enfin et en tout état de cause, la motivation de la condamnation doit permettre à l'accusé de comprendre les raisons de sa condamnation ; que la cour d'assises n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 111-4, 121-2, 121-3, 224-1, 224-2, 224-9, 224-10, 224-11 du code pénal, préliminaire, 365-1, 591 et 593 du code de procédure pénale, en retenant la culpabilité de M. [E] [T] en se fondant sur la conviction acquise par la cour de ce que la mort de la victime était bien la conséquence des actes de l'accusé, en dépit du suicide de la victime survenu plus de quinze jours après les faits de détention ou de séquestration. »

Réponse de la Cour

7. Pour déclarer le demandeur coupable de séquestration ayant entraîné la mort de la victime, la feuille de motivation énonce que l'accusé a séquestré, pendant plus de quinze heures, [B] [Z], le 13 et le 14 octobre 2018.

La cour d'assises indique les violences multiples causées à la victime, exposée à de nombreux coups et à la menace d'armes. Elle ajoute que la victime a été conduite dans plusieurs lieux, sans son consentement, pour la soustraire aux regards, sous une surveillance constante, qu'elle a sauté par une fenêtre pour tenter de s'évader, mais qu'elle a été rattrapée, ses appels au secours ayant été vains.

8. La cour d'assises relève que la victime s'est suicidée par pendaison, le [Date décès 1] 2018, son suicide étant la conséquence de sa séquestration arbitraire. Elle souligne que la tentative d'évasion de la victime lui a causé de nombreuses lésions corporelles qui sont à l'origine d'une dégradation de son image, ce qui, rapproché de ses pleurs et de ses cauchemars, attestés par sa mère et sa soeur, a contribué à sa décision de se suicider.

9. En l'état de ces motifs, relevant de son appréciation souveraine, la cour d'assises, qui a caractérisé que le suicide de la victime était la conséquence de la séquestration commise par l'accusé, a justifié sa décision de retenir, à la charge de celui-ci, que la séquestration avait été suivie de la mort de la victime, au sens de l'article 224-2, alinéa 2, du code pénal.

10. Le moyen doit donc être écarté.

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné l'accusé à payer diverses sommes aux parties civiles, alors « que la cassation de l'arrêt pénal entraînera, par voie de conséquence, celle de l'arrêt civil qui se trouvera alors dépourvu de toute base légale au regard des articles 1240 du code civil, 2, 3, 371 à 375, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

12. Le moyen, qui prétend que la cassation de l'arrêt pénal doit conduire, par voie de conséquence, à celle de l'arrêt civil, est sans objet, les moyens dirigés contre l'arrêt pénal étant écartés.

13. Par ailleurs, la procédure est régulière et la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par la cour et le jury.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Brugère - Avocat général : Mme Mathieu - Avocat(s) : SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 224-2, alinéa 2, du code pénal.

Crim., 15 mars 2023, n° 22-87.278, (B), FRH

Rejet

Séquestration illégale – Eléments constitutifs – Elément moral – Cas – Auteur ignorant la présence d'une victime retenue par son action

L'infraction de détention ou de séquestration ne peut être caractérisée que si l'auteur a agi avec l'intention de porter atteinte à la liberté d'aller et venir d'une personne.

Lorsque cette intention est établie à l'égard d'une victime, elle peut caractériser l'élément moral de l'infraction à l'égard de toutes les personnes qui ont été, de fait, privées de leur liberté en conséquence des agissements matériels volontaires de l'auteur des faits.

MM. [U] [T] et [P] [H] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1ère section, en date du 5 décembre 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 24 août 2022, pourvoi n° 22-83.533), les a renvoyés devant la cour d'assises de Paris, le premier, sous les accusations de complicité de vol en bande organisée avec arme, complicité d'enlèvement et séquestration aggravés et infractions à la législation sur les armes, le second, sous les accusations de complicité de vol en bande organisée avec arme ainsi que complicité d'enlèvement et séquestration aggravés.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2016, Mme [O] [I] a été victime d'un vol à main armée dans un hôtel parisien. Cinq hommes, cagoulés, se sont fait conduire sous la menace d'une arme de poing par M. [N] [F], réceptionniste de l'hôtel, jusqu'à la suite de l'intéressée. Deux d'entre eux ont pénétré dans l'appartement et se sont emparés de bijoux et de numéraire, avant de ligoter Mme [I] avec du ruban adhésif. Pendant les faits, Mme [X] [J], styliste de Mme [I], s'était réfugiée dans une salle de bains de la suite.

Les malfaiteurs sont ressortis de l'hôtel en laissant M. [F] à la réception, entravé aux chevilles par un serflex et menotté.

3. Le 19 novembre 2021, les juges d'instruction, après non-lieu partiel, ont ordonné la mise en accusation, notamment de MM. [U] [T] et [P] [H], des chefs susvisés.

4. Les accusés ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les deux moyens proposés pour M. [T] et les deux premiers moyens proposés pour M. [H]

5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen proposé pour M. [H]

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la mise en accusation de M. [H] pour complicité d'enlèvement et séquestration de Mme [X] [J] et son renvoi de ce chef devant la cour d'assises de Paris, alors « que le crime de détention et de séquestration suppose l'intention de son auteur et à ce titre la connaissance, par ce dernier, de la présence de celui que son action privait de sa liberté de se déplacer ; qu'ayant constaté que [X] [J] s'était réfugiée dans la salle de bain durant les faits de sorte que les auteurs de la séquestration n'avaient pas pu avoir conscience de la présence de cette dernière, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 121-3 et 224-1 du code pénal. »

Réponse de la Cour

7. Pour confirmer l'ordonnance des juges d'instruction et ordonner la mise en accusation de M. [H] du chef de complicité de séquestration à l'égard de plusieurs personnes, dont Mme [J], l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, notamment que les faits de vol commis au préjudice de Mme [I] ont été facilités par la séquestration de celle-ci, de sa styliste et du réceptionniste de l'hôtel.

8. Les juges ajoutent que, si Mme [J] n'a pas été découverte par les malfaiteurs, la présence de ceux-ci dans l'immeuble l'empêchait de quitter les lieux.

9. Ils relèvent par ailleurs que M. [H] a fourni aux auteurs du vol à main armée des renseignements relatifs à l'emploi du temps de Mme [I] cette nuit-là et qu'il ne pouvait ignorer qu'ainsi, il allait permettre la commission d'un vol en présence de la victime, qui nécessiterait donc la neutralisation de cette dernière ou des tiers présents dans l'hôtel.

10. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

11. L'infraction de détention ou de séquestration ne peut être caractérisée que si l'auteur a agi avec l'intention de porter atteinte à la liberté d'aller et venir d'une personne.

12. Lorsque cette intention est établie à l'égard d'une victime, elle peut caractériser l'élément moral de l'infraction à l'égard de toutes les personnes qui ont été, de fait, privées de leur liberté en conséquence des agissements matériels volontaires de l'auteur des faits.

13. Ainsi, le moyen n'est pas fondé.

14. Par ailleurs, la procédure est régulière et les faits, objet principal de l'accusation, sont qualifiés crime par la loi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Leprieur - Avocat général : Mme Viriot-Barrial - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SCP Piwnica et Molinié -

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