N°4 - Mars/avril 2020 (Durée du travail et rémunération)

Lettre de la chambre sociale

Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-22.778, FS-P+B

Soc., 4 mars 2020, pourvoi n° 18-22.778, FS-P+B

Il résulte de l'article L. 1272-4 du code du travail que les associations utilisant le chèque-emploi associatif sont réputées satisfaire à l'ensemble des formalités liées à l'embauche et à l'emploi de leurs salariés, notamment à celles relatives à l’établissement d'un contrat de travail écrit et à l'inscription des mentions obligatoires prévues par la loi pour les contrats de travail à temps partiel.

Ni une convention collective, ni un accord collectif relatif au chèque-emploi associatif qui prévoit que l'employeur est tenu de fournir un contrat de travail écrit au personnel rémunéré par chèque-emploi associatif conformément aux dispositions de la convention collective, ne font obstacle à ce dispositif.

Dès lors, c’est en violation des textes susvisés que la cour d’appel, constatant que l’association qui utilisait des chèques-emploi associatif pour rémunérer un salarié employé à temps partiel n’avait pas satisfait au formalisme prévu par la convention collective applicable, retient une présomption de travail à temps complet, sans constater que ces chèques-emploi associatif ne répondaient pas aux exigences des dispositions légales.

 

Commentaire :

 

Le chèque-emploi associatif est un dispositif simplifié de déclaration d’embauche et de paiement qui, en l’état actuel des textes, peut être utilisé par toute association à but non lucratif.

S’agissant d’un titre emploi simplifié, l'article L. 1272-4, 4° du code du travail prévoit que les associations l’utilisant sont réputées satisfaire à l'ensemble des formalités liées à l'embauche et à l'emploi de leurs salariés, notamment à celles relatives à l’établissement d'un contrat de travail écrit et à l'inscription des mentions obligatoires prévues pour les contrats de travail à temps partiel par l’actuel article L. 3123-6 du code du travail.

Par le présent arrêt, se prononçant sur l’effet de dispositions de convention et accord collectifs de travail imposant à l’employeur d’établir un contrat écrit et de le transmettre au salarié rémunéré par chèque-emploi associatif, la Cour de cassation affirme que le non-respect de ces textes conventionnels par l’employeur recourant régulièrement à ce dispositif ne fait pas présumer que l’emploi était à temps complet.

Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919, FP-P+B+R+I

Soc., 18 mars 2020, pourvoi n° 18-10.919, FP-P+B+R+I

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2, alinéa 1er, L. 3171-3, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

 

Note explicative de cet arrêt :

Cette décision est relative à la preuve des heures supplémentaires, lesquelles, on le sait, font l’objet d’un abondant contentieux.

Le code du travail institue à l’article L. 3171-4 un régime de preuve partagée entre l’employeur et le salarié des heures du travail effectuées. Les obligations de l’employeur, relatives au décompte du temps de travail, sont quant à elles prévues par les articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du même code.

Depuis un arrêt du 25 février 2004 (Soc., 25 février 2004, pourvoi n° 01-45.441, Bull. 2004, V, n° 62), la Cour de cassation juge que si la preuve des heures de travail effectuées n’incombe spécialement à aucune des parties et que l’employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

Elle a par la suite précisé, par un arrêt du 24 novembre 2010 (Soc., 24 novembre 2010, pourvoi n° 09-40.928, Bull. 2010, V, n° 266), qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié d’étayer sa demande par la production d’éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés pour permettre à l’employeur de répondre en fournissant ses propres éléments. Il s’agissait alors de souligner que parce que le préalable pèse sur le salarié et que la charge de la preuve est partagée, le salarié n’a pas à apporter des éléments de preuve mais seulement des éléments factuels, pouvant être établis unilatéralement par ses soins, mais revêtant un minimum de précision afin que l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail accomplies, puisse y répondre utilement.

Dans la continuité de cette jurisprudence, la chambre sociale a ainsi jugé que constituaient des éléments suffisamment précis, notamment, des décomptes d’heures (Soc., 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-17.594 ; Soc., 24 mai 2018, pourvoi n° 17-14.490), des relevés de temps quotidiens (Soc., 19 juin 2013, pourvoi n° 11.27-709), un tableau (Soc., 22 mars 2012, pourvoi n° 11-14.466), ou encore des fiches de saisie informatique enregistrées sur l’intranet de l’employeur contenant le décompte journalier des heures travaillées (Soc., 24 janvier 2018, pourvoi n° 16-23.743).

Il a été également jugé que peu importait que les tableaux produits par le salarié aient été établis durant la procédure prud’homale ou « a posteriori » (Soc., 12 avril 2012, pourvoi n° 10-28.090 ; Soc., 29 janvier 2014, pourvoi n° 12-24.858).

Depuis lors, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie d’un litige collectif portant sur l’enregistrement du temps de travail journalier et des éventuelles heures supplémentaires réalisées, est venue affirmer, dans un arrêt du 14 mai 2019 (C-55/18), que « les articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, lus à la lumière de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, de l’article 11, paragraphe 3, et de l’article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui, selon l’interprétation qui en est donnée par la jurisprudence nationale, n’impose pas aux employeurs l’obligation d’établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur ».

Dans les motifs de son arrêt, la Cour de justice précise que :

- contrairement à un système mesurant la durée du temps de travail journalier effectué, les moyens de preuve pouvant être produits par le travailleur, tels que, notamment, des témoignages ou des courriers électroniques, afin de fournir l’indice d’une violation de ses droits et entraîner ainsi un renversement de la charge de la preuve, ne permettent pas d’établir de manière objective et fiable le nombre d’heures de travail quotidien et hebdomadaire effectuées par le travailleur, compte tenu de sa situation de faiblesse dans la relation de travail (points 53 à 56) ;

- afin d’assurer l’effet utile des droits prévus par la directive 2003/88 et du droit fondamental de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos journalières et hebdomadaires consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, les Etats membres doivent imposer aux employeurs l’obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur, avec toutefois une marge d’appréciation dans la mise en œuvre concrète de cette obligation pour tenir compte des particularités propres à chaque secteur d’activité concerné et des spécificités de certaines entreprises (points 60 à 63).

Prenant en compte cette décision, la chambre sociale décide, sans modifier l’ordre des étapes de la règle probatoire, puisque, conformément à l’article 6 du code de procédure civile, tout demandeur en justice doit rapporter des éléments au soutien de ses prétentions, d’abandonner la notion d’étaiement, pouvant être source de confusion avec celle de preuve, en y substituant l’expression de présentation par le salarié d’éléments à l’appui de sa demande. La chambre sociale rappelle que ces éléments doivent être suffisamment précis quant aux heures non rémunérées que le salarié prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments, en mettant l’accent en parallèle sur les obligations pesant sur ce dernier quant au contrôle des heures de travail effectuées. Il est enfin rappelé que, lorsqu’ils retiennent l’existence d’heures supplémentaires, les juges du fond évaluent souverainement, sans être tenus de préciser le détail de leur calcul, l’importance de celles-ci et les créances salariales s’y rapportant (Soc., 4 décembre 2013, pourvoi n° 12-22.344, Bull. 2013, V, n° 299).

Par l’arrêt commenté, la Cour de cassation entend souligner que les juges du fond doivent apprécier les éléments produits par le salarié à l’appui de sa demande au regard de ceux produits par l’employeur et ce afin que les juges, dès lors que le salarié a produit des éléments factuels revêtant un minimum de précision, se livrent à une pesée des éléments de preuve produits par l’une et l’autre des parties, ce qui est en définitive la finalité du régime de preuve partagée.

C’est précisément pour avoir fait porter son analyse sur les seules pièces produites en l’espèce par le salarié, qui versait aux débats des décomptes d’heures qu’il prétendait avoir réalisées, aboutissant ainsi à faire peser la charge de la preuve des heures supplémentaires exclusivement sur celui-ci, que l’arrêt de la cour d’appel est censuré.

La chambre sociale marque ainsi sa volonté de contrôler le respect par les juges du fond du mécanisme probatoire propre aux heures supplémentaires.

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