Numéro 3 - Mars 2023

Bulletin des arrêts de la chambre criminelle

JURIDICTIONS CORRECTIONNELLES

Crim., 28 mars 2023, n° 22-82.032, (B), FRH

Cassation

Cour d'appel – Composition – Juge unique – Conditions – Défaut – Portée

Il résulte des articles 510 et 592 du code de procédure pénale que, d'une part, la chambre des appels correctionnels n'est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre que lorsque le jugement attaqué a été rendu par un seul des magistrats composant le tribunal correctionnel, exerçant les pouvoirs confiés au président pour le jugement des délits mentionnés à l'article 398-1 du même code, d'autre part, sont nuls les arrêts rendus en dernier ressort par les juridictions de jugement lorsqu'ils ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit.

Les règles sur la compétence et la composition des juridictions sont d'ordre public, et les parties, même assistées d'un avocat, ne peuvent y renoncer.

Encourt la cassation l'arrêt qui, pour déclarer le prévenu irrecevable en son appel du jugement l'ayant déclaré coupable du délit d'obstacle à l'exercice des fonctions d'un agent de contrôle de l'inspection du travail, siège à juge unique alors que cette infraction ne fait pas partie des délits susceptibles d'être jugés, selon l'énumération figurant à l'article 398-1 du code de procédure pénale, par le tribunal correctionnel composé d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président, de sorte que le jugement attaqué n'ayant pas été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398, la cour d'appel ne pouvait être elle-même composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre.

M. [J] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, chambre correctionnelle, en date du 20 octobre 2021, qui a déclaré irrecevable son appel du jugement du tribunal correctionnel l'ayant condamné, pour obstacles à l'accomplissement des devoirs d'un inspecteur du travail, à trois mois d'emprisonnement avec sursis et 300 euros d'amende.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [J] [N] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'obstacles à l'exercice des fonctions d'un agent de contrôle de l'inspection du travail, faits prévus et réprimés par l'article L. 8114-1 du code du travail, pour des faits commis les 24 novembre 2017 et 21 novembre 2018.

3. Par jugement contradictoire à signifier du 24 octobre 2019, le tribunal, statuant à juge unique, est entré en voie de condamnation.

4. M. [N] a relevé appel de ce jugement et le ministère public appel incident.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a été rendu par la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Limoges composée d'un juge unique, alors « que les arrêts de la chambre de l'instruction ainsi que les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de jugement sont déclarés nuls lorsqu'ils ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit ; que les règles sur la composition et la compétence des juridictions sont d'ordre public ; que la chambre des appels correctionnels n'est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 du code de procédure pénale ou selon celles prévues au troisième alinéa [en fait quatrième] de l'article 464 dudit code ; que le délit d'obstacle à l'exercice des fonctions d'un agent de contrôle de l'inspection du travail visé à la prévention ne fait pas partie des délits susceptibles d'être jugés, en application de l'article 398-1 du même code, à juge unique par le tribunal correctionnel ; qu'il s'ensuit que l'arrêt qui mentionne que la cour d'appel était composée lors du débat et du délibéré par la présidente de chambre, statuant à juge unique n'est pas conforme aux exigences de l'article 510 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi du n° 2019-222 du 23 mars 2019, ensemble les articles 398 et 398-1 dudit code dans sa version issue de la loi du n° 2019-222 du 23 mars 2019. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 510 et 592 du code de procédure pénale :

6. Il résulte du premier de ces textes que la chambre des appels correctionnels n'est composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre que lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 du code de procédure pénale ou selon celles prévues à l'avant-dernier alinéa de l'article 464 dudit code.

7. Il résulte du second que les arrêts de la chambre de l'instruction ainsi que les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de jugement sont déclarés nuls lorsqu'ils ne sont pas rendus par le nombre de juges prescrit ou qu'ils ont été rendus par des juges qui n'ont pas assisté à toutes les audiences de la cause.

8. Les règles sur la composition et la compétence des juridictions sont d'ordre public (Crim., 19 décembre 1988, pourvoi n° 88-83.678, Bull. crim. 1988, n° 433), les parties, même assistées d'un avocat, ne pouvant y renoncer (Crim., 22 mars 2016, pourvoi n° 15-83.834, Bull. crim. 2016, n° 95).

9. Pour déclarer le prévenu irrecevable en son appel du jugement l'ayant déclaré coupable du délit d'obstacle à l'exercice des fonctions d'un agent de contrôle de l'inspection du travail, la cour d'appel a siégé à juge unique.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

11. En effet, l'infraction en cause ne fait pas partie des délits susceptibles d'être jugés, selon l'énumération figurant à l'article 398-1 du code de procédure pénale, par le tribunal correctionnel composé d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs conférés au président.

12. En conséquence, le jugement attaqué n'ayant pas été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398, la cour d'appel ne pouvait être elle-même composée d'un seul magistrat exerçant les pouvoirs confiés au président de chambre.

13. La cassation est dès lors encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Limoges, en date du 20 octobre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Poitiers, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Limoges, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : Mme Thomas - Avocat général : M. Quintard - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles 398, 398-1, 510 et 592 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la composition de la chambre des appels correctionnels lorsque le jugement attaqué a été rendu selon les modalités prévues au troisième alinéa de l'article 398 du code de procédure pénale : Crim., 15 décembre 2020, pourvoi n° 20-81.563, Bull. crim. (cassation). Concernant la nécessité pour le demandeur d'avoir soulevé l'incompétence du tribunal correctionnel statuant à juge unique pour s'en faire grief devant la cour d'appel : Crim., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-86.768 (cassation partielle).

Crim., 15 mars 2023, n° 21-87.389, (B), FP

Cassation

Saisine – Qualification – Date des faits – Erreur – Conséquences – Juridiction demeurant saisie des faits – Détermination de la date des faits – Condition – Invitation préalable du prévenu à s'expliquer – Exclusion – Erreur matérielle

La juridiction de jugement demeure saisie du fait poursuivi lorsqu'elle constate qu'il n'a pas été commis à la date visée par la prévention, mais à une autre date qu'elle détermine.

Hors le cas d'une erreur matérielle, les juges doivent inviter le prévenu à s'expliquer sur cette modification.

Méconnait ce principe la cour d'appel qui procède à une telle rectification sans l'avoir mise dans le débat et invité le prévenu à s'en expliquer.

M. [W] [G] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier, chambre correctionnelle, en date du 15 novembre 2021, qui, pour agression sexuelle aggravée, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. [T] [D], née le [Date naissance 1] 1994, a déposé plainte, le 24 avril 2015, en dénonçant une agression sexuelle subie, alors qu'elle avait passé la nuit chez sa tante, de la part du compagnon de cette dernière, M. [W] [G], le couple étant lié par un pacte civil de solidarité.

3. Elle a indiqué que les faits s'étaient déroulés dans la nuit du 1er, du 2 ou du 3 décembre 2011.

4. Poursuivi devant le tribunal correctionnel du chef d'agression sexuelle incestueuse commise sur une victime mineure, entre le 1er et le 3 décembre 2011, M. [G] a été condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis.

5. M. [G] a relevé appel et le ministère public a formé appel incident.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse commise entre le 6 et le 7 juin 2013, alors :

« 1°/ que les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention ; qu'en décidant néanmoins que si les faits visés à la prévention, comme étant prétendument survenus entre le 1er décembre 2011 et le 3 décembre 2011, n'avaient pu être commis à cette période, les pièces du dossier n'excluaient pas qu'ils aient pu se produire un an et demi plus tard, soit entre le 6 juin 2013 et le 7 juin 2013, sans constater que Monsieur [G] avait accepté de comparaître volontairement sur des faits qui auraient été commis à une période distincte de celle visée à la prévention, la cour d'appel, qui a privé Monsieur [G] de la possibilité de préparer sa défense, en réunissant les éléments propres à établir que les faits dénoncés n'avaient, pas plus, pu se dérouler à cette date, a violé l'article 388 du code de procédure pénale, ensemble l'article 6, § 1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que s'il appartient aux juges répressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c'est à la condition que la personne poursuivie ait été en mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée ; qu'en déclarant Monsieur [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse sur une personne majeure, sans l'avoir invité à se défendre sur cette circonstance aggravante qu'elle a retenue d'office sur le fondement de l'article 222-22-3 du code pénal, la cour d'appel a violé l'article 388 du code de procédure pénale ;

3°/ que les viols et les agressions sexuelles ne sont qualifiés d'incestueux, lorsqu'ils sont commis par le partenaire lié à une tante ou un oncle de la victime par un pacte civil de solidarité, que si l'auteur a sur la victime une autorité de droit ou de fait ; qu'en se bornant à énoncer, pour déclarer Monsieur [G] coupable d'agression sexuelle incestueuse, qu'il avait la qualité de personne liée à la tante de la victime par un pacte civil de solidarité, sans constater qu'il aurait eu une autorité de droit ou de fait sur la plaignante, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 222-22-3 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

Vu l'article 6, § 3, de la Convention européenne des droits de l'homme :

7. Il résulte de ce texte que la personne poursuivie doit être informée, d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre elle et disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.

8. En application de l'article 388 du code de procédure pénale, les juges ne peuvent statuer que sur les faits dont ils sont saisis, à moins que le prévenu n'accepte expressément d'être jugé sur des faits distincts de ceux visés à la prévention (Crim., 19 avril 2005, pourvoi n° 04-83.879, Bull. crim. 2005, n° 135).

9. Lorsque la juridiction constate que le fait poursuivi n'a pas été commis à la date visée par la prévention, mais à une autre date qu'elle détermine, elle en demeure saisie.

10. Le fait n'étant alors pas distinct de celui visé par la prévention, il n'y a pas lieu de recueillir l'accord de la personne poursuivie pour être jugée sur ce fait commis à une autre date.

11. Cependant, hors le cas d'une erreur matérielle, la restitution au fait de son exacte date est de nature à emporter des conséquences juridiques au regard, notamment, de la qualification, de la prescription, de la détermination de la loi applicable ou de la compétence de la juridiction.

12. Modifiant les termes du débat devant la juridiction de jugement, elle affecte l'exercice de leurs droits par les parties.

13. En conséquence, les juges ne peuvent retenir, pour entrer en voie de condamnation, une date autre que celle visée par la prévention, sans que le prévenu ait été invité à s'expliquer sur cette modification.

14. En l'espèce, pour condamner M. [G] pour agression sexuelle aggravée, après avoir constaté la réalité du fait dénoncé, l'arrêt attaqué énonce qu'il n'a pu être commis en 2011, comme l'indique la citation, mais l'a été dans la nuit du 6 au 7 juin 2013.

15. Les juges ajoutent que la question de la date du fait a été longuement discutée au cours des débats, de manière contradictoire, de sorte qu'il y a lieu de retenir cette dernière date.

16. En l'état de ces motifs, qui n'établissent pas que le prévenu ait été informé que les juges pouvaient le déclarer coupable du fait poursuivi, commis à cette autre date, ni qu'il ait été invité à s'expliquer sur cette modification et ses conséquences, qui n'ont pas été mises dans le débat, un renvoi pouvant, au besoin, être ordonné à cette fin, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Vu les articles 222-22-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

18. Selon le premier de ces textes, les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d'incestueux lorsqu'ils sont commis par le partenaire lié par un pacte civil de solidarité à l'ascendant, le frère, la soeur, l'oncle, la tante, le grand-oncle, la grand-tante, le neveu ou la nièce de la victime, s'il a sur cette dernière une autorité de droit ou de fait.

19. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision.

L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

20. Pour qualifier d'incestueuse l'agression sexuelle commise par le prévenu, l'arrêt attaqué se borne à relever que celle-ci l'a été par lui en qualité de personne liée par un pacte civil de solidarité à la tante de la victime.

21. En l'état de ce seul motif, qui ne caractérise pas l'existence d'une autorité, de droit ou de fait, de l'auteur sur la victime, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.

22. La cassation est à nouveau encourue.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 15 novembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Montpellier et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.

Arrêt rendu en formation plénière de chambre.

- Président : M. Bonnal - Rapporteur : M. Turbeaux - Avocat général : M. Valat - Avocat(s) : SCP Richard -

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation pour le juge répressif, en cas de requalification, de mettre le prévenu en mesure de présenter sa défense sur la nouvelle qualification envisagée : Crim., 16 mai 2001, pourvoi n° 00-85.066, Bull. crim. 2001, n° 128 (cassation).

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