Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

APPEL CORRECTIONNEL OU DE POLICE

Ass. plén., 3 mars 2023, n° 22-81.097, (B) (R), PL

Rejet

Appel du prévenu – Déclaration d'adresse par le prévenu libre – Citation faite à l'adresse déclarée – Application de l'article 558, alinéa 6, du code de procédure pénale (non)

Les dispositions de l'alinéa 6 de l'article 558 du code de procédure pénale ne sont pas applicables à la citation à comparaître du prévenu libre appelant faite à sa dernière adresse déclarée, conformément à l'article 503-1 du code de procédure pénale.

Mme [R] [P] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 7e chambre, du 19 février 2016, qui, pour infractions au code de l'urbanisme, l'a condamnée à 2 000 euros d'amende avec sursis, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte et a prononcé sur les intérêts civils.

Par arrêt du 8 novembre 2016, la chambre criminelle a déclaré non-admis le pourvoi formé par Mme [P] à l'encontre de cet arrêt.

Mme [P] a saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui, par décision du 27 février 2020, a pris acte des termes de la déclaration unilatérale du gouvernement français reconnaissant que, dans le cas d'espèce, les modalités concrètes de la signification de l'arrêt de la cour d'appel avaient eu pour effet de porter atteinte au droit d'accès de l'intéressée à la Cour de cassation, en violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et a rayé la requête du rôle.

Par arrêt du 10 février 2022, la Cour de révision et de réexamen, saisie par Mme [P], a fait droit à la demande de réexamen et l'a renvoyée devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Mme [R] [P] a été poursuivie pour avoir, sans autorisation préalable et en infraction au plan local d'urbanisme applicable, réalisé des travaux d'aménagement et de viabilisation d'un terrain situé en zone agricole sur le territoire de la commune de [Localité 1].

3. Par jugement contradictoire du 16 mai 2013, le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable des faits visés à la prévention, l'a condamnée à 2 000 euros d'amende avec sursis, a ordonné la remise en état des lieux sous astreinte, a déclaré recevable la constitution de partie civile de la commune de [Localité 1] et a prononcé sur les intérêts civils.

4. Par déclaration du 17 mai 2013, Mme [P] a interjeté appel de cette décision. Appartenant à la communauté des gens du voyage, elle a déclaré comme adresse une boîte postale.

Le ministère public et la commune de [Localité 1] ont formé des appels incidents.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, troisième, sixième et septième branches, et le second moyen, pris en sa première branche

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

6. Le premier moyen est pris de la violation des articles 555, 556, 558 et 593 du code de procédure pénale.

7. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par arrêt contradictoire à signifier, confirmé le jugement en toutes ses dispositions par une motivation applicable à toutes les situations, selon laquelle : « [R] [P] et [D] [C], prévenus, cités à adresse déclarée selon actes d'huissier déposés à l'étude, n'ont pas comparu et n'étaient pas représentés », alors :

2°/ que la cour d'appel n'a pas vérifié d'office si l'expédition de la lettre recommandée prévue à l'alinéa 2 de l'article 558 du code de procédure pénale avait eu lieu dans les conditions légales de délai et de forme et, en particulier, si le texte de la lettre faisait bien connaître la nature de l'exploit signifié à l'étude d'huissier de justice ;

4°/ que la cour d'appel n'a pas vérifié d'office si la lettre recommandée prévue à l'article 558, alinéa 2, avait été expédiée sans délai, l'acte de citation à prévenu étant sans indication sur ce point ; que le retour de la lettre recommandée n'a été opéré par l'huissier de justice que plus de quinze jours après l'audience ; que l'avis de réception, signé par une personne non identifiée, sans mention de la pièce justifiant son identité, en violation de l'article 4 de l'arrêté du 7 février 2007, pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux, portait l'unique date de présentation et de distribution du 18 janvier 2016 ;

5°/ que la cour d'appel n'a pas vérifié d'office si la prévenue avait bénéficié du délai de dix jours, prévu aux articles 552 et 558, dernier alinéa, du code de procédure pénale, pour préparer sa défense ; que, si l'article 503-1 de ce code dispense l'huissier de justice de rechercher une autre adresse, la procédure de signification par le moyen dérogatoire de la lettre recommandée ne trouve son terme que lorsque le prévenu a signé l'avis de réception ou lorsque la lettre n'est pas réclamée dans le délai de quinze jours et est retournée à l'expéditeur ; qu'au surplus, l'avis de réception portait l'unique date de présentation et de distribution du 18 janvier 2016, soit deux jours avant l'audience du 20 janvier 2016.

Réponse de la Cour

8. Il résulte de l'article 503-1 du code de procédure pénale que le prévenu libre qui forme appel doit déclarer son adresse personnelle ou celle d'un tiers consentant, chargé de recevoir les citations et significations qui lui seront destinées. Toute citation, notification ou signification faite à la dernière adresse déclarée est réputée l'être à sa personne et le prévenu qui ne comparaît pas à l'audience sans excuse reconnue valable par la cour d'appel est jugé par arrêt contradictoire à signifier.

9. La Cour de cassation en déduit que, s'il ne trouve personne à l'adresse déclarée par le prévenu, l'huissier de justice doit, sans vérifier que l'intéressé y demeure effectivement, effectuer les diligences prévues aux alinéas 2 ou 4 de l'article 558 du code de procédure pénale et en faire mention dans son acte, cette citation étant alors réputée faite à personne (Crim., 2 mars 2011, pourvoi n° 10-81.945, Bull. crim. 2011, n° 43).

10. Elle juge également que, si l'huissier de justice a choisi d'aviser l'intéressé par l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à l'adresse déclarée, conformément à l'alinéa 2 de l'article 558 précité, il importe peu que cette lettre ait été ou non remise à son destinataire, que le prévenu ait ou non signé l'avis de réception (Crim., 17 janvier 2012, pourvoi n° 11-84.778, Bull. crim. 2012, n° 13 ; Crim., 5 octobre 2011, pourvoi n° 10-88.851, Bull. crim. 2011, n° 194).

11. Il en résulte que la qualification d'arrêt contradictoire à signifier est attachée à l'envoi sans délai par l'huissier de justice de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception informant l'intéressé qu'il doit retirer dans les plus brefs délais la copie de l'exploit signifié à l'étude, la correcte exécution de cette diligence à l'adresse déclarée faisant présumer, sauf cas de force majeure, la connaissance effective par l'intéressé de la citation.

12. Les dispositions spéciales de l'article 503-1 du code de procédure pénale, qui exigent du prévenu appelant l'élection d'un domicile, dérogent ainsi à celles de l'article 558 dudit code qui, d'une part, imposent à l'huissier de justice, avant toute citation, de vérifier l'exactitude du domicile de l'intéressé, d'autre part, prévoient que l'exploit déposé à son étude ne produit les effets d'une citation à personne que si l'avis de réception a été signé par l'intéressé.

13. Cette différence, quant aux modalités de signification de la citation à comparaître, entre le prévenu cité devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police et le prévenu appelant, repose sur leur situation objectivement différente, le premier pouvant légitimement ignorer qu'une procédure pénale a été diligentée à son encontre alors qu'il est attendu du second, en raison de son rôle dans la saisine de la juridiction, qu'il fasse preuve de diligence.

14. Dès lors, l'alinéa 6 de l'article 558 du code de procédure pénale, selon lequel la citation à comparaître ne pourra produire les effets d'une citation à personne si le délai entre le jour où l'avis de réception a été signé par l'intéressé et le jour indiqué pour la comparution devant la cour d'appel est inférieur à celui fixé par l'article 552 du même code, n'est pas applicable au prévenu appelant.

15. Par ailleurs, hormis le cas où l'exploit est une signification de jugement rendu par itératif défaut, aucune disposition du code de procédure pénale n'exige que l'huissier de justice mentionne dans l'acte de signification la nature de l'acte signifié.

16. En l'espèce, pour prononcer par arrêt contradictoire à signifier, l'arrêt constate que Mme [P], appelante, citée à adresse déclarée selon acte d'huissier de justice déposé à l'étude, n'a pas comparu et n'est pas représentée.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de constater explicitement dans sa décision l'accomplissement des diligences de l'huissier de justice qui résultent des mentions figurant sur l'exploit, a justifié sa décision.

18. Il ressort en effet des pièces de procédure, et notamment de l'acte d'huissier de justice du 8 janvier 2016, selon lequel l'avis de signification prévu à l'article 558, alinéa 2, du code de procédure pénale a été envoyé à l'adresse déclarée de l'appelante, « dans le délai imparti, conformément à la loi », cette mention n'étant contredite par aucune autre pièce, que cet avis a été adressé sans délai.

19. Les griefs ne peuvent, dès lors, être accueillis.

Sur le second moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

20. Le second moyen est pris de la violation des articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 2 du protocole n° 7 de ladite Convention.

21. Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir, par arrêt contradictoire à signifier, confirmé le jugement en toutes ses dispositions par une motivation applicable à toutes les situations selon laquelle : « [R] [P] et [D] [C], prévenus, cités à adresse déclarée selon actes d'huissier de justice déposés à l'étude, n'ont pas comparu et n'étaient pas représentés », alors :

2°/ qu'il résulte des principes généraux du droit au procès équitable que la personne condamnée a le droit d'être entendue dans un délai raisonnable ; que le délai n'est pas raisonnable lorsqu'il s'écoule, entre le premier jugement et la convocation à la cour d'appel, un délai de deux ans et huit mois ; que ce délai est encore moins raisonnable lorsque, pendant cette période, le prévenu ne peut plus se déplacer de son adresse, la date retenue pour la signification étant celle à laquelle l'huissier se présente à l'adresse, et non celle de la réception de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou de signature du prévenu à l'étude de l'huissier de justice ;

3°/ qu'est contraire aux principes généraux du droit au procès équitable l'absence, qui ne repose sur aucun motif d'intérêt général, de mention dans l'avis d'information, envoyé par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, des éléments essentiels permettant à la personne signifiée de connaître la nature de l'acte et les délais pour agir ;

4°/ qu'est contraire aux principes généraux du droit au procès équitable le fait que les délais particulièrement courts en matière de citation ou de signification partent du premier jour de la procédure de citation ou de signification et ne tiennent pas compte des délais d'acheminement d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ce qui ne repose sur aucun motif d'intérêt général.

Réponse de la Cour

22. Les dispositions de l'article 503-1 du code de procédure pénale permettent aux prévenus appelants ayant déclaré une adresse exacte d'être effectivement atteints par l'exploit, dans un temps très proche de la signification de l'acte à l'étude, tout en faisant échec à la mauvaise foi ou à la négligence de ceux d'entre eux qui déclarent une adresse inexacte ou ne retirent pas la lettre recommandée qui leur a été envoyée.

23. Elles ne font pas obstacle à la liberté du prévenu appelant de changer ultérieurement d'adresse puisque celui-ci peut, à tout moment, jusqu'au jugement définitif de l'affaire, déclarer une nouvelle adresse, à la condition d'en informer le procureur de la République, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

24. Elles ne privent pas l'appelant de la faculté d'invoquer l'existence d'un événement de force majeure, telle une remise tardive de la lettre recommandée en raison d'une défaillance du système postal, qui l'aurait mis dans l'impossibilité de prendre connaissance, en temps utile, de l'avis de signification de l'exploit d'huissier de justice.

25. Ces dispositions, qui ne méconnaissent ni les droits de la défense ni le droit à un procès équitable, participent d'une bonne administration de la justice.

26. En l'espèce, la Cour de cassation, qui exerce le contrôle des pièces de procédure, est en mesure de s'assurer que la citation a été délivrée à Mme [P] le 8 janvier 2016 pour une audience fixée au 20 janvier suivant, et que l'huissier de justice lui a envoyé sans délai une lettre recommandée dont elle a signé l'avis de réception le 18 janvier 2016.

27. Il s'ensuit qu'il appartenait à Mme [P], qui avait formé appel du jugement du tribunal correctionnel la condamnant et pouvait raisonnablement s'attendre à être citée à comparaître devant la cour d'appel, de faire preuve de diligence afin de retirer au plus vite l'acte d'huissier de justice et, si elle estimait n'être pas en mesure de comparaître à la date fixée, de solliciter un renvoi de l'affaire afin de préparer sa défense, ou encore, durant le temps du délibéré, de présenter une demande en vue de la réouverture des débats, en invoquant une cause d'empêchement légitime, demandes sur lesquelles les juges auraient été tenus de se prononcer par une décision motivée.

24. En conséquence, l'application, qui a été faite en l'espèce de l'article 503-1 du code de procédure pénale, n'a pas méconnu le droit à un procès équitable de Mme [P].

25. Dès lors, les griefs ne peuvent être accueillis.

26. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en Assemblée plénière.

- Président : M. Chauvin (président de chambre faisant fonction de premier président) - Rapporteur : Mme Labrousse, assistée de Mme Konopka, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Lemoine - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles 503-1 et 558, alinéa 6, du code de procédure pénale.

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