N°4 - Mars/avril 2020 (Contrat de travail, rupture)

Lettre de la chambre sociale

Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 19-10.130, FS-P+B

Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 19-10.130, FS-P+B

Selon l'article 6 de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 un contrat de travail à durée déterminée dont l'échéance est la réalisation d'un objet défini, d'une durée minimale de dix-huit mois et maximale de trente-six mois, peut être conclu pour le recrutement d'ingénieurs et de cadres, au sens des conventions collectives.

Il prend fin avec la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu, après un délai de prévenance au moins égal à deux mois et peut être rompu par l'une ou l'autre partie, pour un motif réel et sérieux, au bout de dix-huit mois puis à la date anniversaire de sa conclusion.

Il en résulte, qu'en dehors des cas de rupture anticipée pour un motif réel et sérieux dans les conditions prévues par l'article 6 susvisé, ou pour l'une des autres causes prévues par l'article L. 1243-1 du code du travail, est abusive la rupture du contrat de travail à durée déterminée pour objet défini lorsqu'elle intervient avant la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.

Encourt la cassation, l’arrêt qui déboute une salariée de sa demande tendant à dire que la rupture du contrat de travail est abusive et des demandes afférentes alors qu’il ressort des constatations des juges du fond qu’au moment de la rupture, l’objet pour lequel le contrat avait été conclu, n’était pas réalisé.

 

Commentaire :

La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail a institué, un contrat à durée déterminée dont « l'échéance est la réalisation d'un objet défini », parfois dénommé « contrat de projet ». Ce contrat relève du régime juridique des contrats à durée déterminée, sauf dispositions législatives qui lui sont propres.

Par le présent arrêt, la Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la rupture de ce contrat, dont le terme est la réalisation de l'objet pour lequel il a été conclu.

Elle affirme que le contrat ne peut être valablement rompu pour ce motif que si au moment de la rupture l’objet pour lequel il a été conclu a été réalisé. Si tel n’est pas le cas, la rupture anticipée du contrat n’est possible que pour un motif réel et sérieux au bout de dix-huit mois puis à la date anniversaire de sa conclusion ou bien, en application de l’article L. 1243-1 du code du travail, en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.

Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 16-27.825, FP-P+B

Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 16-27.825, FP-P+B

Saisie par la Cour de cassation d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne, par arrêt  du 8 mai 2019 (CJUE, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C-486/18) a d’abord relevé que des prestations telles que l’indemnité de licenciement et l’allocation de congé reclassement devaient être qualifiées de « rémunérations » au sens de l’article 157 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) . Elle a ensuite dit pour droit que cet article devait être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation telle que celle au principal qui prévoit que, lorsqu'un travailleur engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, ce travailleur reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu'il perçoit quand le licenciement intervient, dans la situation où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d'hommes choisissent de bénéficier d'un congé parental à temps partiel et lorsque la différence de traitement qui en résulte ne peut pas s'expliquer par des facteurs objectivement justifiés et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Les articles L. 3123-13 et R. 1233-32 du code du travail prévoient une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite perçue par le salarié, qui engagé par un contrat à durée indéterminée à temps complet, bénéficie d’un congé parental à temps partiel lorsque le licenciement intervient. Ces dispositions établissent une différence de traitement avec les salariés se trouvant en activité à temps complet au moment où ils sont licenciés. Dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel, ces articles instaurent indirectement une différence de traitement entre les salariés féminins et masculins pour le calcul de ces droits à prestation résultant du licenciement qui n’est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Il en résulte que l’application de ces articles, contraires à l’article 157 du TFUE en ce qu’ils instaurent une discrimination indirecte fondée sur le sexe, doit être dans cette mesure écartée.

 

Commentaire :

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 17 juillet 2014, époux Leone C-173/13) qu'une discrimination indirecte en raison du sexe est caractérisée lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs d'un sexe par rapport à l'autre ; une telle mesure n'est compatible avec le principe d'égalité de traitement garanti par les dispositions de l'article 157 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) qu'à la condition que la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs qu'elle engendre soit justifiée par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Dans la présente affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation avait saisi la Cour de justice d’une question préjudicielle portant sur l’application, au regard des dispositions de l’article 157 précité, des articles L. 3123-13, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et R. 1233-32 du code du travail, en ce qu’ils prévoient que lorsqu'un salarié engagé à durée indéterminée et à temps plein est licencié au moment où il bénéficie d'un congé parental à temps partiel, il reçoit une indemnité de licenciement et une allocation de congé de reclassement déterminées au moins en partie sur la base de la rémunération réduite qu'il perçoit quand le licenciement intervient.

La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 8 mai 2019 (CJUE, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C-486/18) qualifie tout d’abord de « rémunérations », au sens de l’article 157 du TFUE, cette indemnité de licenciement et cette allocation de congé de reclassement. Ensuite, elle précise que l’article 157 du TFUE s’oppose à une réglementation telle que celle issue des articles L. 3123-13 et R. 1233-32 précités dans la mesure où un nombre considérablement plus élevé de femmes que d’hommes choisissent de bénéficier d’un congé parental à temps partiel et que la différence de traitement qui en résulte n’est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

 

Ainsi, cette réglementation créé une différence de traitement, qui ne s’explique par aucun élément objectif, avec les salariés à temps complet n’ayant pas pris de congé parental et dont les mêmes indemnités et allocations seront entièrement calculées sur la base d’une rémunération à temps complet, alors que les salariés à temps partiel sont en grande majorité des femmes. Par le présent arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation écarte donc l’application de ces articles en ce qu’ils instaurent une discrimination indirecte fondée sur le sexe.

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Soc., 25 mars 2020, pourvoi n° 18-23.692, FS-P+B

Sommaire n° 1

Le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de stipulations conventionnelles dont il est soutenu qu’elles s’imposaient au stade de l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi, dès lors qu'en application de l'article L. 1233-57-3 du code du travail la vérification du contenu dudit plan relève de l’administration sous le contrôle du juge administratif.

Par suite, le juge judiciaire n'est pas compétent pour statuer sur des demandes de salariés, qui, sous le couvert de demandes tendant à obtenir l’exécution des engagements énoncés dans le cadre d'un accord de méthode conclu dans l'entreprise antérieurement à l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, contestent la conformité du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi aux stipulations de cet accord. 

 

Sommaire n° 2

Il résulte de l'article L. 1233-58 II du code du travail que, quel qu'en soit le motif, l’annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l'accord collectif ou à l’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.

Dans un tel cas d'annulation de la décision d'homologation, une cour d’appel déboute par conséquent à bon droit des salariés de leur demande en paiement d’une indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents fondée sur l’absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de leur contrat de travail, intervenue à la suite de leur acceptation d’un contrat de sécurisation professionnelle.

 

Commentaire :

S’écartant de la jurisprudence antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, selon laquelle lorsque la nullité du licenciement n’est pas légalement encourue, l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) prive de cause réelle et sérieuse le licenciement (Soc., 2 février 2006, pourvoi n° 05-40.037, Bull. 2006, V, n° 58), la chambre sociale juge ici que, en application des nouvelles dispositions de l’article L. 1233-58 II du code du travail, dans une entreprise en redressement ou liquidation judiciaire, l’annulation de la décision administrative qui avait validé le PSE n’entraîne pas, en elle-même, l’absence de cause réelle et sérieuse des licenciements et le droit aux indemnités correspondantes.

Par ailleurs, les salariés formaient devant le juge judiciaire une demande soutenant que les dispositions d’un accord de méthode, conclu avant la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, n’avaient pas été respectées durant une procédure de PSE initiée après l’entrée en vigueur de cette loi. Cette demande tendait ainsi à voir constater l’insuffisance du PSE au regard des dispositions conventionnelles applicables. Par conséquent, une telle demande ne pouvait être faite que lors de l’examen du PSE par l’autorité administrative et relevait de la compétence du juge administratif.

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